Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table.
Survint une femme de la ville, une pécheresse. Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien, elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum. Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum.
En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. – Parle, Maître. » Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser, il en fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’aimera davantage ? » Simon répondit : « Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce de la plus grande dette. – Tu as raison », lui dit Jésus. Il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »
Il dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. » Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? » Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »
236.1 En guise de réconfort devant ma souffrance complexe et pour me faire oublier les méchancetés des hommes, mon Jésus m’accorde une bien douce contemplation.
Je vois une salle très riche. Un riche lampadaire à becs multiples est suspendu au milieu et il est tout allumé. Aux murs, de riches tapis, des sièges ornés de marqueterie et incrustés d’ivoire et de lames précieuses, et aussi de très beaux meubles.
Au milieu, une grande table carrée, mais formée de quatre tables ainsi réunies . La table est certainement disposée de cette manière pour les nombreux convives (tous des hommes) et elle est couverte de belles nappes et de riche vaisselle. Il y a de nombreuses amphores et des coupes précieuses et les serviteurs se déplacent tout autour, apportant des plats et versant des vins. Au milieu du carré, il n’y a personne. Je vois le beau dallage, sur lequel se reflète la lumière du lampadaire à huile. A l’extérieur, en revanche, il y a de nombreux lits-sièges tous occupés par des convives.
Il me semble me trouver dans l’angle à moitié obscur situé au fond de la salle, près d’une porte grande ouverte sur l’extérieur, mais en même temps fermée par un lourd tapis ou une tapisserie qui pend de son architrave.
Du côté le plus éloigné de la porte ,c’est-à-dire là où il y a les deux signes, se trouve le maître de maison avec les invités de marque. C’est un homme âgé, revêtu d’une ample tunique blanche serrée à la taille par une ceinture brodée. L’habit a aussi au cou, au bord des manches et du vêtement lui-même, des bandes de broderies appliquées comme si c’étaient des rubans brodés ou des galons, si on préfère les appeler ainsi. Mais la figure de ce petit vieux ne me plaît pas. C’est un visage méchant, froid, orgueilleux et avide.
A l’opposé, en face de lui, se trouve mon Jésus. Je le vois de côté, je pourrais même dire par derrière. Il porte son vêtement blanc habituel, des sandales, les cheveux séparés en deux sur le front et longs comme toujours.
Je remarque que lui et tous les convives ne sont pas allongés comme je croyais qu’on l’était sur ces lits-sièges, c’est-à-dire perpendiculairement à la table, mais parallèlement. Dans la vision des noces de Cana, je n’avais pas fait très attention à ce détail, j’avais vu qu’ils mangeaient appuyés sur le coude gauche, mais il me semblait qu’ils n’étaient pas vraiment couchés parce que les lits étaient moins luxueux et beaucoup plus courts. Ceux-ci sont de vrais lits, ils ressemblent aux divans modernes, à la mode turque.
Jésus a Jean pour voisin et, comme Jésus s’appuie sur le coude gauche (comme tout le monde), il en résulte que Jean se trouve encastré entre la table et le corps du Seigneur, arrivant avec son coude gauche à l’aine du Maître, de manière à ne pas le gêner pour manger et à lui permettre aussi, s’il le veut, de s’appuyer confidentiellement sur sa poitrine.
Il n’y a pas de femmes. Tout le monde parle, et le maître de maison s’adresse de temps en temps à Jésus avec une familiarité pleine d’affectation et une condescendance manifeste. Il est clair qu’il veut lui montrer, ainsi qu’à toutes les personnes présentes, qu’il lui a fait un grand honneur de l’inviter dans sa riche maison, lui, ce pauvre prophète que l’on juge quelque peu exalté…
Je vois Jésus répondre avec courtoisie, paisiblement. Il sourit de son léger sourire à ceux qui l’interrogent, mais il sourit d’un sourire lumineux si c’est Jean qui lui parle ou simplement le regarde.
236.2 Je vois se soulever la riche tapisserie qui couvre l’embrasure de la porte et entrer une femme jeune, très belle, richement vêtue et soigneusement coiffée. Sa chevelure blonde très épaisse forme sur sa tête un véritable ornement de mèches artistement tressées. Elle semble porter un casque d’or tout en relief, tellement cette chevelure est fournie et brillante. Elle porte un vêtement dont je dirais qu’il est très excentrique et compliqué si je le compare à celui que j’ai toujours vu à la Vierge Marie. Des boucles sur les épaules, des bijoux pour retenir les froncis en haut de la poitrine, des chaînettes d’or pour souligner la poitrine, une ceinture avec des boucles d’or et des pierres précieuses. C’est un vêtement provocant qui fait ressortir les formes de son très beau corps. Sur sa tête, un voile si léger… qu’il ne voile rien. Ce n’est qu’une parure, c’est tout. Aux pieds, de très riches sandales avec des boucles d’or, des sandales de cuir rouge avec des brides entrelacées aux chevilles.
Tous, sauf Jésus, se retournent pour la regarder. Jean l’observe un instant, puis il se tourne vers Jésus. Les autres la fixent avec une visible et mauvaise gourmandise. Mais la femme n’a pas un regard pour eux et ne se soucie pas du murmure qui s’est élevé à son entrée et des clins d’œil de tous les convives, excepté Jésus et le disciple. Jésus fait semblant de ne s’apercevoir de rien et continue de parler en terminant la conversation qu’il avait engagée avec le maître de maison.
La femme se dirige vers Jésus et s’agenouille près des pieds du Maître. Elle pose par terre un petit vase en forme d’amphore très ventrue, enlève de sa tête son voile en détachant l’épingle précieuse qui le retenait fixé aux cheveux, retire les bagues de ses doigts et pose le tout sur le lit-siège près des pieds de Jésus. Elle prend ensuite les pieds de Jésus entre ses mains, d’abord celui de droite, puis celui de gauche et en délace les sandales, les dépose sur le sol, puis elle lui embrasse les pieds en sanglotant et y appuie son front, elle les caresse et ses larmes tombent comme une pluie qui brille à la lumière du lampadaire et qui arrose la peau de ces pieds adorables.
236.3 Jésus tourne lentement la tête, à peine, et son regard bleu sombre se pose un instant sur la tête inclinée. Un regard qui absout. Puis il regarde de nouveau vers le centre de la pièce. Il la laisse libre de s’épancher.
Mais les autres, non. Ils plaisantent entre eux, font des clins d’œil, ricanent. Et le pharisien s’assied un moment pour mieux voir ; son regard exprime désir, contrariété, ironie. C’est, de sa part, de la convoitise pour la femme, ce sentiment est évident. D’un autre côté, il est mécontent qu’elle soit entrée si librement, ce qui pourrait faire penser aux autres que cette femme est… une habituée de la maison. Il adresse enfin un coup d’œil moqueur à Jésus…
Mais la femme ne fait attention à rien. Elle continue à verser des larmes abondantes, sans un cri. Seulement de grosses larmes et de rares sanglots. Puis elle dénoue ses cheveux en en retirant les épingles d’or qui tenaient en place sa coiffure compliquée et elle pose aussi ces épingles près des bagues et de la grosse épingle qui maintenait le voile. Les écheveaux d’or se déroulent sur les épaules. Elle les prend à deux mains, les ramène sur sa poitrine et les passe sur les pieds mouillés de Jésus, jusqu’à ce qu’ils soient secs. Puis elle plonge les doigts dans le petit vase et en retire une pommade légèrement jaune et très odorante. Un parfum qui tient du lys et de la tubéreuse se répand dans toute la salle. La femme y puise largement, elle étend, elle enduit, embrasse et caresse.
Jésus, de temps en temps, la regarde avec une affectueuse pitié. Jean, qui s’est retourné avec étonnement en entendant les sanglots, ne peut détourner les yeux du groupe de Jésus et de la femme. Il regarde alternativement l’un et l’autre. Le visage du pharisien est de plus en plus hargneux.
236.4 J’entends ici les paroles bien connues de l’Evangile et je les entends dites sur un ton et accompagnées d’un regard qui font baisser la tête au vieillard haineux.
J’entends les paroles d’absolution adressées à la femme, qui s’en va en laissant ses bijoux aux pieds de Jésus. Elle a enroulé son voile autour de sa tête en y enserrant le mieux possible sa chevelure défaite. Jésus, en lui disant : « Va en paix », lui pose un instant la main sur sa tête inclinée, mais avec une extrême douceur.
Enseignement de Jésus
236.5 Jésus me dit maintenant :
« Ce qui a fait baisser la tête au pharisien et à ses amis, et ce que l’Evangile ne rapporte pas, ce sont les paroles que mon esprit, par mon regard, ont dardées et enfoncées dans cette âme sèche et avide. J’ai répondu avec beaucoup plus de force que je ne l’aurais fait par des mots, car rien ne m’était caché des pensées des hommes. Et il m’a compris dans mon langage muet qui était encore plus lourd de reproche que ne l’auraient été mes paroles.
Je lui ai dit : “ Non, ne fais pas d’insinuations malveillantes pour te justifier à tes propres yeux. Moi, je n’ai pas ta passion vicieuse. Cette femme ne vient pas à moi poussée par la sensualité. Je ne suis pas comme toi et tes semblables. Elle vient à moi parce que mon regard et ma parole, entendue par pur hasard, ont éclairé son âme, là où la luxure avait installé les ténèbres. Et elle vient parce qu’elle veut vaincre la sensualité et elle comprend, la pauvre créature, qu’à elle seule, elle n’y arriverait jamais. C’est l’esprit qu’elle aime en moi, rien que l’esprit qu’elle sent surnaturellement bon. Après tout le mal qu’elle a reçu de vous tous, qui avez exploité sa faiblesse pour vos vices, en la payant ensuite par les coups de fouet du mépris, elle vient à moi parce qu’elle se rend compte qu’elle a trouvé le bien, la joie, la paix, qu’elle avait inutilement cherchés dans les magnificences du monde. Pharisien hypocrite, guéris-toi de cette lèpre de l’âme, sache avoir une juste vision des choses. Quitte l’orgueil de ton esprit et la luxure de ta chair. Ce sont des lèpres plus fétides que les lèpres corporelles. De cette dernière, mon toucher peut vous guérir parce que vous faites appel à moi pour elle, mais de la lèpre de l’esprit non : car vous ne voulez pas en guérir parce qu’elle vous plaît. Elle, elle le veut. C’est pourquoi je la purifie, je l’affranchis des chaînes de son esclavage. La pécheresse est morte. Elle est là, dans ces ornements qu’elle a honte de m’offrir pour que je les sanctifie en les consacrant à mes besoins et à ceux de mes disciples, pour les pauvres que je secours grâce au superflu d’autrui : car moi, le Maître de l’univers, je ne possède rien maintenant que je suis le Sauveur de l’homme. Elle est là, dans ce parfum répandu sur mes pieds, humilié comme ses cheveux, sur cette partie du corps que tu as négligé de rafraîchir de l’eau de ton puits après tout le chemin que j’ai fait pour t’apporter la lumière, à toi aussi. La pécheresse est morte. Et Marie est revenue à la vie, redevenue belle comme une fillette pure par sa vive douleur, par la sincérité de son amour. Elle s’est lavée dans ses larmes. En vérité je te dis, pharisien, qu’entre celui qui m’aime dans sa jeunesse pure et celle-ci qui m’aime avec le sincère regret d’un cœur qui renaît à la grâce, moi je ne fais pas de différence : je confie à la repentie comme à l’homme pur la charge de comprendre ma pensée comme nul autre, et celle de rendre à mon Corps les derniers honneurs et le premier salut (je ne compte pas le salut particulier de ma Mère) quand je serai ressuscité. ”
236.6 Voilà ce que je voulais dire par mon regard au pharisien. Mais à toi, je te fais remarquer une autre chose, pour ta joie et celle d’un grand nombre.
A Béthanie aussi, Marie réitéra le geste qui marqua l’aube de sa rédemption. Il y a des gestes personnels qui se répètent et qui trahissent une personne comme son style, des gestes uniques. Mais, comme de juste, à Béthanie le geste est moins humilié et plus confiant dans sa respectueuse adoration.
Marie a fait beaucoup de chemin depuis l’aube de sa rédemption. Beaucoup. L’amour l’a entraînée comme un vent rapide vers les hauteurs et en avant. L’amour l’a brûlée comme un bûcher, détruisant en elle la chair impure, et rendant maître souverain en elle une âme purifiée. Et Marie, différente dans sa dignité de femme retrouvée, comme différente dans son vêtement – désormais aussi simple que celui de ma Mère –, dans sa coiffure, dans son regard, dans sa contenance, dans sa parole, Marie toute renouvelée a une nouvelle manière de m’honorer par le même geste. Elle prend le dernier de ses vases de parfum, mis en réserve pour moi, et me le répand sur les pieds et sur la tête, sans pleurer, avec un regard que rendent joyeux l’amour et la certitude d’être pardonnée et sauvée. Marie peut bien me faire cette onction et me toucher la tête, maintenant, le repentir et l’amour l’ont purifiée du feu des séraphins, et elle est un séraphin.
236.7 Dis-le-toi à toi aussi, Maria, ma petite “ voix ”, dis-le aux âmes. Va, dis-le aux âmes qui n’osent venir à moi parce qu’elles se sentent coupables. Il est beaucoup, beaucoup, beaucoup pardonné à ceux qui aiment beaucoup. A ceux qui m’aiment beaucoup. Vous ne savez pas, pauvres âmes, combien le Sauveur vous aime ! Ne craignez rien de moi. Venez avec confiance, avec courage. Je vous ouvre mon cœur et mes bras.
Souvenez-vous-en toujours : “ Je ne fais aucune différence entre celui qui m’aime avec une pureté intacte et celui qui m’aime avec le sincère regret d’un cœur qui renaît à la grâce. ” Je suis le Sauveur. Souvenez-vous-en toujours.
Va en paix. Je te bénis. »
------------------------
236.8 Je n’ai cessé de repenser, aujourd’hui, à la dictée de Jésus d’hier soir, et à ce que je voyais et comprenais sans même qu’il en ait parlé.
J’ajoute incidemment que les conversations des convives – du moins celles que je comprenais, c’est-à-dire celles qui s’adressaient particulièrement à Jésus – portaient sur des événements quotidiens : les Romains, leurs oppositions à la Loi, puis sur la mission de Jésus comme Maître d’une nouvelle école. Mais on devinait que, sous une apparente bienveillance, c’étaient des questions retorses et spécieuses destinées à le mettre dans l’embarras ; mais cela n’était guère aisé car, en quelques mots, Jésus opposait à toute remarque une réponse juste et décisive.
Comme on lui demandait par exemple de quelle école ou secte particulière il s’était fait le nouveau maître, il répondit simplement :
« De l’école de Dieu. C’est lui que je suis par sa sainte Loi, et c’est de lui que je me soucie en faisant en sorte que, pour ces petits – ce disant, il regardait Jean avec amour et, en lui, tous les hommes au cœur droit –, celle-ci soit complètement rénovée dans son essence pour redevenir telle qu’elle était lorsque le Seigneur l’a promulguée au Sinaï. Je ramène les hommes à la lumière de Dieu. »
A une autre question sur l’abus de César qui s’était rendu maître de la Palestine, il a répondu :
« César est ce qu’il est parce que Dieu l’a voulu. Souviens-toi du prophète Isaïe : sous l’effet d’une inspiration divine, n’a-t-il pas appelé Assur le “ bâton ” de sa colère ? La verge qui punit le peuple qui s’est trop éloigné de Dieu et a la feinte pour vêtement et pour esprit ? Et ne dit-il pas que, après s’en être servi pour châtier, il le brisera parce qu’il aura abusé de sa tâche en devenant trop orgueilleux et trop féroce ? »
Ce sont là les deux réponses qui m’ont le plus frappée.
236.9 Ce soir, plus tard, Jésus me dit en souriant :
« Je devrais t’appeler comme Daniel. Tu es celle qui a soif et qui m’es chère parce que tu as un grand désir de ton Dieu. Et je pourrais continuer à dire de toi ce que mon ange dit à Daniel : “ Ne crains pas car, du premier jour où tu as appliqué ton cœur à comprendre et à te mortifier devant la face de Dieu, tes prières ont été exaucées et c’est à cause d’elles que je suis venu. ” Mais ici, ce n’est plus l’ange qui parle, mais moi, Jésus.
Je viens toujours, Maria, lorsqu’on “ applique son cœur à comprendre ”. Je ne suis pas un Dieu dur et sévère. Je suis la Miséricorde vivante et je viens plus rapidement que la pensée vers celui qui se tourne vers moi.
236.10 Même pour la pauvre Marie de Magdala, tellement plongée dans le péché, je suis venu rapidement, avec mon esprit, dès que j’ai senti poindre en elle le désir de comprendre : de comprendre la lumière de Dieu et son état de ténèbres. Et, pour elle, je me suis fait Lumière.
Je m’adressais à beaucoup de monde ce jour-là, mais en réalité je m’adressais à elle seule. Je ne voyais qu’elle qui s’était approchée, poussée par la fougue d’une âme qui se révoltait contre la chair qui la tenait en esclavage. Je ne voyais qu’elle avec son pauvre visage en détresse, son sourire forcé qui cachait, sous une apparence trompeuse d’assurance et de joie qui était un défi au monde et à elle-même, une immense peine intérieure. Je ne voyais qu’elle, bien plus enserrée dans les ronces que la brebis perdue de la parabole, elle qui se noyait dans le dégoût de sa vie ramené à la surface comme ces vagues profondes qui remontent l’eau du fond.
Je n’ai rien dit de particulier, ni abordé un sujet indiqué pour elle, qui était une pécheresse notoire, pour ne pas l’humilier et la contraindre à s’enfuir, à rougir d’elle-même ou à venir. Je l’ai laissée tranquille. J’ai laissé mes paroles et mon regard descendre en elle et y agir pour faire de cette impulsion d’un moment sa gloire future de sainte. Je me suis servi d’une de mes plus douces paraboles : un rayon de lumière et de bonté répandu précisément pour elle.
236.11 Et ce soir-là, alors que je mettais le pied dans la maison du riche orgueilleux chez qui ma parole, étouffée par son orgueil pharisaïque, ne pouvait avoir de l’effet pour devenir gloire future, je savais qu’elle allait venir après avoir tant pleuré dans la pièce où elle avait péché et que, à la lumière de ses larmes, son avenir était déjà décidé.
En la voyant entrer, les hommes rongés par la luxure ont tressailli dans leur chair et des insinuations leur sont venues à l’esprit. Tous l’ont désirée, à l’exception des deux hommes “ purs ” du banquet : Jean et moi. Tous ont cru que sa venue était due à l’un de ces probables caprices qui, telle une vraie possession démoniaque, la jetaient dans des aventures imprévues. Mais Satan était désormais vaincu. Quand ils se rendirent compte qu’elle ne se tournait pas vers eux, tous pensèrent avec envie qu’elle venait pour moi. L’homme salit toujours les choses les plus pures quand il est seulement homme de chair et de sang. Seuls les purs voient juste, parce que le péché ne vient pas troubler leurs pensées.
236.12 Mais il ne faut pas s’effrayer de ce que l’homme ne comprenne pas, Maria. Dieu comprend, et cela suffit pour le Ciel. La gloire qui vient des hommes n’augmente en rien la gloire qui est le sort des élus au Paradis. Souviens-t’en toujours.
Les bonnes actions de la pauvre Marie de Magdala ont toujours été mal jugées. Ses mauvaises actions ne l’ont pas été, parce qu’il s’agissait de bouchées de luxure offertes à la faim insatiable des vicieux. Elle fut critiquée et mal jugée à Capharnaüm, chez le pharisien, critiquée et accablée de reproches à Béthanie, chez elle. Mais Jean, qui dit une grande parole, donne la clé de cette dernière critique : “ Judas… parce qu’il était voleur. ” Moi, je dis : “ Le pharisien et ses amis parce qu’ils étaient vicieux. ” Tu vois ? L’avidité des sens, l’avidité de l’argent haussent la voix pour critiquer une bonne action. Les bons chrétiens ne critiquent pas. Jamais. Ils comprennent.
Mais, je le répète, peu importent les critiques du monde. Ce qui importe, c’est le jugement de Dieu.