Une initative de
Marie de Nazareth

Jugement après un homicide et parabole des forêts pétrifiées

dimanche 18 juin 28
Bethléem de Galilée

Vision de Maria Valtorta

       248.1 C’est le soir quand ils arrivent à Bethléem de Galilée. On comprend que c’est la destinée des villes qui portent ce nom de s’étendre sur des collines ondulées, entourées de verdure, de bois, de prairies sur lesquels paissent les troupeaux qui descendent vers les bercails pour la nuit. Vestige d’un crépuscule puissant qui s’achève, le ciel est rouge. L’atmosphère est pleine de la mu­sique pastorale des cloches et des bêlements tremblants auxquels s’unissent les cris joyeux des enfants qui jouent et les voix de leurs mères qui les appellent.

       « Judas, va avec Simon chercher un logement pour nous et les femmes. L’auberge est au centre du village et nous vous y rejoindrons. »

       Tandis que Judas et Simon le Zélote obéissent, Jésus se tourne vers sa Mère :

       « Cette fois, ce ne sera pas comme à l’autre Bethléem. Tu trouveras où te reposer, ma Mère. Il n’y a pas beaucoup de voyageurs à cette saison et il n’y a pas d’édit.

       – A cette saison, il serait même agréable de dormir dans les prés ou au milieu de ces bergers, parmi les agneaux. »

       Marie sourit à son Fils ainsi qu’à des jeunes bergers curieux qui la regardent fixement.

       248.2 Elle sourit de telle manière que l’un d’eux donne un coup de coude à un autre et lui dit tout bas :

       « Ce ne peut être qu’elle » et il s’avance, sûr de lui, en disant :

       « Je te salue, Marie, pleine de grâce. Le Seigneur est-il avec toi ? »

       Marie répond par un sourire encore plus doux : « Voilà le Seigneur » et elle montre Jésus, qui s’est retourné pour charger ses cousins de donner des oboles aux pauvres qui s’approchent avec des demandes plaintives. Marie touche légèrement son Fils en lui disant :

       « Mon Fils, ces jeunes bergers te cherchent et ils m’ont reconnue, je ne sais comment…

       – Sûrement, Isaac sera passé par ici en y laissant le parfum de la révélation. Mon garçon, viens ici. »

       Le berger, un petit brun d’environ douze-quatorze ans, robuste malgré sa maigreur, aux yeux noirs très vifs et dont les cheveux retombent en une tignasse d’ébène, enveloppé dans sa peau de brebis – on dirait une copie du Précurseur en plus jeune – s’approche de Jésus avec un sourire de bonheur, comme fasciné.

       « Paix à toi, mon enfant, comment as-tu reconnu Marie ?

       – Parce que seule la Mère du Sauveur pouvait avoir ce sourire et ce visage. On m’a dit : “ Un visage d’ange, des yeux comme des étoiles et un sourire plus doux que le baiser d’une mère, doux comme son nom ‘ Marie ’, saint au point de pouvoir se pencher sur le Dieu nouveau-né. ” J’ai vu cela en elle et je l’ai saluée parce que je te cherchais. Nous te cherchions, Seigneur, et… je n’osais pas te saluer, toi, en premier.

       – Qui t’a parlé de nous ?

       – Isaac, de l’autre Bethléem. Il nous a promis de nous conduire à toi à l’automne.

       – Isaac est venu ici ?

       – Il est encore dans ces parages, avec beaucoup de disciples. Mais c’est lui qui nous a parlé, à nous les bergers. Et nous avons cru à sa parole.

       248.3 Seigneur, permets-nous, à nous aussi, de t’adorer comme nos compagnons de la sainte nuit. »

       Il s’agenouille dans la poussière du chemin et lance un cri aux autres bergers qui ont arrêté le troupeau aux portes de la cité (portes, c’est une façon de parler car cette bourgade n’a pas de murs), là où Jésus, lui aussi, s’était arrêté pour attendre les femmes et entrer avec elles dans le village.

       Le jeune berger crie :

       « Père, frères et amis, nous avons trouvé le Seigneur. Venez et adorons. »

       Les bergers viennent se grouper avec leur troupeau auprès de Jésus et le prient de ne pas aller chez d’autres personnes, mais d’accepter leur pauvre maison, qui n’est pas éloignée, pour y habiter avec ses amis.

       « Il y a un grand bercail, expliquent-ils, puisque Dieu nous protège, et il y a des pièces et des portiques pleins de foin odorant. Les pièces seront pour ta Mère et ses sœurs, puisque ce sont des femmes, mais il y en a une aussi pour toi. Les autres peuvent dormir avec nous sur le foin, sous les portiques.

       – Moi aussi, je resterai avec vous et ce sera pour moi un plus doux repos que si je dormais dans l’appartement d’un roi. Mais allons d’abord prévenir Judas et Simon.

       – J’y vais moi-même, Maître » dit Pierre, qui part avec Jacques, fils de Zébédée.

       Ils s’arrêtent sur le bord de la route, en attendant le retour des quatre apôtres.

       248.4 Les bergers regardent Jésus comme si c’était déjà Dieu dans sa gloire. Et les plus jeunes sont réellement béats et semblent vouloir se graver dans l’esprit chaque détail sur Jésus et sur Marie, qui s’est penchée pour caresser des agneaux, venus dresser leurs museaux contre ses genoux en bêlant.

       « Il y en avait un, dans la maison d’Elisabeth, ma parente, qui léchait mes tresses toutes les fois qu’il me voyait. Je l’appelais “ mon ami ”, car il était vraiment pour moi un ami comme un enfant et, dès qu’il le pouvait, il courait vers moi. Celui-ci me le rappelle tout à fait, avec ses yeux de deux couleurs. Ne le tuez pas ! L’autre aussi, on le laissa vivre à cause de son amour pour moi.

       – C’est une agnelle, femme, et nous voulions la vendre parce qu’elle a des yeux de deux couleurs et je crois que d’un œil elle y voit peu. Mais nous la garderons si tu le désires.

       – Oh oui ! Je voudrais bien qu’on ne tue jamais d’agneau… Ils sont tellement innocents et leur voix est une voix d’enfant qui appelle sa mère. Il me semble qu’on tue un enfant en tuant l’un de ceux-ci.

       – Mais alors, femme, il n’y aurait plus de place pour nous sur la terre si tous les agneaux restaient en vie ! Dit le berger le plus âgé.

       – Je le sais. Mais je pense à leur douleur et à celle des brebis, leurs mères. Elles pleurent tant quand on leur enlève leurs petits ! Elles ressemblent vraiment à des mères comme nous. Et moi, je ne peux voir souffrir personne, mais j’éprouve un déchirement devant une mère ainsi déchirée. C’est une douleur différente de toute autre car, sous le choc de la mort d’un enfant, ce sont non seulement notre cœur et notre cerveau qui se dé­chirent, mais jusqu’à nos entrailles. Nous, les mères, restons unies à notre enfant, toujours. Et c’est nous déchirer complètement que de nous l’enlever. »

       Marie ne sourit plus, mais une larme brille dans son œil bleu et elle regarde son Jésus qui l’écoute et la regarde ; elle lui pose une main sur le bras, comme si elle craignait qu’on soit sur le point de l’arracher à son côté.

       248.5 Sur la route poussiéreuse arrive un petit groupe de gens armés : six hommes accompagnés de gens qui poussent des cris. Les bergers regardent et discutent à voix basse. Puis, ils regardent Marie et Jésus.

       Le plus âgé parle :

       « Heureusement que tu n’entres pas à Bethléem ce soir.

       – Pourquoi ?

       – Parce que ces gens, qui viennent de passer et qui entrent en ville, y vont pour arracher un fils à une mère.

       – Oh ! Mais pourquoi ?

       – Pour le tuer.

       – Oh ! Non ! Qu’a-t-il fait ? »

       Jésus pose la même question et les apôtres s’approchent pour écouter.

       « On a trouvé le riche Joël, tué sur le chemin de la mon­tagne. Il revenait de Sycaminon avec beaucoup d’argent. Mais ce n’étaient pas des voleurs car l’argent était encore sur le mort. Le serviteur qui l’accompagnait a rapporté que son maître lui avait dit de courir en avant pour prévenir de son retour, et sur la route, en se dirigeant vers le lieu où l’homicide a été commis, il a seulement vu le jeune homme qu’on va tuer. Deux hommes du village, d’ailleurs, jurent qu’ils l’ont vu attaquer Joël. Maintenant les parents du mort exigent la mort du jeune homme. Et s’il est homicide…

       – Tu ne le crois pas ?

       – Cela ne me paraît pas possible. Ce jeune homme est à peine plus âgé qu’un adolescent. Il est bon. Il vit toujours avec sa mère dont il est le fils unique, et elle est veuve, une sainte veuve. Il ne manque pas de ressources, il ne pense pas aux femmes. Il n’est pas querelleur, il n’est pas fou. Alors pourquoi a-t-il tué ?

       – Mais il a peut-être des ennemis ?

       – Qui ? Joël qui est mort ou Abel l’accusé ?

       – L’accusé.

       – Ah, je ne sais pas … Mais… Je ne sais pas.

       – Sois franc, homme.

       – Seigneur, c’est une chose que je pense, et Isaac nous a dit de ne pas penser du mal de son prochain.

       – Mais on doit avoir le courage de parler pour sauver un innocent.

       – Si je parle, que j’aie raison ou tort, je devrai m’enfuir d’ici parce qu’Aser et Jacob sont puissants.

       – Parle sans crainte : tu ne seras pas contraint de fuir.

       – Seigneur, la mère d’Abel est belle, jeune et sage. Aser n’est pas sage, ni Jacob. Au premier, la veuve plaît, et au second… le village sait que le second est un coucou dans le ménage de Joël. Je pense que…

       – J’ai compris.

       248.6 Allons, mes amis. Vous, les femmes, restez donc avec les bergers. Je reviendrai vite.

       – Non, mon Fils. Je t’accompagne. »

       Jésus se dirige rapidement vers le centre du village. Les bergers, d'abord indécis, laissent le troupeau aux plus jeunes qui restent avec toutes les femmes, sauf la Mère et Marie, femme d’Alphée qui suivent Jésus et se hâtent de rejoindre le groupe des apôtres.

       A la troisième rue qui coupe la voie principale de Bethléem, ils rencontrent Judas, Simon, Pierre et Jacques qui arrivent en gesticulant et en criant.

       « Quelle affaire, Maître ! Quelle affaire et quelle peine ! S’écrie Pierre, bouleversé.

       – Un fils enlevé de force à sa mère pour le tuer. Elle le défend comme une lionne. Mais c’est une femme contre des gens armés, ajoute Simon le Zélote.

       – Elle saigne déjà de partout ! Dit Judas.

       – Ils ont défoncé sa porte car elle s’était barricadée dans sa maison, achève Jacques, fils de Zébédée.

       – Je vais la trouver.

       – Oh oui ! Toi seul peux la consoler. »

       248.7 Ils tournent à droite, puis à gauche vers le centre du village. Déjà, on voit l’attroupement tumultueux qui s’agite et se presse près de la maison d’Abel, et les cris d’une femme, déchirants, inhumains, féroces, en même temps que pitoyables, parviennent jusqu’ici.

       Jésus hâte le pas en arrivant sur une place minuscule – un élargissement de la rue plutôt qu’une place – où le tumulte est à son comble.

       La femme dispute encore son fils aux gardes. Elle s’accroche d’une main qui est devenue une griffe de fer aux débris de la porte abattue et, de l’autre, reste attachée à la ceinture de son fils. Si quelqu’un cherche à l’en séparer, elle le mord férocement, insensible aux coups qu’elle reçoit et à la douleur des cheveux qu’on lui tire d’une manière si cruelle que cela amène sa tête en arrière. Et quand elle ne mord pas, elle hurle :

       « Lâchez-le ! Assassins ! Il est innocent ! La nuit du meurtre de Joël, il était au lit près de moi ! Assassins ! Assassins ! Calomniateurs ! Immondes ! Parjures ! »

       Le jeune garçon, saisi aux épaules par ses gardes, traîné par les bras, se retourne, le visage bouleversé et crie :

       « Maman ! Maman, pourquoi dois-je mourir puisque je n’ai rien fait ? »

       C’est un bel adolescent, grand et élancé, aux yeux noirs et doux, aux cheveux noir foncé, légèrement frisés. Son vêtement déchiré laisse voir un corps souple et jeune, presque comme celui d’un enfant.

       Jésus, aidé de ceux qui l’accompagnent, fend la foule com­pacte comme un roc et se fraie un chemin jusqu’au groupe pitoyable juste au moment où la femme, à bout de forces, a été arrachée à la porte et traînée comme un sac attaché au corps de son fils sur les pierres du chemin.

       Mais cela dure quelques mètres seulement. Une secousse plus violente arrache la main de la mère de la ceinture de son fils, la femme tombe en avant, son visage frappe durement contre le sol, saignant encore davantage. Mais elle se redresse aussitôt sur les genoux, les bras tendus pendant que son fils, qu’on emporte rapidement autant que le permet la foule qui s’écarte difficilement, libère son bras gauche et l’agite en se tordant en arrière et en criant :

       « Maman ! Adieu ! Rappelle-toi, toi au moins, que je suis innocent ! »

       La femme le regarde avec des yeux de folle, et puis tombe à terre, évanouie.

       248.8 Jésus se présente devant le groupe des gardes :

       « Arrêtez-vous un moment. Je vous l’ordonne ! »

       Son visage ne souffre pas de réplique.

       « Qui es-tu ? » lance, agressif, un citadin du groupe. « Nous ne te connaissons pas. Ecarte-toi et laisse-nous passer pour qu’il soit tué avant la nuit.

       – Je suis un Rabbi. Le plus grand. Au nom de Jéovêh, arrêtez-vous ou Dieu vous foudroiera. »

       A ce moment, il semble que c’est lui qui va les foudroyer.

       « Qui est témoin contre cet homme ?

       – Lui, lui et moi, répond celui qui a parlé le premier.

       – Votre témoignage n’est pas valable parce qu’il n’est pas vrai.

       – Comment peux-tu dire cela ? Nous sommes prêts à le jurer.

       – Votre serment est un péché.

       – Nous, pécher ? Nous !

       – Vous ! De même que vous couvez la luxure, que vous nourrissez la haine, que vous êtes avides de richesses, que vous êtes homicides, vous êtes également parjures. Vous vous êtes vendus à l’Impureté. Vous êtes capables d’accomplir n’importe quelle infamie.

       – Fais attention à tes paroles. Je suis Aser…

       – Et moi, je suis Jésus.

       – Tu n’es pas d’ici. Tu n’es pas prêtre, ni juge. Tu n’es rien. Tu es étranger.

       – Oui, je suis l’Etranger car la terre n’est pas mon Royaume. Mais je suis Juge et Prêtre. Non seulement de cette petite portion d’Israël, mais de tout Israël et du monde entier.

       – Allons, allons ! Nous n’avons affaire avec un fou, dit l’autre témoin, qui pousse Jésus pour l’écarter.

       – Tu ne feras pas un pas de plus ! » tonne Jésus en le regardant d’un regard de miracle qui subjugue et paralyse, comme il rend la vie et la joie quand il le veut. « Tu ne fais pas un pas de plus !

       248.9 Tu ne crois pas à ce que je dis ? Eh bien, alors, regarde. Ici, il n’y a pas la poussière du Temple, ni son eau, et il n’y a pas de paroles écrites à l’encre pour rendre très amère l’eau qui est le jugement pour la jalousie et l’adultère. Mais ici, il y a moi. Et c’est moi qui rends le jugement. »

       La voix de Jésus est une sonnerie de trompette tant elle est pénétrante.

       Les gens se bousculent pour voir. Seules la Vierge Marie et Marie, femme d’Alphée, sont restées pour secourir la mère évanouie.

       « Et voici comment je juge : donnez-moi une pincée de la poussière de la route et peu d’eau dans un vase. Et pendant qu’on me les donne, vous les accusateurs, et toi l’accusé, répondez-moi. Es-tu innocent, mon enfant ? Réponds sincèrement à celui qui est pour toi le Sauveur.

       – Je le suis, Seigneur.

       – Aser, peux-tu jurer n’avoir dit que la vérité ?

       – Je le jure. Je n’aurais pas de raison de mentir. Je le jure par l’autel. Que descende du ciel une flamme qui me brûle si je ne dis pas la vérité.

       – Jacob, peux-tu jurer que ton accusation est sincère et que tu n’as pas quelque motif secret qui te pousse à mentir ?

       – Je le jure par Jéovêh. Seul l’amour pour mon ami assassiné me pousse à parler. Je n’ai rien de personnel contre ce jeune homme.

       – Et toi, serviteur, peux-tu jurer d’avoir dit la vérité ?

       – Je le jure mille fois, s’il le faut ! Mon maître ! Mon pauvre maître ! »

       Il pleure en se cachant la tête de son manteau.

       « C’est bien. Voici l’eau et voici la poussière. Et voici la parole : “ Toi, Père saint et Dieu très-haut, rends par mon intermédiaire le jugement de vérité pour que vie et honneur soient rendus à l’innocent et à sa mère désolée, et un juste châtiment à celui qui n’est pas innocent. Mais, de par la grâce que j’ai à tes yeux, que ni flamme ni mort, mais une longue expiation arrive à ceux qui ont commis ce péché. ” »

       Il dit ces mots en tenant les mains étendues sur la cruche comme le fait le prêtre pendant la messe, à l’offertoire. Puis il y plonge sa main droite et, de sa main mouillée, il asperge les quatre hommes soumis au jugement et leur fait boire une gorgée de cette eau, d’abord au jeune homme, puis aux trois autres. Ensuite, il croise les bras et les observe.

       248.10 La foule elle aussi regarde et, l’instant d’après, elle pousse un cri et se jette le visage contre terre. Alors les quatre hommes qui étaient alignés se regardent les uns les autres, et crient à leur tour. Le premier, le jeune homme, crie de stupeur, les autres d’horreur, car ils voient leurs visages couverts d’une lèpre subite, alors que le jeune homme en est indemne.

       Le serviteur se jette aux pieds de Jésus qui s’écarte comme tout le monde, y compris les soldats, tout en prenant par la main le jeune Abel afin de lui éviter de se contaminer auprès des trois lépreux. Et le serviteur crie :

       « Non ! Non ! Pardon ! Pas lépreux ! Ce sont eux qui m’ont payé pour retarder le maître jusqu’au soir, pour le frapper sur le chemin désert. Ils m’ont fait exprès déferrer la mule. Ils m’ont dit de mentir et de prétendre que j’étais venu en avant. Mais au contraire, j’étais avec eux pour le tuer et je dis aussi pourquoi ils l’ont fait : parce que Joël s’était aperçu que Jacob aimait sa jeune femme et parce qu’Aser voulait la mère d’Abel et qu’elle le repoussait. Ils se sont mis d’accord pour se débarrasser en même temps de Joël et d’Abel et jouir des femmes. J’ai parlé. Enlève-moi la lèpre, enlève-la-moi ! Abel, tu es bon, prie pour moi !

       – Toi, va auprès de ta mère. Qu’en sortant de son évanouissement, elle voie ton visage et revienne à une vie tranquille. Quant à vous… Je devrais vous dire : “ Qu’il vous soit fait ce que vous avez fait. ” Et ce serait justice, une justice humaine. Mais je vous livre à une expiation surhumaine. La lèpre, dont vous êtes horrifiés, vous préserve d’être saisis et tués comme vous le méritez. Peuple de Bethléem, écartez- vous, ouvrez-vous comme les eaux de la mer pour les laisser aller vers leur longue galère. Galère terrible ! Plus atroce qu’une mort immédiate. Et c’est une grâce de pitié de Dieu pour leur donner la possibilité de se repentir, s’ils le veulent. Allez ! »

       La foule se colle aux murs pour laisser libre le milieu du chemin. Les trois hommes, couverts de lèpre comme s’ils étaient malades depuis des années, s’en vont, l’un derrière l’autre, vers la montagne. Dans le silence du crépuscule qui descend et qui a fait taire toutes les voix d’oiseaux et de quadrupèdes, on n’entend que leurs pleurs.

       « Purifiez le chemin à grande eau après y avoir allumé du feu. Quant à vous, soldats, allez rapporter que justice est faite, et cela conformément à la plus parfaite loi mosaïque. »

       Jésus se dispose à se rendre là où sa Mère et Marie, sa tante, continuent à secourir la femme qui revient lentement à elle, pendant que son fils caresse ses mains glacées et les baise.

       248.11 Mais les habitants de Bethléem le supplient avec un respect mêlé de crainte :

       « Parle-nous, Seigneur. Tu es réellement puissant. Tu es certainement celui dont a parlé l’homme qui, en passant par ici, a annoncé le Messie.

       – Je parlerai de nuit, près du bercail des bergers. Pour l’instant, je vais aider la mère à se rétablir. »

       Il va donc trouver la femme, assise sur les genoux de Marie, femme d’Alphée. Elle se remet peu à peu en regardant le vi­sage affectueux de Marie qui lui sourit. Elle ne se rend pas bien compte de ce qui se passe jusqu’au moment où elle dirige son regard sur la chevelure noire de son fils qui est penché sur ses mains tremblantes, et elle demande :

       « Je suis morte, moi aussi ? Ce sont les limbes ?

       – Non, femme, c’est la terre et voici ton fils, sauvé de la mort. Et ici, voilà Jésus, mon Fils, le Sauveur. »

       La femme a un premier mouvement, bien humain : elle rassemble ses forces et se tend en avant pour prendre la tête inclinée de son enfant. Elle le voit sain et sauf, l’embrasse avec frénésie, pleurant, riant, retrouvant tous les noms qu’elle lui donnait quand il était petit pour lui dire sa joie.

       « Oui, maman, oui. Mais maintenant, ce n’est pas moi qu’il faut regarder, mais lui, lui qui m’a sauvé. Bénis le Seigneur. »

       La femme, encore trop faible pour se lever ou se mettre à genoux, tend ses mains qui tremblent et saignent encore, saisit la main de Jésus et la couvre de baisers et de larmes.

       Jésus lui pose sa main gauche sur la tête :

       « Sois heureuse, en paix et sois toujours bonne. Et toi aussi, Abel.

       – Non, mon Seigneur. Ma vie et celle de mon fils sont à toi parce que tu les as sauvées. Permets-lui d’aller avec les disciples, comme il le désirait déjà depuis qu’ils sont venus ici. Je te le donne avec une grande joie et je te prie de me permettre de le suivre pour le servir et servir les serviteurs de Dieu.

       – Et ta maison ?

       – Oh, Seigneur ! Est-ce que quelqu’un qui renaît à la vie peut avoir les sentiments qu’il avait avant de mourir ? Grâce à toi, Mirta est sortie de la mort et de l’enfer. Dans ce village, je pourrais en venir à haïr ceux qui m’ont torturée dans mon enfant. Or toi, tu prêches l’amour, je le sais. Permets donc à la pauvre Mirta d’aimer le Seul qui mérite l’amour, sa mission, ses serviteurs. Maintenant, je suis encore épuisée et ne pourrais te suivre. Mais, dès que je le pourrai, permets-le-moi, Seigneur. Je marcherai à ta suite et près de mon Abel…

       – Tu suivras ton fils, et moi avec lui. Sois heureuse. Sois en paix, maintenant. Avec ma paix. Adieu. »

       Et, pendant que la femme, soutenue par son fils et quelques pieuses personnes, rentre chez elle, Jésus, accompagné des bergers, des apôtres, de sa Mère et de Marie, femme d’Alphée, sort du village pour se rendre au bercail situé à l’extrémité d’une rue qui débouche sur la campagne…

       248.12 … Un grand feu de bois a été allumé pour éclairer la réunion. Assis en demi-cercle dans les champs, un grand nombre de personnes attendent que Jésus vienne parler. Entre-temps, ils parlent des événements du jour. Abel est là lui aussi, avec beaucoup de gens qui le félicitent et prétendent que tous croyaient à son innocence.

       « Pourtant, vous étiez prêts à me tuer ! Même toi qui m’avais salué à la porte de ma maison, à l’heure précise où Joël a été tué » ne peut se retenir de répondre le jeune homme.

       Mais il ajoute :

       « Mais moi, je te pardonne au nom de Jésus. »

       Jésus arrive du bercail vers eux. Grand, vêtu de blanc, entouré par les apôtres, suivi par les bergers et les femmes.

       « Paix à vous tous !

       Si ma venue a servi à instaurer le Règne de Dieu parmi vous, béni soit le Seigneur. Si ma venue a servi à faire éclater une innocence, béni soit le Seigneur. Si le fait d’être arrivé à temps pour empêcher un crime sert aussi à donner à trois coupables un moyen de se racheter, béni soit le Seigneur.

       Maintenant, cette journée nous incite à méditer sur un grand nombre de points, ce que nous allons faire pendant que le soir descend pour envelopper de ténèbres la joie de deux cœurs et le remords de trois autres. Dans ses ténèbres, le nuit recouvre d’un voile pudique les pleurs de joie des premiers et les larmes brû­lantes des autres, que Dieu voit cependant. Au nombre de ces points, il nous est montré que rien n’est inutile de ce que Dieu a donné comme Loi.

       248.13 La Loi donnée par Dieu est théoriquement très observée en Israël, mais en réalité ce n’est pas le cas. La Loi est là, analysée, disséquée, disloquée au point de la faire mourir sous des tortures subtiles et mesquines. Elle est là. Mais comme un cadavre momifié est sans vie, sans respiration, sans circulation de sang bien qu’il ait l’apparence d’être seulement immobilisé par le sommeil, ainsi la Loi n’a ni vie, ni respiration, ni sang dans bien trop de cœurs. Sur une momie, on s’assied comme sur un tabouret, sur une momie on peut poser des objets, des vêtements, même des ordures si on veut, et elle ne se révolte pas parce qu’elle n’a pas de vie. De même, trop de gens font de la Loi un tabouret, un appui, une décharge pour leurs ordures, certains qu’elle ne se révoltera pas dans leur conscience parce que, pour eux, elle est morte.

       Je pourrais comparer une grande partie d’Israël aux forêts pétrifiées que l’on voit ici et là dans la vallée du Nil et dans le désert d’Egypte. C’étaient de nombreuses forêts d’arbres vivants, nourris par la sève, bruissants au soleil, couverts de beaux feuil­lages, de fleurs, de fruits. Ils faisaient du lieu où ils avaient poussé un petit paradis terrestre, cher aux hommes et aux animaux qui y oubliaient l’aridité désolée du désert, la soif ardente que le sable donne à l’homme par sa poussière brûlante qui pé­nètre dans la gorge. Ils oubliaient le soleil impitoyable qui, en peu de temps, calcifie les cadavres en les décharnant, en consumant les chairs en poussière, et en laissant couchés dans les vagues des sables, des squelettes et encore des squelettes polis comme par un ouvrier soigneux. Ils oubliaient tout sous cette ombre verte, bruissante, riche en eau et en fruits qui restauraient, consolaient, redonnaient du courage pour de nouveaux parcours.

       Puis, pour une raison inconnue, comme des choses maudites, ces forêts se sont non seulement desséchées comme le font les arbres qui, bien que morts, servent encore à faire du feu dans les foyers de l’homme ou des brasiers pour éclairer la nuit, tenir les fauves au loin et chasser l’humidité de la nuit pour les voyageurs éloignés de tout village, mais ces arbres n’ont pas servi comme bois. Ils sont devenus de la pierre. De la pierre ! La silice du sol semble, par quelque sortilège, être montée des racines au tronc, aux branches, au feuillage. Puis les vents ont brisé les branches les plus faibles, devenues semblables à de l’albâtre, qui est tout à la fois dur et mou. Mais les branches les plus grosses restent là, sur leurs troncs puissants pour tromper les caravanes fatiguées, qui, sous les reflets éblouissants du soleil ou sous la lumière spectrale de la lune, voient se profiler les ombres des arbres qui se dressent sur des plaines ou au fond de vallées qui ne voient l’eau qu’aux époques des crues fécondes, cherchant avec angoisse un refuge, de quoi se restaurer, un puits, des fruits frais ; les yeux fatigués par le reflet du soleil sur les sables sans rien qui en abrite, les caravaniers se précipitent vers ces forêts fantômes. De vrais fantômes ! Apparences illusoires de corps vivants, présence réelle de choses mortes.

       Je les ai vues. J’en ai gardé le souvenir – bien qu’à cette époque, je ne sois guère plus âgé qu’un tout-petit –, comme l’une des plus tristes choses de la terre. C’est ainsi qu’elles m’étaient apparues tant que je n’ai pas pu toucher, mesurer, peser les choses de la terre qui sont totalement tristes car complètement mortes : ce qui est immatériel, c’est-à-dire les vertus et les âmes mortes. Les premières mortes dans les âmes, et les âmes elles-mêmes mortes parce qu’elles se sont tuées.

       248.14 La Loi est en Israël, certes, mais à la manière des arbres pétrifiés dans le désert : devenue silice. Morte. Cause d’erreur, objet destiné à se corroder sans utilité. Objet nuisible, même, comme une forêt pétrifiée parce qu’elle crée des mirages qui attirent en éloignant des vraies oasis, et font mourir de faim, de soif, de désolation, en abusant les plus affaiblis. Choses mortes qui en attirent d’autres à la mort, comme on le lit dans certains récits de mythes païens.

       Aujourd’hui, vous avez eu un exemple de ce qu’est une Loi réduite à l’état de pierre dans une âme devenue elle aussi de pierre. C’est la source de toutes sortes de péchés et de malheurs. Que cela vous serve à savoir vivre et à savoir faire vivre la Loi en vous, dans son intégrité que, moi, j’éclaire par des lumières de miséricorde.

       La nuit est profonde. Les étoiles nous regardent, et Dieu avec elles. Tournez les yeux vers le ciel étoilé et élevez votre âme vers Dieu. Et, sans critiquer les malheureux déjà punis par Dieu, sans tirer orgueil de n’avoir pas péché comme eux, promettez à Dieu et à vous-mêmes de ne pas tomber dans l’aridité des plantes maudites des déserts et des vallées d’Egypte.

       Que la paix soit avec vous. »

       Il les bénit, puis se retire dans la vaste enceinte du bercail entouré de vieux portiques sous lesquels les bergers ont étendu une bonne couche de foin pour servir de lit aux serviteurs du Seigneur.

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