249.1 La matinée calme et ensoleillée favorise la montée sur des collines toujours orientées vers l’ouest, c’est-à-dire vers la mer.
« Nous avons bien fait d’arriver aux collines dans les premières heures de la matinée. Nous n’aurions pas pu rester dans la plaine sous ce soleil. Mais ici, il y a de l’ombre et de la fraîcheur. Je plains ceux qui suivent la voie romaine : elle est bonne pour l’hiver, dit Matthieu.
– Derrière ces collines, nous allons trouver le vent de la mer. L’air en est toujours tempéré, dit Jésus.
– Nous mangerons là-haut. L’autre jour, c’était tellement beau et d’ici ce doit l’être encore plus, car le mont Carmel est plus proche, et la mer aussi, ajoute Jacques, fils d’Alphée.
– Elle est bien belle, notre patrie ! S’exclame André.
– Oui. Il y a vraiment de tout : monts enneigés et collines aux pentes douces, lacs, fleuves, arbres de toute espèces et il n’y manque pas la mer. C’est vraiment le pays de délices qu’ont célébré nos psalmistes, nos prophètes, nos grands guerriers et nos poètes, dit Jude.
– Dis-en quelques passages, toi qui sais tant de choses, demande instamment Jacques, fils de Zébédée.
– “ C’est avec la beauté du Paradis qu’il a formé la terre de Juda.
Du sourire de ses anges, il a décoré la terre de Nephtali et avec les fleuves de miel du Ciel, il a donné leur saveur aux fruits de sa terre.
Toute la création se reflète en toi, joyau de Dieu offert par Dieu à son peuple saint.
Plus douce que les lourdes grappes qui mûrissent sur les pentes de tes monts, plus suave que le lait qui gonfle les pis de tes agnelles, plus enivrante que le miel suave comme les fleurs qui te parent, ô terre bienheureuse, telle est ta beauté pour le cœur de tes enfants.
Le ciel est descendu pour former un fleuve qui unit deux joyaux, pour offrir des pendentifs et une ceinture à ton vert vêtement.
Ton Jourdain chante, la mer est souriante et nous rappelle que Dieu est terrible, pendant que les collines semblent danser vers le soir, comme de joyeuses fillettes dans un pré ; tes montagnes prient à l’aube angélique et chantent alléluia sous les feux du soleil, ou adorent ta puissance en compagnie des étoiles, ô Dieu très-haut.
Tu ne nous as pas enfermés dans des frontières étroites, mais tu as laissé devant nous la mer ouverte pour nous dire que le monde est à nous. ”
– C’est beau ! Ah ! C’est vraiment beau ! Moi, je ne suis allé que sur le lac et à Jérusalem ; pendant des années et des années, je n’ai rien vu d’autre. Ce n’est que maintenant que je connais la Palestine, mais je suis certain qu’il n’y a rien de plus beau au monde, lance Pierre, plein de fierté pour son pays.
– Marie me disait que la vallée du Ni1 est très belle aussi, dit Jean.
– Et l’homme d’En-Dor parle de Chypre comme d’un paradis, ajoute Simon.
– Bien sûr, mais notre terre !… »…
Tous les apôtres, sauf judas et Thomas qui marchent un peu en avant avec Jésus, continuent à louer les beautés de la Palestine.
Par derrière viennent les femmes qui ne peuvent se retenir de recueillir les graines des plus belles fleurs pour les semer dans leurs parterres ou leurs jardins parce que ce sera un souvenir de leur voyage.
249.2 Des aigles, de mer je crois, ou des vautours, décrivent de larges cercles au-dessus des crêtes des collines, plongeant, de temps à autre, à la recherche d’une proie. Une bagarre s’engage entre deux vautours qui luttent tant et plus, au point d’y laisser des plumes, en un duel élégant et féroce qui se termine par la fuite du vaincu. Sans doute va-t-il mourir sur quelque pic éloigné. C’est du moins le jugement de tout le monde, tant son vol est pénible, exténué.
« La goinfrerie lui a mal réussi, observe Thomas.
– La goinfrerie et l’obstination produisent toujours du mal. Même ces trois hommes d’hier !… Miséricorde éternelle ! Quel sort terrible ! Dit Matthieu.
– Ils ne guériront jamais ? demande André.
– Demande-le au Maître. »
Jésus, interrogé, répond :
« Il vaudrait mieux demander s’ils se convertiront. Car, en vérité, je vous dis qu’il est préférable de mourir lépreux et saint qu’en bonne santé et pécheur. La lèpre reste sur la terre, dans la tombe, mais le péché demeure pour l’éternité.
249.3 – Ton discours d’hier soir m’a beaucoup plu, à moi, dit Simon le Zélote.
– Pas à moi. Il était très sévère pour beaucoup de monde en Israël, dit Judas.
– Es-tu de ceux-là ?
– Non, Maître.
– Dans ce cas, pourquoi le critiques-tu ?
– Mais parce que cela peut te nuire.
– Devrais-je alors, pour éviter ces ennuis, pactiser avec les pécheurs et être leur complice ?
– Je ne dis pas cela. Tu ne pourrais pas le faire. Mais te taire, ne pas dresser les grands contre toi…
– Se taire, c’est être d’accord. Moi, je ne suis pas d’accord avec les fautes, ni des petits ni des grands.
– Mais tu vois ce qui est arrivé à Jean-Baptiste ?
– Sa gloire.
– Sa gloire ? Il me semble que c’est sa ruine !
– Persécution et mort par fidélité à notre devoir font la gloire de l’homme. Le martyr est toujours glorieux.
– Mais la mort l’empêche d’être maître et fait souffrir ses disciples et les membres de sa famille. Lui, il échappe à toute peine, mais il laisse aux autres des peines bien plus grandes. Jean-Baptiste n’a pas de parents, c’est vrai. Mais il a toujours des devoirs envers ses disciples.
– Même s’il avait encore des parents, ce serait la même chose. La vocation est plus grande que le sang.
– Et le quatrième commandement ?
– Il vient après ceux qui concernent Dieu.
– tu as vu, hier, combien une mère souffre à cause de son fils…
– Mère ! Viens ici » dit Jésus.
Marie accourt auprès de Jésus et demande :
« Que veux-tu, mon Fils ?
– Mère, Judas de Kérioth plaide ta cause parce qu’il t’aime et qu’il m’aime.
– Ma cause ? En quoi ?
– Il veut me décider à une plus grande prudence, pour que je ne sois pas frappé comme notre parent, Jean-Baptiste. Il me dit qu’il faut avoir pitié des mères et se ménager pour elles, car c’est ce que demande le quatrième commandement. Toi, qu’en dis-tu ? Je te donne la parole, Mère, pour que tu instruises avec douceur notre Judas.
249.4 – Moi, je dis que je n’aimerais plus mon Fils en tant que Dieu et que j’en viendrais même à me demander si je ne m’étais pas toujours trompée, si je ne m’étais pas toujours méprise sur sa nature, si je le voyais transiger avec sa perfection, en abaissant sa pensée à des considérations humaines et en perdant de vue les considérations surnaturelles, à savoir, racheter, tenter de racheter les hommes par amour pour eux et pour la gloire de Dieu, quitte à se créer des peines et des rancœurs. Je l’aimerais encore comme un fils dévoyé par une force malfaisante, par pitié, parce que c’est mon fils, parce que ce serait un malheureux, mais plus avec cette plénitude d’amour dont je l’aime maintenant que je le vois fidèle au Seigneur.
– Fidèle à lui-même, tu veux dire.
– Au Seigneur. Maintenant, il est le Messie du Seigneur et il doit être fidèle au Seigneur, comme tout autre et même plus que tout autre, parce qu’il a une mission plus grande qu’il n’y en a jamais eu, comme il n’y en a pas et comme il n’y en aura pas d’autre sur la terre, et il reçoit certainement de Dieu une aide en rapport avec une si grande mission.
– Mais s’il lui arrivait du mal, ne pleurerais-tu pas ?
– Toutes les larmes de mon corps. Mais je pleurerais des larmes de sang si je le voyais infidèle à Dieu.
– Cela diminuera beaucoup les fautes de ceux qui le persécuteront.
– Pourquoi ?
– Parce que lui, autant que toi, vous les justifiez en quelque sorte.
– Ne t’imagine pas cela. Ce seront toujours les mêmes fautes aux yeux de Dieu, que nous jugions que cela est inévitable ou que nous jugions que nul homme en Israël ne devrait être coupable à l’égard du Messie.
– Nul homme en Israël ? Et si c’était un païen, ce ne serait pas la même chose ?
– Non, pour les païens, ce ne serait qu’une faute à l’égard de l’un de leurs semblables. Israël sait qui est Jésus.
– Beaucoup en Israël ne le savent pas.
– Ne veulent pas le savoir. Ils sont consciemment incrédules. Au manque de charité ils unissent donc l’incrédulité et nient l’espérance. Piétiner les trois vertus principales n’est pas une petite faute, Judas. C’est grave, spirituellement plus grave qu’un acte matériel contre mon Fils. »
Judas, à court d’arguments, se baisse pour relacer une sandale, et reste en arrière.
249.5 Ils ont atteint le sommet ou plutôt une saillie du sommet qui s’avance comme si elle voulait courir vers l’azur riant de la mer sans limites. Une épaisse forêt de chênes verts produit une lumière d’émeraude claire, marquée par de délicates déchirures de soleil sur cette crête montagneuse agréable, aérée, ouverte sur la côte désormais toute proche, en face de la chaîne majestueuse du Carmel. En bas, au pied de la montagne dont l’avancée se penche comme si elle voulait voler, après de petits champs à mi-pente, se trouve une étroite vallée avec un torrent profond, certainement puissant sous la violence des eaux en temps de crue, mais maintenant réduit à une écume d’argent au milieu de son lit. Le torrent coule vers la mer en rasant la base du mont Carmel. Il est bordé sur sa droite par un chemin surélevé qui relie une ville, située au milieu d’une baie, aux villes de l’intérieur, peut-être de la Samarie, si je m’oriente bien.
« Cette ville, c’est Sycaminon » dit Jésus. « Nous y serons ce soir à la tombée de la nuit. Reposons-nous maintenant car la descente est difficile, bien que fraîche et courte. »
Ils s’asseyent en cercle, pendant qu’un agneau, certainement un cadeau des bergers, rôtit sur une broche rudimentaire. Ils discutent entre eux et avec les femmes…