Une initative de
Marie de Nazareth

Guérison d’un aveugle-né

samedi 13 octobre 29
Jérusalem

Dans les évangiles : Jn 9, 1-34

Jean 9,1-34

En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? » Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. » Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. » On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle. Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. » Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? » Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. » Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! » Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. » Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’ave z pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? » Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. » L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

Vision de Maria Valtorta

       510.1 Jésus, ses apôtres et Joseph de Séphoris sortent et prennent la direction de la synagogue. La journée, limpide et sereine, réjouit comme une promesse de printemps après les jours venteux et couverts précédents — de vrais jours d’hiver. Beaucoup d’habitants de Jérusalem sont donc dans les rues, les uns allant à la synagogue, d’autres en revenant ou arrivant d’ailleurs, certains avec leur famille afin de sortir de la ville pour profiter du soleil dans la campagne. Par la Porte d’Hérode, visible de la maison de Joseph de Séphoris, on voit les gens sortir des murs pour aller se distraire joyeusement à l’extérieur de la ville  et plonger dans la verdure, dans l’espace, dans la liberté, en dehors des rues étroites serrées entre les hautes maisons. Je crois que la ceinture champêtre qui entourait Jérusalem avait été voulue spontanément par les habitants, qui voulaient concilier la distance du chemin permis le sabbat avec leur désir d’air libre et de soleil, qu’ils prenaient sur les routes, et non seulement sur les terrasses des maisons.

       Mais Jésus ne se dirige pas vers la Porte d’Hérode. Au contraire, il lui tourne le dos pour aller vers l’intérieur de la ville. Mais à peine a-t-il eu le temps de faire quelques pas sur la rue plus large, où débouche le petit chemin qui donne accès à la maison de Joseph de Séphoris, que Judas attire son attention sur un jeune homme qui s’avance vers eux, en tâtant les murs avec un bâton, son visage sans yeux levé un peu haut, avec la démarche particulière aux aveugles. Ses habits sont pauvres mais propres. Il doit être bien connu à Jérusalem, car plusieurs le montrent du doigt et certains lui disent :

       « Homme, aujourd’hui tu t’es trompé de route. Tu as dépassé tous les chemins du mont Moriah, tu es déjà à Bézéta.

       – Aujourd’hui, je ne demande pas d’argent, répond l’aveugle avec un sourire et en continuant vers le nord de la ville.

       510.2 – Maître, observe-le. Il a les paupières soudées, ou plutôt il n’a pas de paupières. Son front rejoint ses joues sans aucune cavité et il semble ne pas avoir de globes oculaires dessous. Il est né ainsi, le malheureux, et il mourra de même sans avoir vu une seule fois la lumière du soleil ni le visage d’un homme. Maintenant, Maître, dis-moi : pour être ainsi puni, il a certainement péché. Mais s’il est né aveugle, comme c’est certain, comment peut-il avoir péché avant de naître ? Ce sont ses parents qui ont péché, et Dieu les a punis en le faisant naître comme ça ? »

       Les autres apôtres, Isaac et Marziam, se serrent près de Jésus pour entendre sa réponse. Deux habitants de Jérusalem de condition aisée qui se tenaient un peu en arrière de l’aveugle pressent le pas, comme attirés par la haute taille de Jésus, qui domine la foule. Parmi eux se trouve Joseph d’Arimathie : il ne s’approche pas, mais, adossé à un portail élevé sur deux marches, il tourne les yeux vers tous les visages pour les observer.

       On entend clairement la réponse de Jésus dans le silence qui s’est fait :

       « Ni lui ni ses parents n’ont péché plus que ne pèche tout homme : peut-être moins encore, car la pauvreté est souvent un frein au péché. Mais il est né ainsi pour que, une fois encore, soient manifestées en lui la puissance et les œuvres de Dieu. Je suis la Lumière venue dans le monde pour que les hommes, qui ont oublié Dieu ou perdu son image spirituelle, voient et se souviennent, et pour que ceux qui cherchent Dieu, ou lui appartiennent déjà, soient confirmés dans la foi et dans l’amour. Le Père m’a envoyé pour que, dans le temps qui est encore accordé à Israël, je complète la connaissance de Dieu en Israël et dans le monde. Il me faut donc accomplir les œuvres de Celui qui m’a envoyé pour témoigner que je peux ce que lui peut, parce que je suis un avec lui, et pour que le monde sache et voie que le Fils n’est pas dissemblable du Père ; ainsi pourra-t-il croire en moi pour ce que je suis. Après viendra la nuit pendant laquelle on ne peut plus travailler, les ténèbres, et celui en qui mon signe et la foi en moi ne se seront pas gravés, ne pourra plus le faire dans l'obscurité et la confusion, la douleur, la désolation et la ruine qui couvriront ces lieux et étourdiront les âmes par le débordement des peines. Mais, tant que je suis dans le monde, je suis lumière et témoignage, parole, chemin et vie, sagesse, puissance et miséricorde. 510.3 Va donc chercher l’aveugle et amène-le ici.

       – André, vas-y, je veux rester là et voir ce que fait le Maître » répond Judas en montrant Jésus.

       Celui-ci s’est penché sur le chemin poussiéreux, a craché sur un petit tas de terre et est en train de délayer avec le doigt la poussière dans la salive pour former une boulette de boue. Pendant qu’André, toujours serviable, va chercher l’aveugle — qui est sur le point de tourner dans le petit chemin où se trouve la maison de Joseph de Séphoris —, Jésus étend la boue sur ses deux index en restant ainsi, mains tendues, comme le prêtre pendant la messe. Cependant, Judas quitte sa place pour dire à Matthieu et à Pierre :

       « Venez ici, vous qui n’êtes pas grands, vous verrez mieux. »

       Puis il se met derrière tout le monde, presque caché par les fils d’Alphée et par Barthélemy, qui sont grands.

       André revient en tenant par la main l’aveugle, qui s’époumone :

       « Je ne veux pas d’argent. Laisse-moi partir. Je sais où se trouve celui qu’on appelle Jésus, et je vais pour demander… »

       – C’est Jésus qui est devant toi » lui dit André en s’arrêtant devant le Maître.

       Contrairement à son habitude, Jésus ne pose aucune question à l’homme. Il lui étend aussitôt sur les paupières closes un peu de la boue qu’il a sur les index, et il lui ordonne :

       « Maintenant, rends-toi le plus vite possible à la citerne de Siloé, sans t’arrêter pour parler avec quelqu’un. »

       L’aveugle, le visage barbouillé de boue, reste un instant perplexe et il ouvre les lèvres pour parler, puis il referme la bouche et obéit. Il commence par marcher lentement comme s’il était pensif ou bien déçu, puis il presse le pas en rasant le mur avec son bâton, de plus en plus vite, autant que le peut un aveugle, peut-être davantage, comme s’il se sentait guidé…

       Les deux habitants de Jérusalem ont un rire sarcastique et partent en hochant la tête. Joseph d’Arimathie — et cela m’étonne — les suit sans même saluer le Maître, ce qui le fait revenir sur ses pas, c’est-à-dire vers le Temple, alors qu’il venait de là. Ainsi, tant l’aveugle que les deux hommes et Joseph d’Arimathie, se dirigent vers le sud de la ville, tandis que Jésus tourne vers l’ouest. Et je le perds de vue, car la volonté du Seigneur me fait suivre l’aveugle et ceux qui l’escortent.

       510.4 Après avoir passé Bézéta, ils s’engagent tous dans la vallée qui sépare le mont Moriah du mont Sion — il me semble l’avoir entendu appeler Tyropéôn à d’autres occasions — et la parcourent dans toute sa longueur jusqu’à Ophel, le longent, sortent sur la route qui mène à la fontaine de Siloé, en restant toujours dans cet ordre : d’abord l’aveugle qui doit être connu dans ce quartier populaire, puis les deux hommes, et en dernier lieu, à quelque distance, Joseph d’Arimathie.

       Joseph s’arrête près d’une maisonnette insignifiante, à demi cachée par une haie de buis qui fait saillie en contournant son jardinet. Mais les deux hommes s’avancent tout près de la fontaine. Ils observent l’aveugle qui s’approche avec précaution du vaste bassin et, en tâtant le mur humide, plonge une main qu’il retire toute ruisselante. Puis il se lave les yeux à trois reprises. La troisième fois, il presse aussi sur son visage l’autre main en laissant tomber son bâton et en poussant un cri comme s’il souffrait.

       Puis il retire lentement ses mains et son cri de douleur se fait cri de joie :

       « Oh ! Très-Haut ! Je vois ! »

       Il se jette à terre, comme vaincu par l’émotion, met ses mains sur ses yeux pour les protéger, les serre contre ses tempes, à la fois impatient de voir, mais gêné par la lumière, tout en répétant :

       « J’y vois ! J’y vois ! C’est donc cela, la terre ! La lumière ! L’herbe, dont je ne connaissais que la fraîcheur… »

       Il se lève tout en restant courbé, comme quelqu’un qui porte un poids, le poids de sa joie, va au ruisselet qui évacue le trop-plein d’eau et le regarde couler, scintillant et riant… Il murmure :

       « Et ceci, c’est l’eau… Voilà ! C’est ainsi que je la sentais entre mes doigts (il y plonge la main) froide et coulante, mais je ne la connaissais pas… Ah ! qu’elle est belle ! Comme tout est beau ! »

       Il lève la tête et voit un arbre… il s’en approche, le touche, tend la main, attrape une petite branche, l’observe en riant. Puis, abritant ses yeux de la main, il regarde le ciel, le soleil, et deux larmes tombent de ses paupières vierges qu’il a ouvertes pour contempler le monde… Il baisse alors les yeux sur l’herbe où une fleur se balance sur sa tige et aperçoit son image que reflète l’eau du ruisselet. Il se dévisage et dit :

       « Voilà à quoi je ressemble ! »

       Il observe avec étonnement une tourterelle venue boire un peu plus loin, puis une chevrette qui arrache les dernières feuilles d‘un rosier sauvage, enfin une femme qui vient à la fontaine avec un bébé sur son sein. Et cette femme lui rappelle sa mère, sa mère au visage inconnu. Alors, levant les bras au ciel, il s’écrie :

       « Sois béni, Très-Haut, pour la lumière, pour ma mère et pour Jésus ! »

       Puis il part en courant, abandonnant là son bâton désormais inutile…

       Les deux hommes n’ont pas attendu aussi longtemps. Dès qu’ils ont remarqué que le miraculé avait recouvré la vue, ils sont partis en courant vers la ville. Joseph, au contraire, reste jusqu’à la fin et quand l’aveugle — qui ne l’est plus — passe devant lui pour entrer dans le dédale des ruelles du quartier populeux d’Ophel, à son tour il quitte sa place et revient sur ses pas, vers la ville, tout pensif…

       510.5 Le quartier d’Ophel, toujours bruyant, est maintenant en pleine ébullition. On court à droite, à gauche, on questionne, on répond.

       « Vous l’aurez confondu avec quelqu’un d’autre…

       – Non, te dis-je. Je lui ai demandé : “ Est-ce bien toi, Sidonia surnommé Bartolmaï ? ” et il m’a répondu : “ Oui, c’est moi. ” Je voulais l’interroger pour savoir comment cela s’était produit, mais il est parti en courant.

       – Où est-il maintenant ?

       – Chez sa mère, certainement.

       – Qui ? Qui l’a vu ? demandent des gens qui accourent.

       – Moi, moi, répondent plusieurs.

       – Mais comment est-ce arrivé ?

       – … Je l’ai vu qui courait sans bâton avec deux yeux au visage et j’ai dit : “ Regarde ! Voilà comment serait Bartolmaï si… ”

       – Je t’assure que j’en suis toute tremblante. En entrant, il a crié : “ Mère, je te vois ! ”

       – C’est une grande joie pour ses parents. Maintenant, il pourra aider son père et gagner sa vie…

       – La pauvre femme ! Ce fut pour elle une telle joie qu’elle s’en est trouvée mal. Ah ! c’est extraordinaire ! J’étais allée lui demander un peu de sel et…

       – Courons chez lui, pour savoir… »

       Joseph d’Arimathie se trouve pris au milieu de ce vacarme et, je ne sais si c’est par curiosité ou par esprit d’imitation, il suit le courant et aboutit dans une impasse, qui arriverait au Cédron sinon. La foule s’y presse, empêchant d’entendre à cause de ses cris le grondement du torrent, gonflé par les pluies d’automne.

       Joseph y arrive quand, d’une autre ruelle qui débouche dans l’impasse, surgissent les deux hommes de tout à l’heure avec trois autres : un scribe, un prêtre et un troisième que son vêtement ne me permet pas d’identifier. Ils se fraient un passage avec autorité et cherchent à entrer dans la maison bondée.

       Celle-ci comprend une vaste cuisine noire comme du goudron, avec un coin qui en est séparé par une cloison rudimentaire au-delà de laquelle se trouvent un grabat et une porte qui donne dans une autre pièce avec un lit plus grand. Une porte, ouverte dans le mur opposé, laisse voir un jardinet de quelques mètres carrés. Et c’est tout.

       510.6 Appuyé à une table, l’aveugle guéri répond à ceux qui l’interrogent, tous de pauvres gens comme lui, le petit peuple de Jérusalem, de ce quartier qui est peut-être le plus pauvre de tous. Sa mère, debout auprès de lui, le regarde et pleure en s’essuyant les yeux avec son voile. Le père, un homme usé par le travail, se passe dans la barbe une main agitée par un tremblement.

       L’entrée dans la maison est impossible, même aux docteurs autoritaires juifs, et les cinq hommes doivent écouter du dehors les paroles de l’aveugle guéri.

       « Comment ils se sont ouverts ? Cet homme, que l’on appelle Jésus, m’a barbouillé les yeux avec de la terre mouillée, et il m’a dit : “ Va te laver à la fontaine de Siloé. ” J’y suis allé, je me suis lavé et mes yeux se sont ouverts, et j’ai vu.

       – Mais comment as-tu fait pour trouver le Rabbi ? Tu disais toujours que tu étais malheureux, car jamais tu ne le rencontrais, même quand il passait par ici pour se rendre chez Jonas à Gethsémani. Et aujourd’hui, maintenant qu’on ne sait jamais où il est…

       – Eh ! hier soir, un de ses disciples est venu et il m’a donné deux pièces de monnaie en me disant : “ Pourquoi ne cherches-tu pas à voir ? ” Je lui ai répondu : “ J’ai cherché, mais je ne trouve jamais ce Jésus qui accomplit des miracles. Je le cherche depuis qu’il a guéri Annalia, qui est de mon quartier, mais quand je vais quelque part, il est ailleurs… ” Il a repris : “ Je suis l’un de ses apôtres, et ce que, moi, je lui demande, il le fait. Viens demain à Bézéta et cherche la maison de Joseph le Galiléen, celui du poisson sec, Joseph de Séphoris, près de la Porte d’Hérode et du tournant de la place, du côté de l’orient, et tu verras que tôt ou tard, il passera par là ou entrera dans la maison. Alors moi, je t’indiquerai au Maître. ” J’ai répondu : “ Mais demain, c’est le sabbat. ” Je voulais dire qu’il ne ferait rien ce jour-là. Il m’a déclaré : “ Si tu veux guérir, c’est le moment, car après on quitte la ville et tu ne sais pas si tu pourras le rencontrer. ” J’ai repris : “ Je sais qu’on s’en prend à lui. Je l’ai entendu depuis les portes de l’enceinte du Temple où je vais mendier. C’est pourquoi je suis sûr que, maintenant qu’il est ainsi persécuté ainsi, il ne voudra pas l’être davantage, et il ne me guérira pas un jour de sabbat. ” Il m’a alors répliqué : “ Fais ce que je te dis, et le jour du sabbat tu verras le soleil ”.

       Et j’y suis allé. Qui ne l’aurait pas fait ? Si c’est son apôtre qui l’affirme ! Il a d’ailleurs ajouté : “ Je suis celui que Jésus écoute le plus, et je viens exprès, car tu me fais pitié et je veux que, après avoir été tellement bafouée, sa puissance resplendisse. C’est toi, un aveugle de naissance, qui la feras resplendir. Je sais ce que je dis. Viens et tu verras. ” Alors je m’y suis rendu. Je n’étais pas encore arrivé à la maison de Joseph qu’un homme m’a pris par la main — mais d’après sa voix ce n’était pas celui d’hier — et il m’a proposé : “ Viens avec moi, mon frère. ” Je ne voulais pas le suivre, je croyais qu’il voulait me donner du pain et de l’argent, peut-être des vêtements, et je lui demandais de me laisser partir parce que je savais où trouver celui qu’on appelle Jésus. L’homme m’a répondu : “ Voici Jésus. Il est devant toi. ” Mais je n’ai rien vu, puisque j’étais aveugle. J’ai senti deux doigts couverts de terre mouillée qui me touchaient des deux côtés et j’ai entendu une voix qui disait : “ Va vite à Siloé et lave-toi. Ne parle à personne. ” C’est ce que j’ai fait. Mais j’étais découragé, car j’espérais voir aussitôt, et j’ai failli croire que c’était une plaisanterie de jeunes gens sans cœur. Je me refusais presque à y aller, mais j’ai entendu une sorte de voix me dire : “ Espère et obéis ” ; alors je me suis rendu à la fontaine, je m’y suis lavé, et j’ai vu. »

       Le jeune homme s’arrête, comme en extase, pour repenser à la joie de sa première vision…

       510.7 « Faites sortir le garçon. Nous voulons l’interroger » crient les cinq hommes.

       Le jeune se fraie un chemin et sort sur le seuil.

       « Où est celui qui t’a guéri ?

       – Je l’ignore, répond le jeune homme auquel un ami a murmuré : “ Ce sont des scribes et des prêtres. ”

       – Comment l’ignores-tu ? Tu disais tout à l’heure que tu le savais. Ne mens pas aux docteurs de la Loi et au prêtre ! Malheur à celui qui cherche à tromper les magistrats du peuple !

       – Je ne trompe personne. Ce disciple m’a dit : “ Il est dans cette maison ”, et c’était vrai, car j’en étais tout proche quand j’ai été interpellé et conduit à lui. Mais où il est maintenant, je ne le sais pas. Le disciple m’a dit qu’ils s’en allaient. Il pourrait déjà avoir franchi les portes.

       – Mais où allait-il ?

       – Qu’est-ce que j’en sais ? ! Peut-être en Galilée… A voir la façon dont on le traite ici !…

       – Imbécile et impoli ! Fais attention à la façon dont tu parles, lie du peuple ! Je t’ai demandé par quelle route il partait.

       – Mais comment voulez-vous que je le sache, puisque j’étais aveugle ? Un aveugle peut-il dire où va quelqu’un d’autre ?

       – C’est bien. Suis-nous.

       – Où voulez-vous me conduire ?

       – Chez les chefs des pharisiens.

       – Pourquoi ? Qu’ont-ils à faire avec moi ? Seraient-ce eux qui m’ont guéri, pour que je doive les remercier ? Lorsque j’étais aveugle et que je mendiais, mes mains n’ont jamais touché leur argent, mes oreilles n’ont jamais entendu le moindre mot de pitié de leur part, et mon cœur n’a jamais connu leur amour. Que dois-je leur dire ? Il n’y en a qu’un à qui je doive dire “ merci ” après mon père et ma mère, qui pendant tant d’années m’ont aimé malheureux. Et c’est ce Jésus qui m’a guéri en m’aimant de tout son cœur, comme l’ont fait mes parents. Je refuse d’aller chez les pharisiens. Je reste avec ma mère et mon père pour profiter de la vue de leurs visages, et eux de mes yeux qui sont nés maintenant, après tant de printemps depuis celui où je suis né, mais sans voir la lumière.

       – Assez parlé ! Viens et suis-nous.

       – Oh non ! Je ne viens pas ! Avez-vous jamais essuyé une larme à ma mère humiliée par mon malheur, ou une goutte de sueur à mon père épuisé par le travail ? Aujourd’hui, je peux le faire par mon aspect, et je devrais les quitter et vous suivre ?

       – Nous te l’ordonnons. Ce n’est pas toi qui commandes, mais le Temple et les chefs du peuple. Si l’orgueil d’être guéri te ferme l’intelligence pour te le rappeler, nous nous en chargeons. Avance ! Marche !

       – Mais pourquoi devrais-je venir ? Qu’attendez-vous de moi ?

       – Que tu fasses une déposition. C’est le sabbat. Or cet acte a été accompli pendant le sabbat. Il doit être enregistré à cause du péché : le tien et celui de ce satan.

       – C’est vous qui êtes satan, c’est vous qui êtes péché ! Et je devrais venir déposer contre celui qui m’a fait du bien ? Vous êtes ivres ! Je viendrai au Temple pour bénir le Seigneur, et rien de plus. Je suis resté pendant bien des d’années dans l’ombre de la cécité, mais mes paupières closes n’ont produit de ténèbres que pour mes yeux. Mon intelligence, elle, est restée dans la lumière, dans la grâce de Dieu, et elle me dit que je ne dois pas porter tort à l’unique Saint qui soit en Israël.

       – Assez, homme ! Ignores-tu que des châtiments sont prévus pour ceux qui s’opposent aux magistrats ?

       – Moi, je ne sais rien. Je suis ici et j’y reste. Et vous n’avez pas intérêt à me nuire. Ne voyez-vous pas qu’Ophel tout entier est de mon côté ?

       – Oui ! Oui ! Laissez-le ! Chacals ! Dieu le protège. Ne le touchez pas ! Dieu est avec les pauvres ! Dieu est avec nous, affameurs et hypocrites ! »

       Les gens crient et menacent dans l’une de ces manifestations spontanées du peuple qui sont les explosions de l’indignation des humbles envers ceux qui les oppriment, ou d’amour pour ceux qui les protègent. Et ils crient :

       « Malheur à vous, si vous frappez notre Sauveur, l’ami des pauvres, le Messie trois fois saint ! Malheur à vous ! On n’a pas craint les colères d’Hérode, ni celles des Chefs, quand on a voulu. Nous ne craignons pas les vôtres, vieilles hyènes aux mâchoires édentées ! Chacals aux ongles coupés ! Puissants inutiles ! Rome ne veut pas de tumulte et n’opprime pas le Rabbi, car lui est paix, mais elle vous connaît. Hors d’ici ! Hors des quartiers de ceux que vous opprimez par des dîmes plus fortes que leurs ressources, afin d’avoir de l’argent pour satisfaire vos désirs et conclure des marchés honteux. Descendants de Jason ! De Simon ! Tortionnaires des vrais Eléazar, des saints Onias. Vous méprisez les prophètes ! Hors d’ici ! Fichez le camp ! »

       Le tumulte ne cesse de croître.

       510.8 Joseph d’Arimathie, écrasé contre un muret, jusqu’alors spectateur attentif, mais inactif des faits, monte d’un saut sur le muret avec une agilité insoupçonnable chez un homme âgé et, de plus, empêtré dans ses vêtements et ses manteaux. Et, debout, il s’écrie :

       « Silence, habitants. Ecoutez Joseph l’Ancien ! »

       Une, deux, dix têtes se tournent dans la direction du cri. A la vue de Joseph, on crie son nom. Il doit être connu et jouir de la faveur populaire, car les hurlements d’indignation font place aux cris de joie :

       « Joseph l’Ancien est là ! Vive lui ! Paix et longue vie au juste ! Paix et bénédiction au bienfaiteur des malheureux ! Silence, pour que Joseph parle ! Silence ! »

       Le silence s’établit non sans mal et, pendant quelques minutes, on entend le grondement du Cédron au-delà de l’impasse. Toutes les têtes se tournent vers Joseph, oubliant ce qui les tenait dans la direction opposée : les cinq malheureux et imprévoyants qui ont provoqué le tumulte.

       « Habitants de Jérusalem, peuple d’Ophel, pourquoi vous laissez-vous aveugler par les soupçons et la colère ? Pourquoi manquer au respect et aux coutumes, vous qui êtes toujours si fidèles aux lois des pères ? Que craignez-vous ? Peut-être que le Temple soit un Moloch qui ne rend pas ce qu’il accueille ? Peut-être que vos juges soient tous aveugles, plus que votre ami, aveugles de cœur et sourds en matière de justice ? N’est-il pas d’usage qu’un fait prodigieux soit déposé, écrit et conservé par qui de droit pour les Chroniques d’Israël ? Permettez donc que, même pour l’honneur du Rabbi que vous aimez, le miraculé monte faire une déposition pour l’œuvre accomplie. Vous hésitez encore ? Eh bien, je me porte garant qu’il n’arrivera aucun mal à Bartolmaï, et vous savez que je ne mens pas. Comme un fils qui m’est cher, je l’accompagnerai là-haut, et je vous le ramènerai ici ensuite. Fiez-vous à moi, et ne faites pas du sabbat un jour de péché en vous révoltant contre vos chefs.

       – Il a raison ! Il ne le faut pas, nous pouvons le croire. C’est un juste. Dans les bonnes délibérations du Sanhédrin, il y a toujours sa voix. »

       Les gens changent d’avis et finissent par crier : « A toi, oui, notre ami, nous te le confions ! » Et en s’adressant au jeune homme : « Va ! N’aie pas peur. Avec Joseph d’Arimathie, tu es en sécurité comme avec ton père, et davantage. » Et ils ouvrent leurs rangs pour que l’ancien aveugle puisse rejoindre Joseph, qui est descendu de sa tribune improvisée. Au moment où il passe, ils lui soufflent : « Nous venons nous aussi. Ne crains rien ! »

       Joseph, dans ses riches vêtements de laine luxueuse, pose une main sur l’épaule du miraculé, et se met en route. La tunique bise et usée du jeune homme, son petit manteau, frottent l’ample vêtement rouge foncé et le riche manteau encore plus foncé du vieux membre du Sanhédrin. Les cinq hommes suivent, puis la foule innombrable d’Ophel…

       510.9 Les voilà au Temple, après avoir traversé les rues centrales, attirant l’attention d’une foule de gens qui se montrent au doigt l’ancien aveugle en disant :

       « Mais c’est l’aveugle qui mendiait ! Maintenant, il a des yeux ! Mais peut-être est-ce quelqu’un qui lui ressemble ! Non, c’est sûrement lui, et ils le conduisent au Temple. Allons nous rendre compte ! »

       Le cortège ne cesse de grossir, jusqu’au moment où les murs du Temple les engloutissent tous.

       Joseph conduit le jeune homme dans une salle — mais ce n’est pas le Sanhédrin — où se trouvent de nombreux scribes et pharisiens. Joseph entre, et avec lui Bartolmaï et les cinq hommes. Les habitants d’Ophel sont repoussés dans la cour.

       « Voici l’homme. Je vous l’ai amené moi-même : sans être vu, j’ai assisté à sa rencontre avec le Rabbi et à sa guérison, et je puis vous affirmer que ce fut tout à fait fortuit de la part du Rabbi. L’homme, vous l’entendrez dire vous aussi, fut amené ou plutôt invité à se rendre auprès du Rabbi, par Judas de Kérioth, que vous connaissez. Et j’ai moi-même entendu — tout comme ces deux-là, car ils étaient présents — comment ce fut Judas qui engagea Jésus de Nazareth à accomplir ce miracle. Maintenant je dépose ici que, s’il y a lieu de punir quelqu’un, ce n’est pas l’aveugle ni le Rabbi, mais l’homme de Kérioth qui — Dieu voit si je mens en disant ce que pense mon intelligence — est le seul auteur du fait, puisqu’il l’a provoqué par une manœuvre préméditée. C’est tout ce que j’ai à dire.

       – Ta déclaration n’annule pas la faute du Rabbi. Si son disciple pèche, le Maître ne doit pas pécher. Or il l’a fait en guérissant un jour de sabbat. Il a accompli une œuvre servile.

       – Cracher par terre n’est pas faire œuvre servile, et toucher les yeux d’un autre n’est pas faire œuvre servile. Moi aussi, je touche l’homme et je ne crois pas pécher.

       – Il a accompli un miracle le jour du sabbat : c’est en cela que consiste le péché.

       – Honorer le sabbat par un miracle est une grâce de Dieu et de sa bonté. C’est son jour. Et le Tout-Puissant ne peut-il pas le célébrer par un miracle qui fait resplendir sa puissance ?

       – Nous ne sommes pas ici pour t’écouter, toi. Tu n’es pas accusé. C’est l’homme que nous voulons interroger. 510.10 A toi de répondre. Comment as-tu obtenu la vue ?

       – Je l’ai déjà dit, et ceux-là m’ont entendu. Le disciple de ce Jésus m’a dit hier : “ Viens et je te ferai guérir. ” J’ai obéi, et j’ai senti qu’on me mettait de la boue ici et j’ai entendu une voix qui me disait d’aller à Siloé et de m’y laver. Je l’ai fait, et j’y vois.

       – Mais sais-tu qui t’a guéri ?

       – Bien sûr que je le sais ! Jésus. Je vous l’ai dit.

       – Mais sais-tu exactement qui est Jésus ?

       – Moi, je ne sais rien. Je suis un pauvre et un ignorant, et il y a peu de temps, j’étais aveugle. Cela, je le sais et je sais que lui m’a guéri ; s’il a pu le faire, Dieu est certainement avec lui.

       – Ne blasphème pas ! Dieu ne peut être avec quelqu’un qui n’observe pas le sabbat » crient certains.

       Mais Joseph et les pharisiens Eléazar, Jean et Joachim font remarquer :

       « Et pourtant un pécheur ne peut accomplir de tels prodiges.

       – Vous aussi êtes séduits par ce possédé ?

       – Non : nous sommes justes, et nous disons que si Dieu ne peut être avec celui qui agit un jour de sabbat, il n’est pas possible non plus qu’un homme sans l’aide de Dieu fasse qu’un aveugle-né y voie » déclare calmement Eléazar.

       Les trois autres approuvent.

       « Et le démon, où le mettez-vous ? hurlent, hargneux, les mauvais.

       – Je ne puis croire, et vous non plus, que le démon puisse accomplir des œuvres capables de faire louer le Seigneur, intervient le pharisien Jean.

       – Qui donc le loue ?

       – Le jeune homme, ses parents, Ophel tout entier et moi avec eux, ainsi que tous les hommes justes qui ont une sainte crainte de Dieu » réplique Joseph.

       Les mauvais, tout penauds et ne sachant qu’objecter, s’en prennent à Sidonia, dit Bartolmaï :

       « Et toi, que penses-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ?

       – Pour moi, c’est un prophète, et plus grand qu’Elie avec le fils de la veuve de Sarepta. Car si Elie a fait revenir l’âme dans l’enfant, ce Jésus m’a donné ce que je n’avais jamais perdu, ne l’ayant jamais eu : la vue. Et si, en un éclair, il m’a fait des yeux avec rien qu’un peu de boue, alors qu’en neuf mois ma mère, avec sa chair et son sang n’a pas réussi à me les faire, il doit être grand comme Dieu, qui avec de la boue a créé l’homme.

       – Va-t’en ! Fiche le camp ! Blasphémateur ! Menteur ! Vendu ! »

       Et ils chassent Bartolmaï comme si c’était un damné.

       510.11 « L’homme ment. Ce ne peut être vrai. Tous s’accordent à dire qu’un aveugle de naissance ne peut guérir. C’est peut-être quelqu’un qui ressemble à Bartolmaï, et que le Nazaréen a préparé… ou bien… Bartolmaï n’a jamais été aveugle. »

       Devant cette affirmation surprenante, Joseph d’Arimathie rétorque :

       « Que la haine aveugle, on le sait depuis le temps de Caïn, mais qu’elle rende stupide, on l’ignorait encore ! Imaginez-vous possible d’arriver au plein développement de la jeunesse en feignant d’être aveugle pour… attendre un éventuel événement éclatant et très éloigné ? Croyez-vous réellement que les parents de Bartolmaï ne connaissent pas leur fils ou se prêtent à ce mensonge ?

       – L’argent peut tout, or ils sont pauvres.

       – Le Nazaréen l’est plus qu’eux.

       – Tu mens ! Il lui passe par les mains des sommes de satrape.

       – Mais elles ne s’y arrêtent pas un instant. Ces sommes appartiennent aux pauvres. Elles servent pour le bien, pas pour le mensonge.

       – Comme tu le défends ! Et tu es un des Anciens !

       – Joseph a raison. Il faut dire la vérité, quelle que soit la charge que l’homme occupe, déclare Eléazar.

       510.12 – Courez rappeler l’aveugle et ramenez-le ici, et que d’autres aillent chercher ses parents et les fassent venir » s’écrie Elchias en ouvrant la porte toute grande et en donnant ses ordres à des hommes qui attendent dehors.

       Sa bouche est presque couverte de bave tant la colère l’étrangle.

       Les uns courent d’un côté, les autres de l’autre. Le premier à revenir est Sidonia, dit Bartolmaï, étonné et ennuyé. Ils le fichent dans un coin, en le dévisageant comme une meute de chiens qui guettent un gibier…

       Puis, après un bon moment, voilà qu’arrivent ses parents, entourés de la foule.

       « Vous, entrez ! Les autres, dehors ! »

       Le couple entre. Epouvantés, ils voient leur fils tout au fond, en bonne forme, mais en état d’arrestation. La mère gémit :

       « Mon fils ! Dire que ce devait être un jour de fête pour nous !

       – Ecoutez-nous. Cet homme est votre fils ? demande avec rudesse un pharisien.

       – Oui, c’est notre fils ! Qui d’autre voulez-vous que ce soit ?

       – Vous en êtes vraiment sûrs ? »

       Le père et la mère sont tellement abasourdis par la question que, avant de répondre, ils se regardent.

       « Répondez !

       – Noble pharisien, peux-tu penser qu’un père et une mère puissent se tromper à propos de leur enfant ? dit humblement le père.

       – Mais… pouvez-vous jurer que… oui… que, contre une certaine somme d’argent, il ne vous a pas été demandé de dire qu’il s’agit de votre fils, alors que c’est quelqu’un qui lui ressemble ?

       – Demandé de dire ? Et par qui donc ? Jurer ? Mais mille fois, et sur l’autel et le nom de Dieu, si tu veux ! »

       Et ils l’affirment avec tant d’assurance que le plus obstiné en serait démonté. Mais les pharisiens ne se démontent pas ! Ils demandent :

       « Mais votre fils n’était pas né aveugle ?

       – Si, il était né comme ça. Avec les paupières closes et par dessous le vide, rien…

       – Alors comment donc y voit-il maintenant ? Il a des yeux sur lesquels s’ouvrent des paupières. Vous ne voudriez tout de même pas prétendre que des yeux peuvent naître ainsi, comme des fleurs au printemps, et qu’une paupière s’ouvre comme le fait le calice d’une fleur !… lance un autre pharisien avec un rire sarcastique.

       – Nous savons que cet homme est vraiment notre fils depuis presque trente ans, et qu’il est né aveugle, mais comment il y voit aujourd’hui, nous ne le savons pas, et nous ignorons qui lui a ouvert les yeux. Du reste, demandez-le-lui. Il n’est pas idiot et ce n’est plus un enfant. Il est bien assez grand. Interrogez-le, et il vous répondra.

       – Vous mentez, s’écrie un des deux hommes qui avaient toujours suivi l’aveugle. Lui, dans votre maison, a raconté comment il a été guéri et par qui. Pourquoi dites-vous l’ignorer ?

       – Nous étions tellement abasourdis par la surprise que nous n’avons pas entendu » répondent les parents en s’excusant.

       510.13 Les pharisiens s’adressent à Sidonia dit Bartolmaï :

       « Avance ici, toi, et rends gloire à Dieu si cela t’est possible ! Tu ne sais pas que celui qui t’a touché les yeux est un pécheur ? Tu ne le sais pas ? Eh bien, apprends-le. Nous te l’affirmons, nous qui le savons.

       – Bah ! Dites ce que vous voulez ! Pour moi, si c’est un pécheur, je l’ignore. Je sais seulement qu’avant, j’étais aveugle, et que maintenant, je vois clair.

       – Mais que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ?

       – Je vous l’ai déjà dit et vous m’avez entendu. Vous voulez l’entendre de nouveau ? Pourquoi ? Peut-être désirez-vous devenir ses disciples ?

       – Imbécile ! Sois, toi, un disciple de cet homme. Nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous connaissons tout de Moïse, et nous savons que Dieu lui a parlé. Mais de cet homme, nous ne savons rien, ni d’où il vient, ni qui il est, et aucun prodige du Ciel ne l’indique comme prophète.

       – C’est justement cela qui est extraordinaire : que vous ne sachiez pas d’où il est et que vous disiez qu’aucun prodige n’indique qu’il soit juste. Mais lui m’a ouvert les yeux, ce qu’aucun de nous en Israël n’a jamais pu faire, pas même l’amour d’une mère et les sacrifices de mon père. Une chose pourtant que nous savons tous, aussi bien vous que moi, c’est que Dieu n’exauce pas le pécheur, mais celui qui craint Dieu et accomplit sa volonté. On n’a jamais entendu dire que quelqu’un, dans le monde entier, ait pu ouvrir les yeux à un aveugle-né : mais cela, Jésus l’a fait. S’il n’était pas de Dieu, cela lui aurait été impossible.

       – Tu es né entièrement dans le péché, tu as l’esprit difforme autant et plus que ne l’était ton corps, et tu prétends nous faire la leçon ? Va-t’en, misérable avorton, et fais-toi satan avec ton séducteur. Dehors ! Dehors, tout le monde, plèbe imbécile et pécheresse ! »

       Et ils les jettent dehors, fils, père et mère, comme si c’étaient trois lépreux.

       510.14 Tous trois s’éloignent rapidement, suivis de leurs amis. Mais une fois l’enceinte franchie, Sidonia se retourne et dit :

       « Restez ! Et dites ce que vous voulez. La vérité, c’est que j’y vois et j’en loue Dieu. Et satan, c’est vous qui le serez, et non pas le Bon qui m’a guéri.

       – Tais-toi, mon fils ! Tais-toi ! Pourvu que cela ne nous porte pas tort !… gémit la mère.

       – Oh ! ma mère ! L’air de cette salle t’a empoisonné l’âme, toi qui dans ma douleur m’enseignais à louer Dieu, et qui, maintenant dans la joie, ne sais pas le remercier et qui crains les hommes ? Si Dieu nous a tant aimés, toi et moi, au point de nous accorder ce miracle, ne saura-t-il pas nous défendre contre une poignée d’hommes ?

       – Ton fils a raison, femme. Allons à notre synagogue pour louer le Seigneur, puisqu’ils nous ont chassés du Temple. Et dépêchons-nous, avant la fin du sabbat… »

       Pressant le pas, ils se perdent dans les chemins de la vallée.

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