Une initative de
Marie de Nazareth

Le jeune Jaias

lundi 26 février 29
Pella

Vision de Maria Valtorta

       358.1 La route qui mène de Gadara à Pella traverse une région fertile qui s’étend entre deux rangées de collines, l’une plus haute que l’autre. On dirait deux énormes marches d’un escalier de géants fabuleux pour monter de la vallée du Jourdain aux monts de l’Auran. Quand la route s’approche davantage de la marche occidentale, l’œil domine non seulement les monts de l’autre rive — je crois que ce sont ceux de Galilée méridionale et certainement ceux de Samarie — mais aussi la splendide étendue de verdure qui longe les deux rives du fleuve bleu. Quand elle s’en écarte, et se rapproche des chaînes orientales, alors le regard perd de vue la vallée du Jourdain, mais il aperçoit encore les cimes des chaînes de Samarie et de Galilée qui se détachent avec leur végétation sur le ciel gris.

       Par temps de soleil, ce serait un beau panorama aux jolies teintes vives. Aujourd’hui le ciel reste décidément couvert de nuages bas, amoncelés par le sirocco qui souffle de plus en plus fort et forme de nouveaux amas de nuages plus épais, abaissant d’autant le ciel sous toute cette ouate grise ébouriffée. Le spectacle perd ainsi la luminosité des couleurs vertes qui semblent atténuées comme par l’opacité du brouillard.

       Ils traversent quelques petits villages sans qu’il n’arrive rien de notable. L’indifférence accueille et suit le Maître. Seuls les mendiants ne manquent pas de s’intéresser au groupe des pèlerins galiléens et viennent demander l’aumône. Il y a toujours les habituels aveugles dont, pour la plupart, les yeux sont détruits par le trachome, ou les malvoyants qui marchent la tête baissée, supportant mal la lumière, rasant les murs, parfois seuls, parfois accompagnés d’une femme ou d’un enfant. Dans un village où la route de Pella croise celle qui mène à Gérasa et à Bozra par le lac de Tibériade, il y en a toute une foule qui assaille les caravanes de ses lamentations semblables à des jappements de chiens, interrompus de temps à autre par de véritables hurlements. Ils sont à l’écoute – groupe miséreux, sale, fatigué –, adossés aux murs des premières maisons, grignotant des croûtes de pain et des olives, ou sommeillant, tandis que les mouches se repaissent à l’aise sur les paupières ulcérées ; mais au premier bruit de sabots ou de pas nombreux, ils se lèvent et se dirigent, tels le chœur des va-nu-pieds d’une tragédie antique, proférant tous les mêmes paroles et faisant les mêmes gestes, vers les gens qui arrivent. Quelques pièces de monnaie ou quignons de pain volent, et les aveugles ou malvoyants cherchent à tâtons dans la poussière ou dans les ordures pour trouver l’obole.

       358.2 Jésus les observe et dit à Simon le Zélote et à Philippe :

       « Apportez-leur de l’argent et du pain. Judas a l’argent et Jean le pain. »

       Pressés de faire ce qui leur a été ordonné, les deux apôtres vont de l’avant et s’arrêtent pour parler, pendant que Jésus s’avance lentement, retardé par une file d’ânes qui barrent le chemin.

       Les mendiants sont étonnés par la salutation et la grâce avec lesquelles ils sont accueillis et secourus par les arrivants. Ils demandent :

       « Qui êtes-vous, pour vous montrer si aimables à notre égard ?

       – Les disciples de Jésus de Nazareth, le Rabbi d’Israël, celui qui aime les pauvres et les malheureux parce qu’il est le Sauveur, et qui passe en annonçant la Bonne Nouvelle et en faisant des miracles.

       – Le miracle, le voilà » dit un homme aux paupières atrocement dévastées.

       Et il frappe sur son morceau de pain, en véritable animal qui ne comprend et n’admire que les choses matérielles.

       Une femme qui passe avec des brocs de cuivre et qui l’entend, lui dit :

       « Tais-toi donc, dégoûtant paresseux. »

       Et elle se tourne vers les disciples :

       « Il n’est pas d’ici. Il est bagarreur et violent avec ses semblables. Il faudrait le chasser car il vole les pauvres du village. Mais nous avons peur de ses vengeances. »

       Et plus bas, avec à peine un filet de voix, elle murmure :

       « On dit que c’est un voleur qui a dévalisé et tué pendant des années, en descendant des monts de Caracamoab et de Séla, que les troupes d’occupation qui surveillent les chemins des déserts appellent maintenant Pétra. On dit que c’est un soldat déserteur des troupes de ce Romain qui est venu là… pour faire connaître Rome… Hélios, me semble-t-il, et un autre nom encore… Si vous le faites boire, il va vous raconter… Maintenant qu’il est aveugle, il est arrivé ici… C’est lui, le Sauveur ? demande-t-elle ensuite en montrant Jésus qui est passé tout droit.

       – C’est lui. Tu veux lui parler ?

       – Oh, non ! » dit la femme, indifférente.

       Les deux apôtres la saluent et vont rejoindre le Maître.

       358.3 Mais un tumulte se produit chez les aveugles et on entend une plainte qui pourrait être celle d’un enfant. Plusieurs se retournent et la femme de tout à l’heure, qui est sur le seuil de sa maison, explique :

       « Ce doit être ce misérable qui soutire leurs pièces de monnaie aux plus faibles. Il le fait toujours. »

       Même Jésus s’est retourné pour regarder. En effet, un enfant, ou plutôt un adolescent, sort du groupe tout couvert de sang et en pleurs, et il se lamente :

       « Il m’a tout pris ! Et maman n’a plus de pain ! »

       Les uns le plaignent, d’autres rient.

       « Qui est-ce ? demande Jésus à la femme.

       – Un enfant de Pella. Pauvre. Il vient mendier. Ils sont tous aveugles à la maison. Ils se sont transmis la maladie. Le père est mort, la mère reste à la maison, l’enfant quémande l’obole aux passants et aux paysans. »

       Le garçon s’avance avec son bâton. Il se sert de son manteau déchiré pour essuyer ses larmes et le sang qui coule de son front.

       La femme l’appelle :

       « Arrête-toi, Jaias. Je vais te laver le front et te donner un pain !

       – J’avais de l’argent et du pain pour plusieurs jours ! Maintenant, je n’ai plus rien ! Maman m’attend pour manger… » se plaint le malheureux tout en se lavant avec l’eau de la femme.

       358.4 Jésus s’avance :

       « Je vais te donner ce que j’ai. Ne pleure pas.

       – Mais Seigneur ! Pourquoi ? Où allons-nous loger ? Qu’allons-nous faire ? dit Judas avec humeur.

       – Nous louerons le Seigneur qui nous garde en bonne santé. C’est déjà une très grande grâce. »

       Le garçon dit :

       « Ah ! c’est sûr ! Moi, si j’y voyais, je travaillerais pour maman.

       – Voudrais-tu guérir ?

       – Oui.

       – Pourquoi ne vas-tu pas voir les médecins ?

       – Aucun ne nous a jamais guéris. Ils nous ont dit qu’il y a quelqu’un en Galilée qui n’est pas médecin, mais qui guérit. Mais comment faire pour aller le trouver ?

       – Va à Jérusalem, à Gethsémani. Il y a une oliveraie au pied du mont des Oliviers près de la route de Béthanie. Demande Marc et Jonas. Tous les habitants du faubourg d’Ophel te les indiqueront. Tu peux te joindre à une caravane. Il en passe tant ! A Jonas demande Jésus de Nazareth…

       – Voilà ! C’est ce nom-là ! Il me guérira ?

       – Si tu as la foi, oui.

       – Et j’ai la foi. Où vas-tu, toi qui es si bon ?

       – A Jérusalem, pour la Pâque.

       – Oh ! Emmène-moi avec toi ! Je ne te causerai pas d’ennuis. Je dormirai à la belle étoile et il me suffira d’un quignon de pain ! Allons à Pella… Tu y vas n’est-ce pas ? On prévient ma mère, et puis on part… Ah ! voir ! Sois bon, Seigneur !… »

       Le jeune homme s’agenouille pour chercher les pieds de Jésus et les baiser.

       « Viens. Je t’amènerai à la lumière.

       – Béni sois-tu ! »

       358.5 Ils reprennent leur marche, et la main fuselée de Jésus tient l’enfant par un bras pour le conduire avec sollicitude. L’adolescent dit :

       « Et toi, qui es-tu ? Un disciple du Sauveur ?

       – Non.

       – Mais tu le connais, au moins ?

       – Oui.

       – Et tu crois qu’il va me guérir ?

       – Je le crois.

       – Mais… il demandera de l’argent ? Je n’en ai pas. Les médecins en veulent tant ! Nous avons souffert de la faim pour nous soigner…

       – Jésus de Nazareth ne demande que la foi et l’amour.

       – Il est très bon, alors. Mais toi aussi, tu es bon » dit le jeune homme et, pour prendre et caresser la main qui le conduit, il palpe la manche du vêtement. « Quel bel habit tu as ! Tu es un seigneur ! Tu n’as pas honte de moi, déguenillé comme je le suis ?

       – Je n’ai honte que des fautes qui déshonorent l’homme.

       – Moi, j’ai celles de me plaindre parfois de mon état, et de désirer des habits chauds, du pain, et surtout la vue. »

       Jésus lui fait une caresse :

       « Ce ne sont pas des fautes déshonorantes. Cependant cherche à n’avoir pas même ces imperfections, et tu seras saint.

       – Mais si je guéris, je ne les aurai plus… Ou bien… je ne guéris pas et toi, tu le sais, et tu me prépares à mon sort et tu m’instruis pour me sanctifier comme Job ?

       – Tu guériras. Mais après, surtout après, tu dois te réjouir de ton état, même s’il n’est pas des plus heureux. »

       Ils sont arrivés à Pella. Les potagers qui précèdent toujours les villes montrent la fécondité de leur sol par la luxuriance de leurs cultures.

       Des femmes, occupées au travail dans les sillons ou encore aux cuves de lessive, saluent Jaias et lui disent :

       « Tu reviens vite aujourd’hui, ça a bien marché ? » ou encore : « Tu as trouvé un protecteur, mon pauvre enfant ? »

       Une femme âgée crie du fond d’un potager :

       « Jaias ! Si tu as faim, voici une écuelle pour toi. Sinon, ce sera pour ta mère. Tu rentres à la maison ? Prends-la.

       – Je vais dire à maman que je vais avec ce bon seigneur à Jérusalem pour guérir. Il connaît Jésus de Nazareth et il me con­duit à lui. »

       358.6 La route est envahie par la foule presque jusqu’aux portes de Pella. Il y a des marchands, mais aussi des pèlerins.

       Une femme bien mise qui voyage sur un mulet, accompagnée d’une servante et d’un serviteur, se retourne en entendant parler de Jésus. Elle tire sur les rênes, arrête le mulet, descend et se dirige vers Jésus.

       « Tu connais Jésus ? Et tu vas le trouver ? Moi aussi, j’y vais… pour la guérison d’un fils. Je voudrais parler avec le Maître parce que… »

       Elle se met à pleurer sous son voile fin.

       « De quoi ton fils est-il malade ? Où est-il ?

       – Il est de Gerasa, mais maintenant il est du côté de la Judée. Il va comme un obsédé… Oh ! qu’ai-je dit !

       – C’est un possédé ?

       – Seigneur, il l’était et il a été guéri. Maintenant… il est plus démon qu’auparavant parce que… Ah ! je ne pourrais en parler qu’à Jésus de Nazareth !

       – Jacques, prends l’enfant entre toi et Simon, et allez de l’avant avec les autres. Vous m’attendrez après la Porte. Femme, tu peux envoyer tes serviteurs en avant, nous parlerons entre nous. »

       La femme dit :

       « Mais tu n’es pas le Nazaréen ! C’est à lui seul que je veux me confier. Lui seul peut comprendre et avoir miséricorde. »

       Désormais ils sont seuls, pourtant. Les autres vont de l’avant et discutent de leurs affaires. Jésus attend que la route soit déserte, puis il dit :

       « Tu peux parler. Je suis Jésus de Nazareth. »

       La femme gémit et elle va tomber à genoux.

       « Non, pour le moment, les gens ne doivent pas savoir. Allons. Il y a là une maison ouverte. Nous demanderons à nous reposer et nous parlerons. Viens. »

       Par une ruelle entre deux potagers, ils se dirigent vers une habitation modeste dans la cour de laquelle s’ébattent des enfants.

       « Que la paix soit avec vous. Me permettez-vous de faire reposer la femme pendant un moment ? Je dois m’entretenir avec elle. Nous venons de loin pour cela, et Dieu nous a fait nous rencontrer avant le but.

       – Entrez. Tout hôte est une bénédiction. Nous vous donnerons du lait et du pain ainsi que de l’eau pour vos pieds fatigués, dit une petite vieille.

       – Pas besoin. Il nous suffit d’un endroit tranquille pour pouvoir parler.

       – Venez. »

       Elle les conduit sur une terrasse ornée d’une vigne où se forment des feuilles émeraude.

       358.7 Ils restent seuls.

       « Parle, femme. Je l’ai dit : Dieu nous a fait rencontrer avant le but du chemin, pour ton soulagement.

       – Il n’y a pas, il n’y a plus de soulagement pour moi ! J’avais un fils. Il est devenu possédé : une bête sauvage dans les tombeaux. Rien ne le retenait, rien ne le guérissait. Il t’a vu. Il t’a adoré par la bouche du démon, et tu l’as guéri. Il voulait venir avec toi. Tu as pensé à sa mère et tu me l’as renvoyé pour me rendre la vie et la raison qui vacillaient à cause de la douleur que me donnait un fils possédé. Et tu l’as envoyé pour qu’il t’annonce, puisqu’il voulait t’aimer. Quant à moi… ah ! être mère de nouveau et d’un fils saint ! Qui serait ton serviteur ! Mais dis-moi, dis-moi ! Quand tu l’as renvoyé, savais-tu qu’il était… qu’il redeviendrait un démon ? Parce que c’est un démon, qui te quitte après avoir tant reçu de toi, après t’avoir connu, après avoir été choisi pour le Ciel… Dis-le-moi ! Le savais-tu ? Mais je divague ! Je parle et je ne te dis pas pourquoi c’est un démon… Il est devenu comme fou depuis quelque temps ; en réalité, depuis quelques jours seulement, mais qui furent plus pénibles pour moi que les longues années où il était possédé… Je croyais alors que je n’aurais jamais de douleur plus grande que celle-là… Il est venu… et il a démoli la foi en toi que Gerasa cultivait, grâce à toi et à lui, en racontant des infamies sur ton compte. Et il te précède vers le gué de Jéricho, en te faisant du tort, en te faisant du tort ! »

       La femme, qui n’avait pas enlevé le voile derrière lequel elle sanglotait, l’âme déchirée, se jette aux pieds de Jésus en le suppliant :

       « Va-t’en ! Va-t’en ! Ne te fais pas insulter ! Je suis partie en accord avec mon mari malade, en priant Dieu de te trouver. Il m’a exaucée ! Ah ! qu’il en soit béni ! Je ne veux pas, je ne veux pas permettre que toi, le Sauveur, tu sois maltraité à cause de mon fils ! Oh ! pourquoi l’ai-je mis au monde ? Il t’a trahi, Seigneur ! Il défigure tes paroles. Le démon l’a repris. Et… ô Très-Haut et Très-Saint ! Aie pitié d’une mère ! Mon enfant, mon fils, sera damné ! Auparavant ce n’était pas sa faute s’il était plein de démons. C’était un malheur qui lui était arrivé. Mais maintenant ! Maintenant que tu lui avais accordé ta grâce, maintenant qu’il avait connu Dieu, maintenant que tu l’avais instruit ! Maintenant, c’est lui qui a voulu être un démon et aucune force ne le délivrera plus ! Oh ! oh ! »

       La femme s’est jetée au sol, tas de vêtements et de chair qu’a–gitent des sanglots: Et elle gémit :

       « Dis-moi, que dois-je faire pour toi, pour mon fils ? Pour réparer ! Pour sauver ! Non : réparer ! Tu vois que ma douleur est réparation. Mais sauver ! Je ne puis sauver celui qui a renié Dieu. Il est damné… Et qu’est-ce, pour moi qui suis juive, sinon une torture ? »

       358.8 Jésus se penche, il pose la main sur l’épaule de la femme.

       « Lève-toi, calme-toi ! Tu m’es chère. Ecoute, pauvre mère.

       – Tu ne me maudis pas pour l’avoir engendré ?

       – Oh non ! Tu n’es pas responsable de son erreur et, sache-le pour ton réconfort, tu peux au contraire être cause de son salut. Les déchéances des enfants peuvent être réparées par les mères.C’est ce que tu feras. Ta douleur, parce qu’elle est bonne, n’est pas stérile mais féconde. Par ta souffrance, l’âme que tu aimes sera sauvée. Tu expies pour lui, et tu expies avec une intention si droite que tu mérites l’indulgence pour ton fils. Il reviendra à Dieu. Ne pleure pas.

       – Mais quand ? Quand donc?

       – Quand tes larmes se seront mêlées à mon sang.

       – A ton sang ? Mais alors c’est vrai ce qu’il dit ? Que tu seras tué parce que tu mérites la mort ? … Quel horrible blasphème !

       – C’est vrai pour la première partie. Je serai tué pour vous rendre dignes de la Vie. Je suis le Sauveur, femme. Et le salut se donne par la parole, par la miséricorde et par l’holocauste. Il faut cela pour ton fils, et je le donnerai. Mais toi, aide-moi. Offre-moi ta douleur. Va avec ma bénédiction. Conserve-la en toi pour pouvoir être miséricordieuse et patiente auprès de ton fils, et lui rappeler ainsi qu’un Autre a été miséricordieux envers lui. Va, va en paix.

       – Mais toi, ne parle pas à Pella ! N’en dis rien en Pérée ! Il les a tournées contre toi. Et il n’est pas le seul. Mais moi, je ne vois que lui et ne parle que de lui…

       – Je parlerai par un signe. Et il suffira pour anéantir l’œuvre des autres. Rentre en paix chez toi.

       – Seigneur, maintenant que tu m’as absoute de l’avoir engendré, regarde mon visage pour savoir ce qu’est celui d’une mère quand elle est déchirée. »

       Et elle se découvre en disant :

       « Voici le visage de la mère de Marc, fils de Josias, qui a renié le Messie et torturé celle qui lui a donné la vie. »

       Puis elle rabaisse son voile fin sur ses yeux ravagés par les larmes en gémissant :

       « Aucune mère en Israël ne connaîtra pareille douleur ! »

       358.9 Ils descendent de cet endroit hospitalier et reprennent la route. Ils entrent à Pella et se réunissent, la femme à ses serviteurs, et Jésus à ses apôtres.

       Mais la femme lui emprunte le pas, comme fascinée, alors que Jésus suit le jeune garçon qui se dirige vers sa masure, située au sous-sol d’une construction adossée au flanc de la montagne, caractéristique de cette ville qui s’élève par terrasses, de sorte que le premier étage du côté ouest est le second étage du côté est, mais en réalité c’est un terrain là aussi, parce qu’on peut y accéder par la rue située au-dessus, qui est au niveau du second étage. Je ne sais pas si je réussis à bien m’expliquer.

       Le jeune garçon appelle d’une voix forte :

       « Maman ! Maman ! »

       De cet antre misérable et sombre sort une femme encore jeune, aveugle, aux manières aisées parce qu’elle connaît bien ce qui l’entoure.

       « Déjà revenu, mon fils ? Les oboles ont-elles été assez nombreuses pour que tu sois ici alors qu’il fait encore pleinement jour ?

       – Maman, j’ai trouvé quelqu’un qui connaît Jésus de Nazareth et qui dit qu’il va me conduire à lui pour être guéri. Il est très bon. Me laisses-tu y aller, maman ?

       – Mais oui, Jaias béni ! Même si je dois rester seule, va, va et regarde le Sauveur pour moi aussi ! »

       L’adhésion, la foi de la femme est absolue. Jésus sourit. Il dit :

       « Tu ne doutes pas de moi, femme, ni du Sauveur ?

       – Non. Si tu le connais et que tu es son ami, tu ne peux être que bon. Lui, enfin ! Va, va, mon fils ! Ne prends pas de retard. Donnons-nous un baiser et pars avec Dieu. »

       Ils se cherchent à tâtons et s’embrassent. Jésus pose sur la table rudimentaire un pain et des pièces de monnaie.

       « Adieu, femme. Il y a ici de quoi te procurer de la nourriture. Que la paix soit avec toi. »

       358.10 Ils sortent. La troupe reprend sa marche. La pluie commence à tomber.

       « Mais nous ne nous arrêtons pas ? Il pleut… disent les apôtres.

       – Nous nous arrêterons à Jabès Galaad. Marchez. »

       Ils mettent leurs manteaux sur la tête et Jésus étend le sien sur la tête du jeune garçon. La mère de Marc, fils de Josias, les suit sur sa monture, avec ses serviteurs. On dirait qu’elle ne peut se séparer de lui.

       Ils sortent de Pella. Ils pénètrent dans une campagne verte et triste en cette journée pluvieuse.

       Ils font au moins un kilomètre, puis Jésus s’arrête. Il prend la tête du petit aveugle dans ses mains et dépose un baiser sur ses yeux éteints en disant :

       « Et maintenant, retourne sur tes pas. Va dire à ta mère que le Seigneur récompense celui qui a foi, et va dire aux habitants de Pella que c’est le Seigneur. »

       Il le laisse partir et s’éloigne rapidement.

       Mais il ne se passe pas trois minutes que le garçon crie :

       « Mais je vois ! Oh ! ne t’enfuis pas ! Tu es Jésus ! Fais que je te voie, toi, en premier ! »

       Et il tombe à genoux sur la route détrempée par la pluie.

       La femme de Gerasa et ses serviteurs d’un côté, les apôtres de l’autre, accourent pour voir le miracle. Jésus aussi revient lentement en souriant. Il s’incline pour caresser le garçon.

       « Va, va trouver ta maman, et sache croire en moi, toujours.

       – Oui, mon Seigneur… Mais rien pour maman ? Elle restera dans le noir, elle qui croit comme moi ? »

       Jésus sourit d’un sourire encore plus lumineux. Il regarde autour de lui, voit au bord de la route une touffe de margue­rites trempées par la pluie, se penche, les cueille et les donne à l’enfant.

       « Passe-les sur les yeux de ta mère et elle verra. Moi, je ne reviens pas sur mes pas, je vais de l’avant. Que celui qui est bon me suive avec son âme et qu’il parle de moi à ceux qui doutent. Toi, parle de moi à Pella dont la foi vacille. Va ! Dieu est avec toi. »

       Puis il se tourne vers la femme de Gerasa :

       « Quant à toi, suis-le. Voici la réponse de Dieu à tous ceux qui tentent de diminuer la foi des hommes dans le Christ. Et que cela raffermisse ta propre foi et celle de Josias. Va en paix. »

       Ils se séparent. Jésus reprend sa marche vers le sud. L’enfant, la Gérasénienne et ses serviteurs, vers le nord. Un voile de pluie les sépare comme un nuage de fumée…

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