Une initative de
Marie de Nazareth

Au banquet des pauvres dans le palais de Kouza

jeudi 15 mars 29
Jérusalem
Jeanne et Kouza (Lorenzo Ferri, d'après les descriptions de Maria Valtorta)

Vision de Maria Valtorta

       370.1 « Que la paix soit sur cette maison et en toutes les personnes ici présentes. »

       C’est la salutation que Jésus adresse en entrant dans le vaste vestibule très luxueux, tout illuminé bien qu’il fasse encore jour.

       Les lampes ne sont d’ailleurs pas inutiles car, s’il est vrai qu’il fait jour, il est aussi vrai que, dehors, le soleil est éblouissant dans les rues et sur les façades des maisons blanchies à la chaux. Mais ici, dans le vaste et surtout très long corridor qui sert de vestibule et traverse toute la maison, du portail massif au jardin dont on aperçoit au fond la verdure ensoleillée que la perspective fait paraître lointaine, il doit y avoir habituellement une pénombre qui est obscurité pour ceux qui viennent du dehors, les yeux éblouis par le grand soleil.

       Aussi Kouza a-t-il pourvu à ce que les larges et nombreuses poêles de cuivre repoussé, fixées à intervalle régulier sur les deux murs, soient toutes éclairées, ainsi que le lampadaire central, un large bassin d’albâtre rosé avec, encastrées dans la transparence carnée de l’albâtre, des jaspes et autres écailles précieuses et multicolores qui, sous la lumière allumée à l’intérieur, resplendissent comme autant d’étoiles qui projettent des arcs-en-ciel sur les murs peints en bleu foncé, sur les visages, sur le dallage de marbre cipolin. On dirait que de petits éclairs se posent sur les murs, sur les visages, sur le sol, étincelles multicolores, minuscules et mouvantes, car le lampadaire se balance légèrement sous le courant d’air qui traverse le vestibule et qui déplace continuellement les facettes des écailles précieuses.

       « Paix à cette maison » répète Jésus en s’avançant, tout en bénissant sans arrêt les serviteurs courbés jusqu’à terre, les hôtes étonnés d’être rassemblés là, tout près du Rabbi, dans un palais princier…

       370.2 Quels hôtes ! La pensée de Jésus est facile à comprendre. Le festin d’amour qu’il a voulu dans la maison de sa bonne disciple est la mise en œuvre d’une page de l’Evangile. Il y a là des mendiants, des estropiés, des aveugles, des orphelins, des vieillards, des jeunes veuves avec leurs bébés attachés à leurs vêtements ou suçant le lait peu abondant de leur mère mal nourrie. La richesse de Jeanne a déjà pourvu à remplacer les guenilles par des habits modestes, mais propres et neufs. Les chevelures peignées dans un souci prévoyant de netteté, les vêtements frais de ces malheureux — que les serviteurs alignent et aident à gagner leurs places —, leur donnent certainement un aspect moins misérable que celui qu’ils avaient quand Jeanne les a envoyé chercher dans les ruelles, aux carrefours, sur les chemins qui mènent à Jérusalem, là où leur misère honteuse se cachait ou bien s’exposait pour obtenir quelque aumône. Mais à côté de cela, les privations sur les visages, les infirmités des membres, les malheurs, les solitudes dans les regards restent bien visibles…

       Jésus passe et bénit. Chaque malheureux reçoit sa bénédiction et, si la main droite se lève pour bénir, la gauche s’abaisse pour caresser les têtes tremblantes et chenues des vieillards ou les têtes innocentes des enfants. Il parcourt ainsi le vestibule, en allant et venant pour bénir tout le monde, même ceux qui entrent pendant qu’il bénit déjà et qui, encore en haillons, craintifs, timides, se cachent dans un recoin jusqu’à ce que les serviteurs les amènent gentiment ailleurs pour être, comme ceux qui les ont précédés, lavés et habillés de neuf.

       370.3 Une jeune veuve passe avec sa nichée d’enfants… Quelle misère ! Le plus jeune est tout à fait nu, serré dans le voile déchiré de sa mère… les plus grands avec juste ce qu’il faut pour sauvegarder la décence. Seul l’aîné, un garçon efflanqué, porte ce que l’on peut appeler un habit ; en revanche, il va pieds nus.

       Jésus observe et appelle la femme pour lui dire :

       « D’où viens-tu ?

       – De la plaine de Saron, Seigneur. Lévi est devenu majeur… J’ai dû l’accompagner au Temple… moi… puisqu’il n’a plus de père. »

       La femme sanglote sans bruit, de ces larmes silencieuses de ceux qui ont vraiment trop pleuré.

       « Quand ton époux est-il mort ?

       – Il y a eu un an au mois de Shebat. J’étais enceinte depuis deux lunes… » dit-elle en réprimant ses sanglots pour ne pas troubler son bébé et en se penchant sur lui.

       « Le bébé a donc huit mois ?

       – Oui, Seigneur.

       – Que faisait ton mari ? »

       La femme murmure si doucement que Jésus ne comprend pas. Il se penche pour entendre en disant :

       « Répète sans crainte.

       – Il était forgeron dans une maréchalerie… Mais il a été très malade… car il avait des blessures qui s’étaient envenimées. »

       Et elle achève tout bas :

       « C’était un soldat de Rome.

       – Mais toi, tu es du peuple d’Israël ?

       – Oui, Seigneur. Ne me chasse pas pour impureté, comme l’ont fait mes frères quand je suis allée implorer leur pitié après la mort de Cornélius…

       – N’aie pas peur ! Que fais-tu maintenant comme travail ?

       – Je suis servante, quand on veut de moi, glaneuse, laveuse de draps, broyeuse de chanvre… tout… pour leur donner à manger. Lévi va maintenant être paysan… si on veut de lui, car… c’est un bâtard de race.

       – Fais confiance au Seigneur !

       – Si je n’avais pas cru en lui, je me serais tuée avec eux, Seigneur.

       – Va, femme, nous nous reverrons » dit Jésus.

       Et il la congédie.

       370.4 Jeanne, pendant ce temps, est accourue et elle est restée à genoux en attendant que le Maître la voie. Il se retourne en effet, et la salue.

       « Paix à toi, Jeanne ! Tu m’as parfaitement obéi.

       – T’obéir fait ma joie. Mais je n’ai pas été la seule à te procurer “ cette cour ” comme tu le voulais. Kouza m’a aidée de toutes les façons possibles ainsi que Marthe et Marie. Et Elise avec elles. Les uns ont envoyé leurs serviteurs chercher ce qu’il fallait et aider les miens à rassembler les hôtes, d’autres ont aidé les serviteurs et les servantes des bains à laver les “ bien-aimés ”, comme tu les appelles. Maintenant, avec ta permission, je vais donner à tout le monde un peu de nourriture pour qu’ils n’aient pas trop faim en attendant le repas.

       – Fais-le, oui. Où sont les femmes disciples ?

       – Sur la terrasse supérieure où je fais disposer les tables. Est-ce une bonne idée ?

       – Oui, Jeanne. Là-haut, on sera tranquille, aussi bien eux que nous.

       – Oui, c’est ce que j’ai pensé. D’ailleurs, dans aucune autre salle je n’aurais pu faire les préparatifs pour tant de monde… Et je ne voulais pas faire de séparation pour ne pas occasionner jalousies et rancœurs. Les malheureux ont une sensibilité si vive, ils souffrent si facilement !… Ils ne sont qu’une plaie et il suffit d’un regard pour les blesser.

       – Oui, Jeanne. Ton âme est sensible à la pitié, et tu comprends. Que Dieu te récompense pour ta compassion. 370.5 Y a-t-il beaucoup de femmes disciples ?

       – Toutes celles qui étaient à Jérusalem !… Mais… Seigneur… j’ai peut-être commis une faute… Je voudrais te dire quelque chose en secret.

       – Conduis-moi à un endroit isolé. »

       Ils vont, seuls tous les deux, dans une pièce où, à la vue des jouets étalés partout, je comprends que c’est la salle de jeux de Marie et de Matthias.

       « Eh bien, Jeanne ?

       – Ah ! mon Seigneur, j’ai sûrement été imprudente… Mais l’idée m’en est venue, si spontanément, et avec tant d’impétuosité ! Kouza me l’a reproché. Mais maintenant… Au Temple, il est venu un esclave de Plautina avec une tablette. Elle et ses compagnes demandaient s’il était possible de te voir. J’ai répondu : “ Oui, dans l’après-midi, chez moi. ” Elles vont donc venir… Ai-je mal agi ? Oh ! pas à cause de toi !… Mais à cause des autres, pour ceux qui sont tous Israël… et ne sont pas amour comme toi. Si j’ai fait une faute, j’essaierai de réparer… Mais je désire tant que le monde, le monde entier, t’aime, que… que je n’ai pas réfléchi que toi seul au monde es Perfection et qu’il y en a trop peu qui cherchent à te ressembler.

       – Tu as bien fait. Aujourd’hui, je vous prêche à tous par les œuvres. Et la présence des Gentils parmi ceux qui croient en Jésus Sauveur sera l’une des missions que devront accomplir à l’avenir tous ceux qui croient en moi. Où sont les enfants ?

       – Un peu partout, Seigneur » dit en souriant Jeanne, rassurée. Et elle explique : « La fête les excite, et ils courent çà et là comme des oiseaux heureux. »

       Jésus la quitte, revient dans le vestibule, fait un signe aux hommes qui étaient avec lui et se dirige vers le jardin pour monter sur la vaste terrasse.

       370.6 Une joyeuse activité remplit la maison de la cave au toit. C’est un va-et-vient incessant, avec des vivres et de la vaisselle, des paquets de vêtements, des sièges… On accompagne les hôtes, en répondant aux questions toujours dans la bonne humeur et l’amitié.

       Jonathas, solennel dans sa fonction d’intendant, dirige, surveille, conseille inlassablement.

       La vieille Esther, heureuse de voir l’entrain et le bonheur de Jeanne, rit au milieu d’un cercle de pauvres enfants auxquels elle distribue des fouaces tout en racontant des histoires merveilleuses. Jésus s’arrête un moment pour écouter la conclusion magnifique de l’une d’elles, où l’on dit que “ à la bonne Aube-de-Mai, qui jamais ne se révoltait contre le Seigneur malgré les souffrances survenues dans sa maison, Dieu accorda beaucoup de faveurs qui permirent à Aube-de-Mai d’apporter secours et bienfaits même à ses frères. Les anges remplissaient la petite huche, finissaient le travail sur le métier pour servir la bonne fillette en disant : ‘ C’est notre sœur, parce qu’elle aime le Seigneur et son prochain. Il faut que nous l’aidions ’.”

       – Que Dieu te bénisse, Esther ! Je m’arrêterais presque moi aussi pour écouter tes paraboles ! Veux-tu de moi ? dit Jésus en souriant.

       – Oh ! mon Seigneur ! C’est moi qui dois t’écouter, mais pour les tout-petits, je fais encore l’affaire, moi, pauvre vieille sotte !

       – Ton âme juste est utile aux adultes aussi. Continue, continue, Esther… »

       Et il lui sourit en s’éloignant.

       370.7 Dans le vaste jardin, les hôtes sont maintenant dispersés et mangent un casse-croûte, en regardant autour d’eux et en se regardant les uns les autres, stupéfaits… Ils parlent et échangent des commentaires sur ce bonheur inespéré. Mais, en voyant Jésus passer, ils se lèvent s’ils peuvent le faire et se courbent pour adorer.

       « Mangez, mangez en toute liberté et bénissez le Seigneur », dit Jésus en passant pour aller vers les pièces des jardiniers d’où part l’escalier extérieur qui mène à la vaste terrasse.

       370.8 « Oh ! mon Rabbouni ! » s’écrie Marie-Madeleine qui sort en courant d’une salle, les bras chargés de langes et de chemisettes pour les bébés. Sa voix veloutée d’orgue d’or remplit le chemin, ombragé par des festons de roses.

       « Marie, que Dieu soit avec toi. Où vas-tu avec tant de hâte ?

       – Ah ! j’ai dix enfants à vêtir ! Je les ai lavés et maintenant je les habille. Après cela, je te les amènerai, frais comme des fleurs. Je m’enfuis, Maître, car… tu les entends ? On dirait dix agneaux qui bêlent… »

       Là-dessus, elle part en courant et en riant, splendide et sereine dans son vêtement simple et seigneurial de lin blanc, tenu à la taille par une fine ceinture d’argent, les cheveux serrés par un simple nœud sur la nuque et retenus par un ruban blanc noué sur le front.

       « Comme elle est différente de celle qu’elle était sur le Mont des Béatitudes ! » s’exclame Simon le Zélote.

       370.9 Au premier palier de l’escalier, ils rencontrent la fille de Jaïre et Annalia qui descendent si vite qu’elles semblent voler.

       « Maître ! Seigneur ! s’écrient-elles.

       – Que Dieu soit avec vous. Où allez-vous ?

       – Chercher des nappes. C’est la servante de Jeanne qui nous envoie. Tu va parler, Maître ?

       – Bien sûr !

       – Oh ! alors cours, Myriam ! Faisons vite ! dit Annalia.

       – Vous avez tout le temps de faire votre travail. J’attends d’autres personnes. Mais depuis quand, ma fille, t’appelles-tu Myriam ? dit-il en regardant la fille de Jaïre.

       – Depuis aujourd’hui. Depuis maintenant. C’est ta Mère qui m’a donné ce nom. Parce que… n’est-ce pas Annalia ? C’est aujourd’hui un grand jour pour quatre vierges…

       – Oh, oui ! Allons-nous le dire au Seigneur ou en laissons-nous le soin à Marie ?

       – A Marie, à Marie. Va, va, Seigneur. Ta Mère t’en parlera. »

       Et elles partent en courant, dans la première fleur de la jeunesse, avec de belles formes humaines, mais un regard radieux angélique…

       370.10 Ils en sont au troisième palier quand ils rencontrent Elise de Beth-Çur, qui descend gravement avec la femme de Philippe.

       « Ah, Seigneur ! Aux uns tu prends, aux autres tu donnes !… Mais sois-en également béni ! s’écrie cette dernière.

       – De quoi parles-tu, femme ?

       – Tu vas le savoir… Quelle peine et quelle gloire, Seigneur ! Tu me mutiles et me couronnes. »

       Philippe, qui est à côté de Jésus, l’interroge :

       « Que dis-tu ? De quoi tu parles ? Tu es mon épouse et ce qui t’arrive me concerne…

       – Tu vas le savoir, Philippe. Va, va avec le Maître. »

       Entre-temps, Jésus demande à Elise si elle est bien guérie. La femme, à laquelle sa grande douleur d’autrefois a donné une majesté de reine souffrante, dit :

       « Oui, mon Seigneur. Mais ce n’est pas une douleur que de souffrir avec la paix dans le cœur. Et maintenant, j’ai la paix dans le cœur.

       – Et tu vas avoir bientôt davantage.

       – Quoi, Seigneur ?

       – Va et reviens, et tu le sauras.

       370.11 – Voilà Jésus ! Voilà Jésus ! » crient les deux enfants, qui ont le visage appuyé contre la balustrade ornée d’arabesques qui borde la terrasse des deux côtés qui donnent sur le jardin, et de laquelle descendent des branches de rosiers et de jasmins en fleurs : c’est en effet un vaste jardin suspendu sur lequel, en cette heure ensoleillée, on a étendu un voile multicolore.

       Toutes les personnes occupées aux préparatifs sur la terrasse se retournent au cri de Marie et de Matthias et, laissant ce qu’elles faisaient, elles vont à la rencontre de Jésus aux genoux de qui sont déjà accrochés les deux enfants.

       Jésus salue les nombreuses femmes qui se pressent. Aux disciples proprement dites ou aux femmes, filles, ou sœurs des apôtres et des disciples, se mêlent d’autres moins connues, moins intimes, telles que l’épouse de Simon — le cousin de Jésus — ; les mères des âniers de Nazareth ; la mère d’Abel de Bethléem de Galilée ; Anne, femme de Jude (la maison près du lac Mérom) ; Marie, femme de Simon, la mère de Judas de Kérioth ; Noémi d’Ephèse ; Sarah et Marcelle de Béthanie (Sarah est la femme que Jésus a guérie sur le Mont des Béatitudes et qu’il a envoyée chez Lazare avec le vieil Ismaël. Elle me semble être maintenant servante de Marie, sœur de Lazare) ; puis la mère de Jaia ; la mère de Philippe d’Arbel ; Dorca, la jeune mère de Césarée de Philippe, et sa belle-mère ; la mère d’Annalia ; Marie de Bozra, la lépreuse miraculée venue avec son mari à Jérusalem ; et d’autres encore que je connais de vue, mais dont je ne puis me rappeler exactement les noms.

       Jésus pénètre sur la vaste terrasse rectangulaire qui donne d’un côté sur le Siste. Il va se placer près de la pièce sur laquelle débouche l’escalier intérieur, et qui ressemble à un cube de faible hauteur situé à l’angle nord de la terrasse. Jérusalem se montre tout entière, et avec elle ses alentours immédiats. C’est une vue extraordinaire. Toutes les disciples, toutes les femmes même, quittent le travail des tables pour se serrer autour de lui. Les serviteurs continuent leur travail.

       370.12 Marie se tient auprès de son Fils. Dans la lumière dorée qui filtre à travers le grand voile étendu sur une bonne partie de la terrasse et qui prend une délicate couleur émeraude là où, pour arriver à la vue, elle doit passer à travers un massif de jasmins et de rosiers disposés pour faire une tonnelle, Marie paraît encore plus jeune et plus agile ; on dirait une sœur des plus jeunes disciples, à peine plus âgée, et belle, belle comme la plus splendide des roses épanouies dans le jardin suspendu, dans les vasques disposées tout autour qui contiennent des rosiers, des jasmins, des muguets, des lys et autres plantes merveilleuses.

       « Mère, mon épouse a parlé d’une étrange façon !… Qu’est-ce qui est arrivé pour qu’elle puisse se dire à la fois mutilée et couronnée ? » demande Philippe, qui brûle de le savoir.

       Marie sourit doucement en le dévisageant et elle, qui est si rétive à la confidence, lui prend la main en disant :

       « Serais-tu capable, toi, de donner à mon Jésus ce qui t’est le plus cher ? Vraiment, tu le devrais… parce que lui te donne le Ciel et le chemin pour y aller.

       – Mais certainement, Mère, je le saurais… surtout si je savais que ce que je lui donnerais pouvait le rendre heureux.

       – Il l’a, Philippe : ta seconde fille[15] se consacre elle aussi au Seigneur. Elle l’a dit tout à l’heure, à sa mère et à moi, en présence de nombreuses disciples…

       – Toi ! ? Toi ! ? » demande Philippe, ébahi, en désignant une gentille enfant qui se serre contre Marie comme pour qu’elle la protège. L’apôtre a du mal à avaler ce second coup qui le prive pour toujours de l’espoir d’une descendance. Il essuie la sueur soudaine que la nouvelle lui a causée… Il tourne les yeux vers ceux qui l’entourent. Il lutte… Il souffre.

       La jeune fille gémit :

       « Père… ton pardon… et ta bénédiction… »

       Et elle glisse à ses pieds.

       Philippe caresse machinalement ses cheveux châtains et s’éclaircit la gorge qui se serre. Enfin il parle :

       « On pardonne aux enfants qui pèchent… Toi, tu ne pèches pas en te consacrant au Maître… et… et… ton pauvre père ne peut que te dire… que te dire : “ Sois bénie ”… Ah ! ma fille, ma fille !… Comme la volonté de Dieu est à la fois douce et terrible ! »

       Puis il se penche, la relève, l’étreint, lui dépose un baiser sur le front, sur les cheveux, en pleurant… après quoi, la tenant encore dans ses bras, il se dirige vers Jésus et lui dit :

       « Moi, je l’ai engendrée, mais toi, tu es son Dieu… Ton droit est plus grand que le mien… Merci… merci, Seigneur, de la… de la joie que… »

       Il ne peut poursuivre. Il tombe à genoux aux pieds de Jésus et se baisse pour embrasser ses pieds en gémissant :

       « Jamais plus, jamais plus de petits-enfants… C’était mon rêve !… Le sourire de ma vieillesse !… Pardonne-moi ces larmes, mon Seigneur… Je suis un pauvre homme…

       – Relève-toi, mon ami, et sois heureux de donner les prémices aux parterres angéliques. 370.13 Viens. Viens ici, entre ma Mère et moi. Apprenons d’elle comment la chose est arrivée parce que, je te l’assure, je n’y suis pour rien. »

       Marie explique :

       « Moi aussi, je sais peu de chose. Nous parlions entre femmes et, comme cela arrive souvent, on m’interrogeait sur mon vœu de virginité. On me demandait encore comment seraient les futures vierges, quelles fonctions, quelles gloires je prévoyais pour elles. Je répondais comme je sais… Et pour l’avenir, je prévoyais une vie de prière, de consolation pour les souffrances que le monde causera à mon Jésus. Je disais : “ Ce seront les vierges qui soutiendront les apôtres, qui laveront le monde souillé en le revêtant et en le parfumant de leur pureté. Elles seront les anges qui chanteront les louanges pour couvrir les blasphèmes. Jésus en sera heureux, il accordera des grâces au monde, et il fera miséricorde grâce à ces agnelles disséminées parmi les loups…” Et je disais d’autres choses encore. Ce fut alors que la fille de Jaïre me demanda : “ Donne-moi un nom, Mère, pour mon avenir de vierge, car je ne puis permettre qu’un homme jouisse de ce corps qui a été ranimé par Jésus. C’est à lui seul qu’appartient mon corps jusqu’à ce que parviennent ma chair au tombeau et mon âme au Ciel ” ; et Annalia dit : “ Moi aussi, j’ai pensé le faire. Et aujourd’hui, je suis plus légère que l’hirondelle, car j’ai rompu tout lien. ” C’est alors que ta fille, Philippe, est intervenue : “ Moi aussi, je serai comme vous. Vierge pour l’éternité ! ” Sa mère — la voilà qui arrive — lui fit observer qu’on ne peut prendre ainsi une telle décision. Mais elle n’a pas changé d’avis. A ceux qui lui demandaient s’il y avait longtemps qu’elle y pensait, elle répondait “ non ”, et à ceux qui voulaient savoir comment cela lui était venu, elle assurait : “Je l’ignore. C’est comme une flèche de lumière qui m’a traversé le cœur, et j’ai compris de quel amour j’aime Jésus”. »

       L’épouse de Philippe demande à son mari :

       « Tu as entendu ?

       – Oui, femme, ma chair gémit… or elle devrait chanter parce que cela, c’est notre glorification. Elle, notre lourde chair, a engendré deux anges. Ne pleure pas, femme. Tu l’as dit précédemment : il t’a couronnée… La reine ne pleure pas quand elle reçoit le diadème… »

       Mais Philippe pleure encore 370.14 ainsi qu’un certain nombre d’hommes et de femmes, maintenant que tous sont rassemblés là-haut. Marie, femme de Simon, fond en larmes dans un coin… Marie de Magdala pleure dans un autre, en tiraillant le lin de son vêtement dont elle arrache machinalement des fils à la bordure qui l’orne. Anastasica pleure en essayant de cacher de la main son visage en larmes.

       « Pourquoi pleurez-vous ? » demande Jésus.

       Personne ne répond. Le Seigneur appelle Anastasica et l’interroge de nouveau. Elle répond :

       « Parce que, Seigneur, pour une joie nauséabonde éprouvée une seule nuit, j’ai perdu d’être une de tes vierges.

       – Tout état est bon, lorsqu’on y sert le Seigneur. Dans la future Eglise, il faudra des vierges et des femmes mariées, toutes utiles au triomphe du Royaume de Dieu dans le monde et au travail de leurs frères prêtres. 370.15 Elise de Beth-Çur, viens ici. Console cette femme qui n’est guère qu’une enfant… »

       Et, de sa main, il met Anastasica dans les bras d’Elise. Il les observe pendant qu’Elise la caresse et que l’autre s’abandonne dans ces bras maternels, puis il demande :

       « Elise, connais-tu son histoire ?

       – Oui, Seigneur. Et elle me fait beaucoup de peine, cette pauvre colombe sans nid.

       – Elise, aimes-tu cette sœur ?

       – L’aimer ? Beaucoup, mais pas comme une sœur. Elle pourrait être ma fille. Et maintenant que je la tiens dans mes bras, il me semble redevenir la mère heureuse d’autrefois. A qui vas-tu confier cette douce gazelle ?

       – A toi, Elise.

       – A moi ? »

       La femme desserre le cercle de ses bras pour regarder le Seigneur, incrédule…

       « A toi. Tu ne veux pas d’elle ?

       – Oh, Seigneur ! Seigneur ! Seigneur ! »…

       Elise, à genoux, rampe vers Jésus, et elle ne sait que dire, de quelle manière, ni que faire pour exprimer sa joie.

       « Lève-toi, sois pour elle, saintement, une mère, et qu’elle soit pour toi saintement une fille. Progressez toutes deux sur le chemin du Seigneur. 370.16 Marie, sœur de Lazare, pourquoi pleures-tu, toi qui était si gaie, il y a un instant ? Où sont les dix fleurs que tu voulais m’apporter ?

       – Ils dorment, rassasiés, dans la propreté, Maître… Et moi je pleure, parce que jamais plus je n’aurai la pureté des vierges et mon âme toujours pleurera, jamais satisfaite… parce que j’ai péché…

       – Mon pardon et tes larmes te rendent plus pure qu’elles. Viens ici, ne pleure plus. Laisse les larmes à ceux qui doivent avoir honte de quelque chose. Allons, va prendre tes fleurs. Allez-y, vous aussi, épouses et vierges. Allez dire aux hôtes de Dieu de monter. Il faut les congédier avant la fermeture des portes, car beaucoup d’entre eux sont disséminés à travers la campagne. »

       Ils partent, obéissants, laissant seulement sur la terrasse à sa place Jésus, qui caresse Marie et Matthias, Elise et Anastasica qui, un peu plus loin, se tiennent par la main en se regardant dans les yeux avec un sourire qui éclaire une larme de joie, Marie, femme de Simon, sur laquelle se penche avec pitié Marie la très sainte ; et Jeanne qui se tient sur le seuil de la porte, incertaine, et regarde un peu dedans, un peu dehors, vers Jésus. Les apôtres et les disciples sont descendus en même temps que les femmes pour aider les serviteurs à transporter les estropiés, les aveugles, les boiteux, les bossus, les vieillards, par le long escalier.

       370.17 Jésus relève la tête, qu’il tenait penchée sur les deux enfants, et voit Marie inclinée sur la mère de Judas. Il se lève et s’avance vers elles. Il pose sa main sur la tête grisonnante de Marie, femme de Simon :

       « Pourquoi pleures-tu, femme ?

       – Ah ! Seigneur, Seigneur ! J’ai enfanté un démon ! Aucune mère en Israël ne souffrira autant que moi !

       – Marie, une autre mère[16], et pour le même motif que toi, m’a dit ces mêmes paroles. Pauvres mères !…

       – Ah ! mon Seigneur, il y en a donc un autre qui, comme mon Judas, est perfide et criminel à ton égard ? Ce n’est pas possible ! Lui, qui te possède, s’est livré à des pratiques immondes. Lui, qui respire ton haleine, est luxurieux et voleur, et peut-être deviendra-t-il homicide. Lui… Sa pensée est mensonge ! Sa vie est une fièvre. Fais-le mourir, Seigneur ! Par pitié ! Fais-le mourir !

       – Marie, ton cœur te le montre pire qu’il n’est. La peur te rend folle. Mais calme-toi et raisonne. Quelles preuves as-tu de son inconduite ?

       – A ton égard, rien. Mais c’est une avalanche qui descend. Je l’ai surpris et il n’a pas pu cacher les preuves qui… Le voilà… Par pitié, tais-toi ! Il me regarde, il soupçonne. C’est ma douleur. Aucune mère n’est plus malheureuse que moi en Israël… »

       Marie murmure :

       « Moi… Car à ma douleur, je joins celle de toutes les mères malheureuses… Et ma douleur me vient de la haine, non d’un seul, mais de tout un monde. »

       370.18 Appelé par Jeanne, Jésus va la trouver. Pendant ce temps, Judas s’avance vers sa mère, que Marie réconforte encore, et il l’apostrophe :

       « Tu as pu dire tous tes délires ? Me calomnier ? Tu es contente, maintenant ?

       – Judas ! Est-ce ainsi que tu parles à ta mère ? » demande sévèrement Marie.

       C’est la première fois que je la vois ainsi…

       « Oui, parce que je suis las de sa persécution.

       – Oh ! mon fils, ce n’est pas une persécution, c’est de l’amour ! Tu prétends que je suis malade, mais c’est toi qui l’es ! Tu dis que je te calomnie et que j’écoute tes ennemis. Mais c’est toi qui te fais tort, tu suis et fréquentes des personnes néfastes qui t’entraîneront. C’est que tu es un faible, mon fils, et ils s’en sont aperçu… Crois-en ta mère. Ecoute Ananias, qui est âgé et sage. Judas ! Judas ! Aie pitié de toi, de moi ! Judas ! Où vas-tu, Judas ? »

       Judas, qui traverse la terrasse presque en courant, se retourne et hurle :

       « Là où je suis utile et vénéré ! »

       Et il dévale l’escalier tandis que sa malheureuse mère, se penchant sur le parapet, lui crie :

       « N’y va pas ! N’y va pas ! Ils veulent ta ruine ! Mon fils ! Mon fils ! Mon fils !… »

       Judas est arrivé en bas, et les arbres le cachent à la vue de sa mère. Il réapparaît un instant dans un espace vide avant d’entrer dans le vestibule.

       « Il est parti !… L’orgueil le dévore ! gémit sa mère.

       – Prions pour lui, Marie. Prions toutes deux ensemble… » dit la Vierge en tenant par la main la triste mère du futur déicide.

       370.19 Pendant ce temps, les hôtes commencent à monter… et Jésus parle avec Jeanne.

       « Bon, qu’elles viennent donc. C’est bien qu’elles aient pris des vêtements juifs, pour ne pas heurter les préventions de certains. Je les attends ici. Va les appeler. »

       Adossé à l’huisserie, il observe l’afflux des convives que les apôtres et les disciples — hommes et femmes — guident affectueusement selon un ordre préétabli. Au milieu se trouve la table basse des enfants puis, de part et d’autre, toutes les autres disposées parallèlement.

       Mais tandis que les aveugles, les boiteux, les bossus, les estropiés, les vieillards, les veuves, les mendiants prennent place avec leurs douloureuses histoires imprimées sur le visage, voilà qu’on apporte, gracieux comme des paniers de fleurs, des corbeilles transformées en berceaux et jusqu’à de petits coffres dans lesquels, étendus sur des coussins, dorment de jeunes bébés repus pris à leurs mères mendiantes. Et Marie de Magdala, rassérénée, court vers Jésus en disant :

       « Les fleurs sont arrivées. Viens les bénir, mon Seigneur. »

       Mais, en même temps, Jeanne arrive par l’escalier intérieur en disant :

       « Maître, voici les disciples païennes. »

       Ce sont sept femmes, vêtues d’habits modestes et foncés, semblables à ceux des juifs. Elles ont toutes le visage voilé et un manteau les couvre jusqu’aux pieds.

       Deux sont grandes et majestueuses, les autres de taille moyenne. Mais quand, après avoir vénéré le Maître, elles retirent leurs manteaux, il est facile de reconnaître Plautina, Lydia, Valéria, Flavia l’affranchie — celle qui a écrit les paroles de Jésus dans le jardin de Lazare —, auxquelles s’ajoutent trois inconnues. L’une d’elles, au regard habitué au commandement, s’agenouille pourtant en disant au Seigneur :

       «  Avec moi, c’est Rome qui se prosterne à tes pieds. » 

       Il y a également une forte matrone d’environ cinquante ans, et enfin une toute jeune femme élancée et sereine comme une fleur des champs.

       Marie de Magdala reconnaît les Romaines malgré leurs vêtements juifs et, les yeux écarquillés, murmure :

       « Claudia !

       – C’est bien moi. J’en ai assez d’entendre par la parole d’autrui ! Il faut atteindre la vérité et la sagesse directement à la source.

       – Crois-tu qu’ils vont nous reconnaître ? demande Valéria à Marie de Magdala.

       – Si vous ne vous trahissez pas en disant vos noms, je ne crois pas. Du reste, je vais vous placer à un endroit sûr.

       – Non, Marie. Aux tables, pour servir les mendiants. Personne ne pourra penser que ce sont des patriciennes qui servent les pauvres, les plus petits du monde juif, dit Jésus.

       – C’est une bonne idée, Maître, car l’orgueil est inné en nous.

       – Et l’humilité est le signe le plus clair de ma doctrine. Qui veut me suivre doit aimer la vérité, la pureté et l’humilité, avoir de la charité pour tous, et de l’héroïsme pour défier l’opinion des hommes et les pressions des tyrans. Allons-y.

       – Pardon, Rabbi. Cette fillette est une esclave, fille d’esclaves. Je l’ai rachetée parce qu’elle est d’origine israélite et Plautina la garde avec elle. Mais je te l’offre, en pensant bien faire. Son nom est Egla. Elle t’appartient.

       – Marie, accueille-la. Nous réfléchirons plus tard… Merci, femme. »

       370.20 Jésus va sur la terrasse pour bénir les enfants. Les dames éveillent une grande curiosité, mais aucun soupçon, ainsi habillées et coiffées à l’hébraïque, en vêtements presque pauvres. Jésus va au milieu de la terrasse, près de la table des enfants, et il prie, offrant pour tous la nourriture au Seigneur, il bénit et donne l’ordre de commencer le repas.

       Apôtres, disciples, dames, sont serviteurs des pauvres. Jésus donne l’exemple en retroussant les larges manches de son vêtement rouge et en s’occupant de ses enfants, aidé en cela par Myriam, fille de Jaïre, et par Jean.

       Les bouches de tous travaillent remarquablement, mais tous les regards sont tournés vers le Seigneur. Le soir arrive, et on retire le voile pendant que les serviteurs apportent les lampes, encore superflues.

       Jésus passe au milieu des tables. Il n’en laisse aucune sans un mot d’encouragement et sans aide. Il frôle ainsi plusieurs fois les royales Claudia et Plautina qui partagent humblement le pain et portent le vin aux lèvres des aveugles, des paralytiques, des manchots ; il sourit à ses vierges qui s’occupent des femmes ; aux mères disciples toutes pleines de pitié auprès des malheureux ; à Marie de Magdala qui se prodigue à une tablée de pauvres vieux, la plus triste de toutes, pleine de tousseurs, de gens qui tremblent, de mâchoires édentées qui mâchonnent et de bouches qui bavent ; et il aide Matthieu qui secoue un enfant qui a avalé de travers un morceau de fouace qu’il suçait et mordait avec ses nouvelles dents ; il complimente Kouza qui, arrivé au début du repas, découpe les viandes et s’en tire comme un serviteur expérimenté.

       Le repas prend fin. Sur les visages rougis, dans les regards plus joyeux, on voit clairement la satisfaction des pauvres gens.

       370.21 Jésus se penche sur un vieil homme secoué par un tremblement :

       « A quoi penses-tu, père, toi qui souris ?

       – Je pense que, vraiment, ce n’est pas un rêve. Il y a encore un instant, je croyais dormir et rêver. Mais maintenant, je sens que c’est vrai. Mais qui donc te rend si bon, toi, qui rends si bons tes disciples ? Vive Jésus ! » s’écrie-t-il pour finir.

       Et toutes les voix de ces pauvres — et il y en a des centaines — crient :

       « Vive Jésus ! »

       Jésus se rend de nouveau au milieu et il ouvre les bras pour faire signe de se taire et de rester en place. Il commence à parler en s’asseyant, un petit enfant sur ses genoux.

       « Vive, oui, vive Jésus, non parce que c’est moi qui suis Jésus. Mais parce que Jésus veut dire l’amour de Dieu fait chair et descendu parmi les hommes pour être connu et pour faire connaître l’amour qui sera le signe de la nouvelle ère. Vive Jésus, parce que Jésus veut dire “ Sauveur ”. Et c’est moi qui vous sauve. Je vous sauve tous, riches et pauvres, enfants et vieillards, juifs et païens, tous, pourvu que vous vouliez me donner la volonté d’être sauvés. Jésus est pour tous. Il n’est pas pour tel ou tel. Jésus appartient à tous. Il appartient à tous les hommes et il est pour tous les hommes. C’est pour tous que je suis l’Amour miséricordieux et le Salut assuré. Qu’est-il besoin de faire pour appartenir à Jésus, et donc pour obtenir le salut ? Peu de choses, mais de grandes choses. Non pas grandes car difficiles comme celles qu’accomplissent les rois, mais grandes parce qu’elles veulent que l’homme se renouvelle pour les faire et pour devenir la possession de Jésus. Par conséquent amour, humilité, foi, résignation, compassion. Voilà tout. Vous, qui êtes disciples, qu’avez-vous fait aujourd’hui de grand ? Vous direz : “ Rien. Nous avons servi un repas. ” Non, vous avez servi l’amour. Vous vous êtes humiliés. Vous avez traité en frères des inconnus de toutes races, sans demander qui ils sont, s’ils sont en bonne santé, s’ils sont bons. Et vous l’avez fait au nom du Seigneur. Peut-être espériez-vous de moi de grands discours pour vous instruire. Je vous ai fait accomplir de grandes actions. Nous avons commencé cette journée par la prière, nous sommes venus à l’aide des lépreux et des mendiants, nous avons adoré le Très-Haut dans sa Maison, nous avons commencé les agapes fraternelles et le soin des pèlerins et des pauvres, nous avons servi parce que, servir par amour, c’est être semblable à moi qui suis le Serviteur des serviteurs de Dieu, Serviteur jusqu’à l’anéantissement de la mort pour vous procurer le salut… »

       370.22 Un cri et un bruit de pas interrompent Jésus. Un groupe de juifs forcenés monte l’escalier en courant. Les Romaines les plus connues, c’est-à-dire Plautina, Claudia, Valéria et Lydia, se mettent à l’ombre en baissant leurs voiles. Les perturbateurs font irruption sur la terrasse et semblent chercher je ne sais quoi. Kouza, offensé, va au devant d’eux et leur demande :

       « Que voulez-vous ?

       – Rien qui te concerne. Nous cherchons Jésus de Nazareth, pas toi.

       – Me voici. Ne me voyez-vous pas ? demande Jésus en posant l’enfant par terre et en se levant, imposant.

       – Que fais-tu ici ?

       – Vous pouvez le constater : je fais ce que j’enseigne et j’enseigne ce qu’il faut pratiquer, c’est-à-dire l’amour envers les plus pauvres. Qu’est-ce qu’on vous a dit ?

       – On a entendu des cris séditieux et, comme, là où tu es, il y a des troubles, nous sommes venus voir.

       – Là où je suis, c’est la paix. On criait : “ Vive Jésus. ”

       – Justement. On a pensé, aussi bien au Temple qu’au palais d’Hérode, qu’ici on conjurait contre…

       – Qui ? Contre qui ? Qui est roi en Israël ? Pas le Temple, pas Hérode. C’est Rome qui domine et bien fou est celui qui pense à se faire roi là où elle commande.

       – Toi, tu dis que tu es roi.

       – Je suis Roi, mais pas de ce royaume-là. Il est trop sordide pour moi ! L’empire lui aussi est trop sordide. Je suis le Roi du Royaume saint des Cieux, du Royaume de l’Amour et de l’Esprit. Allez en paix, ou restez si vous voulez et apprenez comment on arrive à mon Royaume. Mes sujets, les voilà : les pauvres, les malheureux, les opprimés, et puis les bons, les humbles, les charitables. Restez, joignez-vous à eux.

       – Pourtant, tu es toujours à banqueter dans des maisons luxueuses, au milieu de belles femmes et…

       – Cela suffit ! On ne fait pas d’insinuations contre le Rabbi et on ne l’offense pas dans ma maison. Sortez ! » tonne Kouza.

       370.23 Mais par l’escalier intérieur bondit sur la terrasse une jolie silhouette de jeune fille voilée. Légère comme un papillon, elle s’élance vers Jésus et, là, elle jette son voile et son manteau pour tomber à ses pieds et essayer de les lui baiser.

       « Salomé ! » s’écrie Kouza avec des autres.

       Jésus s’est retiré si vivement pour fuir son contact que son siège se renverse, et il en profite pour en faire une séparation entre lui et Salomé. Ses yeux font peur tant ils sont phosphorescents, terribles.

       Salomé, agile et effrontée, toute cajoleries, dit :

       « Oui, c’est moi. L’acclamation est parvenue au Palais. Hérode envoie une ambassade pour dire qu’il veut te voir. Mais je l’ai précédée. Viens avec moi, Seigneur. Je t’aime tant et je te désire tant ! Je suis moi aussi chair d’Israël.

       – Rentre chez toi.

       – La Cour t’attend pour te faire honneur.

       – Ma Cour, la voilà. Je ne connais pas d’autre cour, ni d’autres honneurs. »

       Et de la main, il montre les pauvres assis aux tables.

       – Je t’apporte des cadeaux pour elle. Voici mes bijoux.

       – Je n’en veux pas.

       – Pourquoi les refuses-tu ?

       – Parce qu’ils sont impurs et donnés dans une intention impure. Va-t’en ! »

       Interdite, Salomé se relève. Elle regarde à la dérobée le Terrible, le Très-Pur qui la foudroie de son bras tendu et de son regard de feu. Elle porte furtivement les yeux sur l’assistance, et elle voit moquerie ou nausée sur les visages. Les pharisiens sont pétrifiés et ils observent cette scène d’une grande intensité. Les Romaines osent avancer pour mieux voir.

       Salomé tente un dernier essai :

       « Tu approches même les lépreux… dit-elle, humble et suppliante.

       – Ce sont des malades. Toi, tu es une impudique. Va-t’en ! »

       La dernière injonction est si tonitruante que Salomé ramasse voile et manteau et, penchée, rampante, se dirige vers l’escalier.

       « Attention, Seigneur !… Elle est puissante… Elle pourrait te nuire » murmure Kouza à voix basse.

       Mais Jésus répond d’une voix très forte afin que tous puissent entendre, à commencer par celle qu’il chasse :

       « Peu importe. Je préfère être tué que de faire alliance avec le vice. Sueur de femme lascive et or de courtisane sont des poisons d’enfer. S’allier par lâcheté aux puissants est une faute. Je suis Vérité, Pureté et Rédemption. Et je ne change pas. Va. Raccompagne-la…

       – Je punirai les serviteurs qui l’ont laissée passer.

       – Tu ne puniras personne. Une seule mérite d’être châtiée : elle-même, et elle l’est. Et qu’elle sache, et vous aussi, que ses pensées me sont connues et que j’en éprouve du dégoût. Que le serpent retourne à son trou. L’Agneau revient à ses jardins. »

       Il s’assied. Il transpire. Il se tait. 370.24 Puis il reprend :

       « Jeanne, donne à chacun une obole pour que leur vie soit moins triste pendant quelques jours… Que dois-je faire d’autre, enfants de la douleur ? Que voulez-vous, que je puisse vous donner ? Je lis dans les cœurs. Aux malades qui savent croire, paix et santé ! »

       Une pause d’un instant, puis un cri… et nombreux, très nombreux, sont ceux qui se lèvent guéris. Les juifs, venus pour surprendre Jésus, s’en vont abasourdis et négligés dans le délire général d’acclamations pour les miracles et la pureté de Jésus.

       Jésus sourit en embrassant les enfants, puis il congédie les convives en retenant les veuves et il parle à Jeanne en leur faveur. Jeanne en prend note et les invite pour le lendemain. Puis elles aussi s’en vont. Les vieillards sont les derniers à partir…

       Il reste les apôtres, les disciples et les Romaines. Jésus dit :

       « Ainsi doit être l’union à l’avenir. Pas besoin de mots, ce sont les actes qui parlent aux âmes et aux intelligences par leur évidence. Que la paix soit avec vous. »

       Il se dirige vers l’escalier intérieur et disparaît, suivi de Jeanne puis des autres.

       370.25 Au bas de l’escalier, il rencontre Judas :

       « Maître, ne va pas à Gethsémani ! Il y a là des ennemis qui te cherchent. Et toi, mère, que dis-tu maintenant ? Toi qui m’accuses ! Si je n’y étais pas allé, je n’aurais pas appris le piège tendu au Maître. Dans une autre maison ! Allons dans une autre maison !

       – Chez nous, alors. Chez Lazare n’entre que celui qui est ami de Dieu, dit Marie de Magdala.

       – Oui. Que ceux qui hier étaient à Gethsémani viennent au palais de Lazare avec ses sœurs. Demain, nous pourvoirons. »

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