Une initative de
Marie de Nazareth

La parabole du sculpteur et des statues

jeudi 17 mai 29
Jourdain

Vision de Maria Valtorta

       419.1 Je vois, au bord du fleuve, un hameau constitué de quelques maisons très modestes. Ce doit être de là qu’est parti Jésus, quand il traversa en barque le Jourdain en crue. En effet, je vois le passeur venir avec sa famille à la rencontre de Jésus, qui avait envoyé en avant Judas et Thomas pour lui préparer le chemin.

       Le passeur, voyant de loin venir Jésus, hâte le pas et, arrivé devant lui, il s’incline en une très profonde révérence :

       « Tu arrives bien, Maître, pour nos malades. Ils t’attendent. J’ai beaucoup parlé de toi. Tout le village te salue par mon intermédiaire en disant : “ Béni soit le Messie du Dieu très-haut. ”

       – Paix à toi et à ce village. Je suis ici pour vous. Vos espoirs ne seront pas déçus. Le Ciel aura pitié de ceux qui croient. Allons. »

       Et Jésus se met à côté du passeur pour se diriger vers le centre du hameau.

       Femmes, enfants, hommes paraissent sur le seuil des maisons, puis suivent le petit cortège à mesure qu’il avance. A chaque mètre, la foule augmente, car il arrive toujours des gens pour se joindre à ceux qui étaient déjà là. On salue, on bénit, on invoque.

       419.2 « Maître, crie une mère, mon enfant est malade. Viens, Béni ! »

       Et Jésus se détourne vers une pauvre maison, pose la main sur l’épaule de la mère en larmes et demande :

       « Où est ton fils ?

       – Ici, Maître, viens. »

       Entrent dans la maison la mère, Jésus, le passeur, Pierre, Jean, Jude et certaines personnes du petit peuple. Les autres se massent à la porte et allongent le cou pour voir.

       Dans un coin de la pauvre et sombre cuisine, se trouve un petit lit près d’un feu allumé et, dessus, gît le petit cadavre d’un enfant d’environ sept ans. Je dis “ un petit cadavre ” tant il est chétif, jaunâtre, sans mouvement, à part le râle haletant de la petite poitrine malade de tuberculose, à ce qu’il me semble.

       « Regarde, Maître. J’ai dépensé toutes mes ressources pour le sauver, lui au moins. Je n’ai plus de mari. Mes deux autres enfants sont morts à peu près au même âge que lui. Je l’ai conduit jusqu’à Césarée Maritime pour le montrer à un médecin romain. Mais il n’a su que me dire : “ Résigne-toi. La carie le ronge. ” Regarde… »

       La mère découvre alors le pauvre petit être en rejetant en arrière les couvertures. Là où il n’y a pas de bandes, de petits os font saillie sous une peau brûlée et jaunâtre. Mais seule une petite partie du corps est découverte, l’autre est sous les bandes et les linges qui, lorsque la mère les enlève, montrent les trous suintants caractéristiques de la carie osseuse. C’est un spectacle pitoyable.

       419.3 Le petit malade est si abattu qu’il ne fait pas un geste. On dirait qu’il ne s’agit même pas de lui. Il ouvre à peine ses yeux caves et hébétés et jette sur la foule un regard indifférent, ennuyé, pourrais-je même dire, puis il les referme.

       Jésus le caresse. Il pose sa longue main sur la petite tête qui s’abandonne, et l’enfant rouvre les yeux pour regarder avec plus d’intérêt cet inconnu qui le touche avec tant d’amour et lui sourit avec tant de pitié.

       « Veux-tu guérir ? »

       Jésus parle doucement en se penchant sur la petite figure émaciée. Il a d’abord recouvert le petit corps, en disant à la mère qui voulait changer les linges :

       « Ce n’est pas la peine, femme. Laisse-le ainsi. »

       Sans parler, le petit malade fait signe que oui.

       « Pourquoi ?

       – Pour maman » dit la petite voix faible, si faible.

       Les pleurs de la mère redoublent.

       « Seras-tu toujours bon si tu guéris ? Un bon fils ? Un bon citoyen ? Un bon fidèle ? »

       Il pose chaque question en la détachant bien, pour laisser au petit le temps d’y répondre une à une.

       « Te souviendras-tu de ce que tu promets maintenant ? Toujours ? »

       Les “ oui ”, qui en dépit de leur faiblesse expriment un profond désir, tombent l’un après l’autre, comme autant de soupirs de l’âme.

       «  Donne-moi une main, mon enfant. »

       Le petit malade veut donner la gauche qui est saine. Mais Jésus dit :

       « Donne-moi l’autre. Je ne vais pas te faire mal.

       – Seigneur, dit la mère, il n’est qu’une plaie. Laisse-moi l’envelopper. Pour toi…

       – Cela n’a aucune importance, femme. Je n’éprouve de dégoût que devant l’impureté des cœurs. Donne-moi la main et dis avec moi : “ Je veux être toujours bon comme fils, comme homme et comme croyant dans le Dieu vrai. ” »

       L’enfant répète en forçant sa petite voix. C’est toute son âme qui est dans cette voix, toute son espérance… et certainement aussi celle de sa mère.

       419.4 Un silence solennel s’est installé dans la pièce et dans la rue. Jésus, qui tient de la main gauche la main droite du malade, lève sa main droite — c’est son geste quand il annonce une vérité ou quand il impose sa volonté aux maladies et aux éléments — et, très droit, solennel, il dit d’une voix puissante :

       « Et moi, je veux que tu sois guéri. Lève-toi, mon enfant, et loue le Seigneur. »

       Il lâche la petite main qui maintenant est tout à fait saine, maigre, mais sans la moindre lésion, et dit à la mère :

       « Découvre ton enfant. »

       La femme a le visage d'une personne qui attend une sentence de mort ou de grâce. En hésitant, elle enlève les couvertures… pousse un cri et se jette sur le petit corps, très maigre mais sain, le couvre de baisers, l’étreint… elle est folle de joie, si bien qu’elle ne s’aperçoit pas que Jésus s’éloigne du lit et se dirige vers la porte.

       Mais le petit malade le voit et dit :

       « Bénis-moi, Seigneur, et permets-moi de te bénir. Maman… tu ne remercies pas ?

       – Oh ! pardon !… »

       La femme, tenant l’enfant dans les bras, se jette aux pieds de Jésus.

       « Je comprends, femme. Va en paix et sois heureuse. Adieu, mon enfant, sois bon. Adieu à tous. »

       Et il sort.

       419.5 Des femmes nombreuses lèvent leurs enfants pour que la bénédiction de Jésus les préserve du mal, à l’avenir. Les petits se faufilent parmi les grandes personnes pour se faire caresser. Et Jésus bénit, caresse, écoute, s’arrête encore pour guérir trois personnes qui ont les yeux malades et quelqu’un qui tremble comme s’il avait la danse de Saint-Guy.

       Le voici maintenant au centre du village.

       « Il y a ici un de mes parents, qui est sourd-muet de naissance. Il aurait l’esprit éveillé, mais il ne peut rien faire. Guéris-le, Jésus, demande le passeur.

       – Conduis-moi à lui. »

       Ils entrent dans un petit jardin au fond duquel se trouve un homme jeune, d’environ trente ans, qui puise de l’eau à un puits pour arroser les légumes. Etant sourd et tournant le dos, il ne s’aperçoit pas de ce qui arrive, et il continue imperturbablement son travail, malgré les cris de la foule, si forts que les colombes, effrayées, s’enfuient sur les toits.

       Le passeur le rejoint, le prend par le bras et le conduit à Jésus.

       Jésus se met en face du malheureux, tout près, vraiment corps contre corps, de façon qu’avec sa langue il touche la langue du muet, qui reste la bouche ouverte. Et, les deux majeurs dans les oreilles du sourd-muet, il prie un instant, les yeux levés au ciel, puis il dit :

       « Ouvrez-vous ! »

       Et il enlève ses mains et s’écarte.

       « Qui es-tu, toi qui me délies la parole et l’ouïe ? » s’écrie le miraculé.

       Jésus fait un geste et tente de continuer sa route en sortant par l’arrière de la maison. Mais aussi bien l’homme guéri que le passeur le retiennent, ce dernier en disant : “ C’est Jésus de Nazareth, le Messie ”, et l’autre en s’exclamant : “ Oh ! reste, pour que je t’adore ! ”

       – Adore le Très-Haut, et sois-lui toujours fidèle. Va. Ne perds pas ton temps en paroles inutiles, ne fais pas du miracle un objet de distraction. Sers-toi de la parole pour le bien, écoute avec ton cœur — plus qu’avec les oreilles — les voix de l’Esprit Créateur qui t’aime et te bénit. »

       Mais dire à quelqu’un, qui est si heureux, de ne pas parler de son bonheur, c’est inutile ! L’homme guéri se remet de tant d’années de mutisme et de surdité en s’adressant à toute l’assistance.

       419.6 Le passeur insiste pour que Jésus entre chez lui pour se reposer et se restaurer. Il se prend pour l’auteur de tout le respect qui entoure Jésus, et s’attache à cette idée. Il veut que son droit soit reconnu.

       « Mais c’est moi, le notable du village, dit un vieillard imposant.

       – Mais si, moi, je n’avais pas été là avec mes barques, tu n’aurais pas vu Jésus » répond le passeur.

       Alors Pierre, toujours franc et impulsif, lance :

       « Vraiment… si je n’avais pas été là pour te dire quelque chose, toi… les barques… »

       Jésus intervient providentiellement pour mettre tout le monde d’accord.

       « Allons auprès du fleuve. J’évangéliserai là, en attendant notre repas — et qu’il soit sobre et frugal, car la nourriture doit servir au corps et non en être la maîtresse. Que ceux qui veulent m’entendre et m’interroger viennent avec moi. »

       Je pourrais dire que le village entier le suit.

       419.7 Jésus monte sur une barque qui a été tirée au sec sur la grève et, de cette tribune improvisée, ayant les auditeurs en face de lui, assis en demi-cercle sur la rive et parmi les arbres, il leur parle.

       Il prend comme sujet la question que lui pose un homme :

       « Notre Loi, Maître, semble désigner ceux qui naissent malheureux comme frappés par Dieu, au point qu’elle leur interdit tout service de l’autel. Mais quelle faute ont-ils commise ? Ne serait-il pas juste de considérer comme coupables les parents qui leur ont donné le jour, leurs mères en particulier ? Et comment devons-nous nous comporter avec ceux qui sont nés malheureux ?

       – Ecoutez : un très grand sculpteur, un sculpteur de génie, fit un jour la forme d’une statue et il façonna une œuvre tellement parfaite qu’il s’y complut et dit : “ Je veux que la terre soit remplie de pareilles merveilles. ” Mais, ne pouvant suffire à tant de travail, il appela à son secours d’autres artistes et leur dit : “ Réalisez, sur ce modèle, des dizaines de milliers de statues aussi parfaites. Je leur donnerai la dernière touche en imprimant l’expression à leur physionomie. ” Mais ses adjoints n’étaient pas capables d’y arriver. Ils étaient d’une compétence très inférieure à celle de leur maître ; qui plus est, ils s’étaient légèrement enivrés en goûtant à un fruit dont le suc créait des délires et des brumes. Alors le sculpteur leur donna des moules et leur dit : “ Coulez-y la matière pour la modeler. Ce sera une œuvre exacte et, pour la finir, je lui donnerai la dernière touche pour l’animer. ” Alors les aides se mirent au travail.

       Mais le sculpteur avait un grand ennemi : c’était à la fois son ennemi personnel et celui de ses assistants. Ce dernier cherchait par tous les moyens à faire faire mauvaise figure au sculpteur et à susciter des brouilles entre ses aides et lui. Dans ce but, il fit intervenir son astuce : tantôt en altérant la matière qu’il fallait couler dans les moules, tantôt en rendant le feu moins vif, tantôt en enivrant les aides. Il advint donc que le régisseur du monde, pour éviter le plus possible que son chef-d’œuvre ne sorte sous forme de copies imparfaites, établit des sanctions rigoureuses contre les modèles défectueux. L’une d’elles fut que de telles statues ne pourraient être exposées dans la Maison de Dieu. Là, tout doit être parfait — ou devrait l’être. Je dis “ devrait ” parce qu’il n’en est pas ainsi. Même si l’apparence est bonne, la réalité ne l’est pas. Ceux qui sont présents dans la Maison de Dieu paraissent sans défauts, mais l’œil de Dieu découvre en eux les plus graves : ceux qui appartiennent au cœur.

       419.8 Ah ! le cœur ! En vérité, c’est avec lui que l’on sert Dieu. Il n’est pas besoin et il ne suffit pas d’avoir le regard limpide et l’ouïe parfaite, une voix harmonieuse, un beau corps, pour chanter des louanges agréables à Dieu. Il n’est pas besoin et il ne suffit pas d’avoir de beaux vêtements, propres et parfumés. Ce qui doit être limpide et parfait, harmonieux et bien fait, ce doit être l’esprit dans le regard, dans l’ouïe, dans la voix, dans les formes spirituelles, et celles-ci doivent être ornées de pureté ; voilà le beau vêtement, propre et parfumé de charité ; voilà l’huile embaumée qui plaît à Dieu.

       Et quelle charité serait celle d’un homme qui, étant heureux et voyant un malheureux, éprouverait pour lui mépris et haine ? Il faut au contraire redoubler de charité envers la personne qui, bien qu’innocente, est née malheureuse. Le malheur est une peine qui donne du mérite à celui qui le supporte, tout comme à la personne unie à lui, qui le voit et en souffre par amour familial, et peut-être se bat la poitrine, en pensant : “ C’est moi, par mes vices, qui suis la cause de cette peine. ” Le malheur ne doit jamais devenir cause de faute spirituelle pour celui qui le voit. Or c’est le cas si cela entraîne la dureté de cœur. Voilà pourquoi je vous dis : “ Ne manquez jamais de charité envers votre prochain. Est-il né malheureux ? Aimez-le, parce qu’il subit sa grande peine. Est-il devenu malheureux par sa propre faute ? Aimez-le, car sa faute a déjà provoqué son châtiment. Est-il le père d’une personne née malheureuse ou qui l’est devenue ? Aimez-le, car il n’est pas de douleur plus grande que celle d’un père frappé dans son enfant. Est-ce une mère qui a engendré un monstre ? Aimez-la, car elle est littéralement écrasée par cette souffrance, qu’elle croit être la plus inhumaine. Et c’est effectivement une douleur inhumaine.

       419.9 Mais bien pire est l’horreur de la femme qui a engendré un monstre de l’âme, qui s’aperçoit qu’elle a enfanté un démon et un danger pour la terre, pour sa patrie, pour sa famille, pour ses amis. Cette mère, cette pauvre mère d’un être féroce, abject, homicide, traître, voleur, corrompu, n’ose même plus lever le front !

       Eh bien, je vous demande d’aimer aussi ces femmes, les plus malheureuses, celles qui passeront dans l’histoire sous le nom de mères d’un assassin, d’un traître.

       Partout, la terre a entendu les pleurs des mères déchirées par la mort cruelle de leur enfant. Depuis Eve, que de mères ont senti leurs entrailles se déchirer plus cruellement que par les douleurs de l’enfantement… mais que dis-je ? : elles ont senti une main féroce arracher leurs entrailles, et avec elles leur cœur, devant la dépouille de leur enfant assassiné, supplicié, martyrisé par les hommes. En hurlant leur atroce douleur, elles se sont jetées, dans un délire spasmodique d’amour douloureux, sur le corps qui ne les entendait plus, qui ne se réchauffait plus à leur chaleur, qui ne pouvait plus faire le moindre mouvement pour exprimer — par le regard, ou par un geste, s’il ne le pouvait plus par la bouche — : “ Mère, je t’entends. ”

       Et pourtant, je vous assure que la terre n’a pas encore entendu le cri ni recueilli les larmes de la femme la plus sainte et de la femme la plus malheureuse, de celles qui resteront éternellement dans le souvenir de l’homme : la Mère du Rédempteur mis à mort, et la mère de celui qui l’aura trahi. Ces deux femmes, martyres de manières différentes, s’entendront gémir à des milles de distance ; et ce sera la Mère innocente et sainte, la plus innocente, l’innocente Mère de l’Innocent, qui dira à sa sœur lointaine, martyre d’un fils, ô combien cruel : “ Ma sœur, je t’aime. ”

       Aimez pour être dignes de Celle qui aimera pour tous les hommes et les aimera chacun. L’amour, c’est ce qui sauvera la terre. »

       419.10 Jésus descend de sa chaire improvisée et se penche pour caresser un enfant à demi-nu dans sa chemisette, qui se roule sur l’herbe de la grève. Après tant de sublimes paroles, il est doux de voir ainsi le Maître s’intéresser comme un homme ordinaire à un tout-petit, puis rompre le pain, l’offrir, en donner à ses plus proches voisins, s’asseoir et manger comme tout le monde, alors que, certainement, il entend déjà dans son cœur le cri douloureux de sa Mère, et qu’il voit Judas à côté de lui.

       Pour moi, qui suis tellement impulsive, cette maîtrise de ses sentiments m’impressionne plus que tout. J’en retire une instruction continuelle. Mais pour ceux qui sont là, il semble qu’ils soient restés absolument fascinés. Pensifs et silencieux, ils mangent en regardant avec vénération le doux Maître d’amour.

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