Une initative de
Marie de Nazareth

Guérison de la fille d'une cananéenne

vendredi 12 janvier 29
Biram et Aczib
Chromolithographie du XIXème siècle

Dans les évangiles : Mt 15,23-31 ; Mc 7,24-30

Matthieu 15,23-31

Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! » Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.

Jésus partit de là et arriva près de la mer de Galilée. Il gravit la montagne et là, il s’assit. De grandes foules s’approchèrent de lui, avec des boiteux, des aveugles, des estropiés, des muets, et beaucoup d’autres encore ; on les déposa à ses pieds et il les guérit. Alors la foule était dans l’admiration en voyant des muets qui parlaient, des estropiés rétablis, des boiteux qui marchaient, des aveugles qui voyaient ; et ils rendirent gloire au Dieu d’Israël.

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Marc 7,24-30

En partant de là, Jésus se rendit dans le territoire de Tyr. Il était entré dans une maison, et il ne voulait pas qu’on le sache. Mais il ne put rester inaperçu : une femme entendit aussitôt parler de lui ; elle avait une petite fille possédée par un esprit impur ; elle vint se jeter à ses pieds. Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance, et elle lui demandait d’expulser le démon hors de sa fille. Il lui disait : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Mais elle lui répliqua : « Seigneur, les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants ! » Alors il lui dit : « À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. » Elle rentra à la maison, et elle trouva l’enfant étendue sur le lit : le démon était sorti d’elle.

Vision de Maria Valtorta

       331.1 « Est-ce que le Maître est avec toi ? » demande le vieux paysan Jonas à Jude, qui entre dans la cuisine.

       Déjà le feu est allumé pour chauffer le lait et réchauffer la pièce, car il fait frisquet en ces premières heures d’une matinée de fin janvier, je crois, ou de début février. La matinée est très belle, mais le froid est un peu piquant.

       « Il doit être sorti pour prier. Il sort souvent à l’aube, quand il sait qu’il peut être seul. Il va bientôt arriver. Pourquoi le demandes-tu ?

       – Je l’ai demandé aussi aux autres, qui se sont maintenant dispersés pour le chercher, car il y a une femme à côté, avec mon épouse. C’est une femme d’un village d’au-delà de la frontière. Je ne sais vraiment pas dire comment elle a appris que le Maître est ici, mais elle le sait et elle veut lui parler.

       – C’est bien. Elle lui parlera. Peut-être est-ce la femme qu’il attend, avec une fillette malade. C’est son esprit qui l’aura conduite ici.

       – Non. Elle est seule, elle n’a pas d’enfant avec elle : je la connais bien, parce que les villages sont si voisins… et la vallée appartient à tous. Et puis, moi je pense qu’il ne faut pas être cruel avec ses voisins, même phéniciens, pour servir le Seigneur. Je peux me tromper mais…

       – C’est aussi ce que le Maître dit toujours : qu’il faut avoir pitié de tous.

       – C’est ce qu’il fait, n’est-ce pas ?

       – Oui.

       – Hanne m’a dit aussi que, même maintenant, il a été traité mal. Mal, toujours mal !… En Judée, comme en Galilée, partout. Pourquoi donc Israël est-il si mauvais avec son Messie ? Je veux parler des plus grands parmi nous en Israël, car le peuple l’aime.

       – Comment sais-tu tout cela ?

       – Oh ! Je vis ici, au loin, mais je suis un juif fidèle. Il me suffit d’aller au Temple pour les fêtes d’obligation pour savoir tout le bien et tout le mal ! Et on connaît moins le bien que le mal, parce que le bien est humble et ne se vante pas. Les bénéficiaires devraient le proclamer, mais peu nombreux sont ceux qui sont reconnaissants après avoir reçu des grâces. L’homme reçoit le bienfait et l’oublie… Le mal, au contraire, fait résonner ses trompettes et retentir ses paroles, même aux oreilles de ceux qui ne veulent rien entendre. Vous qui êtes ses disciples, ne savez-vous pas à quel point, au Temple, on dénigre et on accuse le Messie ? Les scribes ne font plus d’enseignement autre que sur son compte. Je crois qu’ils ont mis au point un recueil d’instructions sur la manière d’accuser le Maître et de faits qu’ils présentent comme des motifs valables d’accusation. Et il faut avoir la conscience très droite, ferme et libre, pour savoir résister et juger avec sagesse. Mais lui, est-il informé de ces manœuvres ?

       – Il les connaît toutes. Nous, plus ou moins, nous sommes aussi au courant, mais lui ne s’en soucie guère. Il continue son travail et le nombre des disciples ou des croyants augmente chaque jour.

       – Dieu veuille qu’ils tiennent bon jusqu’à la fin, mais les pensées de l’homme sont instables. Il est faible… 331.2 Voici le Maître qui vient vers la maison avec trois disciples. »

       Et le vieillard sort, suivi de Jude, pour vénérer Jésus qui, plein de majesté, se dirige vers la maison.

       « Que la paix soit avec toi, aujourd’hui et toujours, Jonas.

       – Gloire et paix avec toi, Maître, toujours.

       – Paix à toi, Jude. André et Jean ne sont-ils pas encore revenus ?

       – Non, et je ne les ai pas entendus sortir. Personne. J’étais fatigué et j’ai dormi comme une souche.

       – Entre, Maître. Entrez. L’air est frais ce matin. Dans le bois, il devait faire très froid. Voilà du lait chaud pour tout le monde. »

       Ils sont en train de boire le lait et tous, sauf Jésus, y trempent de bons morceaux de pain, quand surviennent André, Jean et Hanne, le berger.

       « Ah ! Tu es ici ? Nous revenions pour dire que nous ne t’avions pas trouvé… » s’écrie André.

       Jésus donne le salut de paix aux trois hommes, et ajoute :

       « Vite, prenez votre part et partons car je veux arriver, avant le soir, au moins au pied de la montagne d’Aczib. Ce soir, commence le sabbat.

       – Mais mes brebis ? »

       Jésus sourit et répond :

       « Elles seront guéries dès que je les aurai bénies.

       – Mais je suis à l’est de la montagne ! Et toi, pour trouver cette femme, tu vas vers le couchant…

       – Laisse faire Dieu, et il pourvoira à tout. »

       331.3 Le repas fini, les apôtres montent chercher leurs sacs de voyage pour le départ.

       « Maître… il y a une femme qui est là… tu ne l’écoutes pas ?

       – Je n’ai pas le temps, Jonas. La route est longue et, du reste, je suis venu pour les brebis d’Israël. Adieu, Jonas. Que Dieu te récompense de ta charité. Ma bénédiction est sur toi et sur toute ta parenté. Allons-y. »

       Mais le vieillard se met à crier à tue-tête :

       « Enfants ! Femmes ! Le Maître part ! Venez vite ! »

       Et de même qu’une nichée de poussins éparpillés dans un poulailler accourt au cri de la mère poule qui les appelle, ainsi de tous les côtés de la maison accourent femmes et hommes occupés à leurs travaux ou encore à moitié endormis, et les enfants à demi nus qui sourient, le visage à peine éveillé… Ils se pressent autour de Jésus qui se tient au milieu de la cour ; les mères enveloppent les enfants dans leurs jupes amples pour les protéger de l’air, ou bien elles les serrent dans leurs bras jusqu’à ce qu’une servante se précipite avec des petits vêtements vite enfilés.

       331.4 Mais voilà que survient une femme qui n’est pas de la maison, une pauvre femme en larmes, honteuse… Elle marche toute courbée, presque en rampant et, arrivée près du groupe au milieu duquel se trouve Jésus, elle se met à crier :

       « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma petite fille est toute tourmentée par le démon qui lui fait commettre des choses honteuses. Aie pitié parce que je souffre beaucoup et que je suis méprisée par tous à cause de cela. Comme si ma fille était responsable de ce qu’elle fait… Aie pitié, Seigneur, toi qui peux tout. Elève ta voix et ta main, et ordonne à l’esprit impur de sortir de Palma. Je n’ai que cette enfant et je suis veuve… Oh ! Ne t’en va pas ! Pitié !… »

       En effet, Jésus, qui a fini de bénir chaque membre de la famille et qui a réprimandé les adultes d’avoir parlé de sa venue – et eux s’en excusent en disant : “ Nous n’avons pas parlé, Seigneur, tu peux en être sûr ! ” – s’éloigne. Il fait preuve d’une dureté inexplicable envers la pauvre femme qui se traîne sur les genoux, les bras tendus en une supplication fébrile, en disant :

       « C’est moi, moi qui t’ai vu hier passer le torrent, et j’ai entendu qu’on t’appelait “ Maître ”. Je vous ai suivis parmi les buissons et j’ai entendu vos conversations. J’ai compris qui tu es… Et ce matin, je suis venue alors qu’il faisait encore nuit, pour rester ici sur le seuil comme un petit chien jusqu’au moment où Sarah s’est levée et m’a fait entrer. Oh ! Seigneur, pitié ! Pitié pour une mère et une fillette ! »

       Mais Jésus marche rapidement, sourd à tout appel. Les habitants de la maison disent à la femme :

       « Résigne-toi ! Il ne veut pas t’écouter. Il l’a dit : c’est pour les fils d’Israël qu’il est venu… »

       Mais elle se lève, à la fois désespérée et pleine de foi, et elle répond :

       « Non. Je vais tellement le prier qu’il m’écoutera. »

       Et elle se met à suivre le Maître sans cesser de crier ses supplications qui attirent sur le seuil des maisons du village tous ceux qui sont éveillés et qui, comme ceux de la maison de Jonas, se mettent à la suivre pour voir comment tout cela va se terminer.

       331.5 Pendant ce temps, les apôtres, étonnés, se regardent les uns les autres et murmurent :

       « Pourquoi agit-il ainsi ? Il ne l’a jamais fait ! »

       Jean dit :

       « A Alexandroscène, il a pourtant guéri ces deux malheureux.

       – C’étaient cependant des prosélytes, répond Jude.

       – Et celle qu’il va guérir maintenant ?

       – Elle est prosélyte, elle aussi, dit le berger Hanne.

       – Ah ! Mais que de fois il a guéri même des païens ! Et la petite Romaine, alors ? » dit André d’un ton désolé.

       Il ne sait pas rester paisible devant la dureté de Jésus envers la femme cananéenne.

       « Je vais vous dire ce qu’il y a » s’exclame Jacques, fils de Zébédée. « C’est que le Maître est indigné. Sa patience est à bout devant tant d’assauts de la méchanceté humaine. Ne voyez-vous pas comme il est changé ? Il a raison ! Désormais, il ne va se donner qu’à ceux qu’il connaît. Et il fait bien !

       – Oui. Mais en attendant, cette femme nous poursuit de ses cris, avec une foule de gens à sa suite. S’il veut passer inaperçu, il a trouvé moyen d’attirer l’attention même des arbres, bougonne Matthieu.

       – Allons lui dire de la renvoyer… Regardez le beau cortège qui nous suit ! Si nous arrivons ainsi sur la route consulaire, nous allons être frais ! Et elle, s’il ne la chasse pas, elle ne va pas nous lâcher… » dit Jude, fâché, qui, de plus, se retourne et intime à la femme :

       « Tais-toi et va-t’en ! »

       Jacques, fils d’Alphée, solidaire de son frère, en fait autant. Mais, sans se laisser impressionner par ces menaces et ces injonctions, la femme supplie de plus belle.

       « Allons le dire au Maître, pour qu’il la chasse lui-même, puisqu’il ne veut pas l’exaucer. Cela ne peut pas durer ainsi !  dit Matthieu, alors qu’André murmure :

       – La pauvre ! »

       Et Jean ne cesse de répéter :

       « Moi, je ne comprends pas… Je ne comprends pas… »

       Jean est bouleversé par la façon d’agir de Jésus. Mais à présent, en accélérant leur marche, ils ont rejoint le Maître qui marche rapidement comme si on le poursuivait.

       « Maître ! Renvoie donc cette femme ! C’est un scandale ! Elle crie derrière nous ! Elle nous fait remarquer par tout le monde ! La route se remplit de toujours plus de gens… et beaucoup la suivent. Dis-lui de partir.

       – Dites-le-lui vous-mêmes. Moi, je lui ai déjà répondu.

       – Elle ne nous écoute pas. Allons ! Dis-le-lui, toi. Et avec sévérité. »

       331.6 Jésus s’arrête et se retourne. La femme prend cela pour un signe de grâce, elle hâte le pas et hausse le ton déjà aigu de sa voix ; son visage pâlit car son espoir grandit.

       « Tais-toi, femme, et retourne chez toi ! Je l’ai déjà dit: “ C’est pour les brebis d’Israël que je suis venu. ” Pour guérir les malades et rechercher celles qui sont perdues. Toi, tu n’es pas d’Israël. »

       Mais la femme est déjà à ses pieds et les baise en l’adorant et serrant ses chevilles, comme si elle était une naufragée qui a trouvé un rocher où se réfugier. Elle gémit :

       « Seigneur, viens à mon secours ! Tu le peux, Seigneur. Commande au démon, toi qui es saint… Seigneur, Seigneur, tu es le Maître de tout, de la grâce comme du monde. Tout t’est soumis, Seigneur. Je le sais. Je le crois. Prends donc ce qui est en ton pouvoir et sers-t’en pour ma fille.

       – Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants de la maison et de le jeter aux chiens de la rue.

       – Moi, je crois en toi. En croyant, de chien de la rue je suis devenue chien de la maison. Je te l’ai dit : je suis venue avant l’aube me coucher sur le seuil de la maison où tu étais, et si tu étais sorti de ce côté là, tu aurais buté contre moi. Mais tu es sorti de l’autre côté et tu ne m’as pas vue. Tu n’as pas vu ce pauvre chien tourmenté, affamé de ta grâce, qui attendait pour entrer en rampant là où tu étais, pour te baiser ainsi les pieds, en te demandant de ne pas le chasser…

       – Il n’est pas bien de jeter le pain des enfants aux chiens, répète Jésus.

       – Pourtant, les chiens entrent dans la pièce où le maître prend son repas avec ses enfants, et ils mangent ce qui tombe de la table, ou les restes que leur donnent les gens de maison, ce qui ne sert plus. Je ne te demande pas de me traiter comme une fille et de me faire asseoir à ta table. Mais donne-moi, au moins, les miettes… »

       331.7 Jésus sourit. Oh ! Comme son visage se transfigure dans ce sourire de joie… ! Les gens, les apôtres, la femme, le regardent avec admiration… sentant que quelque chose va arriver.

       Et Jésus dit :

       « Femme ! Ta foi est grande. Et par elle, tu consoles mon âme. Va donc, et qu’il te soit fait comme tu le désires. Dès ce moment, le démon est sorti de ta petite. Va en paix. Et comme, de chien perdu, tu as su vouloir être chien domestique, sache à l’avenir être fille, assise à la table du Père. Adieu.

       – Oh ! Seigneur ! Seigneur ! Seigneur !… Je voudrais courir pour voir ma Palma chérie… Je voudrais rester avec toi, te suivre ! Tu es béni ! Tu es saint !

       – Va, va, femme. Va en paix. »

       Jésus reprend alors sa route tandis que la Cananéenne, plus leste qu’une enfant, rebrousse chemin en courant, suivie de la foule curieuse de voir le miracle…

       « Mais pourquoi, Maître, l’as-tu tant fait te prier pour ensuite l’écouter ? demande Jacques, fils de Zébédée.

       – A cause de toi et de vous tous. Cela n’est pas une défaite, Jacques. Ici, je n’ai pas été chassé, ridiculisé, maudit… Que cela relève votre esprit abattu. J’ai déjà eu aujourd’hui ma nourriture très douce. Et j’en bénis Dieu. 331.8 Et maintenant allons trouver cette autre femme qui sait croire et attendre avec une foi assurée.

       – Et mes brebis, Seigneur ? Bientôt je devrai prendre une autre route que la tienne pour aller à ma pâture… » redemande le berger Hanne.

       Jésus sourit sans répondre.

       Il est beau de cheminer, maintenant que le soleil réchauffe l’air et fait resplendir comme des émeraudes les feuilles nouvelles des bois et les herbes des prairies, changeant en chaton tout calice de fleur sous les gouttes de rosée qui brillent dans les pétales multicolores des petites fleurs des champs. Jésus marche en souriant. Et les apôtres, qui ont subitement repris courage, le suivent en souriant aussi…

       Ils arrivent au carrefour. Le berger Hanne, navré, dit :

       « C’est ici que je devrais te quitter… Tu ne viens donc pas guérir mes brebis ? Moi aussi, j’ai foi, et je suis prosélyte… Tu me promets, au moins, de venir après le sabbat ?

       – Oh, Hanne ! Tu n’as donc toujours pas compris que tes brebis sont guéries depuis le moment où j’ai levé la main vers Lesemdan ? Va donc, toi aussi, pour voir le miracle et bénir le Seigneur. »

       Je crois que, lorsque la femme de Loth a été changée en sel, elle n’a pas été différente du berger qui est resté comme il était, un peu incliné, mais la tête relevée vers Jésus pour le regarder, un bras à demi tendu en l’air… On dirait une statue. Et on pourrait lui mettre l’inscription : “Le suppliant.” Mais ensuite il se redresse et se prosterne, en disant :

       « Béni sois-tu ! Tu es bon ! Tu es saint ! Mais je t’ai promis beaucoup d’argent, et je n’ai ici que quelques drachmes… Viens, viens chez moi après le sabbat…

       – Je viendrai, non pour l’argent, mais pour te bénir encore pour ta simple foi. Adieu, Hanne. Que la paix soit avec toi. »

       Et ils se séparent…

       « Et cela aussi n’est pas une défaite, mes amis ! Et ici aussi, je n’ai pas été ridiculisé, chassé et maudit !… 331.9 Allons, du nerf ! Il y a une mère qui nous attend depuis plusieurs jours… »

       Et la marche continue, avec un petit arrêt pour manger du pain et du fromage, et boire à une source…

       Le soleil est au midi quand ils voient apparaître le carrefour.

       « Voici le commencement de l’escalier de Tyr, là au fond » dit Matthieu.

       Et il se réjouit à la pensée que la plus grande partie du parcours est faite.

       Justement, adossée à une borne romaine, se tient une femme. A ses pieds, sur un strapontin, une fillette de sept à huit ans. La femme regarde dans toutes les directions, vers l’escalier taillé dans les rochers, vers la route de Ptolémaïs, vers celle que parcourt Jésus, et de temps à autre elle se penche pour faire une caresse à sa fille, lui protéger la tête du soleil par une toile, recouvrir d’un châle ses pieds et ses mains…

       « Voilà la femme ! Mais où aura-t-elle dormi pendant ces jours ? demande André.

       – Peut-être dans cette maison, tout près du carrefour. Il n’y en a pas d’autres dans le voisinage, répond Matthieu.

       – Ou à la belle étoile, dit Jacques, fils d’Alphée.

       – Non. A cause de la fillette, non, répond son frère.

       – Oh ! Pour obtenir la grâce… » dit Jean.

       331.10 Jésus garde le silence, mais il sourit. Tous en rang, trois d’un côté, trois de l’autre, et lui au milieu, ils prennent toute la route à cette heure de pause des voyageurs, occupés à déjeuner là où les a pris le milieu du jour.

       Jésus sourit, grand, beau, au milieu d’eux. On dirait que toute la lumière du soleil s’est concentrée sur son visage, tant il est radieux. Il semble diffuser des rayons.

       La femme lève les yeux… Ils sont désormais à une cinquantaine de mètres de distance. Peut-être Jésus a-t-il attiré son attention, distraite par une plainte de la fille, par son regard fixé sur elle. Elle regarde… Elle porte les mains à son cœur en un mouvement involontaire provoqué par l’angoisse et sursaute.

       Le sourire de Jésus s’épanouit. Et ce sourire resplendissant, inexprimable, doit être très parlant pour la femme qui, non plus anxieuse mais souriante comme si déjà elle éprouvait son futur bonheur, se penche pour prendre sa petite fille ; elle la soulève de son siège, la porte, les bras tendus comme si elle l’offrait à Dieu, s’avance et, quand elle arrive aux pieds de Jésus, elle s’agenouille en levant le plus qu’elle le peut la fillette allongée qui regarde, extasiée, le très beau visage de Jésus.

       La femme ne dit pas un mot. D’ailleurs, que dire de plus profond que ce qu’elle exprime par toute son attitude ?

       Et Jésus ne dit qu’un seul mot, petit, mais puissant, béatifiant comme le “ Fiat ” de Dieu à la création du monde :

       « Oui. »

       Et il pose sa main sur la petite poitrine de l’enfant étendue.

       Alors l’enfant, avec un cri d’alouette libérée de la cage, s’écrie « Maman ! » et elle s’assied tout d’un coup, glisse à ses pieds, et embrasse sa mère qui, épuisée, vacille et va tomber à la renverse, s’évanouissant par suite de la fatigue, de l’angoisse subitement apaisée, de la joie qui dépasse les forces de son cœur déjà affaibli par tant de souffrances passées.

       Jésus la soutient promptement. Son intervention est plus efficace que celle de la fillette qui, alourdissant de son poids les bras maternels, ne l’aide pas précisément à la soutenir. Jésus la fait asseoir et lui transmet sa force… Et il la regarde pendant que des larmes muettes coulent sur le visage à la fois las et bienheureux de la mère.

       331.11 Puis viennent les mots :

       « Merci, mon Seigneur ! Merci et bénédictions ! Mon espérance a été comblée… Je t’ai tant attendu… Mais maintenant je suis heureuse… »

       La femme, une fois son malaise dissipé, se remet à genoux et adore, tenant devant elle la fillette que Jésus caresse. Elle explique :

       « Il y a deux ans, un os s’est détérioré dans sa colonne vertébrale, ce qui l’a paralysée et l’amenait à la mort lentement en la faisant beaucoup souffrir. Nous l’avions montrée à des médecins d’Antioche, de Tyr, de Sidon et même de Césarée et de Pa­néade, faisant tant de dépenses en médecins et en remèdes que nous avons dû vendre la maison que nous possédions en ville et nous retirer dans celle de campagne, congédier les serviteurs de la maison pour ne garder que ceux de la campagne, vendre nos productions, qu’auparavant nous consommions… Et cela n’a servi à rien ! Je t’ai vu. Je savais ce que tu avais fait ailleurs. J’ai espéré obtenir ta grâce pour moi aussi… Et je l’ai eue ! Maintenant, je retourne à la maison, légère, joyeuse… et je vais faire cette joie à mon époux… A mon Jacques, lui qui m’a mis au cœur l’espérance, en me racontant ce qui était arrivé par ta puissance en Galilée et en Judée. Ah ! Si nous n’avions pas craint de ne pas te trouver, nous serions venus avec la fillette. Mais tu es toujours en route.

       – C’est en faisant route que je suis venu vers toi… Mais où as-tu séjourné pendant ce temps ?

       – Dans cette maison… Mais la nuit, ma fillette seule y restait. Il y a là une brave femme : elle en prenait soin à ma place. Moi, je suis restée tout le temps ici, par crainte de te manquer si tu passais de nuit. »

       Jésus pose sa main sur sa tête :

       « Tu es une bonne mère. Dieu t’aime pour cela. Tu vois qu’il t’a aidée en tout.

       – Oh, oui ! Je l’ai bien senti pendant que je venais. J’étais venue de la maison à la ville, croyant t’y trouver, par conséquent avec peu d’argent et seule. Puis, suivant le conseil de l’homme, j’ai poursuivi ma route vers cet endroit. J’ai envoyé prévenir à la maison et je suis venue… et il ne m’a rien manqué. Ni pain, ni abri, ni force.

       – Toujours avec ce fardeau dans les bras ? Ne pouvais-tu pas louer un char ? demande Jacques, fils d’Alphée, apitoyé.

       – Non. Elle aurait trop souffert, à en mourir. C’est dans les bras de sa mère que ma Jeanne est venue à la grâce. »

       Jésus leur caresse les cheveux à toutes les deux :

       « Maintenant partez et soyez toujours fidèles au Seigneur. Que le Seigneur soit avec vous ainsi que ma paix. »

       Jésus reprend sa marche sur la route qui mène à Ptolémaïs.

       « Et cela non plus n’est pas une défaite, mes amis. Là aussi, je n’ai été ni chassé, ni ridiculisé, ni maudit. »

       331.12 En suivant la route directe, ils ont vite fait de rejoindre la maréchalerie, près du pont. Le maréchal-ferrant romain se repose au soleil, assis contre le mur de la maison. Il reconnaît Jésus et le salue. Jésus lui rend son salut et il ajoute :

       « Me permets-tu de rester ici pour me reposer un peu et manger un peu de pain ?

       – Oui, Rabbi. Ma femme voulait te voir… car je lui ai raconté ce que j’avais entendu de ton discours de l’autre fois. Esther est juive. Mais je n’osais te le dire, moi qui suis romain. Je te l’aurais envoyée…

       – Appelle-la donc. »

       Et Jésus s’assied sur le banc, adossé au mur, pendant que Jacques, fils de Zébédée, distribue pain et fromage…

       Une femme d’environ quarante ans sort, confuse, rouge de honte.

       « Paix à toi, Esther. Il t’est venu le désir de me connaître ? Pourquoi ?

       – A cause de ce que tu as dit… Les rabbins nous méprisent, nous qui avons épousé un Romain… Mais j’ai porté tous mes enfants au Temple et les garçons sont tous circoncis. Je l’avais dit d’avance à Titus, quand il a voulu m’épouser… Et il est bon… Il me laisse toujours faire avec les enfants. Coutumes, rites, tout est juif ici !… Mais les rabbins comme les chefs de synagogues nous maudissent. Pas toi… Tu as des paroles de pitié pour nous… Ah ! Sais-tu ce que cela signifie pour nous ? C’est comme sentir autour de soi les bras du père et de la mère qui nous ont répudiées et maudites, ou qui sont sévères avec nous… C’est comme remettre les pieds dans la maison que l’on a quittée et ne plus s’y sentir étrangère… Titus est bon. Pendant nos fêtes, il ferme la maréchalerie, quitte à perdre beaucoup d’argent, et il m’accompagne avec les enfants au Temple, car il assure que l’on ne peut rester sans religion. Lui dit que la sienne est celle de la famille et du travail, comme auparavant c’était celle du devoir de soldat… Mais moi… Seigneur… j’ai voulu te demander quelque chose… Tu as dit que ceux qui suivent le vrai Dieu doivent prélever un peu de leur levain saint et le mettre dans la bonne farine pour la faire fermenter saintement. C’est ce que j’ai fait avec mon mari. Depuis vingt ans que nous sommes ensemble, j’ai cherché à travailler son âme qui est bonne avec le levain d’Israël. Mais il ne se décide jamais… et il est âgé… Je voudrais qu’il soit avec moi dans l’autre vie… Unis par la foi, comme nous le sommes par l’amour… Je ne te demande pas la richesse, le bien-être, la santé. Ce que nous avons nous suffit, Dieu soit loué ! Mais cela, je le désire… Prie pour mon mari ! Qu’il appartienne au vrai Dieu…

       – Oui, il aura cette grâce. Sois-en sûre. Ce que tu demandes est saint, et tu l’obtiendras. Tu as compris les devoirs de la femme envers Dieu et envers son époux. Si c’était le cas de toutes les épouses ! En vérité, je te dis que beaucoup devraient t’imiter. Reste telle que tu es et tu auras la joie d’avoir ton Titus à tes côtés, dans la prière et au Ciel. 331.13 Montre-moi tes enfants. »

       La femme appelle ses nombreux enfants :

       « Jacob, Judas, Lévi, Marie, Jean, Anne, Elise, Marc ! »

       Puis elle entre dans la maison et en ressort avec un enfant qui marche à peine et un bébé de trois mois tout au plus :

       « Lui, c’est Isaac, et la toute petite, c’est Judith, dit-elle pour terminer la présentation.

       – Quelle abondance ! » s’exclame en riant Jacques, fils de Zébédée.

       Et Jude s’écrie :

       « Six garçons ! Et tous circoncis ! Et avec des noms purs ! Bravo ! »

       La femme est heureuse et elle fait l’éloge de Jacob, Judas et Lévi qui aident leur père “ tous les jours sauf le sabbat, jour où Titus travaille seul pour mettre les fers préparés d’avance ”, dit-elle. Et elle loue Marie et Anne “ qui aident leur mère ”. Mais elle ne se fait pas faute de mettre en valeur les quatre plus petits, qui sont “ bons et ne font pas de caprices. ”

       « Titus m’aide à les éduquer, lui qui a été un soldat discipliné » dit-elle en regardant affectueusement l’homme qui, adossé à l’huisserie, une main sur la hanche, a écouté tout ce qu’a dit sa femme avec un franc sourire sur son visage ouvert, et qui maintenant se rengorge en entendant rappeler ses mérites de soldat.

       « Très bien. Dieu ne réprouve pas la discipline des armes quand le devoir du soldat est accompli avec humanité. L’important, c’est d’être toujours moralement honnête, dans tout travail, pour être toujours vertueux. Cette discipline d’autrefois que tu transmets à tes enfants doit te préparer à un service plus élevé : celui de Dieu. Maintenant, nous te quittons. J’aurai juste le temps d’arriver à Aczib avant la fin du crépuscule. Paix à toi, Esther, et à toute ta maison. Appartenez, bientôt, tous au Seigneur. »

       La mère et les enfants s’agenouillent pendant que Jésus lève la main pour les bénir. L’homme, comme s’il était de nouveau le soldat de Rome devant son empereur, se met au garde-à-vous, en saluant à la romaine.

       331.14 Et ils s’en vont… Après quelques mètres, Jésus pose la main sur l’épaule de Jacques :

       « Et encore une fois, la quatrième de la journée, je te fais remarquer que ce n’est pas une défaite, ce n’est pas être chassé, ridiculisé, maudit… Et maintenant, qu’en dis-tu ?

       – Que je suis un benêt, Seigneur, répond vivement Jacques, fils de Zébédée.

       – Non. Toi comme vous tous, vous êtes encore et toujours trop humains, et vous éprouvez toutes les sautes d’humeur de celui qui est plus dominé par l’humanité que par l’esprit. Quand l’esprit est souverain, il ne change pas à tout souffle de vent, qui ne peut pas être toujours une brise parfumée… Il pourra souffrir, mais sans s’altérer. Je ne cesse de prier pour que vous parveniez à cette domination de l’esprit. Mais vous devez m’aider par votre effort… Eh bien ! Notre voyage est terminé. Pendant ce temps, j’ai semé ce qu’il faut pour préparer le travail pour le temps où vous serez vous-mêmes les évangélisateurs. Nous pouvons maintenant aller prendre le repos du sabbat avec la conscience d’avoir fait notre devoir. Et nous attendrons les autres… puis nous partirons… encore… toujours… jusqu’à ce que tout soit accompli… »

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