Une initative de
Marie de Nazareth

L’Eglise confiée à la maternité de Marie

mercredi 8 août 29
vers Gamla

Vision de Maria Valtorta

       455.1 L’aube se lève tout juste lorsque Jésus s’éveille et se dresse pour s’asseoir sur son lit rudimentaire, fait de terre et d’herbe. Puis il se lève, prend ses sandales et son manteau qu’il avait étendu sur lui pour se protéger de la rosée et de la fraîcheur de la nuit et, avec précaution, il passe dans l’enchevêtrement de jambes, de bras, de torses et de têtes des apôtres endormis autour de lui. Il s’éloigne de quelques mètres en regardant attentivement où il pose les pieds, dans la vague lueur de l’aube qui, sous le feuillage des arbres, ne donne qu’un semblant de lumière. Il rejoint un pré découvert. Par une éclaircie entre les arbres et les roches, on aperçoit un coin du lac qui s’éveille, ainsi qu’une large partie du ciel qui s’éclaircit, passant de ce gris-bleu particulier du firmament au sortir de la nuit, au bleu clair. A l’orient, il s’estompe déjà en une teinte jaune clair qui, de plus en plus soutenue, devient rosée, puis prend une pâle couleur de corail, extrêmement gracieuse.

       L’aube annonce une belle journée, malgré une très légère brume qui n’en finit pas de céder à la lumière le champ du ciel là-bas à l’orient ; elle se présente en voiles si légers que l’azur du ciel n’en souffre pas ; au contraire, il s’en pare comme si c’était une mousseline très blanche frangée d’or et de corail, toujours changeante, toujours plus belle, comme si elle s’efforçait d’atteindre la perfection de son éphémère beauté avant que le jour ne la détruise par le triomphe du soleil. A l’occident, au contraire, quelques astres résistent encore, bien qu’ayant perdu déjà leur éclat nocturne, à la lumière qui croît, et la lune, tout près de disparaître derrière la crête des monts, parcourt le ciel, pâle, sans éclat, comme une planète mourante.

       455.2 Jésus, debout, les pieds nus dans l’herbe humide de rosée, les bras croisés sur la poitrine, la tête levée pour regarder le jour qui se lève, réfléchit… ou parle avec le Père en quelque colloque spirituel. Le silence est absolu, au point que l’on entend tomber par terre les gouttelettes de la rosée, très abondante.

       Jésus baisse la tête, en restant debout, les bras croisés, et il se plonge dans une méditation encore plus intense. Il est totalement concentré en lui-même. Ses magnifiques yeux bien ouverts fixent le sol comme pour arracher à l’herbe une réponse. Mais je crois qu’ils ne voient même pas le lent mouvement des herbes qui, sous le vent frais de l’aube, ont une sorte de frémissement, un frisson pareil à celui d’un dormeur qui sort du sommeil et s’étire, se retourne, se secoue pour se réveiller tout à fait et retrouver des nerfs et des muscles agiles. Il regarde, sans voir, ce réveil de l’herbe et des fleurs sauvages en rameaux, à feuilles, aux corolles en ombelles ou en grappes, en épis, ou en touffes. Certaines fleurs sont isolées en calices, d’autres disposées en éventails ou ont la forme de gueule-de-loup, ou de corne d’abondance, de plumet, de baie. Certaines sont droites sur leurs tiges, d’autres, molles, pendent d’une tige qui n’est pas la leur, mais autour de laquelle elles se sont enroulées, d’autres encore sont abandonnées et rampent sur le sol ; certaines sont regroupées par familles de nombreuses plantes petites et humbles, d’autres sont solitaires, larges, d’une couleur violentes et d’un port altier. Toutes sont occupées à secouer de leurs pétales les gouttes de rosée, désireuses maintenant non plus de rosée mais de soleil, selon des désirs aussi capricieux que leurs dispositions…

       En cela, elles sont très semblables aux hommes, qui ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils ont.

       Jésus semble écouter. Mais il n’entend certainement pas le bruissement du vent qui augmente et s’amuse à faire tomber la rosée en secouant les branches, ni les pépiements de plus en plus forts des oiseaux qui s’éveillent : peut-être se racontent-ils leurs rêves de la nuit, ou échangent-ils leurs impressions sur le nid douillet et creux où, dans les brins de laine et de foin, les oisillons, hier encore nus, mettent leurs premières plumes ou ouvrent démesurément le bec en montrant leurs gosiers rouges et avides, et manifestent bruyamment leur première exigence de nourriture. Jésus semble écouter. Et il n’entend certainement pas le premier appel moqueur du merle, ni le doux chant de la fauvette à tête noire, ni les trilles d’or de l’alouette qui monte joyeusement à la rencontre du soleil levant, ni le trissement qui déchire l’air tranquille des bandes d’hirondelles, qui ont quitté les rochers où elles ont fait leurs nids et commencent à tisser leur toile de vols infatigables entre terre et ciel. Et il n’entend pas non plus le jacassement d’une pie qui se penche d’une branche du rouvre auprès duquel se trouve Jésus et semble lui demander : “ Qui es-tu ? Que penses-tu ? ” et se moque de lui. Cela non plus n’interrompt pas sa méditation.

       Mais qui ignore que les pies sont taquines ? Celle-ci, lasse de voir un intrus dans le petit pré qui est peut-être son refuge préféré, arrache au rouvre deux beaux glands jumelés et, avec la précision d’un champion de tir, les fait tomber sur la tête de Jésus. Ce n’est pas un lourd projectile, capable de blesser, mais de la hauteur d’où il vient, il acquiert assez de force pour attirer l’attention du Méditatif qui lève la tête et voit l’oiseau qui, les ailes ouvertes, avec des courbettes moqueuses, se réjouit de son coup. Jésus a un léger sourire, secoue la tête, soupire comme pour conclure ses méditations et se déplace en marchant ici et là. La pie, avec un babil et un “ gué-gué ” moqueurs, descend pour jacasser, fouiller, creuser l’herbe libérée de l’Intrus.

       455.3 Jésus cherche de l’eau, mais n’en voit pas. Il se résigne à retourner vers les apôtres, mais les oiseaux lui montrent où en trouver. Par bandes, ils descendent vers des fleurs au calice évasé, qui sont autant de petites coupes contenant de l’eau, ou bien ils se posent sur de très larges feuilles peluchées dont chaque poil retient une goutte de rosée, et ils s’y désaltèrent ou font leurs ablutions. Jésus les imite. Il recueille dans le creux de la main l’eau des calices et s’en rafraîchit le visage, il cueille les épaisses feuilles de velours et s’en sert pour nettoyer la poussière de ses pieds nus, puis ses sandales, qu’il lace. Avec d’autres, il se lave les mains jusqu’à ce qu’il les voie propres, et sourit en murmurant :

       « Les divines perfections du Créateur ! »

       Le voilà maintenant rafraîchi, en ordre depuis qu’il a coiffé ses cheveux et sa barbe de sa main humide et, pendant que le premier rayon de soleil transforme le pré en un tapis de diamants, il va réveiller les apôtres et les femmes.

       455.4 Fatigués comme ils le sont, les uns et les autres ont du mal à sortir du sommeil. Marie est éveillée, mais reste immobile à cause de l’enfant qui dort, recroquevillé sur son sein, sa petite tête sous le menton de Marie. La Mère, voyant apparaître sur le seuil de la caverne son Jésus, lui sourit de ses doux yeux bleu clair. La joie de le voir colore ses joues de rosé. Elle se dégage de l’enfant, qui pleurniche un peu d’être remué, elle se lève et s’avance vers Jésus de son pas silencieux légèrement ondoyant de colombe pudique.

       « Que Dieu te bénisse, mon Fils, en ce jour.

       – Que Dieu soit avec toi, Maman. La nuit a-t-elle été dure pour toi ?

       – Pas du tout. Bienheureuse, au contraire. Il me semblait t’avoir tout petit dans mes bras… Et j’ai rêvé qu’il te sortait de la bouche une sorte de fleuve d’or, résonnant avec une douceur inexprimable, et une voix qui disait… Ah ! quelle voix !… “ C’est la Parole qui enrichit le monde et rend bienheureux celui qui l’écoute et lui obéit. Sans limite dans sa puissance, dans le temps, dans l’espace, elle sauvera. ” Oh ! mon Fils ! cette Parole, c’est toi, mon Fils ! Comment pourrais-je vivre et agir assez pour remercier l’Eternel d’avoir fait de moi ta Mère ?

       – Ne te mets pas en peine, Maman ! Chaque battement de ton cœur est pour Dieu une récompense. Tu es et resteras pour Dieu une vivante louange, Maman. Tu le remercies depuis que tu existes…

       – Il ne me semble pas le faire suffisamment, Jésus. C’est si grand, si grand ce que Dieu a fait pour moi ! Qu’est-ce que je fais, moi, de plus que toutes ces femmes bonnes, qui sont tes disciples comme moi ? Mon Fils, demande toi-même à notre Père de me permettre de le remercier comme ce don le mérite.

       – Mère ! Crois-tu que le Père ait besoin que je lui demande cela pour toi ? Il t’a déjà préparé le sacrifice que tu devras consommer pour cette louange parfaite. Et tu seras parfaite quand tu l’auras accompli…

       – Mon Jésus !… Je comprends ce que tu veux dire… Mais serai-je capable de penser à cette heure-là ?… Ta pauvre Maman…

       – Maman, voici ce que tu es : la bienheureuse Epouse de l’Amour éternel ! Et l’Amour pensera en toi.

       – Puisque tu le dis, mon Fils, je me repose sur ta Parole. Mais toi… prie pour moi, à cette heure qu’aucun de ceux-ci ne comprend… et qui est déjà imminente… N’est-ce pas vrai ? N’est-ce donc pas vrai ? »

       Impossible de décrire l’expression du visage de Marie pendant ce dialogue. Aucun écrivain ne saurait la transcrire en langage humain sans l’abîmer par des mièvreries ou des nuances imprécises. Seul celui qui a le cœur bon, tout en étant viril, peut donner mentalement au visage de Marie l’expression réelle qu’il a en ce moment.

       Jésus la regarde… Autre expression intraduisible en notre pauvre langage, et il lui répond :

       « Et toi, prie pour moi à l’heure de la mort… 455.5 Oui. Aucun d’entre eux ne comprend… Ce n’est pas leur faute. C’est Satan qui crée des fumées pour qu’ils ne voient pas et qu’ils soient comme ivres et sourds, et donc non préparés… plus faciles à fléchir… Mais toi et moi, nous les sauverons malgré les embûches de Satan. Dès maintenant je te les confie, Mère. Souviens-toi de ces mots : je te les confie. Je te donne mon héritage. Je n’ai rien d’autre sur terre qu’une Mère : elle, je l’offre à Dieu, Hostie avec l’Hostie ; et mon Eglise : c'est à toi que je la confie. Sois pour elle une nourrice. Il y a peu de temps, je pensais aux nombreux hommes en qui, au cours des siècles, revivrait l’homme de Kérioth avec toutes ses tares. Et je pensais que tout autre que Jésus repousserait cet être taré. Mais moi, je ne le repousserai pas. Je suis Jésus. Toi, pendant le temps que tu resteras sur la terre, sois soumise à Pierre pour ce qui tient à la hiérarchie ecclésiastique, lui comme Chef et toi comme fidèle, mais la première avant tous comme Mère de l’Eglise puisque tu m’as enfanté, moi, le Chef de ce Corps mystique ; toi, ne repousse pas les nombreux Judas. Mais secours-les et apprends à Pierre, à mes frères, à Jean, Jacques, Simon, Philippe, Barthélemy, André, Thomas et Matthieu à ne pas repousser, mais à secourir. Défends-moi dans ceux qui me suivent, et défends-moi contre ceux qui voudront disperser et démembrer l’Eglise naissante. Et au cours des siècles, Mère, sois toujours celle qui intercède et protège, défend, aide mon Eglise, mes prêtres et mes fidèles, contre le Mal, contre le châtiment, contre eux-mêmes… Que de Judas, Mère, au cours des siècles ! Et combien qui ressemblent à des déficients incapables de comprendre, à des aveugles qui ne savent pas voir, à des sourds qui ne savent pas entendre, ou à des estropiés et des paralytiques qui ne savent pas marcher… Mère, prends-les tous sous ton manteau ! Toi seule peux et pourras changer les décrets de châtiment de l’Eternel pour un ou pour plusieurs. Car la Trinité ne pourra jamais rien refuser à sa Fleur.

       – J’agirai ainsi, mon Fils. Pour ce qui dépend de moi, va en paix vers ton but. Ta Mère est ici pour te défendre dans ton Eglise, toujours.

       – Que Dieu te bénisse, Maman… 455.6 Viens ! Je vais te cueillir des calices de fleur pleins d’une rosée parfumée, et tu t’en rafraîchiras le visage comme je l’ai fait. Ils nous ont été préparés par notre Père très saint, et les oiseaux me les ont indiqués. Regarde comme tout sert dans la Création ordonnée de Dieu ! Ce plateau surélevé et près du lac, si fertile grâce aux brumes qui montent de la mer de Galilée et aux grands arbres qui attirent la rosée, permettant cette luxuriance d’herbes et de fleurs, même pendant la sécheresse de l’été. Cette pluie abondante de rosée pour emplir ces calices pour que ses enfants bien-aimés puissent se laver le visage… Voilà ce que le Père a préparé pour ceux qui l’aiment. Tiens : l’eau de Dieu dans le calice de Dieu pour rafraîchir l’Eve du nouveau Paradis. »

       Et Jésus cueille ces fleurs très larges, dont je ne sais le nom, et il verse dans les mains de Marie l’eau qui s’est amassée au fond…

       455.7 Les autres, pendant ce temps, ont fait leur toilette et viennent chercher Jésus, qui s’est éloigné de quelques mètres de l’endroit de la halte.

       « Nous sommes prêts, Maître.

       – C’est bien. Allons de ce côté.

       – Mais est-ce le bon chemin ? La forêt se termine là, or nous étions dans le sous-bois la dernière fois… objecte Jacques, fils de Zébédée.

       – Parce que nous montions du lac. Mais, maintenant, nous pouvons prendre le chemin direct. Vous voyez ? Gamla est ici, entre l’orient et le midi, et il n’y a pas d’autre route : les trois autres côtés sont impraticables, à moins d’être une chèvre sauvage.

       – Tu as raison. Nous éviterons la vallée aride d’où nous avons vu arriver les possédés » dit Philippe.

       Ils marchent rapidement, délaissant bientôt le bois sous lequel ils ont dormi, pour un chemin caillouteux situé au-delà d’un vallon qui prend du relief au fur et à mesure qu’il se rapproche du mont bizarre sur lequel est perchée Gamla. De trois côtés, à l’est, au nord et à l’ouest, on ne voit que des pentes raides. La ville est reliée au reste de la région par une route directe unique allant du sud au nord, tracée entre deux vallées rocheuses et sauvages qui la séparent des campagnes de l’orient et des bois de chênes de l’occident.

       455.8 Beaucoup de gardiens de porcs déambulent au milieu de leurs troupeaux qui se nourissent dans les bois de chênes. Des chars qui transportent des pierres équarries circulent en grinçant, tirés par des attelages de bœufs à la démarche lente. Quelques cavaliers passent au trot, en soulevant des nuages de poussière. Des équipes de terrassiers, hâves et déguenillés — sans doutes des esclaves ou des forçats purgeant quelque peine — se hâtent vers leurs travaux sous la dure surveillance de leurs gardes-chiourme.

       A mesure que Gamla se rapproche et que la route monte, on voit des fossés fortifiés qui entourent le mont comme autant d’anneaux qui protègent ses flancs. Il ne doit pas être facile de creuser ces fossés, surtout à certains endroits presque en surplomb. Et pourtant des hommes nombreux travaillent à remettre en état des fortifications déjà existantes ou à en préparer d’autres, et portent sur leurs épaules nues des cubes de pierre qui font se courber les malheureux et laissent sur leurs dos des traces sanglantes.

       « Mais que font-ils ? Serions-nous en temps de guerre pour qu’on les fasse travailler ainsi ? Ils sont fous ! » se disent les disciples.

       Les femmes, elles, plaignent ces malheureux à demi nus, mal nourris, obligés de subir des corvées et des sévices qui dépassent leurs forces.

       « Mais qui les fait travailler ? Le Tétrarque ou les Romains ? » demandent encore les apôtres.

       Ils discutent entre eux, car il semble que Gamla est, dirai-je, indépendante de la Tétrarchie de Philippe et de celle d’Hérode. D’ailleurs, il paraît impossible à plusieurs apôtres que les Romains s’occupent de faire construire chez les autres des fortifications qui, demain, pourraient servir contre eux. Et l’éternelle idée, l’idée fixe comme celle d’un maniaque, du royaume temporel du Messie s’agite comme l’emblème d’une victoire déjà assurée, comme de la gloire et de l’indépendance nationales.

       455.9 Ils crient si fort que des surveillants s’approchent et écoutent. Ce sont des hommes rudes, d’une race qui visiblement n’est pas hébraïque. Plusieurs sont âgés, certains ont des cicatrices sur le corps. Mais c’est la sortie méprisante de l’un d’eux qui révèle le mieux qui ils sont :

       « “ Notre royaume ” ! Tu as entendu ça, Titus ? O gros nez ! Votre royaume est déjà écrasé sous ces pierres. Celui qui se sert de l’ennemi pour construire contre l’ennemi sert l’ennemi. Paroles de Publius Corfinius. Et si vous ne comprenez pas, allez ! les pierres vous expliqueront l’énigme. »

       Et il rit en levant son fouet parce qu’il voit un travailleur épuisé vaciller et s’asseoir ; il le frapperait si Jésus ne l’arrêtait pas en s’avançant et en lui disant :

       « Cela ne t’est pas permis. C’est un homme, ton égal.

       – Qui es-tu pour te mêler de ça et défendre un esclave ?

       – Je suis la Miséricorde. Mon nom d’homme ne t’apprendrait rien. Mais mon attribut te rappelle d’être miséricordieux. Tu as dit : “ Celui qui se sert de l’ennemi pour construire contre l’ennemi sert l’ennemi. ” C’est une vérité douloureuse. Mais moi, je t’en annonce une lumineuse : “ Celui qui ne fait pas preuve de miséricorde ne trouvera pas miséricorde. ”

       – Tu es un rhéteur ?

       – Je suis la Miséricorde. Je te l’ai dit. »

       Des habitants de Gamla — ou des gens qui s’y rendent — s’exclament :

       « C’est le Rabbi de Galilée, celui qui commande aux maladies, aux vents, aux eaux et aux démons. Il change les pierres en pain, et rien ne lui résiste ! Allons vite avertir la ville ! Que les malades viennent ! Qu’on ait sa Parole ! Nous sommes d’Israël, nous aussi ! »

       Et pendant que certains partent en courant, les autres se pressent autour du Maître.

       Le surveillant de tout à l’heure dit :

       « Est-ce vrai, ce que ces gens disent de toi ?

       – C’est vrai.

       – Fais un miracle et je croirai.

       – On ne demande pas des miracles pour croire. On demande la foi pour croire, et obtenir ainsi le miracle. La foi et la pitié pour le prochain.

       – Je suis païen, moi…

       – Ce n’est pas une raison valable. Tu vis en Israël qui te paie…

       – Parce que je travaille.

       – Non. Parce que tu fais travailler.

       – Moi, je sais faire travailler.

       – Oui, sans pitié. Mais n’as-tu jamais pensé que si, au lieu d’être romain, tu avais appartenu à Israël, tu aurais pu être à la place de l’un d’eux ?

       – Hé !… Certainement… Mais je ne le suis pas, grâce à la protection des dieux.

       – Tes vaines idoles ne pourraient te défendre, si le vrai Dieu voulait te frapper. Tu n’es pas mort encore. Sois donc miséricordieux pour obtenir miséricorde… »

       L’homme a envie de répliquer, de discuter, mais il hausse les épaules d’un air méprisant, tourne le dos et va fouetter quelqu’un qui a cessé de travailler au pic un filon tenace de roche.

       Jésus tourne les yeux vers le malheureux endolori et vers celui qui l’a frappé : ce sont deux regards d’une même mais différente pitié, et d’une tristesse si profonde qu’elle me rappelle certains regards du Christ pendant la Passion. Mais que peut-il faire ? Impuissant à intervenir, il reprend son chemin, avec le poids des malheurs qu’il a vus pour lui alourdir le cœur.

       455.10 Mais des gens de Gamla descendent en hâte, des notables certainement, et ils rejoignent Jésus, qu’ils saluent profondément en l’invitant à entrer dans leur ville pour parler aux habitants qui sont en train d’arriver par bandes.

       « Vous, vous pouvez aller où vous voulez. Eux (et il indique les travailleurs) ne le peuvent pas. L’heure est encore fraîche et l’endroit nous garantit du soleil. Approchons de ces malheureux, pour qu’eux aussi aient la Parole de vie » répond Jésus.

       Il est le premier à faire demi-tour pour s’y rendre, puis il prend un sentier accidenté qui va exactement en dessous de la montagne, là où le travail est le plus pénible. Il se tourne alors vers les personnalités et leur dit :

       « S’il est en votre pouvoir de le faire, ordonnez que le travail soit suspendu.

       – Bien sûr, nous le pouvons! C’est nous qui rétribuons et, si nous payons des heures creuses, personne ne pourra se plaindre » répondent les notables de Gamla.

       Sur ce, ils vont parlementer avec ceux qui dirigent les travaux. Je vois ces derniers qui après un moment haussent les épaules comme pour dire : “ Si cela vous plaît, ça nous est égal. ”

       Puis ils sifflent pour les équipes un signal de repos.

       Jésus, pendant ce temps, a parlé avec d’autres habitants de Gamla. Je les vois faire un signe d’assentiment et retourner rapidement vers la ville.

       Craintifs, les travailleurs accourent autour des surveillants.

       « Cessez le travail. Le bruit gêne le philosophe » ordonne l’un d’eux, peut-être leur chef.

       Les travailleurs regardent de leurs yeux las celui qu’on nomme le “ philosophe ” et qui leur fait cadeau d’un arrêt de travail. Et ce “ philosophe ”, en les regardant avec pitié, répond à leurs regards et aux paroles du surveillant :

       « Le bruit ne me dérange pas, mais je souffre de leur misère. Venez, mes fils. Reposez vos membres et surtout votre cœur auprès du Christ de Dieu. »

       Peuple, esclaves, condamnés, apôtres, disciples se pressent dans l’espace libre entre le mont et les tranchées, et ceux qui ne trouvent pas de place grimpent en haut des plus hautes tranchées ou s’installent sur des rochers renversés sur le sol ; les moins chanceux se résignent à aller sur la route, où déjà parviennent les rayons du soleil. Il arrive toujours plus de monde de Gamla, et d’autres voyageurs, venus d’ailleurs, se joignent aux premiers arrivants.

       Dans cette grande foule, ceux qui étaient partis un peu auparavant se fraient un chemin jusqu’à Jésus, qui a ordonné aux apôtres de faire passer les travailleurs au premier rang. Ils apportent des paniers, de lourds récipients et des amphores qu’ils déposent aux pieds de Jésus.

       « Donnez-leur les offrandes de la charité, enjoint Jésus.

       – Il ont déjà eu leur repas, il reste encore du pain et de l’eau vinaigrée. S’ils mangent trop, ils sont alourdis pour le travail » crie un surveillant.

       Jésus le regarde et répète l’ordre :

       « Donnez-leur une nourriture digne d’un homme, et apportez-moi la leur. »

       Les apôtres, aidés de volontaires, s’exécutent.

       En guise de repas, ils ont reçu une espèce de croûte noire, dure, dont les animaux ne voudraient pas et un peu d’eau vinaigrée. Voilà ce que mangent ces forçats ! Jésus regarde cette misérable pitance et la fait mettre de côté contre la montagne. Il examine ceux qui devaient la consommer : des corps sous-alimentés, dans lesquels seuls les muscles, surdéveloppés par des efforts supérieurs à la normale, résistent avec leurs faisceaux de fibres en saillie sur la peau flasque, les yeux fébriles et apeurés, les bouches avides jusqu’à montrer un appétit animal quand ils mordent dans cette bonne nourriture, abondante, inattendue, quand ils boivent du vin, du vrai vin, fortifiant, frais…

       Jésus attend patiemment qu’ils finissent leur repas. Ce n’est d’ailleurs pas bien long, car leur voracité est telle que tout est bientôt englouti.

       455.11 Jésus ouvre les bras, de son geste habituel annonçant qu’il va parler, pour attirer l’attention et imposer le silence :

       « A cet endroit, qu’admirent les yeux de l’homme ? Des vallées creusées plus profondément que la nature ne les avait faites, des collines élevées à partir de massifs et de terre-pleins fabriqués par l’homme, des routes sinueuses qui pénètrent dans la montagne comme des tanières d’animaux. Et tout cela pourquoi ? Pour arrêter un danger dont on ne sait d’où il peut venir, mais que l’on sent menaçant comme un nuage de grêle dans un ciel orageux.

       Ici, en vérité, on s’apprête humainement, par des forces humaines et des moyens humains, et même inhumains, à se défendre et à se préparer à l’attaque, oublieux des paroles du prophète qui enseigne à son peuple comment se défendre des malheurs humains par des moyens spirituels, les plus efficaces. Il crie : “ Consolez-vous… consolez Jérusalem : son esclavage est fini, son iniquité est expiée, car elle a reçu de la main du Seigneur double punition pour tous ses péchés. ” Et après la promesse, il précise comment faire pour la traduire dans la réalité : “ Préparez les chemins du Seigneur, redressez dans la solitude les sentiers de Dieu. Toute vallée sera comblée, toute montagne abaissée, les voies tortueuses seront redressées, les escarpées deviendront planes. Alors apparaîtra la gloire du Seigneur, et tous les hommes, sans exception, la verront, car la bouche du Seigneur a parlé. ” Ces mots furent repris par l’homme de Dieu, Jean-Baptiste, et seule la mort les a éteints sur ses lèvres.

       Voilà la véritable défense contre les malheurs de l’homme. Elle ne consiste pas à lever les armes contre les armes, ce n’est pas non plus la défense contre l’attaque, ni l’orgueil, ni la férocité. Ce sont les armes surnaturelles, les vertus conquises dans la solitude, c’est-à-dire à l’intérieur de l’individu seul avec lui-même, qui s’efforce de se sanctifier en élevant des montagnes de charité, en abaissant des sommets d’orgueil, en redressant les chemins tortueux des désirs impurs, en enlevant de la route l’obstacle de la sensualité. Alors apparaîtra la gloire du Seigneur, et l’homme sera défendu par Dieu contre les embûches des ennemis spirituels et matériels. A quoi voulez-vous que servent quelques tranchées, quelques talus, quelques fortifications, contre le châtiment de Dieu irrité par le péché, ou même seulement par la tiédeur de l’homme ? Contre ces châtiments qui s’appelleront : Romains, comme ils se sont appelés autrefois Babyloniens, Philistins ou Egyptiens, mais qui en réalité sont une punition divine, et cela seulement, attirée par un excès d’orgueil, de jouissance, de cupidité, de mensonges, d’égoïsmes, de désobéissances à la Loi sainte du Décalogue. L’homme, même le plus fort, peut être tué par une mouche, la ville, même la mieux fortifiée, peut être prise quand l’un ou l’autre n’est plus protégé par Dieu, quand son assistance fait défaut, chassée, à cause des péchés de l’homme ou de la ville.

       455.12 Le prophète dit encore : “ Tout homme est comme l’herbe et toute sa gloire comme la fleur des champs. L’herbe sèche, la fleur tombe dès que la touche le souffle du Seigneur. ”

       Je veux que vous regardiez aujourd’hui avec pitié ces hommes que, jusqu’à hier, vous aviez considérés comme des machines astreintes au travail par vous. Aujourd’hui que je les ai placés, frères parmi les frères, pauvres au milieu de vous qui êtes riches et heureux, vous les voyez pour ce qu’ils sont : des hommes. Le mépris et l’indifférence ont disparu de beaucoup de cœurs et la pitié y est entrée. Mais allez plus au fond, au-delà de leur chair accablée. Ils ont une âme, une pensée, des sentiments, tout comme vous. Autrefois, ils ont été comme vous : en bonne santé, libres, heureux. Puis ce n’a plus été le cas, car si la vie de l’homme est comme l’herbe qui sèche, son bien-être est encore plus fragile. Ceux qui aujourd’hui sont en bonne santé peuvent demain être malades ; ceux qui aujourd’hui sont libres peuvent demain être esclaves ; ceux qui aujourd’hui sont heureux peuvent demain être malheureux.

       Parmi eux, il y a certainement des coupables. Mais ne jugez pas leur faute et ne vous réjouissez pas de leur peine. Un jour, pour de multiples causes, vous pourriez vous aussi être coupables et astreints à une dure expiation. Soyez donc miséricordieux, car vous ne connaissez pas votre avenir, qui pourrait nécessiter toute la miséricorde divine et humaine, tant il pourrait être différent du jour présent. Soyez portés à l’amour et au pardon. Il n’est pas d’homme sur la terre qui n’ait besoin du pardon de Dieu et de l’un de ses semblables. Pardonnez donc pour que l’on vous pardonne.

       455.13 Le prophète dit encore : “ L’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole du Seigneur demeure éternellement. ”

       Voici l’arme et la défense : la Parole éternelle devenue la loi de chacun de vos actes.

       Elevez ce rempart véritable contre le danger qui vous menace et vous serez sauvés. Accueillez par conséquent la Parole, Celui qui vous parle, mais ne l’accueillez pas matériellement pour une heure dans les murs de la ville, mais bien dans votre cœur, pour toujours : car je suis celui qui sait et qui agit, et dirige puissamment. Et je suis le bon Berger qui fait paître le troupeau qui se fie à lui, et ne néglige personne, qu’il soit petit, las, blessé ou frappé par le sort, qu’il pleure sur ses erreurs, ni celui qui, riche et heureux, néglige tout pour la vraie richesse et le vrai bonheur : celui de servir Dieu jusqu’à la mort.

       L’Esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m’a envoyé guérir les cœurs brisés, annoncer la Bonne Nouvelle aux doux, prêcher la liberté aux esclaves, la libération aux prisonniers. Et on ne peut dire de moi que je suis un fauteur de troubles, car je n’incite pas à la révolte et je ne conseille pas aux esclaves et aux prisonniers de s’évader. Mais à l’homme enchaîné, à l’homme asservi, j’enseigne la vraie liberté, la vraie libération, celle que personne ne peut lui enlever ni même limiter, celle qui grandit d’autant plus qu’on s’y abandonne davantage : la liberté spirituelle, la libération du péché, la douceur dans la souffrance, la grâce de reconnaître Dieu au-delà des hommes qui enchaînent, la certitude que Dieu aime celui qui l’aime et pardonne là où l’homme ne pardonne pas, la joie d’espérer en un lieu éternel de récompense pour celui qui sait être bon dans son malheur, repenti de ses péchés, fidèle au Seigneur.

       Ne pleurez pas, vous à qui je m’adresse particulièrement. Je suis venu pour consoler, recueillir ceux qui sont rejetés, apporter la lumière dans leurs ténèbres, la paix à leurs âmes, pour promettre une demeure de joie à celui qui se repent comme à celui qui n’est pas coupable. Et il n’est pas de passé qui empêche ce Présent qui attend au Ciel ceux qui savent servir le Seigneur dans la situation où ils se trouvent.

       455.14 Il n’est pas difficile, mes pauvres enfants, de servir le Seigneur. Il vous a donné une manière facile de le servir, car il veut que vous soyez heureux au Ciel avec lui. Servir le Seigneur, c’est aimer : aimer la volonté de Dieu parce que vous aimez Dieu. La volonté de Dieu se cache même sous les apparences les plus humaines. Car — je m’adresse à vous qui avez peut-être versé le sang de vos frères —, car si ce n’était certainement pas la volonté de Dieu que vous soyez violents, c’est maintenant sa volonté que, par l’expiation, vous vous acquittiez de vos dettes envers l’Amour. Si ce n’était pas la volonté de Dieu que vous vous révoltiez contre vos ennemis, c’est maintenant sa volonté que vous soyez humbles, comme autrefois vous avez été orgueilleux pour votre malheur. Si ce n’était pas la volonté de Dieu que vous vous soyez approprié frauduleusement ce qui ne vous appartenait pas — quel qu’en soit le prix —, c’est maintenant la volonté de Dieu que vous soyez punis pour ne pas arriver à Dieu avec votre péché sur le cœur.

       Ils ne doivent pas l’oublier, ceux qui sont heureux maintenant, ceux qui se croient en sécurité, ceux qui, à cause de cette sotte assurance, ne préparent pas en eux le Royaume de Dieu, et seront à l’heure de l’épreuve comme des enfants éloignés de la maison du Père, à la merci de la tempête, sous le fouet de la douleur.

       455.15 Agissez tous avec justice et levez les yeux vers la Demeure du Père, vers le Royaume des Cieux : quand ses portes auront été grandes ouvertes par Celui qui est venu pour cela, il ne refusera pas d’accueillir quiconque aura atteint la justice.

       Mutilés, estropiés, eunuques physiquement, ou mutilés, estropiés, eunuques dans l’ordre spirituel, exclus en Israël, ne craignez pas de ne pas avoir de place dans le Royaume des Cieux. Les mutilations, les déformations, les infirmités de la chair cessent avec la chair. Ce qui atteint le moral, comme la prison et l’esclavage, cesse aussi un jour ; ce qui atteint l’esprit, le fruit des fautes passées, se répare par la bonne volonté. Les mutilations matérielles ne comptent pas aux yeux de Dieu, les spirituelles s’effacent à ses yeux quand elles sont couvertes par un repentir plein d’amour.

       Le fait d’être étranger au Peuple saint n’est plus un obstacle pour servir le Seigneur, car le temps est venu où les frontières de la terre disparaissent devant l’unique Roi, le Roi de tous les rois et peuples, qui réunit tous les peuples en un seul pour en faire son nouveau Peuple : celui d’où ne seront exclus que ceux qui cherchent à tromper le Seigneur par une obéissance mensongère à son Décalogue, car tous les hommes de bonne volonté peuvent le suivre, qu’ils soient juifs, païens ou idolâtres. Car là où il y a bonne volonté, il y a tendance naturelle à la justice ; or celui qui tend à la justice ne trouve pas de difficulté à adorer le Dieu vrai, quand il arrive à le connaître, à respecter son nom, à sanctifier ses fêtes, à honorer ses parents, à ne pas tuer, à ne pas voler, à ne pas faire de faux témoignages, à n’être pas adultère ou fornicateur, à ne pas désirer ce qui ne lui appartient pas. Et si, jusqu’à présent, il ne l’a pas fait, que désormais il le fasse pour sauver son âme et conquérir sa place au Ciel. Il est dit : “ Je leur donnerai une place dans ma Maison s’ils respectent mon Alliance, et je les rendrai heureux. ” Et cela s’adresse à tous les hommes de volonté sainte, car le Saint des Saints est le Père commun de tous les hommes.

       455.16 J’ai terminé mon discours. Je n’ai pas d’argent pour eux et il ne leur serait pas utile. Mais je vous recommande, habitants de Gamla qui avez tant progressé sur les voies du Seigneur depuis la première fois que nous nous sommes rencontrés, d’élever la défense la plus valable pour votre ville : celle de l’amour entre vous, et pour eux, en les secourant en mon nom, pendant qu’ils peinent pour vous. Le ferez-vous ?

       – Oui, Seigneur, crie la foule.

       – Eh bien, allons. Je ne serais pas entré dans vos murs si la dureté de vos cœurs avait répondu “ non ” à ma prière. Vous qui restez, soyez bénis… Allons…»

       Il revient sur la route, maintenant tout ensoleillée, et monte vers la ville, construite pour ainsi dire en pleine roche comme une cité troglodyte, pourvue pourtant de maisons bien tenues et dotée d’un panorama splendide et varié suivant la direction où l’on regarde, vers les monts de l’Auranitide, ou vers la mer de Galilée, ou au loin vers le grand Hermon, ou du côté de la verte vallée du Jourdain. Telle qu’elle est construite, en altitude, et avec des rues abritées du grand soleil, la ville est fraîche. Elle ressemble davantage à un immense château-fort, une suite de forteresses, tant les maisons à demi-murées, à demi-creusées dans la montagne, présentent cet aspect.

       Sur la plus grande place, la plus élevée de toutes, le point culminant de la ville — où l’œil jouit d’un vaste horizon de montagnes, de forêts, de lacs, de fleuves —, se trouvent les malades de Gamla. Et Jésus passe en les guérissant…

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