333.1 « Et maintenant que nous avons fait plaisir au berger, qu’allons-nous faire ? demande Pierre qui est seul avec Jésus, alors que les autres marchent en groupe à quelques mètres à l’arrière.
– Nous revenons sur le chemin du rivage et nous marchons en direction de Sycaminon.
– Ah oui ? Je croyais que nous allions à Capharnaüm…
– Il ne faut pas, Pierre. Il ne faut pas. Tu as eu des nouvelles de ta femme et de l’enfant. Quant à Judas… il sera plus simple d’aller à sa rencontre.
– Très bien, Seigneur. Il ne prend pas la route intérieure, du fleuve et du lac ? C’est la plus courte et la mieux abritée…
– Mais lui, il ne la suivra pas. Rappelle-toi qu’il doit surveiller les disciples, et eux sont bien éparpillés du côté du couchant en cette saison, si froide de nouveau par ailleurs.
– C’est bien, c’est bien. Si tu le dis… Pour moi, il me suffit de rester avec toi et de te voir moins triste. Et… je ne suis pas pressé de retrouver Judas. Si seulement nous ne le rencontrions pas… Nous étions si bien entre nous !
– Simon, Simon ! C’est cela ta charité fraternelle ?
– Seigneur… c’est ma vérité » répond Pierre avec franchise.
Il dit cela avec une telle impétuosité et une telle expression que Jésus doit se retenir pour ne pas rire. Mais comment réprimander sévèrement un homme aussi franc et aussi fidèle ?
Jésus préfère se taire en montrant un intérêt exagéré pour les pentes sur leur gauche, alors que la plaine s’ouvre à droite, toujours plus plate. Derrière eux, en groupe, les neuf autres parlent, et Jean ressemble à un bon pasteur avec l’agneau qu’il porte sur les épaules, peut-être un cadeau du berger Hanne.
Après un moment, Pierre demande de nouveau :
« Et on ne va pas à Nazareth ?
– Nous y irons certainement. Ma Mère sera très heureuse d’être informée du voyage de Jean d’En-Dor et de Syntica.
– Et de te voir !
– Et de me voir.
– L’auront-ils laissée tranquille, elle au moins ?
– Nous le saurons.
– Mais pourquoi sont-ils si acharnés ? Il y en a tant comme Jean, même en Judée, et pourtant… Bien plus, pour faire la nique à Rome, ils les protègent et les cachent…
– Sois bien persuadé que ce n’est pas pour Jean qu’ils le font, mais parce que c’est un chef d’accusation contre moi.
– Mais ils ne les trouveront plus ! Tu as tout bien fait, toi… Nous envoyer seuls… par mer… en barque pendant plusieurs milles, et ensuite, au-delà des frontières, sur un navire… Ah ! Tout est bien ! J’espère vraiment qu’ils seront déçus.
– Ils le seront.
– Je suis curieux de voir Judas pour l’observer un peu, comme un ciel plein de vents et de signes, et voir si…
– Mais enfin !…
– Tu as raison. Il y a un clou là-dedans », marmonne Pierre en se frappant le front.
333.2 Jésus, pour lui changer les idées, appelle tous les autres et leur fait remarquer l’étrange destruction opérée par la grêle et le froid survenu quand on pouvait penser que la saison en était passée pour cette année… Certains réagissent d’une façon, d’autres différemment, mais tous veulent y voir un signe de châtiment divin sur l’arrogante Palestine qui n’accueille pas le Seigneur. Et les plus savants citent des faits semblables, connus par des récits anciens, tandis que les plus jeunes et les moins cultivés écoutent, étonnés et attentifs.
Jésus secoue la tête.
« C’est un effet de la lune et de vents lointains. Je vous l’ai déjà dit. Dans les pays hyperboréens, il s’est produit un phénomène dont des régions entières subissent les conséquences.
– Mais alors pourquoi certains champs sont-ils beaux ?
– C’est comme ça, avec la grêle.
– Mais est-ce que ce ne serait pas un châtiment pour les plus mauvais ?
– Ce serait possible, mais ce n’est pas le cas. Malheur s’il en était ainsi…
– Presque toute notre patrie deviendrait aride et désolée, n’est-ce pas, Seigneur ? dit André.
– Mais dans les prophéties, il est dit symboliquement qu’il arrivera du mal à ceux qui n’accueilleront pas le Messie. Les prophètes peuvent-ils mentir ?
– Non, Barthélemy. Et ce qui est dit arrivera. Mais le Très-Haut est si bon, infiniment bon, qu’il veut, pour punir, beaucoup plus que ce qui a lieu maintenant. Soyez bons vous aussi, sans toujours désirer des punitions pour ceux qui ont le cœur dur et l’intelligence revêche. Désirez pour eux la conversion, pas la punition. 333.3 Jean, passe l’agneau à un compagnon, et viens regarder “ ta mer du haut de cette dune. Je viens moi aussi ”. »
Effectivement, ils se trouvent sur une route très proche de la mer, séparée seulement de celle-ci par une large bande de dunes ondulées sur lesquelles poussent de maigres palmiers et des tamaris ébouriffés, des lentisques et autres plantes des terrains sablonneux.
Jésus y va avec Jean. Mais qui le quitterait ? Personne. Et tous sont vite là-haut, sous un beau soleil qui ne gêne pas, en face de la mer paisible et belle…
La ville de Ptolémaïs avec ses maisons blanches est toute proche.
« Nous y entrons ? demande Jude.
– Pas besoin. Nous nous arrêterons pour manger aux premières maisons. Je veux arriver ce soir à Sycaminon. Nous y trouverons peut-être Isaac.
– Que de bien il fait, hein? Tu as entendu Abel, Jean et Joseph ?
– Oui. Mais tous les disciples sont très actifs. J’en bénis mon Père, nuit et jour. Vous tous… Ma joie, ma paix, ma sécurité… »
Il les contemple avec tant d’amour que les larmes en viennent aux yeux des dix hommes… Et c’est sur ce regard d’amour que prend fin la vision.
Les hyperboréens
Dans « l’Évangile tel qu’il m’a été révélé » Jésus mentionne à plusieurs reprises les « hyperboréens ». Il justifie par exemple un violent orage récent : « un effet de la lune et de vents lointains. Je vous l'ai déjà dit. Dans les pays hyperboréens il s'est produit un phénomène dont des régions entières subissent les conséquences » (EMV 333.2). Ailleurs il déclare aux apôtres : « L’homme du grand Nord dont vous ne connaissez pas l’aspect est aussi votre prochain » (EMV 258.5). Ailleurs encore il évoque les « mers froides, où l’on dit que la nuit dure des mois entiers » et « les poissons des glaces » (EMV 319.3)
Ces évocations, et d’autres encore (1) ne sauraient surprendre. Déjà six siècles avant notre ère, Hécatée de Millet aurait consacré un ouvrage aux hyperboréens. Deux siècles plus tard, Hérodote affirme que si l’on s’aventure au-delà du pays des Scythes « on trouve d'autres peuples qui dorment six mois de l'année ». Vers 330 av. J.-C., le navigateur Pythéas après six jours de navigation au Nord d’Albion (la Grande Bretagne) découvre « une mer gelée où se confondent l'air, la mer et la terre ». De ces contrées nordiques, les Phéniciens rapportaient l’étain, et les Egyptiens l’ambre qui « se trouve où l'étoile polaire est au zénith ».
Un siècle avant Jésus, Diodore de Sicile écrit : « Dans les régions situées au-delà des Celtes, il y a dans l'Océan une île au moins aussi grande que la Sicile. Cette île est située au nord et habitée par les Hyperboréens, ainsi nommés parce qu'ils vivent au-delà de l'endroit d'où souffle le vent du nord » (2).
Puis le géographe Strabon, au premier siècle, précise : « les peuples voisins de la zone glaciale ne connaissent, en fait de plantes et de fruits, aucune de nos espèces cultivées, qu'en fait d'animaux domestiques ils manquent absolument des uns, et ne possèdent qu'un très petit nombre des autres ; qu'ils se nourrissent de miel et de légumes, de fruits et de racines sauvages ; que ceux qui ont du blé et du miel en tirent aussi leur boisson habituelle, et que, faute de jamais jouir d'un soleil sans nuages, ils portent leur blé dans de grands bâtiments couverts pour l'y battre, les pluies et le manque de soleil les empêchant naturellement de se servir, comme nous, d'aires découvertes » (3).
(1) Cf. EMV 432.4 ; EMV 514.7 ; EMV 625.9.
(2) Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, II, 47. Au sens étymologique, les hyperboréens, ce sont ceux qui vivent « par-delà les souffles de Borée » (le vent du nord)
(3) Strabon Géographie Livre IV La Gaule, 5, la Bretagne.