Le lendemain encore, Jean se trouvait là avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. » Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent Jésus. Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : Maître –, où demeures-tu ? » Il leur dit : « Venez, et vous verrez. » Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était vers la dixième heure (environ quatre heures de l’après-midi).
47.1 Je vois Jésus cheminer le long de la bande verte qui borde le Jourdain. Il est revenu à peu près à l’endroit qui a vu son baptême, près du gué qui paraît être très connu et fréquenté pour passer sur l’autre rive, vers la Pérée. Mais alors qu’il y avait foule, l’endroit paraît maintenant désert. Seuls quelques voyageurs le parcourent, à pied, à cheval ou à dos d’âne. Jésus paraît ne leur prêter aucune attention. Il avance en direction du nord comme absorbé dans ses pensées.
Quand il arrive à la hauteur du gué, il croise un groupe d’hommes d’âges divers qui discutent avec animation puis se séparent, une partie allant vers le sud, l’autre remontant vers le nord. Parmi ces derniers, je vois qu’il y a Jean et Jacques.
47.2 Jean, le premier, voit Jésus et le montre à son frère et à ses compagnons. Ils parlent un peu entre eux puis Jean se met à marcher rapidement pour rejoindre Jésus. Jacques le suit moins vite. Les autres ne s’en soucient guère. Ils marchent lentement en discutant.
Quand Jean arrive près de Jésus, à peine à deux ou trois mètres derrière lui, il crie :
« Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde ! »
Jésus se retourne et le regarde. Ils sont à quelques pas l’un de l’autre. Ils s’observent, Jésus de son regard sérieux et pénétrant, Jean de son regard pur et rieur dans son charmant visage juvénile qui pourrait être celui d’une jeune fille. On lui donne plus ou moins vingt ans et sur ses joues roses, on ne remarque rien qu’un duvet blond qui ressemble à un voile d’or.
« Qui cherches-tu ? demande Jésus.
– Toi, Maître.
– Comment sais-tu que je suis maître ?
– C’est Jean-Baptiste qui me l’a dit.
– Et alors, pourquoi m’appelles-tu Agneau ?
– Parce que je l’ai entendu t’appeler comme cela, un jour où tu es passé, il y a plus d’un mois.
– Qu’attends-tu de moi ?
– Que tu nous dises les paroles de vie éternelle et que tu nous consoles.
– Mais qui es-tu ?
– Je suis Jean, fils de Zébédée, et lui, c’est mon frère Jacques. Nous sommes de Galilée, nous sommes pêcheurs et nous sommes aussi disciples de Jean. Lui, il nous disait des paroles de vie et nous l’écoutions, car nous voulons suivre Dieu, et par la pénitence mériter son pardon en préparant les chemins du cœur à la venue du Messie. C’est toi. Jean l’a dit, car il a vu le signe de la Colombe se poser sur toi, et nous a dit : “ Voici l’Agneau de Dieu. ” Moi, je te dis : Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde, donne-nous la paix, parce que nous n’avons plus de guide, et notre âme est troublée.
– Où est Jean ?
– Hérode l’a fait arrêter. Il est en prison à Machéronte. Ses plus fidèles parmi nous ont bien essayé de le délivrer, mais c’était impossible. Nous revenons de là. 47.3 Laisse-nous venir avec toi, Maître. Montre-nous où tu habites.
– Venez, mais savez-vous ce que vous cherchez ? Celui qui me suit devra tout abandonner : maison, parents, façon de penser, et même la vie. Je ferai de vous mes disciples et mes amis si vous le voulez. Mais moi, je n’ai ni richesses ni protections. Je suis pauvre, et le serai davantage au point de ne pas avoir où reposer ma tête, et je serai persécuté plus qu’une brebis perdue n’est poursuivie par les loups. Mon enseignement est encore plus sévère que celui de Jean, car il interdit le ressentiment. Il concerne moins l’extérieur que l’âme. Vous devrez renaître si vous voulez être mes disciples. Le voulez-vous ?
– Oui, Maître. Toi seul as les paroles qui nous donnent la lumière. Elles descendent, et là où étaient les ténèbres de la désolation par absence de guide, elles apportent la clarté du soleil.
– Venez donc et marchons. Je vous instruirai en route. »
Parmi tous les disciples, Jean, fils de Zébédée, est le pur
47.4 Jésus dit :
« Le groupe qui m’avait rencontré était nombreux, mais un seul m’a reconnu : celui dont l’âme, la pensée et la chair étaient pures de toute luxure.
J’insiste sur la valeur de la pureté. La chasteté est toujours source de lucidité pour la pensée. La virginité affine et puis maintient la sensibilité de l’intelligence et des affections à un degré de perfection que seul celui qui est vierge expérimente.
47.5 Vierge, on l’est de différentes manières. Forcément, et ceci spécialement pour les femmes, quand personne ne vous a choisi en vue du mariage. Cela devrait être le cas pour les hommes aussi, mais ce ne l’est pas. Et c’est mal parce que, d’une jeunesse prématurément souillée par la passion, il ne pourra venir qu’un chef de famille atteint dans ses sentiments et souvent dans sa chair.
Il y a la virginité voulue, celle des âmes consacrées au Seigneur dans un élan spirituel. Quelle belle virginité ! Quel sacrifice agréable à Dieu ! Mais tous ne savent pas garder cette pureté du lys qui reste droit sur sa tige, tourné vers le ciel, ignorant la boue de la terre, ouvert seulement aux baisers du soleil de Dieu et de ses rosées.
Beaucoup ne gardent qu’une fidélité corporelle, mais sont infidèles par la pensée, poussés par le regret et le désir de ce qu’ils ont sacrifié. Ceux-là ne sont vierges qu’à moitié. Si leur chair est intacte, leur cœur ne l’est pas. Il fermente, ce cœur, il bouillonne ; il dégage des fumées sensuelles d’autant plus raffinées et condamnables qu’elles sont des créations de la pensée qui caresse, fait paître et fourmiller les imaginations d’assouvissements illicites pour ceux qui sont libres, et plus qu’illicites pour ceux qui ont fait un vœu.
C’est alors l’hypocrisie du vœu. Il y a bien l’apparence, mais il manque la réalité. En vérité, je vous dis que si une personne vient à moi avec un lys brisé par la volonté d’un homme brutal et qu’un autre vient avec un lys intact physiquement, mais souillé par le débordement d’une sensualité caressée et cultivée pour en remplir les heures de solitude, je qualifie le premier de “ vierge ” et je dénie cette qualité au second. Et j’accorde au premier la double couronne de la virginité et du martyre à cause de sa chair blessée et de son cœur couvert de plaies par une mutilation qu’il n’a pas voulue.
47.6 La valeur de la pureté est telle que, comme tu l’as vu, Satan s’est préoccupé en tout premier lieu de m’amener à l’impureté. Lui, il sait bien qu’une faute de sensualité démantèle l’âme et en fait une proie facile pour les autres fautes. Satan a mis toute son application sur ce point capital pour me vaincre.
Le pain, la faim sont les formes matérielles pour symboliser l’appétit, les appétits que Satan exploite pour arriver à ses fins. Bien différente est la nourriture qu’il m’offrait pour me faire tomber, comme ivre à ses pieds ! Après seraient venus la gourmandise, l’argent, la puissance, l’idolâtrie, le blasphème, l’abjuration de la Loi divine. Mais, le premier pas pour me posséder, c’était cela. C’est le même procédé qu’il a utilisé pour atteindre Adam.
47.7 Le monde se moque de ceux qui sont purs. Ceux qui sont souillés par l’impureté s’attaquent à eux. Jean-Baptiste est une victime de la luxure de deux êtres obscènes. Mais si le monde possède encore un peu de lumière, il le doit à ceux qui restent purs au milieu du monde. Ils sont les serviteurs de Dieu et savent comprendre Dieu et répéter les paroles de Dieu. Je l’ai dit : “ Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. ” Même sur la terre. Ceux dont les fumées des sens ne troublent pas la pensée “ voient ” Dieu et l’entendent, et ils le suivent et le montrent aux autres.
47.8 Jean est un être pur. Parmi tous mes disciples, il est “ le Pur ”. Son âme est une fleur dans un corps d’ange. Il se sert, pour m’appeler, des mots de son premier maître et me demande de lui donner la paix. Mais la paix, il la possède en lui-même par la pureté de sa vie et je l’ai aimé pour cette pureté. C’est à elle que j’ai confié mes enseignements, mes secrets et même la personne qui m’était la plus chère.
Il a été mon premier disciple, il m’a aimé dès le premier instant où il m’a vu. Son âme s’était unie à la mienne à partir du jour où il m’a vu passer le long du Jourdain et où il a vu Jean-Baptiste me désigner. Même s’il ne m’avait pas rencontré ensuite à mon retour du désert, il m’aurait cherché jusqu’à ce qu’il me trouve. En effet, celui qui est pur est humble et désireux de s’instruire dans la science de Dieu et il va, comme l’eau vers la mer, vers ceux en qui il voit des maîtres de la doctrine céleste. »
« Je n’ai pas voulu que tu parles de la tentation de sensualité de ton Jésus. Bien que ta voix intérieure t’ait fait comprendre la tactique de Satan pour m’attirer vers la sensualité, j’ai préféré en parler moi-même ; inutile de revenir dessus davantage. Il était nécessaire d’en parler, mais maintenant passons à autre chose. Laisse la fleur de Satan sur ses sables. Viens à la suite de Jésus comme Jean. Tu marcheras au milieu des épines, mais tu trouveras, au lieu de roses, les gouttes de sang de celui qui les a répandues pour toi, pour vaincre en toi aussi la chair.
47.10 Je réponds d’avance à une observation. Jean dit dans son évangile, en parlant de sa rencontre avec moi : “ Le lendemain. ” Cela semble laisser entendre que Jean-Baptiste m’a désigné le lendemain de mon baptême et que Jean et Jacques m’ont suivi aussitôt. Cela contredit ce que rapportent les autres évangélistes au sujet des quarante jours passés au désert. Mais il faut le lire de la manière suivante : “ (Après l’arrestation de Jean), le lendemain, les deux disciples de Jean-Baptiste à qui il m’avait désigné en disant : ‘Voici l’Agneau de Dieu’, me revoyant, m’appelèrent et me suivirent ”, après mon retour du désert.
Ensemble, nous sommes retournés sur les rives du lac de Galilée où je m’étais réfugié pour commencer à partir de là mon évangélisation ; les deux hommes parlèrent de moi aux autres pêcheurs. Ils avaient fait toute la route avec moi et étaient restés une journée entière dans la maison hospitalière d’un ami de ma maison, de ma parenté.
Mais l’initiative de ces conversations vint de Jean : la volonté de pénitence avait fait de son âme – déjà si limpide en raison de sa pureté –, un chef-d’œuvre de limpidité où la vérité se réfléchissait avec netteté ; il avait ainsi la sainte audace des purs et des généreux qui n’ont jamais peur de se mettre en avant quand ils voient qu’il s’agit de Dieu, de la vérité, de l’enseignement et des voies de Dieu. Combien je l’ai aimé pour ce caractère personnel fait de simplicité et d’héroïsme ! »