Une initative de
Marie de Nazareth

La cène rituelle à la maison de Lazare

vendredi 16 mars 29
Jérusalem

Vision de Maria Valtorta

       375.1 Quand Jésus entre dans le palais, il le voit envahi par une foule de serviteurs venus de Béthanie, affairés aux préparatifs. Etendu sur un lit, Lazare est très souffrant. Il salue d’un pâle sourire son Maître qui se hâte vers lui et se penche avec affection sur sa couche en demandant :

       « Les secousses du char t’ont fait beaucoup souffrir, n’est-ce pas, mon ami ?

       – Beaucoup, Maître, répond Lazare, épuisé au point que la seule évocation de ce qu’il a éprouvé lui donne les larmes aux yeux.

       – C’est ma faute ! Pardonne-moi ! »

       Lazare saisit une main de Jésus et la porte à son visage. Il la passe sur sa joue décharnée, la baise et murmure :

       « Oh ! ce n’est pas ta faute, Seigneur ! Et je suis tellement content que tu passes la Pâque avec moi… ma dernière Pâque !…

       – Si Dieu le veut, malgré tout, tu en vivras encore beaucoup, Lazare. Et ton cœur sera toujours avec moi.

       – Ah ! pour moi, c’est la fin ! Tu me réconfortes… mais c’est fini. Et cela me désole, dit-il en pleurant.

       – Tu vois, Seigneur ? Lazare ne fait que pleurer » dit Marthe avec pitié. « Dis-lui de ne pas le faire. Il s’épuise !

       – La chair a encore ses droits. La souffrance est pénible, Marthe, et le corps gémit. Il a besoin de ce soulagement. Mais l’âme est résignée, n’est-ce pas, mon ami ? Ton âme de juste fait avec plaisir la volonté du Seigneur…

       – Oui… Mais je pleure parce que, persécuté comme tu l’es, tu ne pourras m’assister à mon agonie… J’ai peur de la mort, je suis terrifié… Si tu étais présent, je n’éprouverais pas tous ces sentiments. Je me réfugierais dans tes bras… et je m’endormirais ainsi… Comment vais-je faire ? Comment vais-je faire pour mourir sans réagir contre l’obéissance à cette redoutable volonté ?

       – Allons ! Ne pense pas à cela ! Tu vois ? Tu fais pleurer tes sœurs… Le Seigneur t’aidera si paternellement que tu n’auras pas peur. La peur, ce sont les pécheurs qui doivent l’avoir…

       – Mais toi, si tu peux venir, tu viendras à mon agonie ? Promets-le-moi !

       – Je te le promets. Cela et davantage encore.

       – Pendant qu’on fait les préparatifs, raconte-moi ce que tu as fait ce matin… »

       Jésus, assis sur le bord du lit, tenant dans ses mains une des mains décharnées de Lazare, raconte par le menu tout ce qui est arrivé jusqu’à ce que Lazare, épuisé, s’assoupisse. Et Jésus ne le quitte même pas à ce moment. Il reste immobile pour ne pas troubler ce sommeil réparateur, en faisant signe que l’on fasse le moins de bruit possible, si bien que Marthe, après avoir apporté à Jésus de quoi se restaurer, se retire sur la pointe des pieds en abaissant le lourd rideau et en fermant la porte massive. Le bruit de la maison en grande animation s’atténue ainsi en un bourdonnement à peine audible. Lazare dort. Jésus prie et médite.

       375.2 Les heures passent ainsi, jusqu’à ce que Marie vienne apporter un lumignon parce que la nuit tombe et que l’on va fermer les fenêtres.

       « Il dort encore ? murmure-t-elle.

       – Oui. Il est tranquille. Cela va lui faire du bien.

       – Cela fait des mois qu’il n’avait pas autant dormi… Je crois qu’il était très agité par la crainte de la mort. Avec toi auprès de lui, il n’a plus peur… de rien… Il a de la chance, lui !

       – Pourquoi, Marie ?

       – Parce qu’il pourra t’avoir à ses côtés à son décès. Mais moi…

       – Pourquoi pas toi ?

       – Parce que tu veux mourir… bientôt. Et moi, qui sait quand cela m’arrivera ! Fais-moi mourir avant toi, Maître !

       – Non, tu dois me servir encore pendant longtemps.

       – Dans ce cas, j’ai raison de dire que Lazare a de la chance !

       – Les bien-aimés auront tous la même chance que lui, et même davantage.

       – De qui s’agit-il ? Des purs, n’est-ce pas ?

       – De ceux qui savent aimer totalement. Toi, par exemple, Marie.

       – Oh, mon Maître ! »

       Marie glisse par terre sur la natte multicolore qui couvre le dallage de cette pièce, et elle reste là, dans l’adoration de son Jésus.

       Marthe, qui la cherche, passe la tête à l’intérieur.

       « Viens donc ! Nous devons préparer la salle rouge pour la cène du Seigneur.

       – Non, Marthe. Celle-là, vous la donnerez aux plus humbles, aux paysans de Yokhanan, par exemple.

       – Pourquoi donc, Maître ?

       – Parce que les pauvres sont autant de Jésus et que je suis en eux. Honorez toujours le pauvre que personne n’aime, si vous voulez être parfaites. Pour moi, vous ferez les préparatifs dans l’atrium. En tenant ouvertes les nombreuses portes qui donnent sur les salles intérieures, tous me verront, et moi, je verrai tout le monde. »

       Marthe, guère satisfaite, objecte :

       « Toi, dans un vestibule ! Ce n’est pas digne de toi !

       – Va, va. Fais ce que je te dis. Il est très digne de faire ce que le Maître conseille. »

       Marthe et Marie sortent sans faire de bruit, et Jésus reste patiemment pour veiller son ami qui repose.

       375.3 Toutes les cènes sont en cours. La répartition des hôtes n’est guère juste humainement parlant, mais elle est établie d’un point de vue supérieur qui tend à faire honneur et à montrer de l’amour à ceux que le monde néglige habituellement.

       Ainsi, dans la splendide et royale salle rouge, dont la voûte est soutenue par deux colonnes de porphyre grenat entre lesquelles on a dressé la longue table, sont assis les paysans de Yokhanan, avec Marziam, Isaac, et d’autres disciples pour arriver au nombre prescrit. Dans la salle où eut lieu le repas du soir précédent se trouvent d’autres disciples parmi les plus humbles. Dans la salle blanche — un rêve de blancheur — se trouvent les disciples vierges et, avec elles qui sont seulement quatre, il y a les sœurs de Lazare, Anastasica et d’autres jeunes. Mais la reine de la fête, c’est Marie, la Vierge par excellence. Dans la pièce voisine, qui est peut-être une bibliothèque, car elle est garnie de hauts coffres sombres qui contiennent probablement des rouleaux ou en contenaient, se trouvent les veuves et les épouses, avec à leur tête Elise de Beth-Çur et Marie, femme d’Alphée. Et ainsi de suite.

       Mais ce qui frappe le plus, c’est de voir Jésus dans l’atrium de marbre. Il est vrai que le goût raffiné des deux sœurs de Lazare a fait du vestibule carré un véritable salon lumineux, fleuri, plus splendide qu’une salle. Mais c’est tout de même un vestibule ! Jésus est avec les Douze, mais à côté de lui, il y a Lazare, ainsi que Maximin.

       Les cènes se poursuivent selon le rite… et Jésus rayonne de joie d’être au milieu de tous ses fidèles disciples.

       375.4 Une fois les cènes terminées, la dernière coupe bue, le dernier psaume chanté, tous ceux qui se trouvaient dans les différentes salles affluent vers l’atrium. Mais ils n’y entrent pas tous à cause de la table trop encombrante.

       « Allons dans la salle rouge, Maître. Nous pousserons la table contre le mur et nous nous tiendrons tous autour de toi » suggère Lazare, en faisant signe aux serviteurs de s’exécuter.

       Jésus est maintenant assis au centre, entre les deux précieuses colonnes, sous un lampadaire qui l’éclaire vivement, élevé sur un piédestal fait de deux lits-sièges qui servaient pour le repas rituel. Il ressemble vraiment à un roi assis sur son trône au milieu de ses courtisans. Son habit de lin, qu’il a revêtu avant la cène, brille comme s’il était fait de fils précieux ; il semble d’autant plus blanc qu’il se détache sur le rouge sombre des murs et celui, lumineux, des colonnes. Son visage est vraiment divin et royal pendant qu’il parle ou écoute ceux qui l’entourent. Même les plus humbles, qu’il a voulus très proches, se sentant aimés par les autres comme des frères, parlent avec assurance en partageant leurs espoirs et leurs ennuis avec simplicité et foi.

       375.5 Mais le plus heureux parmi tant d’heureux, c’est le grand-père de Marziam ! Il ne quitte pas son petit-fils un seul instant et c’est pour lui un vrai plaisir de le regarder, de l’entendre… De temps à autre, assis près de Marziam qui se tient debout, il penche sa tête chenue sur la poitrine de son petit-fils qui la caresse.

       Jésus le voit faire plusieurs fois, et il interpelle le vieillard :

       « Père, ton cœur est joyeux ?

       – Ah ! très joyeux, mon Seigneur ! Tout cela me semble irréel. Je n’ai plus qu’un désir…

       – Lequel ?

       – Celui que j’ai dit à mon fils, mais lui ne l’approuve pas.

       – De quoi s’agit-il ?

       – Je voudrais, si possible, mourir dans cette paix. Bientôt, du moins. Car j’ai connu désormais mon plus grand bonheur. Une créature ne peut en connaître davantage sur la terre. M’en aller… ne plus peiner… Partir… Comme tu l’as bien dit au Temple, Seigneur ! “ Celui qui offre un sacrifice avec le bien des pauvres ressemble à celui qui égorge un fils sous les yeux de son père. ” Seule la crainte que tu lui inspires retient Yokhanan de rivaliser avec Doras. Il est en train de perdre le souvenir de ce qui est arrivé à l’autre. Ses champs prospèrent, et il les fertilise avec notre sueur. Cette sueur n’est-elle pas le bien du pauvre, son être propre, qu’il épuise dans des fatigues supérieures à ses forces ? Il ne nous frappe pas, il nous donne seulement de quoi tenir bon au travail. Mais ne nous exploite-t-il pas plus que des bœufs ? Dites-le, vous, mes compagnons… »

       Les paysans, anciens et nouveaux, de Yokhanan acquiescent.

       « Hum ! Je crois que… Oui, que tes paroles le rendent plus vampire que jamais, et à leur détriment… Pourquoi en avoir parlé, Maître ? demande Pierre.

       – Parce qu’il le méritait déjà. N’est-ce pas, vous qui travaillez les champs ?

       – Oh oui ! Les premiers mois… tout allait bien. Mais maintenant… c’est pire qu’avant, affirme Michée.

       – Le seau du puits descend par son propre poids, observe sentencieusement le prêtre Jean.

       – Oui, et le loup se lasse vite de faire l’agneau » renchérit Hermas.

       Apitoyées, les femmes murmurent entre elles. Jésus, les yeux dilatés par la pitié, regarde les pauvres paysans, affligé de son impuissance à les soulager.

       Lazare dit :

       « J’avais offert des sommes folles pour obtenir ces champs et leur donner la paix. Mais je n’y suis pas parvenu. Doras me hait. Il ressemble en tout point à son père.

       – Eh bien… nous mourrons ainsi. C’est notre sort. Mais le repos dans le sein d’Abraham viendra bien ! s’exclame Saul, un autre paysan de Yokhanan.

       – Dans le sein de Dieu, mon fils, dans le sein de Dieu ! La Rédemption sera accomplie, les Cieux seront ouverts, vous irez au Ciel et… »

       375.6 Mais voilà qu’au portail on frappe des coups vigoureux qui retentissent fortement. Toute l’assemblée est en état d’alerte.

       « Qui est-ce ?

       – Qui circule un soir de Pâque ?

       – Des troupes ?

       – Des pharisiens ?

       – Des soldats d’Hérode ? »

       Mais alors que l’agitation s’étend, apparaît Lévi, le gardien du palais :

       « Pardonne-moi, Rabbi » dit-il. « Il y a un homme qui te demande. Il est dans l’entrée. Il paraît très affligé. Il est âgé et me semble être du peuple. Il veut te voir, toi, et vite.

       – Oh là, là ! Ce n’est pas un soir de miracles ! Qu’il revienne demain… dit Pierre.

       – Non. Toute soirée est une heure de miracles et de miséricorde » rétorque Jésus.

       Il se lève et descend de son siège pour aller dans l’atrium.

       « Tu y vas seul ? Je viens moi aussi, dit Pierre.

       – Non. Toi, reste ici. »

       Il sort à côté de Lévi.

       Au fond, près du lourd portail, dans l’atrium à demi obscur — car on a éteint les lampes qui l’éclairaient auparavant —, se tient un vieillard très agité. Jésus l’aborde.

       « Arrête-toi, Maître. J’ai peut-être touché un mort, et je ne veux pas te contaminer. Je suis Abraham, le parent de Samuel, l’époux d’Annalia. Nous consommions la cène et Samuel buvait, buvait… comme il n’est pas permis de le faire. Mais le jeune homme me semblait fou depuis quelque temps. C’est le remords, Seigneur ! A moitié ivre, il disait en buvant encore : “ Ainsi, je ne me rappelle plus lui avoir dit que je le hais. Car, sachez-le, j’ai maudit le Rabbi. ” Et il me semblait être Caïn parce qu’il répétait : “ Mon iniquité est trop grande. Je ne mérite pas de pardon ! Il faut que je boive ! Boire pour ne pas me rappeler ! Car il est dit que celui qui maudit son Dieu portera son péché et est passible de mort. ” Il délirait déjà de la sorte, quand le frère de la mère d’Annalia est entré dans la maison pour demander raison de la répudiation. Samuel, à moitié ivre, a réagi par de mauvaises paroles et l’homme l’a menacé de l’amener devant le magistrat pour le tort qu’il fait à l’honneur de la famille. Samuel a commencé par le gifler. Ils en sont venus aux mains… Ma sœur et moi sommes âgés, mon serviteur et ma servante également. Que pouvions-nous faire, nous quatre et les deux filles, les sœurs de Samuel ? Nous pouvions crier, essayer de les séparer, mais rien de plus… Alors Samuel prit la hache à l’aide de laquelle nous avions préparé le bois pour l’agneau et il en asséna un coup sur la tête de l’autre… Il ne lui a pas fendu la tête, car il a frappé avec le revers, pas avec la lame. Mais l’autre chancela en gargouillant et tomba… Nous n’avons plus crié… pour… pour ne pas attirer les gens… Nous nous sommes barricadés dans la maison… Nous étions atterrés… Nous espérions que l’homme reviendrait à lui, en lui jetant de l’eau sur la tête. Mais il gargouille tant et plus. Il va sûrement mourir. Par moments, il semble déjà mort. Je me suis enfui pour t’appeler à un de ces moments. Demain… peut-être avant, sa parenté va chercher l’homme. Et chez nous, puisqu’ils savent certainement qu’il est venu. Et ils vont le trouver mort… Alors Samuel, selon la Loi, sera tué… Seigneur ! Seigneur ! Le déshonneur est déjà sur nous… Mais cela, non ! Pitié pour ma sœur, Seigneur ! Lui, il t’a maudit… Mais sa mère t’aime… Que devons-nous faire ?

       – Attends-moi ici. Je viens. »

       Jésus revient vers la salle et hèle de la porte :

       « Judas de Kérioth, viens avec moi.

       – Où, Seigneur ? dit Judas en obéissant aussitôt.

       – Tu vas le savoir. Vous tous, restez dans la paix et l’amour. Nous serons bientôt de retour. »

       375.7 Ils sortent de la salle, du vestibule, de la maison. Les rues désertes et sombres sont vite parcourues. Ils arrivent à la maison du malheur.

       « La maison de Samuel ? Pourquoi…

       – Silence, Judas. Je t’ai emmené parce que j’ai confiance en ton bon sens. »

       Le vieillard s’est fait reconnaître. Ils entrent. Ils montent à la pièce du cénacle où on a traîné l’hommes frappé.

       « Un mort ? ! Mais, Maître ! Nous allons nous contaminer !

       – Il n’est pas mort. Tu vois qu’il respire et tu l’entends râler. Je vais maintenant le guérir…

       – Mais il a reçu un coup à la tête ! Il y a eu un crime, ici ! Qui l’a frappé ?… Et le jour de l’agneau ! »

       Judas est terrifié.

       « C’est lui » dit Jésus en désignant Samuel, qui s’est jeté dans un coin, pelotonné sur lui-même, plus mourant que le mourant lui-même, râlant de terreur comme l’autre râle dans l’agonie, un pan de son manteau sur la tête pour ne pas voir ni être vu. Tous le regardent avec épouvante, à l’exception de sa mère qui, à l’horreur de l’homicide, unit le déchirement pour son fils coupable et condamné d’avance par la loi de fer d’Israël.

       « Tu vois à quoi conduit un premier péché ? A cela, Judas ! Il a commencé par être parjure à sa femme, puis à Dieu ; ensuite, il est devenu calomniateur, menteur, blasphémateur, après quoi, il s’est adonné au vin et maintenant, il est homicide. C’est ainsi que l’on devient la possession de Satan, Judas. Gardes-en toujours le souvenir… »

       Le bras tendu, Jésus montre Samuel. Il a l’air terrible.

       Mais ensuite, il regarde la mère qui, appuyée à la fenêtre, secouée par des tremblements, a du mal à rester debout,. Elle paraît sur le point de mourir.

       Jésus dit avec tristesse :

       « C’est comme cela, Judas, que les mères sont tuées sans autre arme que celle du crime de leur fils… Les pauvres mères !… C’est d’elle que j’ai pitié. J’ai pitié des mères, moi ! Moi, le Fils qui ne verra pas de pitié pour sa Mère… »

       Jésus pleure… Judas l’observe avec stupéfaction…

       375.8 Jésus se penche alors sur le mourant et lui pose une main sur la tête. Il prie. L’homme ouvre les yeux, il paraît un peu ivre, étonné… Mais il revient vite à lui. Il s’assied en appuyant ses poings au sol, regarde Jésus, et demande :

       « Qui es-tu ?

       – Jésus de Nazareth.

       – Le Saint ! Pourquoi es-tu auprès de moi ? Où suis-je ? Où sont ma sœur et sa fille ? Qu’est-il arrivé ? »

       Il cherche à se rappeler.

       « Homme, tu me dis saint : tu crois donc que je le suis ?

       – Oui, Seigneur. Tu es le Messie du Seigneur.

       – Ma parole est donc sacrée pour toi ?

       – Oui, Seigneur.

       – Alors… »

       Jésus se dresse sur ses pieds. Il est imposant :

       « Alors, moi, comme Maître et comme Messie, je t’ordonne de pardonner. Tu es venu ici et tu as été insulté…

       – Ah ! Samuel ! Oui !… La hache ! Je vais le dénon… dit-il en se levant.

       – Non. Pardonne au nom de Dieu. C’est pour cela que je t’ai guéri. La mère d’Annalia te tient à cœur, parce qu’elle a souffert. Celle de Samuel souffrirait plus encore. Pardonne. »

       L’homme tergiverse quelque peu. Il regarde celui qui l’a frappé, avec une rancœur manifeste. Il regarde la mère angoissée. Il regarde Jésus qui le domine… Il n’arrive pas à se décider.

       Jésus lui ouvre les bras et l’attire sur sa poitrine en disant :

       « Par amour pour moi ! »

       L’homme s’effondre en larmes… Etre ainsi dans les bras du Messie, sentir son haleine dans ses cheveux, et un baiser là où il avait reçu le coup !… Il sanglote tant et plus…

       « Oui, n’est-ce pas ? » dit Jésus. « Tu pardonnes par amour pour moi ? Ah ! bienheureux les miséricordieux ! Pleure, pleure sur mon cœur. Que toute rancœur sorte avec tes larmes ! Tout nouveau ! Tout pur ! Voilà, comme ça ! Doux, oh doux comme doit l’être un fils de Dieu… »

       L’homme lève la tête et dit à travers ses sanglots :

       « Oui, oui. Ton amour est si doux ! Elle a raison, Annalia ! Je la comprends maintenant… Femme, ne pleure plus ! Le passé est passé. Personne ne saura rien par ma bouche. Profite de ton fils retrouvé, s’il peut te donner de la joie. Adieu, femme. Je rentre chez moi. »

       Et il s’apprête à sortir. Jésus lui dit :

       « Je viens avec toi, homme. Adieu, mère. Adieu, Abraham. Adieu, mes filles. »

       Pas un mot pour Samuel qui, de son côté, ne trouve rien à dire. Sa mère lui enlève de la tête le manteau et, par réaction de ce qui s’est passé, elle se jette sur son fils :

       « Remercie ton Sauveur, âme dure ! Remercie-le, indigne que tu es !…

       – Laisse-le, laisse-le, femme ! Sa parole serait sans valeur. Le vin le rend stupide et son âme est fermée. Prie pour lui… Adieu. »

       375.9 Il descend l’escalier, et rejoint sur la route Judas et l’autre homme. Il se dégage du vieil Abraham, qui veut lui baiser les mains et se met à marcher rapidement à la clarté de la lune qui se lève.

       « Tu habites loin ? demande-t-il à l’homme.

       – Au pied du mont Moriah.

       – Dans ce cas, il nous faut nous séparer.

       – Seigneur, tu m’as laissé à mes enfants, à mon épouse, à la vie. Que dois-je faire pour toi ?

       – Etre bon, pardonner et te taire. Jamais, pour aucune raison, tu ne dois dire un mot sur ce qui est arrivé. Le promets-tu ?

       – Je le jure sur le Temple sacré ! Bien que je souffre de ne pouvoir raconter que tu m’as sauvé…

       – Sois juste, et moi, je sauverai ton âme. Et cela, tu pourras le dire. Adieu, homme, que la paix soit avec toi. »

       L’homme s’agenouille, salue. Ils se séparent.

       « Quelle histoire ! Quelle histoire !  répète Judas, maintenant qu’ils sont seuls.

       – Oui. Horrible. Judas, toi non plus tu n’en parleras pas.

       – Non, Seigneur, mais pourquoi as-tu voulu que je vienne avec toi ?

       – N’es-tu pas content de ma confiance ?

       – Si, vraiment ! Mais…

       – Je voulais te faire réfléchir en te montrant où peuvent conduire le mensonge, le désir d’argent, l’ivrognerie et les pratiques mortes d’une religion dépourvue de sentiments et de progression spirituelle. Qu’était le repas symbolique pour Samuel ? Rien ! Une ripaille. Un sacrilège. Et c’est pendant ce repas qu’il est devenu homicide. Beaucoup, à l’avenir, seront comme lui. Avec le goût de l’Agneau sur la langue, non pas de l’agneau né d’une brebis, mais de l’Agneau divin, ils s’en iront vers le crime. Pourquoi cela ? Comment cela ? Tu ne te le demandes pas ? Mais moi, je te le dis quand même : parce qu’ils auront préparé cette heure par beaucoup de précédents, au commencement, par entêtement ensuite. Souviens-toi de cela, Judas.

       – Oui, Maître. Et qu’allons-nous dire aux autres ?

       – Que quelqu'un était dans un état très grave. C’est la vérité. »

       Ils tournent rapidement par une route, et je les perds de vue.

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