Une initative de
Marie de Nazareth

Le voyage vers Jiphtaël

dimanche 17 décembre 28
Nazareth

Vision de Maria Valtorta

       315.1 Il doit avoir plu toute la nuit. Mais, avec l’aube, il s’est levé un vent sec qui a repoussé les nuages au sud, au-delà des collines de Nazareth. Aussi un timide soleil d’hiver ose paraître et son rayonnement allume un éclat sur chaque feuille d’olivier. Mais c’est un vêtement de gala que les oliviers auront vite fait de perdre car le vent le secoue de leurs frondaisons qui semblent pleurer des diamants, qui se perdent ensuite dans les herbes couvertes de rosée ou sur la route boueuse.

       Avec l’aide de Jacques et d’André, Pierre prépare le char et l’âne. Les autres ne se montrent pas encore. Puis ils sortent l’un après l’autre, d’une cuisine peut-être, parce qu’ils disent aux trois qui sont au-dehors :

       « Maintenant, à votre tour d’aller vous restaurer. »

       Alors ces derniers s’en vont pour sortir peu après, cette fois avec Jésus.

       « J’ai remis la couverture à cause du vent » explique Pierre. « Si tu veux vraiment aller à Jiphtaël, nous allons l’avoir en face… et il sera piquant. Je ne sais pas pourquoi nous ne prenons pas la route directe pour Sycaminon, et puis celle de la côte… Elle est plus longue, mais moins difficile. Tu as entendu ce que disait ce berger que j’ai fait habilement chanter ? Il a dit : “ Dans les mois d’hiver, Yodfat est isolé. Il n’y a qu’une route qui y mène, et avec les agneaux on n’y va pas… On ne doit rien avoir sur les épaules car il y a des passages où l’on avance plutôt avec les mains qu’avec les pieds, et les agneaux ne peuvent pas nager… Il y a deux cours d’eau souvent en crue et la route elle-même est un torrent qui coule sur un fond de roches. Moi, j’y vais après la fête des Tentes et en plein printemps, et j’y fais de bonnes ventes parce qu’alors ils s’approvisionnent pour des mois. ” Voilà ce qu’il a dit… Et nous, avec cet équipage… (et il donne un coup de pied dans la roue du char) et avec ce bourricot… Hum !…

       – Le chemin direct de Séphoris à Sycaminon serait meilleur. Mais il est très fréquenté… Rappelle-toi qu’il vaut mieux ne pas laisser de traces de Jean…

       – Le Maître a raison. Nous pourrions trouver aussi Isaac avec des disciples… Et puis à Sycaminon…, dit Simon le Zélote.

       – Dans ce cas… partons…

       – Je vais les appeler tous deux… » dit André.

       Pendant ce temps, Jésus prend congé d’une vieille femme et d’un enfant qui sortent d’un bercail avec des seaux de lait. Surviennent aussi des bergers barbus que Jésus remercie de leur hospitalité en cette nuit pluvieuse.

       315.2 Jean et Syntica sont déjà sur le petit char qui, conduit par Pierre, avance sur la route. Jésus, accompagné de Simon le Zélote et de Matthieu, suivi d’André, de Jacques, de Jean et des deux fils d’Alphée, hâte le pas pour le rejoindre.

       Le vent coupe le visage et gonfle les manteaux. La couverture étendue sur les cercles du char claque comme une voile bien que la pluie de la nuit l’ait alourdie :

       « Allons, qu’elle sèche vite ! » murmure Pierre en la regardant. « Pourvu que les poumons de ce pauvre homme ne se dessèchent pas !… Attends, Simon, fils de Jonas… On va faire comme ça. »

       Il arrête l’âne et retire son manteau, monte sur le char et en enveloppe Jean soigneusement.

       « Mais pourquoi ? J’ai déjà le mien…

       – Parce que tirer l’âne me donne déjà chaud comme si j’étais dans un four à pain. Et puis je suis habitué, moi, à rester nu sur la barque, et plus que jamais nu quand il y a de la tempête. Le froid m’aiguillonne et je suis plus leste. Allons, reste bien couvert ! Marie m’a fait tant de recommandations, à Nazareth, que si tu attrapes quelque maladie, je ne pourrai plus jamais reparaître devant elle…»

       315.3 Il descend du char et reprend la bride en activant la marche de l’âne. Mais bien vite, il doit appeler au secours son frère et aussi Jacques, pour aider l’âne à sortir d’un passage boueux où la roue s’est enfoncée. Et ils avancent, poussant à tour de rôle le char pour soulager l’âne qui raidit ses pattes robustes dans la boue et qui tire, pauvre bête, en éclaboussant et en haletant de fatigue et de gourmandise, car Pierre excite sa marche en lui montrant des bouchées de pain et des trognons de pommes qu’il ne lui donne pourtant que pendant les arrêts.

       « Tu es un trompeur, Simon, dit en plaisantant Matthieu qui observe la manœuvre.

       – Non. J’applique la bête à son devoir, et avec douceur. Si je n’agissais pas ainsi, il faudrait me servir du fouet. Et cela me déplaît. Je ne pique pas la barque quand elle fait des caprices, or c’est du bois. Pourquoi devrais-je le piquer, lui qui est chair ? Maintenant, c’est lui ma barque… elle est dans l’eau… et comment ! Donc je le traite comme je traite ma barque. Je ne suis pas Doras, moi ! Vous savez ? Je voulais l’appeler Doras avant de l’acheter. Mais j’ai entendu son nom, et il m’a plu. Je le lui ai laissé…

       – Comment s’appelle-t-il ? demandent-ils avec curiosité.

       – Devinez ! »

       Pierre rit dans sa barbe. On avance les noms les plus étranges et ceux des plus féroces pharisiens ou sadducéens, etc. Mais Pierre secoue toujours la tête. Ils s’avouent vaincus.

       « Il s’appelle Antoine. Est-ce que ce n’est pas un beau nom ? Ce maudit Romain ! On voit que le Grec qui m’a vendu l’âne était brouillé lui aussi avec Antoine ! »

       Tout le monde rit, pendant que Jean d’En-Dor explique :

       « Ce sera l’un des collecteurs d’impôts après la mort de César. Est-il vieux ?

       – Il peut avoir soixante-dix ans… et il doit avoir fait tous les métiers… il tient maintenant une auberge à Tibériade…»

       315.4 Ils sont arrivés au triple carrefour de Séphoris au croisement des routes Nazareth-Ptolémaïs, Nazareth-Sycaminon, Nazareth-Yodephat. La borne consulaire porte la triple indication : Ptolémaïs, Sycaminon, Yodephat.

       « Nous entrons à Séphoris, Maître ?

       – C’est inutile. Allons à Jiphtaël, sans nous arrêter. Nous mangerons en marchant. Il faut y être avant le soir. »

       Ils marchent longtemps, franchissent deux torrents en crue et attaquent les premières pentes d’un ensemble de collines en direction nord-sud, qui au nord forment comme un nœud à pic qui s’allonge vers l’est.

       « Voilà où se trouve Jiphtaël, dit Jésus.

       – Je ne vois rien, dit Pierre.

       – C’est au nord. De notre côté, il y a des pentes à pic et de même à l’orient et au couchant.

       – De sorte qu’il faut contourner toute la montagne ?

       – Non. Il y a un chemin près de la montagne la plus haute, à son pied, dans la vallée. C’est un bon raccourci, mais très escarpé.

       – Tu y es allé ?

       – Non, mais je le sais. »

       Vraiment, quel chemin ardu ! Il paraît se précipiter à la rencontre de la nuit tant la lumière est réduite au fond de cette vallée qui me fait penser aux Malebolge de Dante tant elle est effroyable et abrupte, une route vraiment taillée dans le roc, pour ainsi dire en escalier, tant elle est hérissée de dénivellements, un chemin étroit, sauvage, resserré entre un torrent rageur et une côte encore plus raide qui s’élève rapidement vers le nord. C’est au point que quand ils y arrivent, ils en sont effarés…

       Si la lumière augmente au fur et à mesure que l’on monte, la fatigue croît aussi. Les apôtres reprennent leurs sacs personnels, et Syntica descend elle aussi pour alléger le char au maximum. Jean d’En-Dor qui, après ses quelques mots n’avait plus ouvert la bouche que pour tousser, voudrait descendre lui aussi. Mais on ne le lui permet pas et il reste à sa place pendant que tous poussent et tirent bête et véhicule, et transpirent à chaque dénivellation. Mais personne ne proteste ; au contraire, tous essaient de se montrer satisfaits de l’exercice pour ne pas humilier les deux disciples pour lesquels ils le font et qui, plus d’une fois, ont exprimé des paroles de regret pour cette fatigue.

       La route fait un angle droit puis un autre angle, encore plus court, qui se termine dans une ville juchée sur une pente si raide que, comme dit Jean, fils de Zébédée, elle donne l’impression qu’elle va glisser dans la vallée avec ses maisons.

       « Mais elle est très solide, elle ne fait qu’un avec le roc.

       – Comme Ramot, alors, dit Syntica qui s’en souvient.

       – Plus encore. Ici, le roc est une partie des maisons et pas seulement leur base. Cela rappelle davantage Gamla. Vous en souvenez-vous ?

       – Oui, et elle nous fait penser aux porcs…, dit André.

       – C’est justement de là que nous sommes partis pour Tarichée, le Mont Thabor et En-Dor, rappelle Simon le Zélote.

       315.5 – Je suis destiné à vous donner des souvenirs pénibles et de grandes fatigues…, soupire Jean d’En-Dor.

       – Mais non ! Tu nous a donné une fidèle amitié, rien de plus, mon ami » rétorque impétueusement Jude, fils d’Alphée.

       Tous s’unissent à lui pour le confirmer plus nettement.

       « Néanmoins… je n’ai pas été aimé… Personne ne me le dit… Mais je sais réfléchir, rassembler les faits dispersés en un seul tableau. Ce départ, non, il n’était pas prévu, et cette décision n’a pas été spontanée…

       – Pourquoi dis-tu cela, Jean ? demande doucement Jésus, affligé.

       – Parce que c’est vrai. On n’a pas voulu de moi. C’est moi, pas d’autres, même pas les grands disciples, qui ai été choisi pour partir au loin.

       – Et Syntica, alors ? demande Jacques, fils d’Alphée, qui s’attriste de la clarté qui vient à l’esprit de l’homme d’En-Dor.

       – Syntica vient pour que je ne sois pas renvoyé seul… pour me cacher, par pitié, la vérité…

       – Non, Jean !

       – Si, Maître. Et tu vois ? Je pourrais te dire le nom de celui qui me torture. Sais-tu où je le lis ? Il me suffit de regarder ces huit hommes bons ! Je n’ai qu’à réfléchir à l’absence des autres pour le lire ! Celui grâce à qui tu m’as trouvé est aussi celui qui voudrait me faire trouver par Belzébuth. C’est lui qui m’a amené à cette heure – et qui t’y a amené, Maître, car, toi aussi, tu souffres comme moi et peut-être plus que moi – ; et il m’a amené à cette heure pour me faire revenir au désespoir et à la haine. Car il est mauvais, il est cruel, il est envieux et il est autre chose encore. C’est Judas de Kérioth, l’âme ténébreuse parmi tes serviteurs toute lumière…

       – Ne dis pas cela, Jean. Il n’est pas le seul qui manque. Tous ont été absents pour les Encénies, sauf Simon le Zélote qui n’avait pas de famille. A cette saison, on ne rentre pas de Kérioth en quelques étapes. Il y a environ deux cents milles à parcourir et il était juste qu’il aille chez sa mère, comme Thomas. Nathanaël aussi, je l’ai épargné parce qu’il est âgé, et avec lui Philippe pour lui tenir compagnie…

       – Oui, les trois autres ne sont pas ici… Mais, bon Jésus, tu connais les cœurs car tu es le Saint ! Mais tu n’es pas seul à les connaître ! Les pervers aussi connaissent les pervers car ils se reconnaissent en eux. Moi, j’ai été pervers, et j’ai retrouvé mes pires instincts en Judas. Mais je lui pardonne. Je lui pardonne de m’envoyer mourir si loin pour une seule raison : c’est justement par lui que je suis venu à toi. Et que Dieu lui pardonne le reste… tout le reste. »

       Jésus n’ose démentir… Il se tait. Les apôtres se regardent les uns les autres tandis qu’à la force des bras ils poussent le char sur le chemin glissant.

       315.6 Le soir est proche quand ils arrivent à la ville où, inconnus parmi les inconnus, ils trouvent à se loger dans une auberge située sur la hauteur au sud du pays. Une hauteur qui donne le vertige quand on regarde en bas, le long de sa paroi, tant elle est à pic et profonde. Au fond, un torrent rugit ; c’est un bruit, rien de plus, dans l’ombre paisible qui envahit la vallée.

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