Une initative de
Marie de Nazareth

Inexplicable absence de Judas

mardi 23 octobre 29
Béthanie

Vision de Maria Valtorta

       519.1 Arrivé aux premières maisons de Béthanie, Jésus congédie les disciples Lévi, Joseph, Matthias et Jean, trouvés je ne sais où et auxquels il confie le nouveau venu, Sidonia, dit Bartolmaï. Et les disciples bergers s’éloignent avec lui et sept autres hommes qui les accompagnaient. Jésus les regarde partir, puis il se tourne vers ses apôtres :

       « Maintenant, attendons ici Judas…

       – Ah ! Tu t’es aperçu qu’il était parti ? » demandent les autres avec étonnement. « Nous croyions que tu ne l’avais pas remarqué. Il y avait beaucoup de monde, et tu n’as pas cessé de parler, avec le jeune homme d’abord, puis avec les bergers… »

       – J’ai vu dès le premier instant qu’il s’était éloigné. Rien ne m’échappe. C’est même pour cette raison que je suis entré dans des maisons amies demander qu’on envoie Judas à Béthanie s’il me cherchait…

       – Dieu veuille que non » marmonne Jude entre ses dents.

       Jésus le regarde, mais il montre qu’il ne va pas relever la phrase ; et il poursuit en s’adressant à tous, car il les voit tous du même avis — les visages sont parfois plus expressifs que les paroles :

       « En attendant son retour, ce repos sera le bienvenu et va nous faire du bien. Ensuite, nous prendrons la direction de Tecua. Le temps est froid, mais il tourne au beau. J’évangéliserai cette ville, puis nous remonterons en passant par Jéricho et nous irons sur l’autre rive. Les bergers m’ont prévenu que beaucoup de malades me cherchent et je leur ai fait dire de ne pas affronter le voyage, mais de m’attendre chez eux.

       – Allons-y, soupire Pierre.

       – Tu n’es pas content d’aller chez Lazare ? demande Thomas.

       – Si.

       – Tu as une telle manière de le dire…

       – Ce n’est pas à cause de Lazare que je parle ainsi, mais de Judas…

       – Tu es un pécheur, Pierre, lui dit Jésus en guise d’avertissement.

       – Oui, j’en suis un. Mais… lui, Judas, qui s’en va, qui est impertinent, qui est un vrai tourment, il ne l’est pas ? » décoche vivement Pierre.

       Manifestement, il est fâché et n’en peut plus.

       « Si. Mais s’il l’est, toi tu ne dois pas l’être. Aucun de nous ne doit l’être. 519.2 Rappelez-vous que Dieu nous demandera compte — je dis bien : nous demandera, car c’est à moi d’abord encore plus qu’à vous que Dieu a confié cet homme — de ce que nous aurons fait pour le racheter.

       – Et tu espères y parvenir, mon Frère ? Je ne puis le croire. Toi, cela je le crois, tu connais le passé, le présent et l’avenir. Et par conséquent, tu ne peux te tromper sur le compte de cet homme. Et… Mais il vaut mieux que je ne dise pas le reste.

       – C’est effectivement une grande vertu de savoir se taire. Sache cependant que la prévision, plus ou moins exacte, de l’avenir d’un cœur, ne décharge personne de persévérer jusqu’à la fin pour l’arracher à la ruine. Ne tombe pas, toi non plus, dans le fatalisme des pharisiens qui soutiennent que ce qui est fixé par le destin doit s’accomplir, et que rien ne peut empêcher cet accomplissement. C’est grâce à ce raisonnement qu’ils justifient aussi leurs fautes et qu’ils justifieront jusqu’au dernier acte de leur haine contre moi. Bien souvent, Dieu attend le sacrifice d’un cœur, qui surmonte ses nausées et ses indignations, ses antipathies, même justifiées, pour arracher une âme au marécage où il s’enfonce. Oui, je vous le dis : bien souvent Dieu, le Tout-Puissant, le Tout, attend qu’une créature, un rien, fasse ou ne fasse pas un sacrifice, une prière, pour signer ou ne pas signer la condamnation d’une âme. Il n’est jamais trop tard pour essayer de sauver une âme ou du moins de l'espérer. Je vous en donnerai des preuves. Même au seuil de la mort, quand aussi bien le pécheur que le juste, qui pour lui se tourmente, sont près de quitter la terre pour arriver au premier jugement de Dieu, on peut toujours sauver ou être sauvé. Entre la coupe et les lèvres, dit le proverbe, il y a toujours place pour la mort. Moi, je dis au contraire : entre la fin de l’agonie et la mort, il est toujours temps d’obtenir le pardon, pour soi-même ou ceux pour qui nous le demandons. »

       Personne ne souffle mot.

       519.3 Arrivé à la lourde grille, Jésus hèle un serviteur pour se faire ouvrir. Une fois entré, il demande des nouvelles de Lazare.

       « Oh ! Seigneur ! Tu vois ? Je viens d’aller cueillir des feuilles de laurier et de camphre ainsi que des baies de cyprès et d’autres feuilles et fruits odorants pour les faire bouillir avec du vin et des résines et en faire des bains pour le maître. Sa chair tombe en lambeaux et on ne peut résister à la puanteur. Tu es venu, mais je ne sais si on te laissera passer… »

       Pour empêcher l’air lui-même d’entendre, le serviteur baisse la voix jusqu’à ce que ce ne soit qu’un murmure :

       « Désormais, on ne peut plus cacher qu’il a des plaies ; les maîtresses repoussent tout le monde… par crainte… tu sais… Lazare est aimé vraiment par peu de gens… Et beaucoup, pour plusieurs raisons, se réjouiraient de… Oh ! ne me fais pas penser à ce qui est la peur de toute la maison.

       – Elles font bien. Mais ne craignez rien. Un tel malheur n’arrivera pas.

       – Mais… Pourra-t-il guérir ? Un miracle de toi…

       – Il ne guérira pas, mais cela servira à glorifier le Seigneur. »

       Le serviteur est déçu… Jésus guérit tout le monde, et ici il ne fait rien !… Mais il n’a qu’un soupir pour manifester sa pensée. Il dit ensuite :

       « Je vais t’annoncer aux maîtresses. »

       Jésus se voit entouré par les apôtres, qui s’intéressent à l’état de santé de Lazare et sont consternés quand Jésus les informe.

       519.4 Mais déjà arrivent les deux sœurs. Leur florissante et différente beauté semble embrumée par la douleur et la fatigue des veilles prolongées. Pâles, abattues, émaciées, les yeux — auparavant très vifs de l’une et de l’autre — fatigués, sans bagues ni bracelets, portant des habits foncés, couleur de cendre, elles ressemblent plutôt à des servantes qu’à des maîtresses. Elles s’agenouillent à une certaine distance de Jésus, pour lui offrir seulement leurs larmes, des larmes résignées, muettes, qui coulent comme d’une source intérieure et ne peuvent s’arrêter.

       Jésus s’approche. Marthe tend les mains en murmurant :

       « Eloigne-toi, Seigneur. En vérité, nous craignons de pécher désormais contre la loi sur la lèpre. Mais, nous ne pouvons pas, ô Dieu, nous ne pouvons pas provoquer un semblable décret contre notre Lazare ! Néanmoins ne t’approche pas, car nous sommes impures, puisque nous ne cessons de toucher ses plaies. Nous seules, car nous avons écarté toute autre personne. On vient tout nous déposer sur le seuil et nous prenons, nous lavons, nous brûlons, dans la pièce contiguë à celle de Lazare. Vois-tu nos mains ? Elles sont brûlées par la chaux vive que nous employons pour les vases qu’il faut rendre aux serviteurs. Nous pensons être ainsi moins coupables. »

       Elle fond en larmes.

       Marie de Magdala, qui se taisait, gémit à son tour :

       « Nous devrions appeler le prêtre. Mais… c’est moi la plus coupable, car je m’y oppose et je soutiens que ce n’est pas le terrible mal maudit en Israël. Non et non ! Mais ils nous détestent tellement, et ils sont si nombreux, qu’ils le taxeraient de lépreux. Simon, ton apôtre, fut déclaré lépreux pour beaucoup moins que cela !

       – Tu n’es pas prêtre ni médecin, Marie, dit Marthe en sanglotant.

       – Non. Mais tu sais ce que j’ai fait pour être certaine de ce que j’avance. 519.5 Seigneur, je suis allée parcourir toute la vallée de Hinnom, tout Siloan, tous les tombeaux près d’En-Rogel. J’étais habillée comme une servante, voilée, dès le début de l’aurore, chargée de vivres et d’eaux médicinales, de bandes, et de vêtements. Et j’ai donné tant et plus. Je disais que c’était un vœu pour celui que j’aimais, et c’était vrai. Je demandais seulement de pouvoir regarder les plaies des lépreux. Ils doivent m’avoir crue folle… Qui donc veut voir de telles horreurs ? ! Mais moi, après avoir déposé mes offrandes à la limite des talus, je demandais à voir. Eux se tenaient au-dessus, moi plus bas ; ils étaient étonnés, moi dégoûtée. Tous, nous pleurions. J’ai regardé, regardé, regardé ! J’ai observé les corps couverts de squames, de croûtes, de plaies, les visages rongés, les cheveux blanchis et plus durs que des seimes, les yeux suintant de la pourriture, les joues laissant voir les dents, des crânes sur des corps vivants, les mains réduites à des griffes monstrueuses, des pieds comme des branches noueuses… puanteur, horreur, pourriture… Oh ! si j’ai péché en adorant la chair, si j’ai joui avec mes yeux, avec l’odorat, l’ouïe, le toucher, de ce qui était beau, parfumé, harmonieux, doux et lisse, oh ! je t’assure que mes sens sont désormais purifiés par la mortification de ces connaissances ! Mes yeux ont oublié la beauté séduisante de l’homme en contemplant ces monstres, mes oreilles ont expié la jouissance passée des voix viriles avec ces voix âpres, qui ne sont plus humaines, ma chair a frissonné, et mon odorat s’est révolté… Tout reste du culte en moi-même a disparu, car j’ai vu ce que l’on devient après la mort… Mais j’en suis revenue avec cette certitude : Lazare n’est pas lépreux. Sa voix n’est pas altérée, ses cheveux et toute sa pilosité sont intacts, et les plaies sont différentes. Il ne l’est pas, non ! Marthe me peine parce qu’elle ne me croit pas, parce qu’elle ne réconforte pas Lazare en le dissuadant de se croire impur. Tu vois ? Il ne veut pas te voir, maintenant qu’il sait que tu es ici, pour ne pas te contaminer. Les sottes peurs de ma sœur le privent même de ton réconfort !… »

       Sa nature véhémente la porte à la colère. Mais, voyant que sa sœur, désolée, éclate en sanglots, sa colère tombe d’un coup et elle étreint Marthe en l’embrassant :

       « Oh ! Marthe ! Pardon ! Pardon ! C’est la douleur qui me rend injuste ! C’est l’amour que j’ai pour toi et Lazare qui voudrait vous convaincre ! Ma pauvre sœur ! Pauvres femmes que nous sommes !

       – Allons ! Ne pleurez pas ainsi. Vous avez besoin de paix et de compassion mutuelle pour vous et pour lui. Lazare, du reste, n’est pas lépreux, c’est moi qui vous le déclare.

       – Oh ! viens le voir, Seigneur. Qui mieux que toi peut juger s’il est lépreux ? supplie Marthe.

       – Ne t’ai-je pas déjà affirmé qu’il ne l’est pas ?

       – Si, mais comment peux-tu le dire, si tu ne le vois pas ?

       – Ah ! Marthe ! Marthe ! Dieu te pardonne parce que tu souffres et que tu es comme en délire ! J’ai pitié de toi et je vais voir Lazare, je découvrirai ses plaies et…

       – Et tu vas le guérir ! s’écrie Marthe en se relevant.

       – Je t’ai déjà dit d’autres fois que je ne puis le faire… Mais je vous donnerai la paix de vous savoir en règle avec la loi sur les lépreux. 519.6 Allons-y… »

       Et il se dirige le premier vers la maison en faisant signe à ses apôtres de ne pas le suivre.

       Marie court en avant, ouvre une porte, traverse en courant un couloir, en ouvre une autre qui donne sur une petite cour intérieure, y fait quelques pas et entre dans une pièce à demi-obscure encombrée de bassins, de petits vases, d’amphores, de bandes… Une odeur mélangée d’arômes et de décomposition prend le nez. Il y a une porte en face de la première, et Marie l’ouvre en criant d’une voix qui veut être lumineuse de joie :

       « Voici le Maître. Il vient te dire que j’ai raison, mon frère. Allons, souris, car il entre, celui qui est notre amour et notre paix ! »

       Et elle se penche sur son frère, le redresse sur ses oreillers, l’embrasse, sans souci de l’odeur qui, malgré tous les palliatifs, se dégage du corps couvert de plaies. Elle est encore courbée pour l’arranger que déjà la douce salutation de Jésus résonne dans la pièce ; aussitôt celle-ci, envahie par une pâle lumière, semble devenir lumineuse du seul fait de la divine présence.

       « Maître, tu n’as pas peur… ? Je suis…

       – Malade ! Rien de plus. Lazare, si les règles ont été données, de façon si large et avec une telle sévérité, c’est par une mesure compréhensible de prudence. Il vaut mieux exagérer en fait de prudence que l’inverse, dans certains cas de maladies contagieuses. Mais tu n’es pas contagieux, mon pauvre ami, tu n’es pas impur, de sorte que je ne pense pas manquer à la prudence envers mes frères si je t’embrasse ainsi. »

       Et il lui donne un baiser en prenant le corps émacié dans ses bras.

       « Tu es vraiment la Paix, toi ! Mais tu n’as pas encore tout vu. Voilà Marie qui découvre l’horreur. Je suis déjà un mort, Seigneur. Je ne sais pas comment mes sœurs peuvent tenir… »

       Je ne saurais pas moi non plus y résister, tant sont effrayantes et répugnantes les plaies qui se sont formées le long des varices des jambes. Tandis que les mains splendides de Marie travaillent avec légèreté sur elles, elle répond de sa merveilleuse voix:

       « Tes maux sont des roses pour tes sœurs, des roses épineuses seulement parce que tu souffres. Voici, Maître. Tu vois ? Cela ne ressemble pas à la lèpre !

       – C’est vrai. C’est un grand mal qui te consume, mais il n’y a pas de danger. Crois ton Maître ! Recouvre-le, Marie, j’ai vu.

       – Et… tu ne le touches donc pas ? soupire Marthe, dont l’espérance est tenace.

       – Il ne faut pas. Non pas par dégoût, mais pour ne pas irriter les plaies. »

       Marthe se penche, sans insister davantage, sur un bassin qui contient du vin ou du vinaigre aromatisé, et elle y plonge des linges qu’elle passe à sa sœur. Des larmes muettes tombent dans le liquide rougeâtre…

       Marie enveloppe les pauvres jambes et étend de nouveau les couvertures sur les pieds de son frère, déjà inertes et jaunâtres comme ceux d’un mort.

       519.7 « Tu es seul ?

       – Non, avec tous, excepté Judas, qui est resté à Jérusalem et qui viendra plus tard… D’ailleurs, si je suis déjà parti, vous l’enverrez à Beth-Abara. J’y serai, qu’il m’y attende.

       – Tu t’en vas bientôt….

       – Je reviendrai vite. D’ici peu, c’est la Dédicace. Je serai chez toi à cette époque.

       – Je ne pourrai t’honorer pour les Encénies…

       – Je serai à Bethléem, ce jour-là. J’ai besoin de revoir mon berceau…

       – Tu es triste… Je le sais… Ah ! ne rien pouvoir !

       – Je ne suis pas triste. Je suis le Rédempteur… Mais tu es fatigué. Ne lutte pas contre le sommeil, mon ami.

       – C’était pour te faire honneur…

       – Dors, dors. Nous nous reverrons ensuite… »

       Et Jésus se retire sans bruit.

       « Tu as vu, Maître ? demande Marthe, une fois qu’ils sont sortis, dans la cour.

       – J’ai vu, mes pauvres disciples… Je pleure avec vous… Mais en vérité, je vous confie que mon cœur a beaucoup plus de plaies que votre frère. Mon cœur est rongé par la douleur… »

       Et il les regarde avec une si vive tristesse que les deux femmes oublient leur propre souffrance pour la sienne et, comme elles ne peuvent l’embrasser puisqu’elles sont des femmes, elle se bornent à baiser ses mains et son vêtement, et à vouloir le servir comme des sœurs dévouées.

       Et en effet, elles le servent dans une petite salle en l’entourant d’affection.

       Les fortes voix des apôtres se font entendre au-delà de la cour… Toutes, sauf la voix du mauvais disciple. Jésus écoute, et soupire… accablé, en attendant patiemment le fugitif.

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