Une initative de
Marie de Nazareth

Les orphelins Marie et Matthias confiés à Jeanne, femme de Kouza

jeudi 2 novembre 28
Lac de Tibériade

Vision de Maria Valtorta

       299.1 Le lac de Tibériade n’est qu’une nappe grise. On dirait du mercure pesant, figé comme il l’est dans la bonace qui permet tout juste un semblant de flot fatigué qui n’arrive pas à faire de l’écume et s’arrête, s’immobilise après avoir esquissé un léger mouvement, en prenant sur toute son étendue une teinte uniforme sous un ciel sans éclat.

       Pierre et André se tiennent autour de leur barque, Jacques et Jean près de la leur. Ils préparent le départ sur la petite plage de Bethsaïde. Odeur d’herbes et de terroir saturé d’eau, légères brumes sur les étendues herbeuses vers Chorazeïn, tristesse de novembre sur toutes choses.

       299.2 Jésus sort de la maison de Pierre, tenant par la main les petits Matthias et Marie que la main de Porphyrée a revêtus avec un soin maternel en remplaçant le petit vêtement de Marie par un de Marziam. Mais Matthias est trop petit pour profiter de la même faveur et il tremble encore dans sa tunique déteinte en coton, si bien que Porphyrée, prise de pitié, revient à la maison et en sort avec un morceau de couverture dont elle enveloppe le petit comme si la couverture était un manteau. Jésus la remercie, pendant qu’elle s’agenouille pour prendre congé et se retire après un dernier baiser aux deux orphelins.

       « Pour avoir des enfants, elle aurait bien encore pris ceux-ci » constate Pierre, qui avait observé la scène ; à son tour, il se penche pour offrir aux deux petits un morceau de pain couvert de miel, qu’il tenait en réserve sous un banc de la barque. Cela fait rire André, qui lui dit :

       « Et pas toi, hein ? Tu as même volé le miel à ta femme pour donner un peu de joie à ces deux enfants.

       – Volé ! Volé ! Ce miel est à moi !

       – Oui, mais ma belle-sœur en est jalouse parce que c’est celui de Marziam. Et toi, qui le sais, tu es entré cette nuit dans la cuisine, pieds nus comme un voleur, pour en prendre de quoi garnir ce pain. Je t’ai vu, mon frère, et j’ai ri, parce que tu regardais tout autour de toi comme un enfant qui craint les claques de sa mère.

       – Sale espion ! » dit en riant Pierre qui embrasse son frère, lequel, à son tour, l’embrasse en l’appelant : « Mon cher grand frère ! »

       Jésus, qui se tient entre les deux enfants qui dévorent leur pain, les observe et sourit ouvertement.

       299.3 Les huit autres apôtres arrivent de l’intérieur de Bethsaïde. Peut-être étaient-ils les hôtes de Philippe et de Barthélemy.

       « Vite ! » s’écrie Pierre, et il prend en une seule brassée les deux enfants pour les porter dans la barque sans qu’ils mouillent leurs pieds nus.

       « Vous n’avez pas peur, n’est-ce pas ? » demande-t-il en pataugeant dans l’eau avec ses jambes courtes et robustes, nu jusqu’à une bonne paume au-dessus du genou.

       « Non, seigneur » dit la fillette, mais elle se serre convulsivement au cou de Pierre et ferme les yeux quand il la dépose dans la barque qui se balance sous le poids de Jésus, qui y monte à son tour. Le petit garçon, plus courageux ou plus ébahi, ne dit rien.

       Jésus s’assied, attire à lui les deux enfants et les couvre de son manteau qui ressemble à une aile étendue pour protéger deux poussins.

       Six dans une barque, six dans l’autre, tout le monde est en place. Pierre enlève la planche qui sert de passerelle. D’un vigoureux coup de pied, il pousse la barque loin du bord et y saute en enjambant le bord. Jacques l’imite de son côté. La poussée donnée par Pierre a fait balancer la barque, et la fillette gémit en disant : « Maman ! » et en cachant son visage sur la poitrine de Jésus dont elle saisit les genoux. Mais désormais l’allure est douce bien que fatigante pour Pierre, André et l’employé qui doivent souquer avec Philippe, qui fait le quatrième rameur. La voile flasque pend dans la bonace lourde et humide et ne sert à rien. Il leur faut avancer à force de bras.

       « Belle promenade ! » crie Pierre à ceux de la barque jumelle où Judas fait le quatrième rameur avec un coup de poignet parfait dont Pierre le félicite.

       « Vas-y, Simon ! » répond Jacques. « Vas-y ou nous te dépassons. Judas est fort comme un galérien. Bravo, Judas !

       – Oui, nous te ferons chef de chiourme » confirme Pierre qui s’active pour deux.

       Et il ajoute en riant :

       « Mais vous n’enlèverez pas sa première place à Simon, fils de Jonas ! A vingt ans, j’étais déjà chef de banc dans les compétitions entre différents villages. »

       Et il donne allègrement le rythme à sa chiourme :

       « Ho !… hisse ! Ho !… hisse ! »

       Les voix se répandent dans le silence du lac, désert à cette heure matinale.

       299.4 Les enfants s’enhardissent. Toujours sous le manteau, ils sortent leurs visages maigrichons de chaque côté du Maître qui les tient embrassés et ils esquissent un sourire. Ils s’intéressent au travail des rameurs, ils échangent des commentaires.

       « On dirait qu’on avance sur un char sans roues, dit le petit garçon.

       – Non, sur un char au-dessus des nuages. Regarde ! On a l’impression de marcher au-dessus du ciel. Voilà, nous montons sur un nuage ! » dit Marie en voyant la barque enfoncer sa proue dans un endroit où se reflète un nuage cotonneux. Et elle esquisse un sourire.

       Mais le soleil dissipe la brume et, bien que ce soit un pâle soleil de novembre, les nuages deviennent dorés et le lac en donne un reflet brillant.

       « Oh ! C’est beau ! Maintenant nous marchons sur le feu. Oh ! Que c’est beau ! Que c’est beau ! »

       Le petit garçon bat des mains. Mais la fillette se tait puis éclate en sanglots. Tout le monde lui en demande la raison. En hoquetant, elle explique :

       « Maman récitait une poésie, un psaume, je ne sais pas, pour nous garder bons afin que nous puissions encore prier, avec tellement de chagrin… et elle disait cette poésie d’un Paradis qui sera comme un lac de lumière, d’un doux feu où il n’y aura que Dieu et la joie et où iront tous les hommes… après la venue du Sauveur… Ce lac d’or me le rappelle… Maman ! »

       Matthias pleure aussi et tous compatissent.

       299.5 Mais voilà que la douce voix de Jésus s’élève au-dessus du murmure de voix variées et au-dessus des lamentations des deux orphelins.

       « Ne pleurez pas ; votre maman vous a conduits vers moi et elle est ici avec vous, pendant que je vous mène chez une mère qui n’a pas d’enfants. Elle sera bien contente d’avoir deux braves enfants à la place du sien, qui se trouve là où est votre maman. Car elle aussi a pleuré, vous savez ? Son petit garçon est mort comme votre maman…

       – Oh ! Alors nous irons chez elle et son fils ira chez notre maman ! Dit Marie.

       – C’est tout à fait cela et vous serez tous heureux.

       – Comment est-elle, cette mère ? Qu’est-ce qu’elle fait ? C’est une paysanne ? A-t-elle un bon maître ? »

       Les petits montrent de l’intérêt.

       « Elle n’est pas paysanne, mais elle a un jardin plein de roses et elle est bonne comme un ange. Elle a un bon mari. Lui aussi vous aimera bien.

       – Tu crois, Maître ? demande Matthieu, quelque peu incrédule.

       – J’en suis certain, et vous en serez convaincus. Il y a quelque temps, Kouza voulait Marziam pour en faire un chevalier.

       – Ah ! Pour ça, non ! S’écrie Pierre.

       – Marziam sera un chevalier du Christ. Cela seulement, Simon. Sois tranquille. »

       Le lac redevient gris : il se lève un vent léger qui en plisse la surface. La voile se tend, la barque file en vibrant. Mais les enfants ne rêvent qu’à leur nouvelle maman au point qu’ils n’éprouvent plus de peur.

       299.6 Ils passent Magdala avec ses maisons blanches dans la verdure, longent la campagne entre Magdala et Tibériade. Et voilà les premières maisons de Tibériade.

       « Où allons-nous, Maître ?

       – Au petit port de Kouza. »

       Pierre vire et donne des ordres à l’employé. La voile est amenée pendant que la barque s’approche du petit port, puis y entre, pour s’arrêter au petit môle, suivie de l’autre barque. Elles sont l’une à côté de l’autre comme deux canetons fatigués. Tout le monde descend, et Jean court en avant pour avertir les jardiniers.

       Les petits se pressent timidement contre Jésus, et Marie demande en soupirant et en tirant le vêtement de Jésus :

       « Est-ce qu’elle sera vraiment bonne ? »

       Jean revient :

       « Maître, un serviteur est en train d’ouvrir la grille. Jeanne est déjà levée.

       – C’est bien. Attendez tous ici. Je vais devant. »

       Et Jésus se met seul en marche. Les autres le regardent aller en faisant des commentaires plus ou moins favorables au sujet de ce qu’il tente. Les doutes et les critiques ne manquent pas. Mais de l’endroit où ils sont, ils ne voient que Kouza, qui est accouru et qui s’incline jusqu’à terre sur le seuil de la grille, puis qui entre dans le jardin à la gauche de Jésus. Après, ils ne voient plus rien.

       299.7 Mais moi, je vois. Je vois Jésus marcher à côté de Kouza qui montre toute sa joie de l’avoir comme hôte :

       « Ma Jeanne en sera très heureuse. Et moi aussi. Elle va toujours mieux. Elle m’a parlé du voyage. Quel triomphe, mon Seigneur !

       – Tu n’en as pas été peiné ?

       – Jeanne est heureuse, et je suis content de la voir comme cela. Elle aurait pu ne plus être à mes côtés, Seigneur.

       – Elle aurait pu… et moi, je te l’ai rendue. Sache en être reconnaissant à Dieu. »

       Kouza le regarde, interdit… puis il murmure :

       « C’est un reproche, Seigneur ?

       – Non, un conseil. Sois bon, Kouza.

       – Maître, je suis un serviteur d’Hérode…

       – Je le sais. Mais ton âme n’est servante de personne, excepté de Dieu, si tu le veux.

       – C’est vrai, Seigneur, je me corrigerai. Parfois, je suis pris par le respect humain…

       – L’aurais-tu eu l’an dernier quand tu voulais sauver Jeanne ?

       – Oh non ! Au risque de perdre tout honneur, je me serais adressé à celui dont j’avais pensé qu’il pouvait la sauver.

       – Fais-en autant pour ton âme. Elle est plus précieuse encore que Jeanne. 299.8 La voilà qui arrive. »

       Ils hâtent le pas vers elle, qui accourt à leur rencontre.

       « Mon Maître ! Je n’espérais pas te revoir si tôt. Quelle bonté te conduit chez ta disciple ! »

       – Un besoin, Jeanne.

       – Un besoin ? Lequel ? Parle et si nous le pouvons, nous t’aiderons, disent ensemble les deux époux.

       – J’ai trouvé hier soir sur une route déserte deux pauvres enfants… une fillette et un petit garçon … Nu-pieds, en loques, désespérés, seuls… et je les ai vus chassés comme des loups par un homme au cœur de loup. Ils mouraient de faim… L’an dernier, j’ai donné à cet homme de vivre dans le bien-être. Or il a refusé un pain à deux orphelins. Car ce sont des orphelins. Abandonnés sur les chemins du monde cruel. Cet homme aura sa punition. Voulez-vous avoir ma bénédiction ? Je vous tends la main, en Mendiant d’amour, pour les orphelins sans maison, sans vêtements, sans nourriture, sans amour. Voulez-vous m’aider ?

       – Maître, tu nous poses cette question ? Demande ce que tu veux, tout ce que tu veux, demande tout !… » répond Kouza impétueusement.

       Jeanne reste silencieuse, mais, les mains serrées sur le cœur, une larme sur ses longs cils, un sourire de désir sur ses lèvres rouges, elle attend et en dit plus que si elle parlait.

       Jésus la regarde et sourit :

       « Je voudrais que ces enfants aient une mère, un père, une maison. Et que cette mère ait le nom de Jeanne… »

       Il n’a pas le temps de finir que Jeanne pousse un cri comme une personne qui sort de prison, tandis qu’elle se prosterne pour baiser les pieds de son Seigneur.

       « Et toi, Kouza, qu’en dis-tu ? Accueilles-tu en mon nom ces enfants que j’aime, et qui sont chers à mon cœur, bien plus chers que des joyaux ?

       – Maître, où sont-ils ? Conduis-moi à eux et, sur mon honneur, je te jure qu’à partir du moment où je poserai ma main sur leur tête innocente, je les aimerai en vrai père, en ton nom.

       – Dans ce cas, venez. Je savais bien que je ne viendrais pas pour rien. Venez. Ils sont sauvages, effrayés, mais bons. Fiez-vous à moi qui vois les cœurs et l’avenir. Ils donneront paix et union à votre couple, non pas tant maintenant qu’à l’avenir. Dans leur amour, vous retrouverez votre amour. Leurs baisers innocents seront le meilleur ciment pour votre maison d’époux. Et le Ciel vous sera bienveillant, toujours miséricordieux pour votre charité. Ils sont à l’extérieur de la grille. Nous venons de Bethsaïde… »

       Jeanne n’écoute plus. Elle court en avant, prise du désir ardent de caresser les enfants. Et elle le fait en tombant à genoux pour serrer sur son sein les deux orphelins, en couvrant de baisers leurs joues émaciées, pendant qu’ils regardent avec étonnement la belle dame aux vêtements couverts de bijoux. Et ils regardent Kouza qui les caresse et prend dans ses bras Matthias. Et ils regardent le splendide jardin et les serviteurs qui accourent… Et ils regardent la maison qui ouvre ses vestibules pleins de richesses à Jésus et à ses apôtres. Et ils regardent Esther qui les couvre de baisers. Le monde des rêves s’est ouvert pour les petits extasiés…

       Jésus contemple et sourit…

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