Une initative de
Marie de Nazareth

Les œuvres salvatrices des justes

samedi 17 mars 29
Jérusalem

Vision de Maria Valtorta

       376.1 Un grand nombre de disciples, hommes et femmes, ont pris congé pour retourner aux maisons où ils logent, ou pour reprendre les chemins par lesquels ils étaient venus.

       Dans le superbe après-midi de cette fin d’avril, il reste à la maison de Lazare les disciples proprement dits, en particulier ceux qui sont le plus voués à la prédication : les bergers, Hermas et Etienne, le prêtre Jean, Timon, Hermastée, Joseph d’Emmaüs, Salomon, Abel de Bethléem de Galilée, Samuel et Abel de Chorazeïn, Agape, Aser et Ismaël de Nazareth, Elie de Chorazeïn, Philippe d’Arbel, Joseph le passeur de Tibériade, Jean d’Ephèse, Nicolaï d’Antioche. Comme femmes, en plus des disciples connues, il reste Annalia, Dorca, la mère de Judas, Myrta, Anastasica, les filles de Philippe. Je ne vois plus Myriam, fille de Jaïre, ni Jaïre lui-même. Peut-être est-il retourné là où il logeait.

       Ils se promènent lentement dans les cours ou sur la terrasse de la maison, tandis que presque toutes les femmes et toutes les anciennes disciples se trouvent autour de Jésus, assis près du lit de Lazare. Elles écoutent Jésus parler avec Lazare, décrivant les régions traversées au cours des dernières semaines avant le voyage pascal.

       376.2 « Tu es arrivé juste à temps pour sauver le bébé » observe Lazare après le récit du fort de Césarée de Philippe, en montrant le bébé qui dort, heureux, dans les bras de sa mère. Puis il ajoute : « C’est un bel enfant ! Femme, montre-le-moi de près ! »

       Dorca se lève et, silencieuse mais d’un air triomphant, elle offre son nourrisson à l’admiration du malade.

       « C’est un bel enfant ! Vraiment beau ! Que le Seigneur le protège et le fasse croître en santé et en sainteté.

       – Et fidèle à son Sauveur. S’il ne devait pas l’être à l’avenir, je le préfèrerais mort, même maintenant. Tout, mais qu’après avoir été sauvé, il ne soit pas ingrat envers le Seigneur ! dit Dorca fermement en revenant à sa place.

       – Le Seigneur arrive toujours à temps pour sauver » dit Myrta, mère d’Abel de Bethléem. « Le mien n’était pas moins proche de la mort — et de quelle mort ! — que le bébé de Dorca. Mais il est arrivé et il l’a sauvé. Quelle heure terrible… »

       Myrta pâlit encore à ce souvenir…

       « Alors tu viendras à temps aussi pour moi, n’est-ce pas ? Pour me donner la paix…, dit Lazare en caressant la main de Jésus.

       – Mais ne vas-tu pas un peu mieux, mon frère ? » demande Marthe. « Depuis hier, tu me sembles plus soulagé…

       – Oui, et je m’en étonne moi-même. Peut-être Jésus…

       – Non, mon ami. C’est que je déverse en toi ma paix. Ton âme en est comblée et cela assoupit la souffrance des membres. C’est un décret de Dieu que tu souffres.

       – Et que je meure. Dis-le aussi. Eh bien… que sa volonté soit faite, comme tu l’enseignes. Désormais, je ne demanderai plus ni la guérison ni le soulagement. J’ai tant reçu de Dieu (et il regarde involontairement Marie, sa sœur) qu’il est juste que je donne ma soumission en échange de tous ces bienfaits.

       376.3 – Fais davantage, mon ami. C’est déjà beaucoup de se résigner et de supporter la douleur. Mais, toi, donne-lui une valeur plus grande.

       – Laquelle, mon Seigneur ?

       – Offre-la pour la rédemption des hommes.

       – Je suis un pauvre homme, moi aussi, Maître. Je ne puis aspirer à être un rédempteur.

       – C’est ce que tu dis, mais tu es dans l’erreur. Dieu s’est fait Homme pour aider les hommes. Mais les hommes peuvent aider Dieu. Les œuvres des justes seront unies aux miennes à l’heure de la Rédemption : celles des justes morts depuis des siècles, comme de ceux qui vivent maintenant ou qui vivront à l’avenir. Toi, joins-y les tiennes dès à présent. C’est si beau de s’unir à la Bonté infinie, d’y ajouter ce que nous pouvons donner de notre bonté limitée, et de dire : “ Moi aussi, Père, je coopère au bien de mes frères. ” Il ne peut y avoir de plus grand amour pour le Seigneur et pour le prochain que de savoir souffrir et mourir pour rendre gloire au Seigneur et procurer le salut éternel à nos frères. Se sauver soi-même ? C’est peu. C’est un “ minimum ” de sainteté. Il est beau de sauver, de se donner pour sauver, de pousser l’amour jusqu’à devenir un brasier d’immolation pour sauver. L’amour est alors parfait. Et la sainteté de celui qui se montre  généreux sera très grande.

       – Comme tout cela est beau, n’est-ce pas, mes sœurs ? » dit Lazare avec un sourire de rêve sur son fin visage.

       Marthe, émue, approuve d’un signe de tête.

      376.4 Marie, assise sur un coussin aux pieds de Jésus dans sa pose habituelle d’humble et ardente adoratrice, intervient :

       « C’est peut-être moi qui coûte ces souffrances à mon frère ? Dis-le-moi, Seigneur, pour que mon angoisse soit complète !… »

       Lazare s’écrie :

       « Non, Marie, non. Moi… je devais mourir de cela. Ne te transperce pas le cœur. »

       Mais Jésus, sincère jusqu’au bout, rectifie :

       « Bien sûr que oui ! Moi, j’ai entendu les prières de ton bon frère, ses inquiétudes. Mais cela ne doit pas te causer une angoisse qui te pèse, mais au contraire le désir de devenir parfaite à cause de ce que tu as coûté. Et réjouis-toi ! Réjouis-toi, car Lazare, pour t’avoir arrachée au démon…

       – Non pas moi ! Toi, Maître.

       – … pour t’avoir arrachée au démon, il a mérité de Dieu une récompense future grâce à laquelle les nations et les anges parleront de lui. Et, comme pour Lazare, ils parleront d’autres hommes, et surtout d’autres femmes, qui par leur héroïsme ont arraché sa proie à Satan.

       – De qui s’agit-il ? » demandent les femmes, curieuses ; peut-être toutes espèrent-elles qu’il s’agit d’elles-mêmes, chacune pour son compte.

       376.5 Marie, mère de Judas, se tait, mais elle regarde, elle regarde le Maître… Jésus aussi la regarde. Il pourrait la tenir dans l’illusion, mais il ne le fait pas. Il ne l’humilie pas, mais il ne la trompe pas. Il répond à toutes :

       « Vous le saurez au Ciel. »

       La mère de Judas, qui vit dans une angoisse continuelle, demande :

       « Et si l’une d’elles ne réussit pas malgré son désir ? Quel sera son sort ?

       – Celui que son âme mérite par sa bonté.

       – Le Ciel ? Mais, Seigneur, une femme, une sœur ou une mère qui… qui ne parvient pas à sauver ceux qu’elle aime et qui les voit damnés, pourrait-elle obtenir le Paradis, même en étant au Paradis ? Ne crois-tu pas qu’elle ne connaîtra jamais la joie puisque… la chair de sa chair, le sang de son sang auront mérité la condamnation éternelle ? Moi, je pense qu’elle ne pourra pas être heureuse en voyant celui qu’elle aime en proie à une peine atroce…

       – Tu es dans l’erreur, Marie. La vue de Dieu, la possession de Dieu sont les sources d’une béatitude tellement infinie qu’il ne subsiste aucune peine pour les bienheureux. Actifs et attentifs à aider les hommes qui peuvent encore être sauvés, ils ne souffrent plus pour ceux qui sont séparés de Dieu, et séparés d’eux-mêmes qui sont en Dieu. La communion des saints existe pour les saints.

       – Mais s’ils aident ceux qui peuvent être encore sauvés, c’est signe que ces derniers ne le sont pas encore, objecte Pierre.

       – Mais ils ont la volonté, au moins passive, de l’être. Ceux qui sont saints en Dieu aident même dans les besoins matériels pour faire passer ceux qui n’ont qu’une volonté passive à une volonté active. Me comprends-tu ?

       – Oui et non. Voici un exemple : si, moi, j’étais au Ciel et si je voyais, supposons, un mouvement fugitif de bonté chez… Eli le pharisien, admettons, que ferais-je ?

       – Tu te servirais de tous les moyens pour accroître ses bons mouvements.

       – Et si ça ne servait à rien ? Ensuite ?

       – Ensuite, quand lui serait damné, tu t’en désintéresserais.

       – Et si, comme il l’est maintenant, il était tout à fait digne de damnation, mais m’était cher — ce qui n’arrivera jamais —, que devrais-je faire ?

       – Sache avant tout que tu risques de te damner en disant qu’il ne t’est pas cher et qu’il ne le sera jamais. Ensuite, sache que si tu étais au Ciel, absolument uni à la Charité, tu prierais pour lui, pour son salut, jusqu’au moment de son jugement. Il y aura des âmes sauvées au dernier moment après une vie de prière pour elles. »

       376.6 Il entre un serviteur qui dit :

       « Manahen est arrivé. Il veut voir le Maître.

       – Qu’il entre. Il veut certainement parler de choses sérieuses. »

       Les femmes, par discrétion, se retirent et les disciples les suivent. Mais Jésus rappelle Isaac, le prêtre Jean, Etienne et Hermas, ainsi que Matthias et Joseph, des bergers disciples.

       « Il est bon que vous, qui êtes des disciples, vous soyez au courant » explique-t-il.

       Manahen entre et s’incline.

       « Paix à toi, dit Jésus pour le saluer.

       – Paix à toi, Maître. Le soleil se couche. Mes premiers pas, après le sabbat, sont pour toi, mon Seigneur.

       – Tu as passé une bonne Pâque ?

       – Bonne ? Il ne peut rien y avoir de bon là où se trouvent Hérode et Hérodiade ! J’espère que c’est la dernière fois que j’ai mangé l’agneau avec eux. Même si je dois en mourir, je ne resterai plus longtemps en leur compagnie !

       – Je crois que tu fais une erreur. Tu peux servir le Maître en restant, objecte Judas.

       – C’est vrai, et c’est ce qui m’a retenu jusqu’à présent. Mais quelle nausée ! Kouza pourrait me remplacer… »

       Barthélemy fait remarquer :

       « Kouza n’est pas Manahen. Kouza est… Oui, lui sait mener sa barque. Il ne critiquerait jamais son maître. Toi, tu es plus franc.

       – C’est vrai ; ce que tu dis est vrai. Kouza est un courtisan. Il subit la fascination de la royauté… Royauté ! Que dis-je ! ? De la débauche royale ! Mais il a l’impression d’être roi, parce qu’il est avec le roi… Et il redoute la disgrâce royale. L’autre soir, il était comme un chien battu. C’est presque en rampant qu’il a paru devant Hérode, qui l’avait appelé après avoir entendu les lamentations de Salomé, chassée par toi. Kouza a passé un mauvais quart d’heure. On lisait sur son visage le désir de se sauver, à tout prix, quitte à t’accuser, à te donner tort. Mais Hérode !… Il voulait seulement rire aux dépens de la jeune fille dont il a désormais la nausée, comme il a la nausée de sa mère. Et il riait comme un fou en entendant Kouza répéter tes paroles. Il ne cessait de dire : “ C’est encore trop doux pour cette jeune… (il employait un mot si grossier que je ne te le redis pas). Il aurait dû piétiner son sein avide… Mais il se serait contaminé ! ” et il riait. Puis, reprenant son sérieux, il a ajouté : “ Néanmoins… cet affront a beau être mérité par la femme, il n’est pas permis pour la couronne. Je suis magnanime (c’est son idée fixe de l’être, et comme personne ne lui reconnaît cette qualité, il se l’attribue de lui-même) et je fais grâce au Rabbi parce qu’il a révélé à Salomé la vérité. Mais je veux qu’il vienne à la Cour pour lui pardonner tout à fait. Je veux le voir, l’entendre et lui faire accomplir des miracles. Qu’il vienne, et je me ferai son protecteur. ” C’est ainsi qu’il parlait l’autre soir, et Kouza ne savait quoi répondre. Il ne voulait pas dire non au monarque. Il ne pouvait pas accepter non plus. Car tu ne peux certainement pas accéder aux volontés d’Hérode. Aujourd’hui, il m’a dit : “ Tu vas certainement le trouver… Fais-lui part de ma volonté. ” Je te la rapporte, mais… je connais déjà la réponse. Donne-la-moi, pourtant, pour que je puisse la transmettre.

       – Non ! »

       C’est un “ non ” qui ressemble à un coup de foudre.

       « Ne vas-tu pas t’en faire un ennemi trop puissant ? demande Thomas.

       – Un bourreau, même. Mais je ne puis que répondre “non”.

       – Il nous persécutera…

       – Oh ! d’ici trois jours, il ne s’en souviendra plus » dit Manahen en haussant les épaules. Puis il ajoute : « On lui a promis des… mimes… Elles vont arriver demain… Et il oubliera tout… »

       376.7 Le serviteur revient :

       « Maître, Nicodème est là, avec Joseph, Eléazar, et d’autres pharisiens et membres du Sanhédrin. Ils veulent te saluer. »

       Lazare regarde Jésus d’un air interrogateur. Jésus comprend :

       « Qu’ils viennent ! Je les saluerai volontiers. »

       Peu après entrent Nicodème, Joseph, Eléazar (le juste du banquet d’Ismaël), Jean (celui du lointain banquet d’Arimathie), un autre que j’entends appeler Josué, un Philippe, un Jude, et le dernier, Joachim. Les salutations n’en finissent plus. Heureusement que la pièce est vaste, sinon comment feraient-ils pour déployer tant d’inclinations et d’embrassades et de luxueux accoutrements ? Mais si grande qu’elle soit, elle est vite comble, et les disciples s’esquivent. Il ne reste plus que Lazare avec Jésus. Peut-être aussi ne leur paraît-il pas indiqué de se trouver sous le feu de tant de regards du Sanhédrin !

       « Nous savons que tu es à Jérusalem, Lazare. Et nous sommes venus ! dit celui qu’on appelle Joachim.

       – J’en suis étonné et réjoui. Je ne me rappelais plus ton visage…, répond Lazare un peu ironiquement.

       – Mais… tu sais… On voulait toujours venir. Mais… Tu avais disparu…

       – Et il ne semblait pas vrai que je l’étais ! Il est très difficile en effet de venir chez un malheureux !

       – Non ! Ne dis pas cela ! Nous… respections ton désir. Mais maintenant que… maintenant que… n’est-ce pas, Nicodème ?

       – Oui, Lazare. Les anciens amis reviennent, désireux de prendre de tes nouvelles et de vénérer le Rabbi.

       – Quelles nouvelles m’apportez-vous ?

       – Hum !… Voilà… Les affaires habituelles… Le monde… Oui… »

       Ils regardent du côté de Jésus qui se tient droit sur son siège, l’air un peu méditatif.

       376.8 « Comment se fait-il donc que vous veniez tous ensemble aujourd’hui, alors que le sabbat est à peine fini ?

       – Il y a eu une assemblée extraordinaire.

       – Aujourd’hui ? Pour quelle raison si urgente ? »

       Ceux qui sont présents regardent Jésus de manière significative. Mais il est pensif…

       « Il y en a plusieurs… répondent-ils ensuite.

       – Et qui ne concernent pas le Rabbi ?

       – Si, Lazare. Lui aussi. Mais un fait grave a été également jugé, pendant que les fêtes nous ont tous rassemblés dans la ville…, explique Joseph d’Arimathie.

       – Un fait grave ? Lequel ?

       – Une… une erreur de… jeunesse… Hum ! Oui ! Une discussion violente parce que… Rabbi, écoute-nous. Tu es au milieu de gens honnêtes. Même si nous ne sommes pas disciples, nous ne sommes pas des ennemis. Dans la maison d’Ismaël, tu m’as dit que je ne suis pas loin de la justice, déclare Eléazar.

       – C’est vrai. Et je le confirme.

       – Et moi, je t’ai défendu contre Félix au banquet de Joseph, rappelle Jean.

       – C’est vrai également.

       – Et eux pensent comme nous. Nous avons été convoqués aujourd’hui pour arbitrer… et nous ne sommes pas satisfaits de ce qui a été décidé. Car le plus grand nombre l’a emporté sur nous. Toi, qui es plus sage que Salomon, écoute et juge. »

       Jésus les pénètre de son regard profond, puis il dit :

       « Parlez.

       – Sommes-nous sûrs de n’être pas entendus ? Car c’est… un drame horrible…, dit celui qui s’appelle Jude.

       – Ferme la porte et le rideau, et nous serons dans un tombeau, lui répond Lazare.

       376.9 – Maître, hier matin, tu as recommandé à Eléazar, fils d’Hanne, de ne se contaminer pour aucune raison. Pourquoi lui as-tu con­seillé cela ? demande Philippe.

       – Parce qu’il le fallait. Lui, il se contamine, mais pas moi. Les livres sacrés le disent.

       – C’est vrai. Mais comment sais-tu qu’il se contamine ? La jeune fille t’a peut-être parlé avant de mourir ? demande Eléazar.

       – Quelle jeune fille ?

       – Celle qui est morte après avoir été violentée, et sa mère avec elle. On ne sait pas si c’est la douleur qui les a tuées, ou si elles se sont donné la mort, ou si on les a empoisonnées pour les empêcher de parler.

       – Je ne savais rien de tout cela. Je voyais l’âme corrompue du fils d’Hanne. J’en sentais la puanteur. J’ai parlé. Je ne savais ni ne voyais rien d’autre.

       – Mais que s’est-il passé ? demande Lazare, intéressé.

       – Eléazar, fils d’Hanne, a vu une jeune fille, la fille unique d’une veuve et… il l’a attirée sous prétexte de lui commander du travail — pour vivre, elle travaillait dans le vêtement —, et… il a abusé d’elle. La jeune fille est morte… trois jours après, et sa mère avec elle. Mais avant de mourir, malgré les menaces reçues, elles ont tout révélé à leur unique parent… Et lui est allé chez Hanne porter l’accusation et, non content de cela, il l’a raconté à Joseph, à moi, à d’autres… Hanne l’a fait saisir et jeter en prison. De là, il ira à la mort ou restera toujours prisonnier. Aujourd’hui, Hanne a voulu savoir ce que nous en pensions, dit Nicodème.

       – Il ne l’aurait pas fait s’il n’avait pas su que nous étions déjà au courant, murmure Joseph entre ses dents.

       – Oui… Après un semblant de vote, un simulacre de jugement, on a décidé de l’honneur et de la vie de trois malheureux et de la punition du coupable, conclut Nicodème.

       – Eh bien ?

       – Eh bien, c’est naturel ! Nous qui avons voté pour la liberté de l’homme et la punition d’Eléazar, nous avons été menacés et chassés comme injustes. Toi, qu’en dis-tu ?

       – Que Jérusalem m’inspire du dégoût et que l’abcès le plus fétide de cette ville, c’est le Temple » prononce lentement Jésus, d’une voix terrible. Et il termine : «  Rapportez-le donc à ceux du Temple.

       – Et Gamaliel, qu’a-t-il fait ? demande Lazare.

       – Dès qu’il a appris la chose, il s’est couvert le visage, et il est sorti en disant : “ Que vienne vite le nouveau Samson pour faire périr les philistins corrompus. ”

       – Gamaliel a bien parlé ! Mais le justicier viendra bientôt. »

       Un silence.

       376.10 « Et de lui, on n’a rien dit ? demande Lazare en montrant Jésus.

       – Oh si ! Avant tout le reste. On a rapporté que tu avais déclaré “ sordide ” le royaume d’Israël et par conséquent on t’a déclaré blasphémateur. Sacrilège même, car le royaume d’Israël appartient à Dieu.

       – Ah oui ? Et comment le Pontife a-t-il appelé celui qui a violé une vierge ? Celui qui a souillé son ministère ? Répondez ! demande Jésus.

       – Lui, c’est le fils du grand-prêtre, car Hanne est toujours le vrai roi là au milieu, dit Joachim, intimidé par la majesté de Jésus qui se tient face à lui, debout, le bras tendu…

       – Oui, le roi de la corruption. Et vous voulez que je ne qualifie pas de “ sordide ” un pays où nous avons un Tétrarque souillé et homicide ainsi qu’un grand-prêtre complice d’un violeur meurtrier ?

       – La jeune fille s’est peut-être tuée, ou elle est morte de douleur, murmure Eléazar.

       – Toujours est-il que le criminel est celui qui l’a violée… Et maintenant n’est-ce pas une troisième victime que l’on fait en gardant son parent prisonnier pour qu’il ne parle pas ? Et ne profane-t-on pas l’autel en s’approchant de lui, alors qu’il est souillé par tant de crimes ? Et n’étouffe-t-on pas la justice en imposant le silence aux membres justes, trop peu nombreux, du Sanhédrin ? Oui, que vienne vite le nouveau Samson et qu’il abatte ce lieu profané, qu’il extermine pour guérir !… Moi, à cause du vomissement que me fait éprouver la nausée, non seulement je traite cette malheureuse ville de sordide, mais je m’éloigne de son cœur pourri, rempli de crimes sans nom, foyer de Satan… Je pars. Non par peur de la mort. Je vous montrerai que je n’ai pas peur. Mais je pars parce que mon heure n’est pas venue et pour ne pas donner des perles aux pourceaux d’Israël, mais pour les apporter aux humbles disséminés dans les masures, les montagnes, les vallées des villages pauvres. Là où on sait encore croire et aimer, s’il y a quelqu’un pour l’enseigner. Là où il y a des âmes sous des vêtements grossiers, alors qu’ici les tuniques et les manteaux sacrés, et plus encore l’éphod et le rational, servent à couvrir d’immondes charognes et à dissimuler des armes homicides. Dites-leur qu’au nom du Dieu vrai, je les voue à la condamnation et que, en nouveau Michel, je les chasse pour toujours du Paradis, eux qui veulent être des dieux et qui sont des démons. Il n’est pas besoin qu’ils soient morts pour être jugés. Ils le sont déjà. Et sans rémission. »

       376.11 Les imposants membres du Sanhédrin et les pharisiens semblent devenus tout petits tant ils se rencognent devant la sainte colère du Christ, qui paraît, au contraire, devenir un géant tellement ses regards sont fulgurants et ses gestes violents.

       Lazare gémit :

       « Jésus ! Jésus ! Jésus… »

       Jésus l’entend, et changeant de ton et d’aspect, il dit :

       « Qu’as-tu, mon ami ?

       – Oh ! ne sois pas si terrible ! Ce n’est plus toi ! Comment avoir espoir dans la miséricorde, si toi, tu te montres si enflammé ?

       – Et pourtant c’est ainsi, et je le serai plus encore quand je jugerai les douze tribus d’Israël. Mais, rassure-toi, Lazare. Celui qui croit dans le Christ est déjà jugé… »

       Il se rassied.

       Un silence. Finalement Jean demande :

       « Et nous, pour avoir préféré les reproches au mensonge contre la justice, comment serons-nous jugés ?

       – Avec justice. Persévérez et vous parviendrez là où Lazare se trouve déjà : dans l’amitié de Dieu. »

       Ils se lèvent.

       « Maître, nous nous retirons. Paix à toi. A toi aussi, Lazare.

       – Paix à vous.

       – Que rien ne transpire de ce que nous vous avons révélé, supplient plusieurs.

       – Ne craignez rien ! Allez. Que Dieu vous guide dans toute votre conduite. »

       Ils partent. Jésus et Lazare restent seuls. Après un moment, ce dernier dit :

       « Quelle horreur !

       – Oui. Quelle horreur !… Lazare, je vais préparer mon départ de Jérusalem. Je serai ton hôte à Béthanie jusqu’à la fin des Azymes. »

       Et il sort…

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