Une initative de
Marie de Nazareth

Marie évoque la naissance de Jésus

jeudi 6 avril 28
Bethléem
La Vierge Marie (Lorenzo Ferri, d'après les descriptions de Maria Valtorta)

Vision de Maria Valtorta

       207.1 Après avoir quitté Béthanie au premier sourire de l’aurore, Jésus prend la route de Bethléem avec sa Mère, Marie, femme d’Alphée, et Marie Salomé, suivi des apôtres et précédé de l’enfant qui trouve un motif de joie dans tout ce qu’il voit : les papillons qui s’éveillent, les oiseaux qui chantent ou becquettent sur le sentier, les fleurs que font resplendir les diamants de la rosée, l’apparition d’un troupeau avec quantité d’agnelets bêlants. Après avoir passé le torrent qui coule au sud de Béthanie, tout écumeux et riant au milieu des roches, la troupe se dirige vers Bethléem entre deux rangées de collines, toutes vertes d’oliviers et de vignes, avec de petits champs que dorent les moissons arrivées à maturation. La vallée est fraîche, et la route assez praticable.

       Simon-Pierre s’avance pour rejoindre le groupe de Jésus et demande :

       « Allons-nous d’ici à Bethléem ? Jean dit que, la dernière fois, vous aviez pris un autre chemin.

       – C’est vrai, répond Jésus. Mais c’était parce que nous venions de Jérusalem. D’ici, c’est plus court. Au tombeau de Rachel, que les femmes veulent voir, nous nous séparerons comme vous l’avez décidé il y a un moment. Nous nous retrouverons ensuite à Bet-çur où ma Mère désire faire halte.

       – Oui, c’est ce que nous avons dit… mais ce serait si beau d’y être tous… Ta Mère spécialement… car, enfin, la reine de Bethléem et de la grotte, c’est elle, et elle sait tout parfaitement… Entendu de sa bouche… ce serait différent, voilà. »

       Jésus sourit en regardant Simon qui insinue doucement son désir.

       « Quelle grotte, père ? demande Marziam.

       – La grotte où est né Jésus.

       – Oh ! C’est beau ! J’y vais moi aussi !

       – Ce serait vraiment beau ! Interviennent Marie, femme d’Alphée, et Salomé.

       – Très beau !… Ce serait revenir en arrière… à l’époque où le monde t’ignorait, c’est vrai, mais ne te haïssait pas encore… Ce serait retrouver l’amour des simples qui ne surent que croire et aimer, avec humilité et foi… Ce serait déposer ce fardeau d’amertume qui me pèse sur le cœur depuis que je te sais ainsi haï, le déposer là dans ta crèche… Elle doit avoir encore gardé la douceur de ton regard, de ta respiration, de ton sourire incertain… et tout cela me caresserait le cœur… Il est rempli d’une telle amertume ! »

       Marie parle doucement, d’une voix empreinte de désir et de tristesse.

       « Dans ce cas, nous y allons, Maman. A toi de nous conduire. Aujourd’hui tu es la Maîtresse et moi l’enfant qui apprend.

       – Oh, mon Fils ! Non ! Tu es toujours le Maître…

       – Non, Maman. Simon-Pierre a raison : sur la terre de Bethléem, c’est toi qui es la Reine. Ce fut ton premier château. Marie, descendante de David, conduis ce petit peuple à ta demeure. »

       Judas allait parler, mais il préfère se taire. Jésus, qui re­marque son attitude et l’interprète, dit :

       « Si l’un d’entre vous, à cause de la fatigue ou pour quelque autre raison, ne veut pas venir, qu’il poursuive librement sa route vers Bet-çur. »

       Mais tous gardent le silence.

       207.2 Ils continuent leur route par la fraîche vallée orientée d’est en ouest, puis ils tournent légèrement vers le nord, longent une colline qui se dresse là et rejoignent ainsi la route qui mène de Jérusalem à Bethléem, justement à côté du cube que surmonte le dôme arrondi du tombeau de Rachel. Tous s’approchent pour prier avec respect.

       « Nous nous sommes arrêtés ici, Joseph et moi. Tout est comme à l’époque. Il n’y a que la saison qui diffère : c’était alors une froide journée de Casleu. Il avait plu et les routes étaient devenues boueuses, puis il s’était levé un vent glacial et peut-être avait-il gelé pendant la nuit. Les chemins s’étaient durcis mais, sillonnés par des chars et par la foule, ils ressemblaient tous à une mer couverte de trous, si bien que mon petit âne se fatiguait beaucoup…

       – Pas toi, Mère ?

       – Oh moi, je t’avais, toi !… »

       Son regard exprime un tel bonheur que c’en est émouvant. Puis elle reprend la parole :

       « La nuit tombait et Joseph était très soucieux… Un vent cinglant se levait et ne cessait de se renforcer… Les gens se hâtaient vers Bethléem, on se heurtait, et plusieurs prenaient à partie mon petit âne qui avançait bien lentement, cherchant où il devait mettre les sabots… Il semblait savoir que tu étais là… et que tu sommeillais pour la dernière fois dans le berceau de mon sein. Il faisait froid… mais moi, je brûlais. Je te sentais arriver… Arriver ? Tu pourrais dire : “ Cela fait neuf mois que j’étais là, Maman. ” Certes, mais à ce moment-là, c’était comme si tu descendais des Cieux. Les Cieux s’abaissaient jusqu’à moi et j’en voyais les splendeurs… Je voyais la Divinité brûler de la joie de ta naissance toute proche, et ces feux me pénétraient, m’incendiaient, m’abstrayaient… de tout… Froid… vent… foule… tout cela n’était rien ! Je voyais Dieu… De temps à autre, avec effort, je réussissais à ramener mon esprit sur la terre et je souriais à Joseph qui craignait pour moi le froid et la fatigue ; il guidait le petit âne de peur d’un faux pas et m’enveloppait dans une couverture pour que je ne prenne pas froid… Mais il ne pouvait rien arriver. Je ne sentais pas les secousses. J’avais l’impression d’avancer sur un chemin d’é­toiles, au milieu de nuées éclatantes que soutenaient les anges… Et je souriais… D’abord à toi… A travers les barrières de la chair, je te regardais dormir, tes petits poings serrés dans ton petit lit de roses vivantes, mon bouton de lys… Puis je souriais à mon époux si affligé, si affligé, pour l’encourager… et aussi aux gens qui ne savaient pas que déjà ils respiraient dans l’aura du Sauveur…

       Nous nous sommes arrêtés près du tombeau de Rachel pour que le petit âne se repose un moment et pour manger un peu de pain et d’olives, nos provisions de pauvres. Mais je n’avais pas faim. Je ne pouvais pas avoir faim… Ma joie me nourrissait…

       207.3 Nous reprîmes notre route… Venez, que je vous montre où nous avons rencontré le berger… Ne craignez pas que je me trompe. Je revis cette heure et je retrouve chaque endroit car je vois tout à travers une grande lumière angélique. Peut-être les multitudes des anges sont-elles de nouveau ici, dans leur lumineuse pureté, invisibles pour les corps mais bien visibles pour les âmes. Tout se découvre et tout est indiqué. Eux, ils ne peuvent se tromper, et ils me conduisent… pour ma joie et la vôtre. Voici : c’est de ce champ-ci à celui-là que vint Elie avec ses brebis, et Joseph lui demanda du lait pour moi. Et c’est ici, dans ce pré, que nous nous sommes arrêtés pendant qu’il trayait le lait chaud et nourrissant et qu’il donnait ses conseils à Joseph. Venez, venez… Voici le sentier du dernier vallon avant Bethléem. Nous l’avons pris parce que la route principale aux abords de Bethléem était encombrée de gens et de montures…

       207.4 Voici Bethléem. Oh ! Chère, très chère terre de mes pères qui m’as donné le premier baiser de mon Fils ! Tu es ouverte, bonne et odorante comme le pain dont tu portes le nom, pour donner le vrai Pain au monde qui meurt de faim ! Tu m’as embrassée, toi en qui demeure l’amour maternel de Rachel, comme une mère, terre sainte de la Bethléem de David, premier temple élevé au Sauveur, à l’Etoile du matin née de Jacob pour indiquer la route des Cieux à toute l’humanité ! Regardez comme la ville est belle en ce printemps ! Mais autrefois aussi, malgré la nudité des champs et des vignes, elle était belle ! Un léger voile de givre faisait resplendir les branches nues et elles se couvraient d’une poussière de diamants comme si elles étaient enveloppés dans un impalpable voile de paradis. La cheminée de chaque maison fumait pour le repas tout proche et la fumée, s’élevant par degrés jusqu’à ce sommet, montrait la ville elle-même toute voilée…

       Tout était chaste, recueilli, en attente… de toi, de toi, mon Fils ! La terre te sentait venir… Et les habitants de Bethléem t’ont peut-être senti eux aussi, car ils ne sont pas méchants, malgré ce que vous pensez. Ils ne pouvaient pas nous abriter… Dans les maisons honnêtes et bonnes de Bethléem s’entassaient, arrogants comme toujours, sourds et orgueilleux, ceux qui maintenant le sont restés ; eux, ils ne pouvaient te sentir… Combien de pharisiens, de sadducéens, d’hérodiens, de scribes, d’esséniens il y avait ! Si leur cœur est aujourd’hui fermé, cela vient encore de leur dureté de cœur d’alors. Ce soir-là, ils ont fermé leur cœur à l’amour envers leur pauvre sœur… Ils sont restés dans les ténèbres, et y demeurent encore. Ils ont repoussé Dieu dès cet instant, en repoussant loin d’eux l’amour du prochain.

       207.5 Venez. Allons à la grotte. Il est inutile d’entrer dans la ville. Les plus grands amis de mon Enfant n’y sont plus. La nature, cette amie, nous suffit, avec ses pierres, sa petite rivière, son bois pour faire du feu… la nature qui a senti venir son Seigneur… Voilà, venez en sûreté. On tourne ici… Voici les ruines de la tour de David. Ah ! Elles me sont plus chères qu’un palais de roi ! Ruines bénies ! Ruisseau béni ! Arbre béni que, comme par miracle, le vent a dépouillé de branches en grand nombre pour que nous trouvions du bois et puissions faire du feu ! »

       Marie descend rapidement vers la grotte, franchit le ruisseau sur une planche qui sert de pont, court à l’emplacement qui se trouve devant les ruines et tombe à genoux sur le seuil de la grotte. Elle se penche et en baise le sol. Tous les autres la suivent. Ils sont émus… L’enfant, qui ne la quitte pas un instant, semble écouter une merveilleuse histoire et ses yeux noirs boivent les paroles et les gestes de Marie sans en perdre un seul.

       Marie se relève et entre en disant :

       « Tout est resté comme autrefois ! Mais il faisait nuit, à cette époque… Joseph fit de la lumière à mon entrée. C’est alors seulement, en descendant de l’âne, que je sentis à quel point j’étais fatiguée et gelée… Un bœuf nous salua, j’allai à lui pour sentir un peu de chaleur, pour m’appuyer contre le foin… Là où je suis, Joseph étendit du foin pour me faire un lit et le sécha pour moi comme pour toi, mon Fils, à la flamme allumée dans ce coin… car, par amour, cet ange qu’était mon époux était bon comme un père… Et nous tenant par la main, comme deux frères perdus dans l’obscurité de la nuit, nous avons mangé du pain et du fromage, puis il alla de ce côté alimenter le feu, et ôta son manteau pour boucher l’ouverture… En réalité, il fit tomber un voile devant la gloire de Dieu qui descendait des Cieux, toi, mon Jésus… et je restai sur le foin, dans la tiédeur des deux animaux, enveloppée dans mon manteau et dans la couverture de laine… Mon cher époux… En cette heure d’anxiété où j’étais seule devant le mystère de ma première maternité, toujours pleine d’inconnu pour une femme et, pour moi, dans mon unique maternité, remplie aussi du mystère qu’allait être la vision du Fils de Dieu émergeant d’une chair mortelle, lui, Joseph, fut pour moi une mère, il fut un ange… mon réconfort… à cette époque comme toujours…

       207.6 Le silence et le sommeil enveloppèrent ensuite le Juste… pour qu’il ne voie pas ce qui était pour moi le baiser quotidien de Dieu… Alors, après cet intermède des nécessités humaines, survinrent pour moi les flots sans mesure de l’extase arrivant de la mer paradisiaque, qui me soulevaient de nouveau sur des crêtes lumineuses toujours plus élevées, et m’emportèrent avec eux, tout en haut, dans un océan de lumière, de lumière, de joie, de paix, d’amour jusqu’à ce que je me trouve perdue dans la mer de Dieu, du sein de Dieu… J’entendis encore une voix de la terre : “ Tu dors, Marie ? ”, mais si lointaine… Un écho, un souvenir de la terre… si faible que l’âme n’en est pas touchée… je ne sais quelle réponse j’y fis pendant que je ne cessais de m’élever dans cet abîme de feu, de béatitude infinie, d’avant-goût de Dieu… jusqu’à lui, jusqu’à lui… Oh ! Mais est-ce toi qui es né, ou est-ce moi qui suis née de la splendeur trinitaire, cette nuit-là ? Est-ce moi qui t’ai donné, ou toi qui m’as aspirée pour me donner ? Je ne sais pas…

       Puis vint la descente, de chœur en chœur, d’astre en astre, de nuage en nuage, douce, lente, bienheureuse, tranquille comme celle d’une fleur qu’un aigle a emmenée dans les hauteurs et qu’il a laissée tomber, et qui redescend lentement sur les ailes de l’air, embellie par une pluie de pierres précieuses, par une parcelle d’arc-en-ciel dérobée au ciel, et qui se retrouve sur sa terre natale… Mon diadème, c’est toi ! Toi, sur mon cœur…

       M’étant assise ici, après t’avoir adoré à genoux, je t’ai aimé. Enfin, j’ai pu t’aimer sans la barrière de la chair ; je me suis levée pour te porter à l’amour de celui qui, comme moi, était digne de t’aimer dans les premiers. Et ici, entre ces deux rustiques colonnes, je t’ai offert au Père. Et, ici, tu as reposé pour la première fois sur le cœur de Joseph… Je t’ai ensuite emmailloté et, ensemble, nous t’avons déposé ici… Je te berçais pendant que Joseph séchait le foin à la flamme et le tenait au chaud en le mettant sur sa poitrine. A cet endroit, nous t’adorions tous deux, penchés sur toi comme moi maintenant, pour boire ta respiration, pour voir à quel anéantissement peut conduire l’amour, pour verser les larmes que l’on verse sûrement au Ciel sous l’effet de la joie inépuisable de voir Dieu. »

       207.7 Marie est allée et venue pendant cette évocation, indiquant les endroits, haletante d’amour, une larme scintillant dans ses yeux bleus et un sourire de joie sur les lèvres ; elle se penche réellement sur son Jésus qui s’est assis sur une grosse pierre pendant cette évocation, et elle embrasse ses cheveux en pleurant et adorant comme alors…

       « Et puis les bergers… à l’intérieur, ici, pour adorer de toute leur âme pleine de bonté, accompagnés du grand soupir de la terre qui entrait avec eux et de leur odeur d’hommes, de troupeaux, de foin ; et au-dehors, partout, il y avait des anges pour t’adorer par leur amour, par leurs chants qu’aucune créature humaine ne saurait répéter, et par l’amour des Cieux, par l’atmosphère des Cieux qui entrait avec eux, et qu’ils apportaient avec leur éclat… Ta naissance, béni !… »

       Marie s’est agenouillée auprès de son Fils ; elle pleure d’émotion, la tête appuyée sur ses genoux. Pendant quelques instants, personne n’ose parler. Plus ou moins émues, les personnes présentes regardent autour d’elles comme si, au milieu des araignées et des cailloux rugueux, elles espéraient voir le spectacle de la scène décrite…

       Marie se ressaisit et dit :

       « Voilà, je vous ai raconté la naissance de mon Fils dans son infinie simplicité et son infinie grandeur, avec mon cœur de femme, pas avec la sagesse d’un maître. Il n’y a rien d’autre, car ce fut la chose la plus grande de la terre, cachée sous les apparences les plus communes.

       207.8 – Mais le lendemain ? Et ensuite ? demandent plusieurs d’entre eux, dont les deux Marie.

       – Le lendemain ? C’est très simple : j’étais la mère qui allaite son bébé, le lave et l’emmaillote comme le font toutes les mères. Je chauffais l’eau puisée au ruisseau sur le feu allumé au-dehors, là, pour que la fumée ne fasse pas pleurer ses deux yeux bleus ; puis, dans le coin le plus abrité, dans un vieux baquet, je lavais mon enfant et je lui mettais des langes frais. J’allais à la rivière laver ses langes et je les étendais au soleil… et puis, joie entre les joies, je lui donnais le sein, et il tétait, prenait des couleurs, était heureux… Le premier jour, à l’heure la plus chaude, je suis allée m’asseoir là-dehors pour bien le voir. Ici, le jour filtre sans entrer, et la lumière et la flamme donnaient un aspect étrange aux choses. Je suis sortie, au soleil… et j’ai regardé le Verbe incarné. La Mère a alors connu son Fils et la servante de Dieu son Seigneur. Et je fus femme et adoratrice… Puis la maison d’Anne… les journées passées auprès du berceau, ses premiers pas, ses premiers mots… Mais cela vint plus tard, en son temps… Et rien, rien ne fut semblable à l’heure de ta naissance… Ce n’est qu’en revenant à Dieu que je retrouverai cette plénitude…

       – pourtant… partir ainsi, au dernier moment ! Quelle imprudence ! Pourquoi ne pas avoir attendu ? Le décret prévoyait un délai pour des cas exceptionnels comme une naissance ou une maladie. C’est ce qu’Alphée a dit, intervient Marie, femme d’Alphée.

       – Attendre ? Oh, non ! Ce soir-là, quand Joseph m’apporta la nouvelle, toi et moi, mon Fils, nous avons tressailli de joie. C’était l’appel… Car c’était ici, et ici seulement, que tu devais naître, comme les prophètes l’avaient annoncé. Et ce décret imprévu fut comme un acte de pitié du Ciel pour effacer chez Joseph jusqu’au souvenir de son soupçon. C’était celui que j’attendais, pour toi, pour lui, pour le monde juif comme pour le monde à venir, jusqu’à la fin des siècles. C’était annoncé. Et cela se produisit conformément à ce qui était annoncé. Attendre ! Est-ce que l’épouse peut retarder son rêve nuptial ? Pourquoi attendre ?

       – Mais… à cause de tout ce qui pouvait arriver…, répond Marie, femme d’Alphée.

       – Je n’avais aucune crainte. Je me reposais sur Dieu.

       – Mais savais-tu que tout allait se passer ainsi ?

       – Personne ne me l’avait dit, et moi, je n’y pensais pas du tout, au point que, pour rassurer Joseph, je l’ai laissé penser – et vous aussi – qu’il y avait encore du temps avant la naissance. Mais moi, je savais que ce serait pendant la fête des Lumières que la Lumière du monde naîtrait.

       – Et toi, mère, pourquoi n’as-tu pas plutôt accompagné Marie ? Et pourquoi mon père n’y a-t-il pas pensé ? Vous auriez dû venir ici, vous aussi. Pourquoi ne sommes-nous pas tous venus ? demande sévèrement Jude.

       – Ton père avait décidé de venir après les Encénies, et il l’a dit à son frère, mais Joseph n’a pas voulu attendre.

       – Mais toi, du moins… insiste Jude.

       – Ne lui fais pas de reproches. C’est d’un commun accord que nous avons trouvé juste de laisser tomber un voile sur le mystère de cette naissance.

       – Mais, avec ces signes, Joseph savait-il qu’elle allait survenir ? Si, toi, tu l’ignorais, pouvait-il le savoir, lui ?

       – Nous ne savions rien, sauf qu’il devait naître.

       – Et alors ?

       – Alors, ce fut la Sagesse divine qui nous conduisit ainsi, comme c’était juste. La naissance de Jésus, sa présence dans le monde, devait apparaître privée de tout aspect étonnant, qui aurait excité Satan… Et vous voyez que l’animosité actuelle de Bethléem à l’égard du Messie est une conséquence de la première manifestation du Christ. La haine du démon utilisa cette révélation pour faire répandre le sang et, par le sang répandu, répandre la haine.

       207.9 Es-tu content, Simon-Pierre ? Tu ne dis rien et c’est à peine si tu respires…

       – Tellement content… à tel point qu’il me semble être hors du monde, dans un lieu encore plus saint que si j’étais au-delà du velarium du Temple… Tellement content que… que, maintenant que je t’ai vue à cet endroit, et avec la lumière d’alors, je crains de t’avoir traitée, avec respect, certes, comme une grande femme, mais toujours comme une femme. Désormais… désormais je n’oserai plus te dire comme avant : “ Marie. ” Tu étais auparavant pour moi la Mère de mon Maître. Maintenant, maintenant je t’ai vue au sommet de ces flots célestes, je t’ai vue comme une Reine et moi, misérable, voici ce que je fais de cet esclave que je suis. »

       Et il se jette à terre, en baisant les pieds de Marie.

       C’est maintenant Jésus qui parle :

       « Simon, relève-toi, et viens ici, tout près de moi. »

       Pierre va à gauche de Jésus car Marie est à sa droite.

       « Que sommes-nous, maintenant ? demande Jésus.

       – Nous ? Mais nous sommes Jésus, Marie et Simon.

       – C’est bien, mais combien sommes-nous ?

       – Trois, Maître.

       – Une trinité, donc. Un jour, au Ciel, il vint une pensée à la divine Trinité : “ Il est temps que le Verbe aille sur la terre ”, et, dans un frémissement d’amour, le Verbe vint sur la terre. Il se sépara donc du Père et de l’Esprit Saint. Il vint œuvrer sur la terre. Au Ciel, les deux Personnes divines qui étaient restées contemplèrent les œuvres du Verbe et restaient plus unies que jamais pour répandre la Pensée et l’Amour afin d’aider la Parole qui œuvrait sur la terre. Un jour viendra où cet ordre arrivera du Ciel : “ C’est le moment de revenir, car tout est accompli ” ; alors le Verbe retournera au Ciel, ainsi… (Jésus fait un pas en arrière en laissant Marie et Pierre à leur place) et, du haut des Cieux, il contemplera les œuvres des deux restés sur la terre. Ceux-ci, en un mouvement saint, s’uniront plus que jamais pour associer le pouvoir à l’amour et en faire le moyen d’accomplir le désir du Verbe : la rédemption du monde par l’enseignement continu de son Eglise. Et le Père, le Fils et l’Esprit Saint feront de leur rayonnement une chaîne pour resserrer toujours plus les deux qui seront restés sur terre : ma Mère, l’amour ; toi, le pouvoir. Tu devras donc bien traiter Marie en reine, oui, mais sans être un esclave. Es-tu d’accord ?

       – Je suis d’accord avec tout ce que tu veux. Je suis anéanti ! Moi, le pouvoir ? Ah, si je dois être le pouvoir, alors oui, je dois m’appuyer sur elle ! Oh, Mère de mon Seigneur ! Ne m’abandonne jamais, jamais, jamais…

       – N’aie pas peur. Je te tiendrai toujours par la main, comme cela, comme je le faisais avec mon Bébé jusqu’à ce qu’il soit capable de marcher tout seul.

       – Et après ?

       – Après, je te soutiendrai par la prière. Allons, Simon, ne doute jamais de la puissance de Dieu. Je n’en ai pas douté, moi, ni Joseph. Toi non plus, tu ne dois pas douter. Dieu nous donne son secours, heure après heure, si nous restons humbles et fidèles…

       207.10 Maintenant, venez au-dehors, près du ruisseau, à l’ombre de ce bon arbre. Si l’été était plus avancé, il vous donnerait ses pommes en plus de son ombre. Venez. Nous allons manger avant de partir… pour aller où, mon Fils ?

       – A Jala. C’est tout près. Et demain nous irons à Bet-çur. »

       Ils s’asseyent à l’ombre du pommier et Marie s’appuie contre son tronc robuste.

       Barthélemy la regarde fixement — elle qui est si jeune et encore animée d’une manière céleste par tout ce qu’elle vient d’évoquer —, recevoir de son Fils la nourriture qu’il a bénite et lui sourire d’un regard plein d’amour, et il murmure :

       « “ A son ombre je me suis assise et son fruit est doux à mon palais. ” »

       Jude lui répond :

       « C’est vrai. Elle meurt d’amour, mais on ne peut certainement pas dire que “ c’est sous un pommier qu’elle a été réveillée. ”

       – Et pourquoi pas, mon frère ? Que savons-nous des secrets du Roi ? » répond Jacques, fils d’Alphée.

       Jésus intervient en souriant :

       « La nouvelle Eve a été conçue par la Pensée au pied du pommier du paradis pour que son sourire et ses larmes mettent en fuite le serpent et désintoxiquent le fruit empoisonné. Elle est devenue l’arbre du fruit rédempteur. Venez, mes amis, et mangez-en, car se nourrir de sa douceur, c’est se nourrir du miel de Dieu.

       – Maître, réponds à un désir de savoir que j’ai depuis longtemps. Le Cantique que nous citons annonce-t-il Marie ? demande doucement Barthélemy pendant que Marie s’occupe de l’enfant et parle avec ces compagnes.

       Jésus se tourne vers les femmes.

       – on parle d’elle dès le commencement du Livre, et on en parlera dans les livres à venir jusqu’à ce que la parole de l’homme devienne l’éternel hosanna de l’éternelle Cité de Dieu. »

       « On voit bien qu’il descend de David ! Quelle sagesse, quelle poésie ! » dit Simon le Zélote à ses compagnons.

       207.11 Judas qui, encore sous l’impression de la veille, parle peu tout en cherchant à retrouver la liberté qu’il avait auparavant, l’interrompt :

       « Voilà : je voudrais comprendre pourquoi l’Incarnation devait absolument avoir lieu. Dieu seul peut parler de façon à vaincre Satan. Dieu seul peut avoir le pouvoir de racheter et je n’en doute pas. Cependant, voilà, il me semble que le Verbe pouvait s’humilier moins qu’il ne l’a fait en naissant comme tous les hommes, en s’assujettissant aux misères de l’enfance et au reste. N’aurait-il pas pu apparaître sous une forme humaine, déjà adulte, sous les apparences d’un adulte ? Ou, s’il voulait vraiment avoir une mère, en choisir une, mais adoptive comme il l’a fait pour son père ? Il me semble qu’une fois, je le lui ai demandé, mais il ne m’a pas répondu longuement, ou bien je ne m’en souviens pas.

       – Demande-le-lui ! Puisque nous sommes dans le sujet…, dit Thomas.

       – Pas moi. Je l’ai fâché et je ne me sens pas encore pardonné. Demandez-le-lui pour moi.

       – Pardon ! Nous acceptons tout sans tant d’explications, et ce serait à nous de poser des questions ? Ce n’est pas pensable ! Riposte Jacques, fils de Zébédée.

       – Qu’est-ce qui n’est pas pensable ? » demande Jésus.

       Après un moment de silence, Simon le Zélote se fait l’interprète de tous et répète les questions de Judas et les réponses des autres.

       « Moi, je ne garde pas rancune. C’est la première chose que je dois dire. Je fais les observations que je dois faire, je souffre et je pardonne. Ceci dit pour celui qui a peur ; d’ailleurs, cette peur est encore le fruit de son trouble. En ce qui concerne mon Incarnation réelle, je réponds : il est juste qu’il en ait été ainsi. A l’avenir, beaucoup tomberont dans toutes sortes d’erreurs au sujet de mon Incarnation. Ils me prêteront précisément les formes que Judas aurait voulu que je prenne : un homme dont le corps est en apparence formé de matière, mais en réalité fluide, comme un jeu de lumière, grâce auquel je serais et ne serais pas une chair. Et la maternité de Marie existerait sans vraiment exister. En vérité, je suis une chair, et Marie est la Mère du Verbe fait chair. Si l’heure de ma naissance ne fut qu’extase, c’est parce qu’elle est la nouvelle Eve qui ne porte pas le poids de la faute ni l’héritage du châtiment. Mais cela n’a pas été pour moi une dégradation de reposer en elle. Est-ce que par hasard la manne était avilie du fait qu’elle était dans le Tabernacle ? Non, elle était au contraire honorée de se trouver en ce lieu.

       D’autres affirmeront que, n’étant pas une chair réelle, je n’ai pas enduré la souffrance ni la mort durant mon séjour sur la terre. Oui, comme on ne pourra nier mon existence, on niera la réalité de mon Incarnation ou la vérité de ma divinité. Non, en vérité, je suis éternellement Un avec le Père et je suis uni à Dieu en tant que Chair car l’Amour peut avoir rejoint ce qui ne peut être rejoint dans sa Perfection en se revêtant de chair pour sauver la chair. C’est ma vie entière qui répond à toutes ces erreurs, elle qui donne son sang depuis ma naissance jusqu’à ma mort et qui s’est assujettie à tout ce qu’elle partage avec l’homme, à l’exception du péché. Oui, je suis né de Marie, et cela pour votre bien. Vous ne savez pas à quel point la Justice s’adoucit à partir du moment où elle a la Femme comme collaboratrice. Es-tu satisfait, Judas ?

       – Oui, Maître.

       – Fais-en sorte que, toi aussi, tu me satisfasses. »

       Judas baisse la tête de confusion ; peut-être est-il réellement touché par tant de bonté.

       La halte se prolonge sous l’ombre fraîche du pommier. Certains dorment, d’autres somnolent. Mais Marie se lève et retourne dans la grotte, et Jésus la suit…

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