Une initative de
Marie de Nazareth

Guérison des malades de Aéra

mercredi 18 octobre 28
Sur la route d'Aéra

Vision de Maria Valtorta

   296.1 Arbela aussi est loin désormais. Philippe d’Arbel et un autre disciple que j’entends appeler Marc se sont ajoutés à la compagnie de Jésus.

   La route est boueuse comme s’il avait beaucoup plu. Le ciel est gris. Un petit cours d’eau, tout juste digne de ce nom, coupe la route d’Aéra. Gonflé par les pluies qui se sont certainement déversées sur la région, il est loin d’être bleu ciel, mais plutôt d’un jaune rougeâtre comme s’il charriait des eaux passées sur des terrains ferreux.

   « Maintenant le temps est maussade. Tu as bien fait de renvoyer les femmes. Pour elles, ce n’est plus un temps à être sur les chemins » dit sentencieusement Jacques.

   Et Simon le Zélote, toujours paisible dans son abandon absolu au Maître, proclame :

   « Le Maître fait bien tout ce qu’il fait. Il n’est pas inintelligent comme nous. Lui, il voit et prévoit tout pour le mieux, et plutôt pour nous que pour lui. »

   Jean, heureux d’être au côté de Jésus, le regarde par-dessous, le visage rieur, et il dit :

   « Tu es le plus cher, le meilleur Maître qu’on ait eu, qu’on a et qu’aura, qui plus est, tu es le plus saint.

   – Ces pharisiens… Quelle déception ! Le mauvais temps lui-même a servi à les persuader que justement Jean d’En-Dor n’était pas là. Mais qu’est-ce qu’ils ont contre lui ? » demande Hermastée, qui éprouve une grande tendresse pour Jean d’En-Dor.

   Jésus répond :

   « Leur haine ne s’adresse pas à lui personnellement : c’est un instrument dont ils se servent contre moi. »

   Philippe d’Arbel dit :

   « Eh bien, l’eau les a plus que persuadés qu’il était inutile d’attendre et d’avoir des soupçons sur Jean d’En-Dor. Vive la pluie ! Elle a aussi servi à te retenir cinq jours chez moi.

   – Qui sait comme ils seront inquiets à Aéra ! C’est étonnant que nous ne voyions pas mon frère venir à notre rencontre, dit André.

   – A notre rencontre ? Il arrivera derrière nous, corrige Matthieu.

   – Non. Il a suivi la route du lac car il allait de Gadara au lac, puis en barque à Bethsaïde pour voir sa femme et lui dire que l’enfant est à Nazareth et que lui-même sera bientôt de retour. De Bethsaïde à Mérom, il prendra la route de Damas pendant quelque temps, puis celle d’Aéra. Il est certainement à Aéra. »

   296.2 Il se fait un silence, puis Jean dit en souriant :

   « Mais cette petite vieille, Seigneur !

   – Moi, je croyais que tu lui donnerais la joie de mourir sur ton sein comme à Saul de Kérioth, souligne Simon le Zélote.

   – Je lui ai même voulu plus de bien parce que j’attends pour l’appeler à moi que le Christ soit sur le point d’ouvrir les portes des Cieux. Elle ne m’attendra pas longtemps, la petite mère. Maintenant, elle vit de son souvenir et avec l’aide de ton père, Philippe, sa vie sera moins triste. Je te bénis encore, toi et tes parents. »

   La joie de Jean s’est voilée d’un nuage plus épais que celui qui couvre le ciel. Jésus le voit et dit :

   « Tu n’es pas content que cette petite vieille aille bientôt au Paradis ?

   – Si… mais je ne le suis pas parce que cela voudra dire que tu t’en vas… Pourquoi mourir, Seigneur ?

   – Qui est né de la femme meurt.

   – Tu n’auras qu’elle seule, Seigneur ?

   – Oh non ! Et comme elle sera joyeuse, la marche de ceux que je sauve comme Dieu et que j’ai aimés comme homme… »

   296.3 Deux autres ruisseaux, très voisins l’un de l’autre, sont traversés. Il commence à pleuvoir sur la région plate qui s’étend devant les voyageurs après qu’ils ont franchi les collines à leur croisement avec la route, qui profite d’une vallée pour continuer vers le nord.

   

   Au nord, ou plutôt au nord-ouest, se dessine une haute et puissante chaîne de montagnes que chevauchent des masses énormesde nuages formant des cimes illusoires sur les sommets réels de roches couvertes de bois sur leurs flancs et de neige tout en haut. Mais c’est une chaîne très lointaine.

   « Ici, il y a de l’eau. Là-haut de la neige. C’est la chaîne de l’Hermon. Elle s’est couverte d’un plus grand manteau blanc sur le sommet. Si nous avons du soleil à Aéra, vous verrez comme le grand pic est beau quand le soleil le rosit, dit Timon, que l’amour de sa patrie pousse à louer les beautés de son pays.

   – Mais en attendant, il pleut. Aéra est-elle encore loin ? demande Matthieu.

   – Oui. Nous n’y serons qu’en fin de soirée.

   – Dans ce cas, que Dieu nous épargne les ennuis de santé » termine Matthieu, peu enthousiaste à l’idée de faire route par ce temps.

   Ils sont tous emmitouflés dans leurs manteaux et ils portent les sacs de voyage dessous, pour les mettre à l’abri de l’humidité et ainsi épargner leurs vêtements pour pouvoir les changer dès leur arrivée, car ceux qu’ils portent ruissellent d’eau et, en bas, sont alourdis par la boue.

   Jésus marche en tête, absorbé dans ses pensées. Les autres grignotent leur pain et Jean plaisante :

   « Pas besoin de chercher de fontaine pour la soif. Il suffit de rester la tête en arrière et la bouche ouverte, et les anges nous donnent l’eau. »

   En raison de sa jeunesse, Hermastée partage avec Philippe d’Arbel et Jean la capacité enviable de tout prendre gaiement, et il dit :

   « Simon, fils de Jonas, se plaignait des chameaux, mais je préférerais être sur une telle tour secouée par un tremblement de terre que dans cette boue. Qu’en dis-tu ? »

   Et Jean :

   « Je dis que je suis bien partout, pourvu qu’il y ait Jésus… »

   Les trois jeunes se mettent à parler sans arrêt entre eux. Les quatre plus âgés hâtent le pas pour rejoindre Jésus. Timon et Marc restent à la queue en discutant.

   296.4 « Maître, à Aéra, il y aura Judas…, dit André.

   – Certainement. Et avec lui, Thomas, Nathanaël et Philippe.

   – Maître… je regrette ces jours de paix, soupire Jacques.

   – Tu ne dois pas parler ainsi, Jacques.

   – Je le sais… Mais je ne peux pas m’en empêcher… »

   Il soupire encore.

   « Il y aura aussi Simon-Pierre avec mes frères. Ne t’en réjouis-tu pas ?

   – Si, beaucoup ! Maître, pourquoi Judas est-il si différent de nous ?

   – Pourquoi la pluie alterne-t-elle avec le soleil, la chaleur avec le froid, la lumière avec les ténèbres ?

   – Mais parce qu’on ne pourrait pas toujours avoir la même chose. Ce serait la fin de la vie sur la terre.

   – Bien dit, Jacques.

   – Oui, mais cela n’a pas de rapport avec Judas.

   – Réponds : pourquoi les étoiles ne sont-elles pas toutes comme le soleil, grandes, chaudes, belles, puissantes ?

   – Parce que… la terre brûlerait sous tant de feu.

   – Pourquoi les plantes ne sont-elles pas toutes comme ces noyers ? Par plante, j’entends tout végétal.

   – Parce que… les bêtes ne pourraient en manger.

   – Et pourquoi les végétaux ne sont-ils pas tous comme l’herbe ?

   – Parce que… nous n’aurions pas de bois pour brûler, pour les maisons, les outils, les chars, les barques, les meubles.

   – Pourquoi les oiseaux ne sont-ils pas tous des aigles, et les animaux tous des éléphants ou des chameaux ?

   – Nous serions frais, s’il en était ainsi !

   – Cette diversité te paraît donc une bonne chose ?

   – Sans aucun doute.

   – Tu juges donc que… Pourquoi, selon toi, Dieu l’a-t-il faite ?

   – Pour nous donner toute l’aide possible.

   – Donc dans une bonne intention ? En es-tu sûr ?

   – Comme de vivre en ce moment !

   – Alors, si tu trouves juste qu’il y ait de la diversité dans les espèces animales, végétales et astrales, pourquoi voudrais-tu que tous les hommes soient pareils ? Chacun a sa mission et ses dispositions. L’infinie variété des espèces te paraît-elle signe de puissance ou d’impuissance du Créateur ?

   – De puissance. L’un fait ressortir l’autre.

   – Très bien. Judas a le même rôle, de même que toi auprès de tes compagnons et tes compagnons auprès de toi. Nous avons trente-deux dents dans la bouche et, si tu les regardes bien, toutes sont très différentes. Non seulement dans les trois catégories, mais entre les dents d’une même catégorie. Et pourtant, puisque tu es en train de manger, observe leur fonction. Tu verras que celles qui semblent peu utiles, qui travaillent peu, ce sont précisément celles qui font le premier travail de couper le pain et de l’amener aux autres qui le mettent en miettes pour le passer à celles du fond qui le réduisent en bouillie. N’en est-il pas ainsi ? Judas te semble ne rien faire ou mal agir. Je te rappelle qu’il a évangélisé la Judée méridionale – et fort bien –, et que, c’est toi qui l’as dit, il sait faire preuve de tact avec les pharisiens.

   – C’est vrai. »

   Matthieu renchérit :

   « Il est aussi très capable de trouver de l’argent pour les pauvres. Il demande, il sait demander alors que même moi je ne sais pas le faire… Peut-être parce que, moi, maintenant, je suis dégoûté de l’argent. »

   296.5 Simon le Zélote baisse la tête et devient cramoisi à force d’être rouge. André, qui le voit, lui demande :

   « Tu te sens mal ?

   – Non, non… La fatigue… je ne sais pas. »

   Jésus le regarde fixement, et Simon rougit toujours plus. Mais Jésus ne dit rien. Timon court en avant :

   « Maître, on aperçoit le village qui précède Aéra. Nous pourrons nous y arrêter ou demander des ânes.

   – Mais voilà que la pluie cesse. Il vaut mieux continuer.

   – Comme tu veux, Maître. Cependant, si tu le permets, je vais en avant.

   – Bien. »

   Timon part en courant avec Marc, et Jésus observe en souriant :

   « Il veut que nous ayons une entrée triomphale. »

   Les voilà tous regroupés. Jésus les laisse s’échauffer à parler de la diversité des régions, puis passe à l’arrière en emmenant Simon le Zélote. Quand ils sont seuls, Jésus lui demande :

   « Pourquoi as-tu rougi, Simon ? »

   Simon, dont le visage redevient comme de la braise, garde le silence. Jésus réitère sa question et il devient plus écarlate et plus silencieux. Une fois encore, Jésus renouvelle sa question.

   « Seigneur, tu le sais ! Pourquoi me le fais-tu dire ? s’écrie Simon le Zélote qui souffre comme si on le torturait.

   – En as-tu la certitude ?

   – Il ne l’a pas nié. Mais il a dit : “ J’agis ainsi par prévoyance. J’ai du bon sens. Le Maître ne pense jamais au lendemain. ” Si on veut, c’est vrai. Cependant… c’est toujours… c’est toujours… Maître, trouve toi-même le mot exact.

   – C’est toujours une preuve que Judas est seulement un “ homme ”. Il ne sait pas s’élever pour être avant tout un “ esprit ”. Mais, plus ou moins, vous êtes tous pareils. Vous redoutez des risques improbables. Vous vous tourmentez pour des précautions inutiles. Vous ne savez pas croire que la Providence est puissante et présente. Eh bien ! Que cela reste entre nous deux. N’est-ce pas ?

   – Oui, Maître. »

   Un silence. Puis Jésus ajoute :

   « Nous allons bientôt revenir au lac… Un peu de recueillement après tant de marche nous fera du bien. Nous irons tous deux à Nazareth pour quelque temps, vers les Encénies. Toi, tu es seul… Les autres seront en famille. Tu resteras avec moi.

   – Seigneur, Judas et Thomas, et même Matthieu sont seuls.

   – Ne t’en soucie pas : chacun passera les fêtes en famille. Matthieu a sa sœur. Toi, tu es seul. A moins que tu ne veuilles aller chez Lazare…

   – Non, Seigneur » éclate Simon. « Non. J’aime Lazare, mais être avec toi, c’est être au Paradis. Merci, Seigneur. »

   Il lui baise la main.

   296.6 Le hameau est dépassé depuis peu lorsque, sous une nouvelle averse, Timon et Marc réapparaissent sur le chemin inondé en criant :

   « Arrêtez-vous ! Voilà Simon-Pierre avec des bourricots. Je l’ai rencontré qui venait. Cela fait trois jours qu’il est en route vers cet endroit avec les animaux, sous l’eau. »

   Ils s’arrêtent sous le couvert de rouvres qui les abritent un peu de l’averse. Et voilà qu’arrive, à califourchon sur un âne en tête d’une colonne de montures, Pierre qui ressemble à un moine sous la couverture qui lui cache la tête et les épaules.

   « Que Dieu te bénisse, Maître ! Mais je l’avais bien dit, qu’il serait trempé comme s’il était tombé dans le lac ! Allons, vite, tout le monde en selle. Depuis trois jours, Aéra est en feu à force de garder les cheminées allumées pour te sécher ! Vite, vite… Dans quel état tu es ! Voyez-vous ça ! Vous n’étiez pas capables de le retenir ? Ah ! Quand je n’y suis pas ! Regardez donc : il a les cheveux plaqués comme si c’était un noyé. Tu dois être gelé. Sous cette eau ! Quelle imprudence ! Et vous ? Et vous ? Oh, malheureux ! Toi le premier, mon imbécile de frère, et puis tous les autres ! Ah ! Vous voilà beaux ! Vous ressemblez à des sacs tombés dans un étang. Allons, vite ! Ah ! Je ne me risquerai plus à vous le confier. J’en suffoque d’horreur…

   – Et de trop parler, Simon » dit calmement Jésus pendant que son âne trottine à côté de celui de Pierre, en tête de la caravane. Jésus répète :

   « De trop parler et de parler inutilement. Tu ne m’as pas dit si les autres sont arrivés… Si les femmes sont parties, si ta femme va bien. Tu ne m’as rien dit.

   – Je te dirai tout, mais pourquoi es-tu parti sous cette pluie ?

   – Et toi, pourquoi es-tu venu ?

   – Parce que j’avais hâte de te voir, mon Maître.

   – Parce que j’avais hâte de te retrouver, mon Simon.

   – Oh ! Mon cher Maître ! Comme je t’aime ! Epouse, enfant, maison, cela ne m’est rien : tout est laid si tu n’y es pas. Tu le crois, que je t’aime ainsi ?

   – Je le crois. Je sais qui tu es, Simon.

   – Qui ?

   – Un grand enfant plein de petits défauts avec, ensevelies dessous, beaucoup de belles qualités. Mais il y en a une qui n’est pas ensevelie. C’est ton honnêteté en tout.

   296.7 Eh bien, qui y a-t-il à Aéra ?

   – Ton frère Jude avec Jacques, et puis Judas avec les autres. Il paraît avoir fait beaucoup de bien, Judas. Tous font son éloge…

   – Il t’a posé des questions ?

   – Beaucoup ! Je n’ai répondu à aucune, j’ai dit que je ne savais rien. Qu’est-ce que je sais, d’ailleurs, sinon que j’ai accompagné les femmes jusqu’à proximité de Gadara ? Tu sais… je ne lui ai rien dit sur Jean d’En-Dor. Il croit qu’il est avec toi. Tu devrais le dire aux autres.

   – Non. Eux aussi, comme toi, ne savent pas où est Jean. Inutile d’en dire davantage. Mais ces ânes !… pendant trois jours !… Quelle dépense ! Et les pauvres ?

   – Les pauvres… Judas est cousu de deniers et il s’en occupe. Ces ânes ne nous coûtent rien. Les habitants d’Aéra m’en auraient donné pour toi mille sans payer. J’ai dû faire la grosse voix pour les empêcher de venir à ta rencontre avec une armée d’ânes. Timon a raison. Ici, tout le monde croit en toi. Ils valent mieux que nous… »

   Et il soupire.

   « Simon, Simon ! De l’autre côté du Jourdain, nous avons été honorés : un galérien, des païennes, des pécheresses, des femmes vous ont donné une leçon de perfection. Gardes-en le souvenir, Simon, fils de Jonas. Toujours.

   – J’essaierai, Seigneur. Voilà, voilà les premiers habitants d’Aéra. Regarde ce monde ! Voici la mère de Timon. Voilà tes frères, dans la foule. Voici les disciples que tu avais envoyés en avant et ceux qui sont venus avec Judas. Voici l’homme le plus riche d’Aéra avec ses serviteurs. Il voulait que tu sois son hôte, mais la mère de Timon a fait valoir ses droits et tu es chez elle. Regarde, regarde ! Ils sont ennuyés parce que la pluie éteint les torches. 296.8 Il y a beaucoup de malades, tu sais ? Ils sont restés en ville près des portes pour te voir tout de suite. Un homme qui a un entrepôt de bois les a accueillis sous les hangars. Cela fait trois jours qu’ils sont là, ces pauvres gens ; depuis que nous sommes arrivés, étonnés que tu ne sois pas là. »

   Les acclamations de la foule empêchent Pierre de continuer et il se tait, restant au côté de Jésus comme un écuyer. La foule, qu’ils ont rejointe, s’ouvre, et Jésus passe sur son ânon sans cesser de bénir.

   Ils entrent en ville.

   « Vers les malades, tout de suite » dit Jésus sans se soucier des protestations de ceux qui voudraient l’abriter sous un toit et lui procurer de la nourriture et du feu, de crainte qu’il ne souffre trop.

   « Eux souffrent plus que moi » répond-il.

   Ils tournent à droite. Voici l’enceinte rudimentaire de l’entrepôt de bois. La porte est grande ouverte et un cri plaintif en sort :

   « Jésus, Fils de David, aie pitié de nous ! »

   C’est un chœur de supplications insistantes, comme une litanie : voix d’enfants, voix de femmes, voix d’hommes, voix de vieillards. Tristes comme les bêlements d’agneaux qui souffrent, affligées comme des mères qui meurent, découragées comme celles de gens qui n’ont plus qu’une seule espérance, tremblantes comme celles de gens qui ne savent plus que pleurer…

   Jésus met le pied dans l’enceinte. Il se redresse le plus qu’il peut sur les étriers et, levant sa main droite, dit de sa voix puissante :

   « A tous ceux qui croient en moi, salut et bénédiction. »

   Il s’appuie de nouveau sur la selle et essaie de revenir sur le chemin, mais la foule le presse, ceux qui ont été guéris se serrent contre lui. Et à la lumière des torches, qui brûlent à l’abri des portiques et éclairent le crépuscule, on voit la foule manifester en un délire de joie en acclamant le Seigneur. Le Seigneur disparaît presque au milieu d’un bouquet d’enfants guéris que les mères lui ont mis autour du cou, sur son sein et jusque sur la crinière de l’âne, en les tenant pour qu’ils ne tombent pas. Jésus en a plein les bras comme si c’étaient des fleurs et il sourit d’un air bienheureux, les embrassant car il ne peut les bénir, puisqu’il les tient enlacés. Enfin les enfants lui sont enlevés et ce sont les vieux qu’il a guéris qui pleurent de joie et qui baisent son vêtement, puis les hommes et les femmes…

   Il fait complètement nuit quand il peut entrer dans la maison de Timon et se reposer auprès du feu, avec des vêtements secs.

Observation

Les fers et les étriers

Dans « L’Evangile tel qu’il m’a été révélé », on parle plusieurs fois des maréchaux-ferrants romains et du ferrage de chevaux, de mules et d’ânes. A un moment, Jesus guérit un enfant blessé à la tête par le sabot ferré du cheval du soldat romain Alexandre. « “Il a la tête ouverte, devant et derrière. On voit le cerveau. C’est tendre, la tête à cet âge, et le cheval était fort et venait d’être ferré” explique Alexandre.» (EMV 115.2)

Plus loin, le petit Margziam est à Gerasa avec la caravane de Alexandre Misace et il observe les actions des palefreniers, qui entre autres choses réajustent les fers des mules : « Margziam trouve aussi de la distraction dans la cour fermée. Il observe le travail des palefreniers qui étrillent les mulets, changent les litières, observent les sabots, réajustent les fers qui ne tiennent plus (…)» (EMV 289.1).

Ensuite, on peut lire la description de l’atelier d’un maréchal-ferrant romain, Tite, et de sa famille. « Jésus s'arrête près du pont. Dans le coin ensoleillé où se trouve la maison qui d’un côté, le long du torrent, a la maréchalerie malodorante où on est en train de forger des fers pour un cheval et deux ânes qui ont perdu les leurs. Le cheval est attaché à un char romain sur lequel se trouvent des soldats qui s'amusent à faire des grimaces aux hébreux qui leur lancent des imprécations. » (EMV 327.1-2)

Plusieurs chercheurs nient l’usage du ferrage des quadrupèdes dans le monde romain, car aucune trace n’a été retrouvée dans les fouilles archéologiques. A leur avis on ne documente pas l’usage de fers avant 900 ap J.-C.

Toutefois, certaines sources anciennes évoquent des « hypposandales » qui étaient appliqués aux sabots des chevaux et qui peut-être étaient utilisés quand le cheval était au repos. En outre Catulle (17, 23-36), Pline l’Ancien (L’Histoire Naturelle, XXXIII, 49, 140) et Suétone (Vie de Néron, 30) nous parle explicitement de « semelles » en fer ou argent (soleae ferreae, argenteae) appliquées aux mules. Ainsi, Néron fit fabriquer des fers d’argent pour les mules de ses chariots.

D’autres chercheurs donc, - bien que moins nombreux - admettent l’usage des fers à cheval dans le monde romain. Les romains auraient « repris » l’emploi des fers par les Gaulois et les Germains, après les avoir connus. Selon certaines études du siècle dernier, on aurait retrouvé des fers dans la Gaulle d’époque romaine, mais il n’y a pas de certitude là-dessous.

Les étriers sont évoqués plusieurs fois dans l’œuvre, posés sur les chevaux et les ânes pour y monter plus facilement. Joseph tient les étriers des sages : « Joseph est descendu avec les trois personnages et tient l’étrier à chacun pendant qu’ils montent à cheval ou à chameau. » (EMV 34.9)

Quand Jesus rentre dans la ville d’Aéra sur un âne, il se dresse sur les étriers pour saluer : « Jésus met le pied dans l'enceinte. Il se redresse le plus qu'il peut sur les étriers et, levant sa main droite, dit de sa voix puissante : "À tous ceux qui croient en Moi, salut et bénédiction." » (EMV 296.8)

Un serviteur de Lazare vérifie les fers et les étriers du cheval : « Ils font boire le cheval. Le serviteur soulève la couverture, examine les fers, la sous-ventrière, les rênes, les étriers. Il explique : "Il a tant couru ! Mais tout est en bon état. Adieu, Simon Pierre, et prie pour nous." Il conduit le cheval dehors, il sort sur la route en le tenant par la bride, met un pied dans l'étrier, va monter en selle. Pierre le retient (…) ». (EMV 545.5)

Jesus rentre dans Jérusalem sur un âne et bénit en se redressant sur les étriers : «  (…) ce Roi qui, avant d'entrer dans la ville, s'arrête un moment à la hauteur des tombeaux des lépreux de Hinnon et de Siloan (…) et s'appuyant sur l'unique étrier sur lequel il appuie son pied, puisqu'il est assis sur l'âne et non à cheval, il se lève et ouvre les bras en criant dans la direction de ces pentes horribles (…) "Que celui qui a foi invoque mon Nom et ait la santé grâce à cela !"puis il les bénit en reprenant sa route (…) » (EMV 590.12)

Tout comme pour les fers, l’opinion des chercheurs est divisée autour de l’usage des étriers métalliques en époque romaine. Il paraît qu’il n’existe aucune trace archéologique. La majorité d’entre eux nie leur présence : ils auraient été introduits en Chine ou en Inde au IVème siècle ap. J.-C., et ramenés en Europe au VIème siècle ap. J.-C., pour être employés pendant l’empire byzantin.

Cependant, probablement déjà aux siècles qui précèdent Jesus Christ, certains peuples orientaux (Shiites, Sarmates, Parthes) utilisaient des étriers non pas en métal mais en tissu ou corde, en complément des selles. Ces objets auraient pu être connus et employés par les romains aussi.

Vase ukrénien (380 av. J.-C.)

On a observé que les archers Shiites et Parthes (et peut-être, encore plus tôt, les Assyriens), à cheval, n’auraient pas pu opérer en selle sans pouvoir se stabiliser grâce aux étriers. D’ailleurs, ils étaient capables de décocher les flèches par l’arrière, en simulant la fugue, et en blessant sans pitié leurs poursuivants mal avisés. Ces archers militaient parfois aussi dans l’armée romane.

Sauf des rarissimes exceptions, les très nombreuses représentations de chevaux et chevaliers d’époque grecque et romaine n’illustrent jamais quelque chose qui puisse faire office d’étriers. Mais d’ailleurs la selle non plus, elle n’apparaît que rarement. Il est possible que cela soit du à une pensée enracinée dans l’inconscient, à un préjugé, qui veut le chevalier capable de chevaucher sans selle ou autre. Une illustration - peinture, sculpture, monnaie - en contradiction avec cette idée aurait pu être perçue comme gravement insultante.

Il a très peu d’illustrations anciennes qui semblent figurer des étriers, mais elles sont, tout de même, significatives.

- D’après un vase figuratif de 380 av. J.-C. à Chertomlyk en Ukraine, on a pu reconstituer la selle et les étriers en tissus utilisés par le peuple asiatique des Shiites. (1)

- Le bas-relief d’un sarcophage de période hellénistique (IIIème siècle av. J.-C.) qui se trouve à Vienne, représentent des Amazones à cheval, avec des œillets volants qui pourraient être des étriers en cuir, pendants de la selle.

- Un cheval Parthe, avec des bandes de tissus qui pendent de la selle et qui pourraient être des étriers, est figuré sur une monnaie romaine de Quinto Libieno Partico du 40 av. J.-C. (2).

- Sur un caméo du British Museum – autour du 100 ap. J.-C. – on voit une divinité indienne à cheval qui pose ses pieds sur des étriers, ici clairement en évidence.

En conclusion, la référence aux fers de cheval et aux étriers en MV n’est pas un anachronisme. Ces éléments devaient être largement utilisés à l’époque, même si les preuves documentaires dont nous disposons sont très peu nombreuses.

Merci à Fernando La Greca. 

(1) Vedi Ch. Singer, A History of Technology, vol. II, Oxford, 1956, pag. 555.

(2) Vedi M. H. Crawford, Roman Republican Coinage, vol. I, Cambridge U. P., New, York, 1975, pag. 529.

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