Une initative de
Marie de Nazareth

De Ramoth à Gérasa, avec la caravane du marchand

jeudi 5 octobre 28
De Ramoth à Gérasa

Vision de Maria Valtorta

       287.1 Dans la lumière un peu crue d’un matin assez venteux, apparaît, dans toute son originale beauté, le caractère singulier de ce village posé sur une plate-forme rocheuse qui se dresse au milieu d’une couronne de sommets plus ou moins élevés. On dirait un grand plateau de granit sur lequel sont posés des maisons, des maisonnettes, des ponts, des fontaines, qui se trouvent là comme pour divertir un enfant géant.

       Les maisons paraissent taillées dans la roche calcaire qui forme la matière de base de cette région*.

       Construites de blocs superposés, sans mortier ou à peine équarris, elles ressemblent à un jeu de cubes fabriqué par quelque grand gamin ingénieux.

       Tout autour de ce hameau, on contemple sa campagne boisée et fertile, avec des cultures variées qui, vues d’en haut, font comme un tapis où l’on distingue des carrés, des trapèzes, des triangles, les uns de terre brune que l’on vient de piocher, d’autres de couleur vert émeraude à cause de l’herbe qu’a fait repousser la pluie d’automne, d’autres rougies par les dernières feuilles des vignes et des vergers, d’autres vert-gris avec les peupliers et les saules, d’autres d’un vert émaillé avec les chênes et les caroubiers, ou vert bronze avec les cyprès et les conifères. C’est très très beau !

       Des routes s’en vont comme à partir d’un nœud de rubans, du village à la plaine lointaine, ou bien vers des montagnes encore plus hautes et s’enfoncent sous des bois, ou bien séparent d’un trait gris les prés verdoyants et les terres ocre brun des labours.

       Il y a aussi un riant cours d’eau argenté au-delà du village en remontant vers la source ; du côté opposé, il devient couleur d’azur teinté de jade dans les descentes vers les vallées entre gorges et pentes ; il apparaît et disparaît, capricieux, de plus en plus fort et plus bleuté à mesure qu’il grossit en ne permettant plus aux roseaux du fond et aux herbes qui ont poussé dans son lit à la saison sèche de le teinter de vert. Maintenant il reflète le ciel, après avoir enseveli les tiges sous une épaisseur d’eau déjà profonde.

       Le ciel est d’un azur irréel : une écaille précieuse d’un émail bleu foncé, sans la moindre fêlure dans sa masse merveilleuse.

       287.2 La caravane se remet en route, avec les femmes encore à cheval car, dit le marchand, la route est fatigante au-delà du village et il faut faire vite pour arriver à Gérasa avant la nuit. Emmitouflés, dispos après le repos, ils avancent rapidement sur la route qui monte au milieu de superbes fourrés côtoyant les pentes plus élevées d’une montagne solitaire, qui se dresse comme un bloc énorme au-dessus des autres monts en contrebas. C’est un véritable géant tel qu’on en rencontre aux endroits les plus élevés de notre Apennin.

       « Galaad » indique du doigt le marchand resté près de Jésus, qui conduit toujours par la bride le mulet de la Vierge. Et il a­joute :

       « Après cela, la route est meilleure. Es-tu déjà venu ici ?

       – Jamais. Je voulais y venir au printemps, mais à Galgala j’ai été repoussé.

       – Te repousser ? Quelle erreur ! »

       Jésus le regarde et se tait.

       Le marchand a pris en selle Marziam, qui peinait vraiment sur ses jambes courtes pour suivre le pas rapide des montures. Et Pierre le sait, qu’il est rapide ! Il avance, s’efforçant péniblement de suivre, imité par les autres, mais il est toujours distancé par la caravane. Il transpire, mais il est content car il entend rire Marziam, il voit la Vierge reposée et le Seigneur heureux. Il parle en haletant avec Matthieu et son frère André qui restent en queue comme lui, et il les fait rire en leur disant que s’il avait des ailes à la place des jambes, il serait comblé en cette matinée. Il s’est débarrassé de tout fardeau comme les autres, en attachant les sacs aux selles des femmes, mais la route est vraiment malaisée sur les pierres que la rosée rend glissantes. Les deux Jacques, Jean et Jude sont plus braves et suivent de près les mulets des femmes. Simon le Zélote parle avec Jean d’En-Dor. Timon et Hermastée sont occupés eux aussi à conduire les mulets.

       287.3 Finalement, le plus difficile est franchi et un tableau tout différent s’offre aux regards étonnés. La vallée du Jourdain a définitivement disparu. Maintenant l’œil découvre à l’orient un haut plateau d’une étendue imposante, sur laquelle seulement des rides de collines arrivent à peine à s’élever pour interrompre la monotonie du paysage. Je n’aurais jamais pensé qu’il y avait en Palestine quelque chose de semblable. On dirait que la tempête rocheuse des montagnes c’est apaisée et pétrifiée en une énorme vague restée suspendue entre le niveau du fond et le ciel, avec, comme unique souvenir de sa furie première, ces petites lignes de collines, écume des crêtes solidifiées çà et là alors que l’eau de la vague s’est étendue en une surface plane d’une merveilleuse magnificence. On arrive à cette région de paix lumineuse par un dernier défilé, sauvage comme l’est l’abîme entre deux lames qui se heurtent, les deux dernières lames d’une tempête. Au fond, un nouveau torrent court en écumant vers l’ouest. Il arrive de l’est dans un parcours tourmenté, rageur, à travers roches et cascades, contrastant ainsi avec la paix lointaine de l’énorme plateau.

       « Maintenant la route va être bonne. Si tu le permets, je vais ordonner une halte, dit le marchand.

       – Je me laisse conduire par toi, homme. Tu le sais. »

       Ils descendent tous et se dispersent sur la pente afin de chercher du bois pour cuire le déjeuner, de l’eau pour les pieds fatigués, pour les gorges assoiffées. Les bêtes, que l’on a déchargées de leurs fardeaux, broutent l’herbe touffue ou descendent s’abreuver aux eaux limpides du torrent. Une odeur de résine et de viande rôtie se dégage des petits feux allumés pour cuire les agneaux.

       Les apôtres ont préparé un feu et y cuisent des poissons salés, lavés au préalable dans l’eau fraîche du torrent. Mais le marchand les voit, vient leur apporter un petit agneau ou un chevreau, et les force à l’accepter. Et Pierre se met en devoir de le rôtir après l’avoir farci de plantes aromatiques.

       Le repas est vite préparé et vite consommé.

       287.4 Et, sous le soleil à pic de midi, ils reprennent leur marche sur une route meilleure qui longe le torrent en direction du nord-est, dans une région d’une fertilité merveilleuse et bien cultivée, riche en troupeaux de brebis et de porcs qui s’enfuient en grognant devant la caravane.

       « Cette ville entourée de murs, Seigneur, c’est Gérasa. Une ville de grand avenir. Elle est en train de se développer et je ne crois pas me tromper en disant qu’elle rivalisera vite avec Joppé et Ascalon, avec Tyr et beaucoup d’autres villes pour la beauté, le commerce et la richesse. Les romains en voient toute l’importance sur cette route qui va de la mer Rouge, et par conséquent de l’Egypte, à la mer Pontique par Damas. Ils aident les géraséniens à bâtir… Ils ont bon œil et bon flair. Pour le moment, elle a seulement de nombreux commerces, mais plus tard !… Ah ! Elle sera belle et riche ! Une petite Rome avec des temples et des piscines, des cirques et des thermes. Moi, je n’y avais que des com­merces. Mais j’ai déjà acquis beaucoup de terrain pour y installer des magasins, pour les revendre cher après les avoir achetés bon marché, peut-être pour construire une vraie maison de riche et venir m’y établir dans ma vieillesse quand Baldassar, Nabor, Félix et Sidmia pourront respectivement tenir et diriger les magasins de Sinope, Tyr, Joppé et Alexandrie à l’embouchure du Nil. Pendant ce temps, les trois autres garçons grandiront et je leur donnerai les magasins de Gérasa, d’Ascalon, de Jérusalem peut-être. Et les filles, riches et belles, seront recherchées et feront de beaux mariages et me donneront beaucoup de petits-enfants… »

       Le marchand rêve les yeux ouverts à un avenir doré.

       287.5 Jésus demande calmement :

       « Et après ? »

       Le marchand se secoue, le regarde d’un air perplexe et répond :

       « Et après ? Ce sera tout. Après viendra la mort… C’est triste, mais c’est comme ça.

       – Et tu abandonneras toute activité ? Tous tes magasins ? Toutes tes affections ?

       – Mais, Seigneur ! Moi, je ne le voudrais pas ! Mais comme je suis né, je dois aussi mourir. Et je devrai tout quitter. »

       Il pousse un soupir si profond que son souffle suffirait à pousser en avant la caravane…

       « Mais qui te dit qu’à la mort on quitte tout ?

       – Qui ? Mais les faits ! Quand on est mort… il n’y a plus rien. Plus de mains, plus d’yeux, plus d’oreilles…

       – Tu n’es pas seulement mains, yeux et oreilles.

       – Je suis un homme. Je le sais. J’ai d’autres choses. Mais tout finit avec la mort. C’est comme le coucher du soleil. Son coucher le fait disparaître…

       – Mais l’aurore le recrée ou plutôt le ramène de nouveau. Tu es un homme, tu l’as dit. Tu n’es pas un animal comme celui que tu montes. Lui, une fois mort, est réellement fini. Toi, non. Tu as ton âme. Tu ne le sais pas ? Tu ne sais même plus cela ? »

       Le marchand entend ce triste reproche, triste et doux, et il baisse la tête en murmurant :

       « Cela, je le sais encore…

       – Et alors ? Tu ne sais pas que l’âme survit ?

       – Je le sais.

       – Et alors ? Tu ne sais pas qu’elle a toujours une activité dans la vie de l’au-delà ? Sainte, si elle est sainte. Mauvaise, si elle est mauvaise. Elle a des sentiments. Ah ! Comme elle en a ! D’amour, si elle est sainte. De haine, si elle est damnée. De la haine pour qui ? Pour les causes de sa damnation. Dans ton cas, les activités, les magasins, les affections uniquement humaines. D’amour, pour qui ? Pour les mêmes choses. Et que de bénédictions sur les enfants et sur les activités des enfants peut apporter une âme qui est dans la paix du Seigneur ! »

       L’homme est pensif. Il dit ensuite :

       « Il est tard. Je suis vieux désormais. »

       Et il arrête son mulet. Jésus sourit et répond :

       « Moi, je ne te force pas. Je te conseille. »

       Et il se retourne pour regarder les apôtres qui, pendant l’arrêt avant d’entrer dans la ville, aident les femmes à descendre et prennent leurs sacs.

       287.6 La caravane repart et ne tarde pas à entrer, par la porte que gardent deux tours, dans la ville affairée.

       Le marchand revient vers Jésus :

       « Veux-tu encore rester avec moi ?

       – Si tu ne me renvoies pas, pourquoi ne devrais-je pas le vouloir ?

       – A cause de ce que je t’ai dit. Saint comme tu l’es, je dois t’inspirer du dégoût.

       – Oh non ! Je suis venu pour ceux qui sont comme toi. Je vous aime parce que c’est vous qui en avez le plus besoin. Tu ne me connais pas encore. Mais je suis l’Amour qui passe en mendiant l’amour.

       – Alors, tu ne me hais pas ?

       – Je t’aime. »

       Un éclair traverse le fond des yeux de l’homme. Mais il dit avec un sourire :

       « Alors nous allons rester ensemble. Je vais m’arrêter trois jours à Gérasa pour affaires. J’y laisse les mulets pour les chameaux. J’ai la correspondance des caravanes dans les endroits de plus long parcours et j’ai un serviteur pour s’occuper des bêtes que je laisse à cet endroit. Et toi, que vas-tu faire ?

       – J’évangéliserai pendant le sabbat. Je t’aurais quitté si tu ne t’étais pas arrêté car le sabbat est sacré pour le Seigneur. »

       L’homme plisse le front, réfléchit et approuve comme à regret :

       « …Oui… C’est vrai. Il est sacré pour le Dieu d’Israël. Il est sacré. Il est sacré. »

       Il regarde Jésus…

       « Je te le consacrerai, si tu permets.

       – A Dieu. Pas à son Serviteur.

       – A Dieu et à toi, en t’écoutant. Je vais faire mes affaires aujourd’hui et demain matin. Ensuite, je t’écouterai. Viens-tu maintenant à l’hôtellerie ?

       – Forcément. J’ai les femmes, et ici je suis inconnu.

       – Voici mon auberge. C’est la mienne parce c’est là que sont mes écuries d’une année à l’autre. Mais j’ai de vastes pièces pour les marchandises. Si tu es d’avis…

       – Que Dieu t’en récompense. Allons. »

                

           * cette région : Maria Valtorta en a fait deux dessins sur les pages intérieures d’un feuillet plié, qu’elle a cousu entre les pages manuscrites du cahier. Sur l’esquisse de gauche on lit : Comment se présente le panorama quand on va à Ramoth – Judée – Plaine du Jourdain – Mer Morte – Jourdain – Plaine au-delà du Jourdain – Galaad – Ramoth. Sur le dessin de droite, on peut lire : Panorama après avoir franchi les montagnes – Gérasa – Hauts-plateaux.Sur la face extérieure du feuillet, Maria Valtorta a écrit : Dessiner des chaînes de montagne si intriquées n’est pas facile, et je ne suis guère habile. Néanmoins, bien que très schématique, cette esquisse sert à en donner une idée, surtout si l’on s’aide de la description.

Observation

La mer Pontique

Sur le long parcours qui de Jéricho va mener Jésus et les siens jusqu’à Bozra, un riche marchand, Alexandre Misace, les accueille dans sa caravane. En atteignant la ville de Gerasa, le marchand observe les travaux d’aménagement entrepris par les Romains et déclare : « Les Romains en voient l'importance, sur cette route qui va de la mer Rouge, et par conséquent de l'Égypte, par Damas, vers la mer Pontique ». La cité de Gerasa se trouvait en effet au carrefour de deux axes stratégiques pour les Romains : l’un reliant Petra, Ammon-Philadelphia à Damas (la future via Nova rénovée sous Trajan), et l’autre reliant Jérusalem à Bozra et Bagdad. Mais qu’en est-il au juste de ce terme « mer Pontique » transmis par Maria Valtorta ? (EMV 287.4). C’est là encore une de ses innombrables connaissances remarquables qui pourrait passer inaperçu…

La mer Pontique par Herman Moll (1716)

En effet la mer Noire changea de désignation à plusieurs reprises dans l’Antiquité. Elle fut successivement nommée le Pont-Scythique (c’est-à dire la mer des Scythes), puis par les grecs le Pont-Euxin (c’est-à dire la mer Accueillante), puis simplement le Pont (la Mer). Au premier siècle les géographes contemporains de Jésus, Strabon et Pomponius Mela, désignent alors le Pont comme étant la mer Pontique (mare Ponticum) des Romains (1). Ce n’est donc pas un anachronisme, bien au contraire, que « d’entendre » cette expression dans la bouche du marchant Alexandre Misace. Et c’est avec cette même expression que les contemporains de Jésus désignaient la mer connue aujourd’hui sous l’appellation moderne : la mer Noire. Voir par exemple Pline, Tite-Live, Horace, et d’autres (2)

Note : ‘L’expression « mer Noire »  n’apparaît qu’à partir du 15e siècle. C’est donc tout à fait justifié qu’elle soit absente du récit valtortien.

(1) Strabon, Géographie Livre VII, chap. 1.1 ; Livre XI, chap. 1.7 ; Livre XVII et Pomponius Mela Livre II.

(2) Pline, Histoire naturelle, Livre II, 219 et Livre V, l’Asie ; Tite Live Les décades Livre X ; Horace Livre III, Ode XXIV

 

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