371.1 C’est sûr, les disciples de Jésus ne brillent pas par leur héroïsme !
La nouvelle apportée par Judas fait l’effet d’une apparition d’épervier au-dessus d’une cour remplie de poussins ou d’un loup à proximité d’un troupeau ! L’épouvante, ou pour le moins le trouble, se lit sur neuf visages sur dix, et sur ceux des hommes en particulier. Je crois que plusieurs ont déjà l’impression d’être passés au fil de l’épée ou flagellés, et le moindre qu’ils imaginent, c’est de connaître les secrets des prisons dans l’attente d’un procès.
Les femmes sont moins agitées : elles se font plutôt du souci pour leurs fils ou leurs maris, et elles conseillent aux uns et aux autres de s’égailler par petits groupes et de se disperser dans la campagne.
Marie de Magdala s’élève contre ce flot de crainte exagérée :
« Ah ! que de gazelles il y a en Israël ! N’avez-vous pas honte de trembler ainsi ? Je vous ai dit que vous serez plus en sûreté dans mon palais que dans une forteresse. Venez donc ! Je vous donne ma parole qu’il ne vous arrivera rien. Si, en plus de ceux que Jésus a désignés, d’autres pensent être en sécurité chez moi, qu’ils viennent. Il y a des lits et des couchettes pour une centurie. Allons, décidez-vous au lieu de mourir de peur ! Je prie seulement Jeanne de nous faire suivre par des serviteurs avec des vivres, car, au palais, il n’y en a pas pour tant de monde, et maintenant le soir arrive. Un bon repas est le meilleur moyen de rendre courage aux peureux. »
Elle n’est pas seulement imposante dans son habit blanc, mais une certaine ironie luit dans ses yeux splendides tandis que, du haut de sa taille, elle regarde le troupeau apeuré qui se presse dans le vestibule de Jeanne.
« Je m’en occupe tout de suite. Partez donc. Jonathas va vous suivre avec des serviteurs, et moi avec lui, puisqu’on m’accorde la joie de suivre le Maître, et sans peur, je vous l’assure, à tel point que j’emmène les enfants avec moi » dit Jeanne.
A ces mots, elle se retire pour donner des ordres pendant que les premières avant-gardes de cette armée craintive passent précautionneusement la tête par le portail et, voyant qu’il n’y a rien à redouter, osent sortir dans la rue et s’éloigner, suivies des autres.
Le groupe des vierges est au milieu, immédiatement après Jésus, qui est dans les premiers rangs. Derrière les vierges viennent les femmes ; puis les moins… courageux, qui sont protégés par Marie, sœur de Lazare, qui s’est jointe aux Romaines, bien décidées à ne pas se séparer de Jésus de sitôt. Mais ensuite, elle court en avant pour dire quelque chose à sa sœur et les sept Romaines restent avec Sarah et Marcelle, demeurées elles aussi à l’arrière-garde sur l’ordre de Marie, dans l’intention de faire passer les Romaines encore plus inaperçues.
Jeanne arrive à pas rapides avec les enfants qu’elle tient par la main. Jonathas la suit avec les serviteurs chargés de sacs et de paniers, qui se mettent en queue de la petite troupe. En réalité, personne ne les remarque, car les rues fourmillent de groupes qui rejoignent leurs maisons ou leurs campements. D’ailleurs, la pénombre rend les visages moins faciles à reconnaître. Maintenant, Marie de Magdala, accompagnée de Jeanne, Anastasica et Elise, est au tout premier rang et, par des chemins secondaires, elle conduit ses hôtes à son palais.
371.2 Jonathas marche pour ainsi dire au niveau des Romaines auxquelles il adresse la parole comme à des servantes des disciples les plus riches. Claudia en profite pour lui dire :
« Homme, je te prie d’aller appeler le disciple qui a apporté la nouvelle. Dis-lui de venir ici, mais fais-le de manière à ne pas attirer l’attention. Va ! »
Son vêtement a beau être modeste, c’est le ton involontairement impératif de quelqu’un d’habitué à commander. Jonathas écarquille les yeux en essayant de discerner à travers le voile baissé qui lui parle ainsi. Mais il ne peut voir que l’éclat des yeux autoritaires. Pourtant, il doit se rendre compte que la femme qui s’adresse à lui n’est pas une servante, et il s’incline avant d’obéir.
Il rejoint Judas qui discute avec animation avec Etienne et Timon, et il le tire par son vêtement.
« Que veux-tu ?
– J’ai quelque chose à te dire.
– Parle.
– Non. Viens en arrière avec moi. On te demande, pour une aumône, je crois… »
L’excuse est bonne et acceptée paisiblement par les compagnons de Judas et avec enthousiasme par lui-même. Il revient rapidement sur ses pas avec Jonathas.
Le voilà au dernier rang.
« Femme, voilà l’homme que tu voulais voir, dit Jonathas à Claudia.
– Je te suis reconnaissante de m’avoir rendu service » répond celle-ci en restant toujours voilée. Puis, s’adressant à Judas : « Te plairait-il de t’arrêter un moment pour m’écouter ? »
Judas entend une façon de parler très raffinée, il voit deux yeux splendides à travers le voile fin, peut-être pressent-il une grande aventure et il y consent sans difficulté.
371.3 Le groupe des Romaines se sépare et il reste avec Claudia, Plautina et Valéria ; les autres continuent.
Claudia regarde tout autour. Elle voit que le petit chemin où ils se sont arrêtés est isolé et, de sa très belle main, elle rejette en arrière son voile et découvre son visage.
Judas la reconnaît, et après un instant de surprise, il s’incline pour la saluer en mêlant des gestes juifs à des paroles romaines :
« Domina !
– Oui, c’est moi. Redresse-toi et écoute. Tu aimes le Nazaréen. Tu te soucies de son bien. Tu as raison. C’est un homme vertueux qu’il faut défendre. Nous le vénérons comme grand et juste. Les juifs ne le vénèrent pas. Ils le haïssent. Je le sais. Ecoute. Ecoute bien, rappelle-toi et mets en pratique. Moi, je veux le protéger, avec honnêteté et vertu, car je ne suis pas comme la luxurieuse de tout à l’heure. Quand ton amour et ta sagacité te permettront de voir qu’il y a un piège pour lui, viens ou envoie quelqu’un. Claudia peut tout sur Ponce Pilate. Claudia obtiendra la protection pour le Juste. Tu comprends ?
– Parfaitement, domina. Que notre Dieu te protège. Je viendrai, si je le peux, je viendrai personnellement. Mais comment arriver jusqu’à toi ?
– Demande toujours Albula Domitilla. C’est une seconde moi-même. Mais personne ne s’étonne si elle parle avec des juifs, car c’est elle qui s’occupe de mes libéralités. On te prendra pour un client. Cela t’humilie peut-être ?
– Non, domina. C’est un honneur que de servir le Maître et d’obtenir ta protection.
– Oui. Je vous protégerai. Je suis une femme, mais j’appartiens à la gens Claudia. J’ai plus de pouvoir que tous les grands d’Israël car, derrière moi, il y a Rome. Tiens, en attendant, pour les pauvres du Christ. C’est notre obole. Cependant… je voudrais qu’on me laisse parmi les disciples ce soir. Procure-moi cet honneur et tu seras un protégé de Claudia. »
Sur un homme comme Judas, ces mots de la patricienne ont un effet prodigieux. Il est au septième ciel… Il ose demander :
« Mais tu l’aideras vraiment ?
– Oui, son Royaume mérite d’être fondé, car c’est un royaume de vertu. Il sera le bienvenu pour s’opposer aux infames qui pourrissent les royaumes actuels, et qui me dégoûtent. Rome est grande, mais le Rabbi est bien plus grand que Rome. Sur nos insignes, nous avons les aigles et l’orgueilleuse devise de Rome, mais sur les siennes il y aura les Génies et son saint nom. Rome et la terre seront grandes, vraiment grandes, quand elles mettront ce nom sur leurs insignes et quand son signe sera inscrit sur les étendards et sur les temples, sur les arches et les colonnes. »
Judas est stupéfait, songeur, extatique. Il balance la lourde bourse qui lui a été donnée, machinalement et, en hochant la tête, il dit : “ oui, oui, oui ” à tout.
« Maintenant donc, allons les rejoindre. Nous sommes alliés, n’est-ce pas ? Alliés pour protéger ton Maître et le Roi des âmes honnêtes. »
Elle descend son voile et, rapide, agile, elle part presque en courant rejoindre le groupe qui l’a précédée, suivie des autres et de Judas qui a le souffle court, non pas tant par la course qu’à cause de ce qu’il a entendu. Le palais de Lazare est en train d’avaler les derniers groupes de disciples quand ils l’atteignent. Ils entrent rapidement, et le portail de fer se referme avec le grand bruit de ferraille des verrous poussés par le gardien.
371.4 Une seule lampe, portée par la femme du gardien, a du mal à éclairer le vestibule carré entièrement blanc du palais de Lazare. On comprend que la maison de Jérusalem n’est pas habitée, bien qu’elle soit gardée et tenue en ordre. Marie et Marthe conduisent les hôtes dans un vaste salon, qui sert sûrement pour les banquets, aux murs luxueux couverts d’étoffes précieuses, qui montrent leurs arabesques à mesure qu’on allume les lampadaires et qu’on place des lampes sur les crédences, sur les coffres précieux disposés le long des murs, ou sur les tables qui s’y appuient, toutes prêtes à servir, mais inutilisées depuis un certain temps. Mais Marie ordonne de les apporter au milieu de la salle et de les préparer pour le souper avec les vivres que les serviteurs de Jeanne sortent des sacs et des paniers et posent sur les crédences.
Judas prend Pierre à part et lui murmure quelque chose à l’oreille. Je vois Pierre écarquiller les yeux et secouer la main comme s’il s’était brûlé les doigts :
« Foudres et cyclones ! Mais que dis-tu là ?
– Oui. Regarde et réfléchis ! Ne plus avoir peur ! N’être plus ainsi angoissé !
– Mais c’est trop beau, trop beau ! Qu’est-ce qu’elle a dit ? Qu’elle nous protège vraiment ? Que Dieu la bénisse ! Mais laquelle est-ce ?
– Celle qui a un vêtement couleur de tourterelle sauvage, grande, mince. Tiens ! elle nous a vus… »
Pierre regarde cette femme de haute taille, au visage régulier et sérieux, aux yeux doux et pourtant impérieux.
« Et… comment as-tu fait pour lui parler ? Tu n’as pas eu…
– Non, pas du tout.
– Et pourtant tu haïssais les contacts avec eux ! Comme moi, comme tous…
– Oui, mais j’ai surmonté mon dégoût par amour pour le Maître. Comme j’ai surmonté le désir de rompre avec mes anciens compagnons du Temple… Tout pour le Maître ! Vous tous, et ma mère avec vous, vous croyez à de la duplicité. Toi, récemment, tu m’as reproché mes amitiés. Mais si je ne les conservais pas — avec beaucoup de difficultés, d’ailleurs —, je ne saurais pas tant de choses. Ce n’est pas bien de se mettre un bandeau sur les yeux et de la cire dans les oreilles de peur que le monde n’entre en nous par les yeux et les oreilles. Quand on est dans une entreprise semblable à la nôtre, il faut veiller à les avoir bien ouverts. Veiller pour lui, pour son bien, pour sa mission, pour la fondation de ce royaume béni… »
Un grand nombre d’apôtres et quelques disciples se sont approchés et écoutent avec des signes de tête approbatifs. Car on ne peut pas dire que Judas parle mal ! Honnête et humble, Pierre le reconnaît :
« Tu as parfaitement raison ! Pardonne mes reproches. Tu vaux mieux que moi, tu sais y faire. Allons dire ça au Maître, à sa Mère, à la tienne ! Elle était si angoissée !
– Par tout ce que de mauvaises langues ont insinué… Mais pour l’instant, tais-toi. Après, plus tard. Tu vois ? Ils s’asseyent à table et le Maître nous fait signe d’y aller… »
371.5 … Le dîner est vite expédié. Même les Romaines, assises aux tables des femmes, mêlées à elles — de sorte que Claudia est placée entre Porphyrée et Dorca —, mangent en silence ce qu’on leur sert. De mystérieuses paroles faites de sourires et de clins d’œil circulent entre Jeanne, Marie de Magdala et elles. On dirait des écolières en vacances.
Après le repas, Jésus ordonne de former un carré de sièges et d’y prendre place pour l’écouter. Il se met au milieu et commence à parler au centre du carré de visages attentifs où il n’y a de fermés que les yeux innocents du bébé de Dorca qui dort sur le sein de sa mère, et où vont tomber de sommeil ceux de la petite Marie, blottie dans les bras de Jeanne, et de Matthias, qui s’est assi sur les genoux de Jonathas.
« Disciples hommes et femmes, rassemblés ici au nom du Seigneur, ou attirés ici par le désir de la vérité, désir qui vient encore de Dieu qui veut lumière et vérité dans tous les cœurs, écoutez.
Ce soir, il nous est accordé d’être tous unis, et nous le devons justement à la méchanceté de ceux qui veulent nous disperser. Et vous ne savez pas, vous dont les sens sont bornés, à quel point cette union véritable est profonde et vaste : c’est la vraie aurore des unions futures qui existeront quand le Maître ne sera plus parmi vous charnellement, mais sera en vous par son esprit. Alors, vous saurez aimer. Alors, vous saurez pratiquer l’amour. Pour l’instant, vous êtes comme des enfants encore au sein. Alors, vous serez comme des adultes qui peuvent goûter n’importe quelle nourriture sans que cela leur nuise. Alors, vous saurez dire, comme moi : “ Venez à moi, vous tous, parce que nous sommes frères et que c’est pour tous qu’il s’est immolé. ”
371.6 Il y a trop de préjugés en Israël ! Ce sont autant de flèches qui lèsent la charité. A vous, mes fidèles, je parle ouvertement, car parmi vous il n’y a pas de traîtres, ni de gens remplis d’antipathies qui séparent, qui se changent en incompréhension, en entêtement, en haine pour moi qui vous indique les routes de l’avenir. Je ne puis parler autrement. Et désormais je m’exprimerai moins, parce que je constate que les paroles sont inutiles ou presque. Vous avez eu de quoi vous sanctifier et vous instruire d’une manière parfaite. Mais vous vous êtes peu élevés, spécialement vous, mes frères hommes, car la parole vous plaît, mais vous ne la mettez pas en pratique. Dorénavant et de plus en plus fréquemment, je vous ferai faire ce que vous devrez accomplir quand le Maître sera retourné au Ciel d’où il est venu. Je vous ferai assister à ce qu’est le prêtre de l’avenir. Plus que mes paroles, observez mes actes, répétez-les, apprenez-les, joignez-les à l’enseignement. Alors vous deviendrez des disciples parfaits.
Qu’a fait le Maître aujourd’hui, et que vous a-t-il fait faire et pratiquer ? La charité sous ses multiples formes. La charité envers Dieu. Non seulement la charité de prières vocales, rituelles, mais la charité active qui renouvelle dans le Seigneur, qui dépouille de l’esprit du monde, des hérésies du paganisme. Car celui-ci n’existe pas seulement chez les païens, mais aussi en Israël, avec les mille coutumes qui se sont substituées à la Religion vraie, sainte, ouverte, simple, comme tout ce qui vient de Dieu. Il ne faut pas accomplir des actions bonnes, ou telles en apparence, pour obtenir les éloges des hommes, mais des actes saints pour mériter d’être loué par Dieu.
Celui qui est né, meurt. Vous le savez. Mais la vie ne finit pas avec la mort. Elle continue sous une autre forme et pour l’éternité avec une récompense pour celui qui aura été juste, et un châtiment pour celui qui aura été mauvais. Que cette pensée d’un certain jugement ne vous paralyse pas pendant votre vie et à l’heure de votre mort, mais qu’elle soit un stimulant et un frein, un stimulant qui pousse au bien, un frein qui écarte des mauvaises passions. Soyez donc réellement des amis du Dieu vrai, en agissant toujours au cours de votre vie avec l’intention de Le mériter dans la vie future.
Vous qui aimez les grandeurs, qu’y a-t-il de plus grand que de devenir des enfants de Dieu, des dieux par conséquent ? Vous qui craignez la douleur, quelle certitude de ne plus souffrir est-elle comparable à ce qui vous attend au Ciel ? Soyez saints. Vous voulez fonder un royaume dès cette terre ? Vous vous sentez en proie aux embûches et vous craignez de ne pas réussir ? Si vous agissez en saints, vous réussirez. La puissance même qui nous domine ne pourra l’empêcher, malgré ses cohortes, car vous persuaderez celles-ci de suivre la doctrine sainte, de même que moi, sans violence, j’ai persuadé les femmes de Rome que la Vérité se trouve ici…
– Seigneur ! s’écrient les Romaines en se voyant découvertes.
– Oui, femmes. 371.7 Ecoutez et souvenez-vous-en. Je dis à mes disciples d’Israël, tout comme à vous, qui n’appartenez pas au peuple d’Israël, mais qui avez une âme droite, quel est le statut de mon Royaume.
Pas de révoltes, elles ne servent à rien. Mieux vaut sanctifier l’autorité en l’imprégnant de notre sainteté. Ce sera un travail de longue haleine, mais il sera victorieux. Avec douceur et patience, sans folles hâtes, sans déviations humaines, sans révoltes inutiles, en obéissant là où l’obéissance ne nuit pas à l’âme elle-même, vous arriverez à faire de l’autorité, qui maintenant nous domine avec le paganisme, une autorité protectrice et chrétienne. Faites votre devoir de sujets envers l’autorité, comme vous accomplissez celui de fidèles envers Dieu. Appliquez-vous à voir en tout pouvoir souverains non pas un oppresseur, mais quelqu’un qui vous élève, car il vous donne la possibilité de le sanctifier par votre exemple, et de vous sanctifier par votre héroïsme.
De même que vous êtes de bons fidèles et d’honnêtes citoyens, efforcez-vous d’être de bonnes épouses, de bons maris, saints, chastes, obéissants, affectueux l’un pour l’autre, unis pour élever vos enfants dans le Seigneur, pour être paternels et maternelles même avec vos serviteurs et esclaves : tout comme vous, ceux-ci ont une âme et une chair, des sentiments et des affections. Si la mort vous enlève votre compagnon ou votre compagne, ne désirez pas, si possible, faire un nouveau mariage. Aimez les orphelins même pour votre compagnon disparu. Quant à vous, serviteurs, soyez soumis à vos maîtres et, s’ils sont imparfaits, sanctifiez-les par votre exemple. Vous en obtiendrez un grand mérite aux yeux du Seigneur. A l’avenir, en mon nom, il n’y aura plus ni maîtres ni serviteurs, mais des frères. Il n’y aura plus de races, mais des frères. Il n’y aura plus d’opprimés et d’oppresseurs qui se haïssent, parce que les opprimés donneront le nom de frères à leurs oppresseurs.
Aimez-vous d’une même foi, en vous aidant l’un l’autre, comme je vous l’ai fait faire aujourd’hui. Mais ne limitez pas votre aide aux pauvres, aux pèlerins de votre race, ni à vos malades. Ouvrez les bras à tous comme la Miséricorde vous les ouvre à vous tous.
Que celui qui a davantage donne à celui qui n’a rien, ou peu. Que celui qui sait davantage instruise celui qui ne sait rien ou peu de chose, et qu’il instruise avec patience et humilité, en se souvenant qu’en vérité, avant mon enseignement, il ne savait rien. Recherchez la sagesse, non pour qu’elle vous fasse briller, mais pour qu’elle vous aide à avancer dans les voies du Seigneur.
Que les femmes mariées aiment les vierges, et réciproquement. Que les unes et les autres entourent les veuves d’affection. Vous êtes toutes utiles dans le Royaume du Seigneur. Que les pauvres n’aient pas d’envie, que les riches ne suscitent pas la haine par l’étalage de leurs richesses et leur dureté de cœur.
Prenez soin des orphelins, des malades, de ceux qui n’ont pas de maison. Ouvrez-leur votre cœur avant de leur ouvrir votre bourse et votre maison, car si c’est de mauvaise grâce que vous donnez, vous ne faites pas honneur à Dieu, mais vous l’offensez, lui qui est présent en tout malheureux.
En vérité, en vérité je vous dis qu’il n’est pas difficile de servir le Seigneur. Il suffit d’aimer. Aimer le Dieu vrai, aimer son prochain, quel qu’il soit.
En toute blessure ou fièvre que vous soignerez, j’y serai. En tout malheur que vous soulagerez, je serai là. Et tout ce que vous ferez pour moi envers votre prochain, si c’est bien, c’est à moi que vous le ferez ; et si c’est mal, c’est à moi aussi que vous le ferez. Voulez-vous me faire souffrir ? Voulez-vous perdre le Royaume de paix, votre devenir de dieu, seulement en n’étant pas bons avec votre prochain ?
371.8 Jamais plus, nous ne serons unis ainsi. Il y aura d’autres Pâques… mais nous ne pourrons pas être ensemble pour bien des raisons. La première, à cause d’une prudence, sainte en partie et en partie exagérée — car tout excès est fautif —, qui nous obligera à être séparés. Les autres Pâques encore parce que je ne serai plus avec vous… Mais souvenez-vous de cette journée. Réitérez à l’avenir, et non pas pour la seule Pâque, mais en toute occasion, ce que je vous ai fait faire.
Je ne vous ai jamais bercés de faux espoirs sur la facilité de m’appartenir. M’appartenir, cela veut dire vivre dans la lumière et la vérité, mais aussi manger le pain de la lutte et des persécutions. Donc, plus votre amour sera fort, et plus vous serez résistants dans la lutte et les persécutions.
Croyez en moi, en ce que je suis réellement, Jésus Christ, le Sauveur, dont le Royaume n’est pas de ce monde, dont la venue signifie la paix pour les bons, dont la possession veut dire connaissance et jouissance de Dieu : car, vraiment, celui qui m’a en lui et qui est lui-même en moi est en Dieu, et possède Dieu spirituellement maintenant, puis dans le Royaume céleste pour l’éternité.
La nuit est tombée. Demain, c’est la Parascève. Allez. Purifiez-vous, méditez, faites une Pâque sainte.
Femmes d’une autre nation, et dont l’esprit est droit, allez. Que la bonne volonté qui vous anime vous soit un chemin pour venir à la lumière. Au nom de ceux qui sont pauvres comme je le suis moi-même, je vous bénis pour votre généreuse obole, ainsi que pour vos bonnes dispositions envers l’Homme qui est venu apporter la paix et l’amour sur la terre. Allez ! Et toi, Jeanne, et tous ceux qui ne craignent plus des embûches, allez aussi. »
371.9 Un murmure de stupeur parcourt l’assemblée au départ des Romaines. Flavia, qui avait écrit sur des tablettes de cire les paroles de Jésus, les range dans une bourse et les Romaines prennent congé par un salutation collective. Elles ne sont plus que six, car Egla reste auprès de Marie de Magdala. Jeanne, Jonathas et les serviteurs de Jeanne s’en vont en emportant les enfants endormis dans leurs bras. Or la stupeur est si grande qu’en dehors d’eux personne ne bouge. Mais quand le bruit du portail qui se ferme indique que les Romaines sont sorties, une clameur succède au murmure.
« Mais qui sont-elles ?
– Comment sont-elles parmi nous ?
– Qu’est-ce qu’elles ont fait ? »
Et, plus haut que tous, Judas s’écrie :
« Comment connais-tu, Seigneur, la riche obole qu’elles m’ont donnée ? »
D’un geste, Jésus apaise le tumulte et dit :
« C’est Claudia et ses dames. Et alors que les grandes dames d’Israël, craignant la colère de leurs maris ou avec la même pensée et les mêmes sentiments qu’eux, n’osent venir à ma suite, ces païennes qu’on méprise savent venir, avec de saintes ruses, apprendre la Doctrine qui, même si elle est reçue pour l’instant avec des sentiments humains, sert toujours à les élever… Et cette fillette, qui était esclave, mais de race juive, est la fleur offerte par Claudia aux troupes du Christ, en la rendant à la liberté et en la donnant à la foi du Christ. En ce qui concerne ce que je sais de l’obole… oh, Judas ! Tous, sauf toi, pourraient me poser cette question ! Tu sais que, moi, je vois dans les cœurs.
– Alors tu as vu que j’ai dit la vérité quand j’ai parlé d’un piège que j’ai éventé en allant faire parler… des êtres coupables ?
– C’est vrai.
– Alors dis-le bien fort, pour que ma mère l’entende… Mère, je suis un jeune fou, mais pas un scélérat… Mère, faisons la paix. Comprenons-nous, aimons-nous, unis dans le service de notre Jésus. »
Et Judas, humble et affectueux, va embrasser sa mère qui lui dit :
« Oui, mon fils ! Oui, mon Judas ! Sois bon, sois toujours bon, mon enfant ! Pour toi, pour le Seigneur, pour ta pauvre maman ! »
371.10 Pendant ce temps plusieurs, dans la salle, s’agitent et font des commentaires ; beaucoup déclarent que c’est une imprudence d’avoir accueilli ces Romaines et le reprochent à Jésus.
Judas l’entend, et il quitte sa mère pour défendre le Maître. Il raconte sa conversation avec Claudia et déduit :
« Ce n’est pas une aide méprisable. D’ailleurs, même sans l’avoir reçue auparavant parmi nous, nous n’avons pas évité la persécution. Laissons-la faire. Et rappelez-vous bien qu’il vaut mieux ne pas en parler à qui que ce soit. Pensez que si être amis des païens est dangereux pour le Maître, ça ne l’est pas moins pour nous. Le Sanhédrin qui, au fond, est retenu par peur de Jésus, par un reste de crainte de lever la main sur l’Oint de Dieu, n’aurait pas tant de scrupules à nous tuer comme des chiens, nous qui sommes de pauvres hommes quelconques. Au lieu de prendre cet air scandalisé, rappelez-vous que, tout à l’heure, vous étiez comme autant de moineaux effarouchés, et bénissez le Seigneur de nous aider par des moyens imprévus, illégaux si vous voulez, mais si puissants pour fonder le Royaume du Messie. Nous pourrons tout si Rome nous défend ! Ah ! moi, je n’ai plus peur de rien ! C’est un grand jour qu’aujourd’hui ! Plus que pour toutes les autres raisons, pour celle-là… Ah ! quand tu seras le Chef ! Quel pouvoir doux, fort, béni ! Quelle paix ! Quelle justice ! Le Royaume fort et bienveillant du Juste ! Et le monde qui vient lentement à lui !… Les prophéties qui se réalisent ! Les foules, les nations… le monde à tes pieds ! Ah ! Maître, mon Maître ! Tu seras le Roi, nous tes ministres… Sur la terre la paix, au Ciel la gloire… Jésus Christ de Nazareth, Roi de la race de David, Messie Sauveur, je te salue et je t’adore ! »
Alors Judas, qui semble en extase, se prosterne en concluant :
« Sur la terre, au Ciel et jusque dans les enfers, ton nom est connu et ton pouvoir sans limites. Quelle force peut te résister, ô Agneau et Lion, Prêtre et Roi, aint, saint, saint ? »
Et il reste courbé jusqu’à terre, dans la salle muette de stupeur.