450.1 Hippos ne se trouve pas sur la rive du lac, comme je le croyais en voyant ces maisons sur la rive presque à la limite sud-est du lac. Ce sont les propos des disciples qui me le font remarquer. Ce groupe de maisons forme, pour ainsi dire, l’avant-garde d’Hippos, qui se trouve plus à l’intérieur des terres. Comme Ostie pour Rome ou le Lido pour Venise, ces maisons représentent le débouché sur le lac de la ville de l’intérieur, qui l’utilise comme chemin lacustre d’importation et d’exportation, ou pour abréger les voyages de cette région à la rive opposée de Galilée, ou enfin comme lieu de promenade pour les oisifs de la ville et la fourniture de poisson que leur procurent les nombreux pêcheurs de la bourgade.
Dans cette soirée tranquille, ils débarquent près d’un petit port naturel formé par le lit d’un torrent maintenant à sec, et où arrivent sur quelques mètres les eaux bleuâtres du lac que ne repousse plus le torrent. Il y a là des maisons et des maisonnettes de pêcheurs qui exploitent les eaux poissonneuses, et de maraîchers qui cultivent une bande de terres grasse et humide. Arrosée par les eaux toutes proches, elle va du rivage vers l’intérieur et s’étend davantage au nord qu’au sud, où elle se termine rapidement là où commence la haute falaise qui tombe presque à pic dans le lac et d’où se sont précipités les porcs du miracle des Géraséniens.
450.2 A cette heure-ci, les habitants sont sur les terrasses ou dans les jardins en train de dîner. Mais comme les jardins ont des haies basses, et que les terrasses ont des murets peu élevés, les habitants voient la petite flottille de barques entrer dans le port. Les uns par curiosité, les autres parce qu’ils les connaissent, se lèvent et vont à la rencontre des arrivants.
Un pêcheur déclare :
« C’est la barque de Simon, fils de Jonas, accompagnée de celle de Zébédée. Ce ne peut donc être que le Rabbi qui vient ici avec ses disciples.
– Femme, prends immédiatement l’enfant et suis-moi. C’est peut-être lui. Il le guérira. C’est l’ange de Dieu qui le conduit à nous, ordonne un maraîcher à sa femme dont le visage est brûlé par les larmes.
– Personnellement, je crois. Moi, je me rappelle ce miracle : tous ces porcs ! Les porcs qui éteignent dans l’eau la chaleur des démons entrés en eux… Ce devait être un grand tourment pour que ces animaux, si dédaigneux de la propreté, se soient jetés à l’eau… dit un homme qui accourt et fait de la propagande pour le Maître.
– Tu as bien raison ! Ce devait sûrement être une vraie torture. J’y étais moi aussi et je m’en souviens. Les corps fumaient, les eaux fumaient. Le lac était devenu plus chaud que les eaux d’Hamatha. Et là où ils sont passés en courant, le bois et l’herbe ont été brûlés.
– Moi, j’y suis allé, mais je n’ai rien vu de changé… lui répond un troisième.
– Rien ? Mais tu as des écailles sur les yeux ! Regarde ! On le voit d’ici. Tu vois, là où se trouve ce cours d’eau à sec ? Va vérifier d’un peu plus près, et rends-toi compte si…
– Mais non ! Ce sont les soldats de Rome qui ont tout dévasté quand ils recherchaient ce scélérat pendant les froides nuits de Tébèt. Ils ont campé là et y ont fait du feu.
– Et ils ont brûlé tout un bois pour faire du feu ? Regarde combien d’arbres il manque !
– Un bois ? Deux ou trois chênes !
– Et cela te paraît peu ?
– Non, mais on le sait bien : ils ne font aucun cas de ce qui nous appartient. Ils sont les maîtres et nous les opprimés. Ah ! Jusqu’à quand… »
La discussion glisse du terrain spirituel au terrain politique.
450.3 « Qui me conduit au Rabbi ? Pitié pour un aveugle ! Où est-il ? Dites-le-moi. Je l’ai cherché à Jérusalem, à Nazareth, à Capharnaüm. Il était toujours parti avant que j’arrive… Où est-il ? Ah ! Pitié pour moi ! »
C’est un homme d’environ quarante ans qui se plaint en sondant le terrain autour de lui avec un bâton.
Il est insulté par ceux qui reçoivent dans les jambes ou sur les épaules son coup de bâton, mais personne n’a pitié et tous le heurtent en passant, sans qu’une main se tende pour le conduire. Effrayé et découragé, le pauvre aveugle s’arrête…
« Le Rabbi ! Le Rabbi ! Haï Haï Hi li li è lè lè ! » (je m’efforce de rendre, sous forme de… parole, le youyou aigu des femmes qui le modulent. Mais c’est un huhulement, pas une parole ! Il rappelle davantage le cri de certains oiseaux que la parole humaine).
« Il va bénir nos enfants !
– Sa parole va faire tressaillir le fruit que je porte en mon sein. Réjouis-toi, mon enfant ! Le Sauveur te parle, dit une épouse à la mine épanouie en caressant son ventre gonflé sous son vêtement flou.
– Peut-être va-t-il rendre fécond le mien ! Cela susciterait joie et paix entre Elisée et moi. Je suis allée dans tous les endroits où l’on dit que la femme obtient la fécondité. J’ai bu de l’eau du puits près de la tombe de Rachel et celle du ruisseau de la grotte où la Mère l’a enfanté… Je suis allée à Hébron pour prendre pendant trois jours la terre du lieu où est né Jean-Baptiste… J’ai mangé des fruits du chêne d’Abraham et j’ai pleuré en invoquant Abel à l’endroit où il fut enfanté et tué… Tout ce qui est saint, tout ce qui est miraculeux sur terre et au Ciel, je l’ai essayé : médecins et remèdes, vœux et prières, offrandes… mais mon sein ne s’est pas ouvert à la semence, et c’est à peine si Elisée me supporte, tout juste s’il ne me hait pas ! Hélas ! gémit une femme déjà fanée.
– Tu es vieille désormais, Sella ! Résigne-toi ! » lui disent, avec une pitié mêlée à un léger mépris et à un air triomphal bien visible, celles qui passent, la taille gonflée par la maternité ou avec des bébés qu’elles allaitent à leur florissante poitrine.
« Non ! Ne dites pas cela ! Il a ressuscité les morts ! Ne pourra-t-il pas donner vie à mes entrailles ?
– Place ! Place ! Faites place à ma mère malade » crie un jeune homme qui tient les barres d’un brancard improvisé, soutenu de l’autre côté par une fillette très affligée.
Une femme encore jeune y est étendue, réduite à l’état de squelette jaunâtre.
« Il faudra lui parler du malheureux Jean, et lui montrer l’endroit où il se trouve. C’est le plus malheureux de tous car, étant lépreux, il ne peut aller à la recherche du Maître… dit un homme âgé, influent.
– Nous d’abord ! Nous d’abord ! S’il se dirige vers Hippos, c’est fini : les gens de la ville vont l’accaparer et nous, comme toujours, nous resterons à la traîne.
450.4 – Mais qu’arrive-t-il là-bas ? Pourquoi les femmes crient-elles ainsi, sur la rive ?
– Parce qu’elles sont folles !
– Non. Ce sont des cris de joie ! Courons… »
Le chemin est un fleuve de foule, canalisé dans la direction de la grève et du torrent, là où Jésus et ses disciples sont restés bloqués par les premiers qui sont accourus.
« Miracle ! Miracle ! Le fils d’Elise, abandonné par les médecins, le voilà guéri! Le Rabbi l’a guéri en lui mettant de la salive dans la gorge. »
Les cris des femmes deviennent encore plus stridents et plus aigus, et se mêlent aux hosannas puissants des hommes.
Jésus est littéralement assiégé, malgré sa grande taille. Les apôtres essaient par tous les moyens de le dégager. Mais en vain ! Les femmes disciples, avec Marie au milieu, sont séparées du groupe des apôtres. L’enfant, dans les bras de Marie, femme d’Alphée, hurle de peur. Ses cris attirent l’attention de plusieurs sur elles, et c’est l’habituel je sais-tout qui dit :
« Oh ! il y aussi la Mère du Rabbi et celles des disciples !
– Lesquelles ? C’est qui ?
– Sa Mère, c’est celle qui est pâle et blonde, vêtue de lin ; et les autres, ce sont les plus âgées, dont l’une tient un bébé et l’autre a une corbeille sur la tête.
– Et le petit, qui est-ce ?
– Son fils, hein ! Ne l’entendez-vous pas l’appeler maman ?
– Le fils de qui ? De la plus âgée ? Ce n’est pas possible !
– De la jeune ! Tu vois qu’il veut aller vers elle ?
– Non. Le Rabbi n’a pas de frères. Je le sais de source sûre. »
450.5 Des femmes ont entendu la conversation et, tandis que Jésus, après s’être dégagé non sans peine, a réussi à rejoindre le brancard porté par les enfants et guéri la malade, elles se dirigent vers Marie avec curiosité.
Mais ce n’est pas cet intérêt qui anime l’une d’elle. Elle se prosterne aux pieds de Marie en disant :
« Au nom de ta maternité, aie pitié de moi. »
C’est la femme stérile.
Marie se penche sur elle :
« Que veux-tu, ma sœur ?
– Etre mère… Un enfant ! Un seul ! Je suis maudite à cause de ma stérilité. Je crois que ton Fils peut tout, mais j’ai une foi si grande en lui que je pense qu’étant né de toi, il t’a faite sainte et puissante comme lui. Maintenant, je t’en prie… pour tes délices de Mère, je t’en prie : rends-moi féconde. Touche-moi de ta main et je serai heureuse…
– Ta foi est grande, femme, mais c’est à Dieu qu’elle doit s’adresser de droit. Viens donc vers mon Jésus… »
Et, la prenant par la main, elle demande avec une insistance gracieuse la permission de passer pour rejoindre Jésus.
Les autres disciples la suivent dans le sillage qui s’ouvre parmi les gens, de même que les femmes accourues vers la Vierge ; tout en marchant, elles demandent à Marie, femme d’Alphée, qui est ce petit garçon qu’elle tient élevé au-dessus de la foule.
« Un enfant que sa mère n’aime plus ; il est venu chercher de l’amour auprès du Rabbi…
– Un enfant que sa mère n’aime plus !
– Tu as entendu, Suzanne ?
– Qui est cette hyène ?
– Hélas ! Et moi qui brûle d’en avoir ! Donne-le-moi, donne-le-moi, afin qu’un enfant m’embrasse au moins une fois ! »
Et Sella, la femme stérile, arrache presque le bambin des bras de Marie, femme d’Alphée, et le serre sur son cœur en cherchant à suivre Marie, déjà séparée d’elle, depuis le moment où Sella a abandonné la main de Marie pour prendre le petit.
450.6 « Jésus, écoute. Il y a là une femme qui demande une grâce : elle est stérile…
– Ne dérange pas le Maître pour elle, femme. Ses entrailles sont mortes » dit quelqu’un qui ignore qu’il s’adresse à la Mère de Dieu.
Puis, confus de son erreur quand il en est averti, il cherche à se faire tout petit et à disparaître pendant que Jésus lui répond ainsi qu’à la femme qui supplie :
« Je suis la Vie. Femme, qu’il te soit fait ce que tu demandes. »
Et il pose un instant sa main sur la tête de Sella.
« Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » s’écrie l’aveugle de tout à l’heure, qui est arrivé lentement près de la foule et, de derrière, lance son cri lamentable.
Jésus, qui s’était penché pour écouter la supplication de Sella, relève la tête et regarde vers l’endroit d’où, syncopée comme l’appel d’un naufragé, arrive la voix de l’aveugle.
« Que veux-tu que je fasse pour toi ? demande-t-il.
– Que je voie. Je suis dans les ténèbres.
– Je suis la Lumière. Je le veux !
– Ah ! Je vois ! Je vois ! Je vois de nouveau ! Laissez-moi passer, pour que je dépose un baiser sur les pieds de mon Seigneur !
450.7 – Maître, tu les as tous guéris, ici. Mais il y a un lépreux dans une cabane, dans le bois. Il ne cesse de nous prier de t’amener à lui…
– Allons-y ! Allons ! Laissez-moi passer. Ne vous faites pas de mal ! Je suis ici pour tous… Allons, écartez-vous ! Vous faites mal aux femmes et aux enfants. Je ne pars pas de sitôt. Je reste demain, et ensuite je serai dans la région pendant cinq jours. Vous pourrez me suivre si vous voulez… »
Jésus tente de discipliner la cohue et d’obtenir que, pour bénéficier de sa venue, les habitants ne se fassent pas de mal. Mais la foule est comme une matière molle qui se déplace, mais revient ensuite se presser autour de lui. C’est comme une avalanche qui, par une loi naturelle ne peut que grossir en se déplaçant, c’est comme un morceau de fer attiré par un aimant… Et la marche est lente, entravée, fatigante… Tout le monde transpire, les apôtres braillent, jouent des coudes dans les poitrines et de coups de pieds dans les jambes pour ouvrir un passage… Que d’efforts en vain ! Pour faire dix mètres, il faut un quart d’heure.
Une femme d’environ quarante ans réussit à force de persévérance à se frayer un chemin jusqu’à Jésus et lui touche le coude.
« Que veux-tu, femme ?
– Cet enfant… j’ai appris… Je suis veuve et sans enfant… Souviens-toi de moi. Je suis Sarah d’Aphéqa, la veuve du marchand de vaisselle. Rappelle-toi. J’ai une maison près de la place de la fontaine rouge, mais aussi des vignes et un bois. J’ai de quoi offrir à quelqu’un de seul… et je serais heureuse…
– Je m’en souviendrai, femme. Que ta pitié soit bénie. »
450.8 Le village s’étend plutôt parallèlement que verticalement au lac. On a vite fait de le traverser et d’arriver à la campagne. Douce, silencieuse, elle les accueille au coucher du soleil, mais il n’y a pas d’obscurité car le clair de lune succède insensiblement à la lumière crépusculaire. Ils se dirigent vers les contreforts de la haute falaise qui borde le lac plus au sud. Dans l’escarpement, il y a des grottes ; j’ignore si elles sont naturelles ou creusées exprès dans la roche. Plusieurs sont murées et blanchies au dehors : ce sont certainement des tombeaux.
« Nous y voilà ! Arrêtons-nous pour ne pas être contaminés. Nous voici près du tombeau du mort-vivant, et c’est l’heure où il vient à ce rocher prendre ce qu’on lui offre. Il était riche, tu sais ? Nous nous en souvenons. Il était bon aussi, mais maintenant c’est un saint. Plus la douleur l’a frappé, plus il est devenu juste. Nous ignorons comment il est devenu lépreux. On dit que c’est par des pèlerins qu’il avait hébergés. Ils allaient à Jérusalem, disaient-ils. Ils paraissaient en bonne santé, mais ils étaient certainement infectés. Le fait est qu’après leur passage, ils attrapèrent tous la lèpre, d’abord sa femme et ses serviteurs, puis ses enfants et enfin lui. Pour commencer — et par les mains —, ceux qui avaient lavé les pieds et les vêtements des pèlerins, c’est pourquoi nous pensons que c’étaient eux qui devaient être la cause de tout. Les trois enfants sont morts en très peu de temps. Ce fut ensuite le tour de leur mère, et plutôt de douleur que de maladie… Lui… Quand le prêtre les déclara tous lépreux, il acheta ce coin de colline avec ses richesses désormais inutiles et il y fit déposer des provisions pour lui et les siens… serviteurs compris, ainsi que des pioches et des pics… et il commença à creuser les tombeaux… et l’un après l’autre, il les y plaça tous : ses enfants, sa femme, les serviteurs… Lui est resté, seul et pauvre, car tout s’épuise avec le temps… et voilà quinze ans que cela dure… Malgré cela… jamais une plainte. Il était cultivé : il sait l’Ecriture par cœur. Il l’annonce aux étoiles, aux plantes, aux arbres, aux oiseaux ; il nous la répète, à nous qui avons tant à apprendre de lui, et il nous console de nos souffrances… justement lui, tu comprends ? Il nous console de nos souffrances ! Il vient des gens d’Hippos, de Gamla et jusque de Guerguesa et d’Aphéqa pour l’entendre. Quand il a appris le miracle des deux possédés, il s’est mis à prêcher la foi en toi. Seigneur, si les hommes t’ont salué du nom de Messie, si les femmes t’ont salué comme Vainqueur et Roi, si nos enfants connaissent ton nom et savent que tu es le Saint d’Israël, c’est grâce à ce pauvre lépreux. »
Voilà ce que raconte, au nom de tous, le vieillard qui auparavant avait parlé de Jean.
« Vas-tu le guérir ? demandent plusieurs.
– Vous me demandez cela ? J’ai pitié des pécheurs, mais qu’en sera-t-il pour un juste ? 450.9Mais c’est peut-être lui qui vient, là-bas, parmi ces buissons…
– C’est certainement lui. Quelle vue tu as, Seigneur ! Nous entendons le bruit, mais nous ne voyons rien… »
Le bruit même cesse. Tout est silence et attente…
Jésus est bien en vue, seul, un peu en avant, car il est allé jusqu’au rocher où l’on a déposé des provisions. Les autres, dans la pénombre de quelques arbres, disparaissent au milieu des troncs d’arbres et des buissons. Même les enfants se taisent, dorment dans les bras de leurs mères, ou sont effrayés par le silence, les tombeaux, et les ombres bizarres que produit la lumière lunaire éclairant les arbres et les rochers.
Mais, de sa cachette, le lépreux doit voir et bien voir, à commencer par la grande et solennelle stature du Seigneur, tout blanc dans la clarté de la lune, très beau. Le regard fatigué du lépreux croise certainement le regard lumineux de Jésus. Quel langage peut donc jaillir de ces pupilles divines, dilatées, brillantes comme des étoiles ? Quel langage peut surgir des lèvres qui s’ouvrent dans un sourire d’amour ? Quel langage du cœur s’établit-il, surtout du cœur du Christ ? Mystère… Un des si nombreux mystères entre Dieu et les âmes dans leurs relations spirituelles.
Il est certain que le lépreux comprend, car il s’écrie :
« Voici l’Agneau de Dieu ! Voici Celui qui est venu pour guérir toute la douleur du monde ! Jésus, Messie béni, notre Roi et notre Sauveur, aie pitié de moi !
– Que veux-tu ? Comment peux-tu croire dans l’Inconnu et voir en lui l’Attendu ? Qui suis-je pour toi ? L’Inconnu…
– Non. Tu es le Fils du Dieu vivant. Comment je le sais et je le vois ? Je l’ignore. Ici, à l’intérieur de moi, une voix a crié : “ Voici l’Attendu ! Il est venu récompenser ta foi. ” Inconnu ? Oui. Personne n’a connu le visage de Dieu. Tu es donc “ l’Inconnu ” sous ton apparence. Mais tu es le Connu selon ta nature, ta réalité, Jésus, Fils du Père, Verbe incarné et Dieu comme le Père. Voilà qui tu es, et je te salue et te prie, croyant en toi.
– Et si je ne pouvais rien, si ta foi était déçue ?
– Je dirais que c’est la volonté du Très-Haut, et je continuerais à croire et à aimer, espérant toujours dans le Seigneur. »
450.10 Jésus se retourne vers la foule qui écoute attentivement le dialogue, et il dit :
« En vérité, en vérité je vous dis que cet homme a la foi qui déplace les montagnes. En vérité, en vérité je vous dis que la vraie charité, la vraie foi et la véritable espérance s’éprouvent dans la douleur plus que dans la joie, car l’excès de joie est parfois une ruine pour une âme encore informe. Il est facile de croire et d’être bon, quand la vie n’est qu’une succession de jours semblables, tranquilles sinon joyeux. Mais celui qui sait persister dans la foi, l’espérance et la charité, même quand les maladies, les misères, la mort, les malheurs lui apportent solitude, abandon, et éloignement de tous, et qui ne cesse de répéter : “ Qu’il me soit fait ce que le Très-Haut croit bon pour moi ”, en vérité celui-là mérite l’aide de Dieu. Bien plus, je vous le déclare, sa place est toute prête dans le Royaume des Cieux, et il ne séjournera pas au purgatoire, car sa justice a effacé toutes les dettes de sa vie passée. Homme, je te le dis : “ Va en paix, car Dieu est avec toi ! ” »
Ce disant, il se tourne et tend les bras vers le lépreux, l’attire pour ainsi dire par son geste, et quand il est tout près, bien en vue, il ordonne :
« Je le veux ! Sois purifié !… »
On dirait que la lune, par ses rayons d’argent, nettoie et fait disparaître les pustules, les plaies, les nodules et les croûtes de cette horrible maladie. Le corps se reconstitue et redevient sain.
C’est un vieillard digne, d’aspect ascétique tant il est maigre, qui, instruit du miracle par les hosannas de la foule, se courbe pour baiser le sol, ne pouvant toucher Jésus ni personne avant le temps prescrit par la Loi.
« Lève-toi. On va t’apporter un vêtement propre pour que tu puisses aller te montrer au prêtre. Mais sache garder toujours la pureté de ton âme devant ton Dieu. Adieu, homme. Que la paix soit avec toi ! »
Jésus se joint à la foule et revient lentement au village pour se reposer.