Une initative de
Marie de Nazareth

Jésus à la montagne du jeûne et au massif de la tentation

du lundi 21 juin au jeudi 24 juin 27
Désert de Judas

Vision de Maria Valtorta

       80.1 Une aurore superbe dans un lieu sauvage. Une aurore au sommet d’une pente montagneuse. A peine la première lueur du jour. Dans le ciel, les dernières étoiles visibles et un fin croissant de la lune décroissante qui reste, telle une virgule d’argent, sur le velours sombre du ciel.

       La montagne semble indépendante, sans lien avec d’autres chaînes. Mais c’est un vrai mont, pas une colline. Le sommet est beaucoup plus haut et pourtant on découvre, à mi-hauteur, un large horizon qui prouve qu’on s’est élevé de beaucoup au-dessus du niveau du sol. La lumière incertaine de l’aube, d’un blanc verdâtre qui devient plus clair, se fraie une route dans l’air frisquet du matin, tandis que se révèlent les contours et les détails que dissimulait d’abord la brume qui précède le jour ; elle est toujours plus sombre qu’une nuit car, au moment du passage de la nuit au jour, la lumière des astres diminue et semble même s’effacer. Je vois ainsi que cette montagne est rocheuse, dénudée, coupée d’anfractuosités qui forment des grottes, des antres et des refuges. C’est vraiment un lieu sauvage. Aux seuls endroits où un peu de terre s’est accumulée pour pouvoir recueillir l’eau du ciel et la conserver, on voit des touffes de verdure, des plantes qui n’ont guère qu’une tige épineuse, avec un rare feuillage, et, à ras de terre, des buissons ligneux de végétaux qui ressemblent à des baguettes vertes, mais dont j’ignore le nom.

       En bas se trouve une étendue, plus aride encore, plate, pierreuse, et qui devient toujours plus aride à mesure qu’on s'approche d’un lieu obscur, plus long que large, au moins cinq fois plus long que large. Je pense qu’il s’agit d’une oasis luxuriante qu’ont fait naître des eaux souterraines dans ce paysage désolé. Cependant, quand la lumière devient plus vive, je vois que c’est une étendue d’eau. Une eau stagnante, sombre, morte. Un lac d’une tristesse infinie. Dans cette lumière encore incertaine, cela me remet en mémoire la vision du monde mort. Le lac semble attirer à lui l’image sombre du ciel, et toute la tristesse du paysage environnant. Il semble refléter dans ses eaux immobiles le vert sombre des plantes épineuses et des herbes rigides – qui, sur des kilomètres et des kilomètres, en plaine et sur les pentes, forment l’unique parure du sol –, et en faire un philtre de tristesse noire qui s’en dégage et se répand sur tout l’environnement. Quelle différence avec le lumineux et riant lac de Génésareth !

       Si on lève les yeux vers le ciel, d’une absolue sérénité, qui s’éclaire petit à petit, si l’on regarde la lumière qui de l’orient se répand comme une marée lumineuse, l’âme redevient joyeuse. Mais la vue de cette immense mer d’eau morte vous serre le cœur. Aucun oiseau ne la survole. Aucun animal sur ses rives. Rien.

       80.2 Pendant que je contemple cette désolation, la voix de Jésus vient me secouer : « Nous voici arrivés là où je voulais. » Je me retourne. Je le vois derrière moi, en compagnie de Jean, Simon et Judas, près de la pente rocheuse de la montagne, là où arrive un sentier… il vaudrait mieux dire : là où un long travail des eaux, à la saison des pluies, a érodé le calcaire, creusant au cours des siècles un canal à peine dessiné qui sert à l’écoulement des eaux venant des sommets et qui est maintenant un chemin pour les chèvres sauvages plutôt que pour les hommes.

       Jésus regarde autour de lui et répète :

       « Oui, c’est là que je voulais vous amener. C’est là que le Christ s’est préparé à sa mission.

       – Mais il n’y a rien, ici !

       – Il n’y a rien, tu l’as dit.

       – Avec qui étais-tu ?

       – Avec mon âme et avec le Père.

       – Ah, c’était une halte de quelques heures !

       – Non, Judas, pas de quelques heures, mais de plusieurs jours…

       – Mais qui te servait ? Où as-tu dormi ?

       – J’avais pour serviteurs les onagres qui, la nuit, venaient dormir dans leur tanière… dans celle-ci où, moi aussi, je m’étais réfugié. J’avais à mon service les aigles qui m’annonçaient : “ Il fait jour ” de leur cri perçant quand ils partaient en chasse. J’avais pour amis les petits lièvres qui venaient brouter les herbes sauvages, pour ainsi dire à mes pieds… Ma nourriture et ma boisson, c’était ce qui est nourriture et boisson pour les fleurs du désert : la rosée de la nuit, la lumière du soleil. Rien d’autre.

       – Mais pourquoi ?

       – Pour bien me préparer, comme tu dis, à ma mission. Les choses bien préparées réussissent bien. C’est toi qui l’as dit. Et mon affaire n’était pas la petite et vaine affaire de me mettre en avant, moi, le Serviteur du Seigneur, mais de faire comprendre aux hommes qui est le Seigneur et ainsi de le faire aimer en esprit de vérité. Pauvre serviteur du Seigneur qui pense à son triomphe et non à celui de Dieu ! Qui cherche à en tirer profit, qui songe à s’élever sur un trône fabriqué… fabriqué avec les intérêts de Dieu, avilis jusqu’à traîner par terre, eux qui sont des intérêts célestes. Celui-là n’est plus un serviteur, même s’il en garde l’aspect extérieur. C’est un marchand, un trafiquant, un être faux qui se trompe lui-même, qui trompe les hommes et voudrait tromper Dieu… un malheureux qui se prend pour un prince, mais est un esclave… Esclave du démon, son roi et son maître de mensonge. Ici, dans cette tanière, le Christ a vécu de mortifications et de prière pendant bien des jours pour se préparer à sa mission.

       80.3 Et où voudrais-tu que je sois allé me préparer, Judas ? »

       Judas est perplexe, désorienté. Il répond finalement :

       « Mais je ne sais pas… Je pensais… chez quelque rabbi… auprès des esséniens… Je ne sais.

       – Mais pouvais-je trouver un rabbi qui m’en apprenne davantage que ce que me révélaient la puissance et la sagesse de Dieu ? moi, le Verbe éternel du Père, j’étais présent quand le Père créa l’homme et je sais de quelle âme immortelle et animée, de quelle capacité de libre jugement le Créateur l’a doté. Comment aurais-je donc pu aller chercher science et compréhension chez des gens qui nient l’immortalité de l’âme en niant la résurrection finale, qui nient le libre arbitre de l’homme en renvoyant dos à dos vertus et vices, actions saintes et mauvaises réglées par une destinée qu’ils disent fatale et invincible ? Ah non !

       Vous avez une destinée, oui. Vous en avez une. Dans l’esprit de Dieu qui vous a créés, il existe pour vous une destinée. Le Père la désire pour vous, et c’est une destinée d’amour, de paix, de gloire : “ la sainteté qui fait de vous ses fils. ” Tel est le destin qui, présent à la pensée divine au moment où Adam fut créé avec de la boue, sera présent jusqu’à la création de la dernière âme humaine.

       Mais le Père ne vous fait pas violence dans votre condition de roi. Le roi, s’il est prisonnier, n’est plus roi : il est déchu. Vous êtes rois parce que vous êtes libres dans votre petit royaume individuel, dans votre moi. En lui, vous pouvez faire ce que vous voulez, comme vous voulez.

       80.4 En face, aux frontières de votre petit royaume, vous avez un Roi ami et deux puissances ennemies. L’Ami vous montre les règles qu’il a édictées pour rendre heureux ceux qui sont à lui. Il vous les montre. Il vous dit : “ Les voilà ! Avec elles, l’éternelle victoire vous est assurée. ” Il vous les montre, lui, le Sage et le Saint, pour que vous puissiez, si vous le voulez, les mettre en pratique et en retirer une gloire éternelle. Les deux puissances ennemies sont Satan et la chair. Sous le nom de chair, je mets la vôtre et celle du monde : c’est-à-dire les pompes et les séductions du monde, autrement dit la richesse, les fêtes, les honneurs, les pouvoirs qui viennent du monde et qui s’y trouvent, et qu’on n’acquiert pas toujours honnêtement et dont on sait encore moins user honnêtement si l’homme y parvient à la suite d’un ensemble de circonstances.

       Satan, le maître de la chair et du monde, s’adresse à nous par lui-même et par la chair. Lui aussi a ses règles, ô combien !… Et puisque le “ moi ” est entouré de chair et que la chair recherche la chair comme les parcelles de fer se dirigent vers l’aimant, et parce que le chant du Séducteur est plus doux que les trilles du rossignol amoureux au clair de lune dans le parfum de la roseraie, il est plus facile de suivre ces règles-là, de se soumettre à ces puissances, de leur dire : “ Je vous considère comme des amies. Entrez. ”

       Entrez… Avez-vous jamais vu un allié rester toujours honnête, sans demander le cent pour un pour l’aide qu’il apporte ? C’est ce qu’elles font. Elles entrent… et elles deviennent maîtresses. Maîtresses ? Non : tyranniques. Elles vous lient, vous les hommes, à leurs bancs de galériens, elles vous y enchaînent, elles ne vous laissent plus dégager le cou de leur joug et leur fouet imprime sur vous des marques sanglantes si vous cherchez à leur échapper. Ah ! Se faire frapper jusqu’à en devenir une masse de chair broyée, devenue inutilisable au point que leur pied cruel la repousse, ou mourir sous leurs coups.

       Si vous savez vous livrer à ce martyre, vous livrer à ce martyre, alors passe la Miséricorde, la seule qui puisse encore avoir pitié de cette répugnante misère pour laquelle le monde – un des deux maîtres –, éprouve du dégoût et sur laquelle l’autre maître – Satan – décoche ses flèches vengeresses. Et la Miséricorde, la seule à passer à ses côtés, se penche, l’accueille, la soigne, la guérit et lui dit : “ Viens, ne crains pas. Ne te regarde pas. Tes plaies ne sont plus que des cicatrices, mais tellement innombrables qu’elles te feraient horreur, tant elles te défigurent. Mais, moi, ce n’est pas elles que je regarde, je regarde ta volonté. En raison de cette bonne volonté, tu es marquée d’un signe. Et en raison de ce signe, je te dis : Je t’aime, viens avec moi ”, et elle la porte dans son Royaume. Alors vous comprenez que Miséricorde et Amitié royale sont une même personne. Vous retrouvez les règles que l’Ami vous avait montrées et que vous n’aviez pas voulu suivre. Maintenant vous en avez la volonté… et vous arrivez à la paix de la conscience d’abord, à la paix de Dieu ensuite.

       Dites-moi donc. Est-ce que cette destinée a été imposée par Un seul à tous, ou bien chacun, personnellement, l’a-t-il voulue pour lui-même ?

       – C’est chacun qui l’a voulue.

       – Tu juges bien, Simon. Pouvais-je, moi, aller trouver ceux qui nient la bienheureuse résurrection et le don de Dieu pour me former ?

       80.5 C’est ici que je suis venu. J’ai pris mon âme de Fils de l’homme et me la suis travaillée par les ultimes touches, terminant le labeur de trente années d’anéantissement et de préparation pour aborder avec perfection mon ministère. Maintenant, je vous demande de rester avec moi quelques jours dans cette tanière. Ce séjour sera toujours moins désolé car nous serons quatre amis pour nous défendre contre les tristesses, les peurs, les tentations, les besoins de la chair. Moi, j’étais seul. Ce sera moins pénible parce que maintenant c’est l’été, et ici, en altitude, le vent des sommets tempère la chaleur. Moi, j’y suis venu à la fin de la lune de Tebet et le vent qui descendait des neiges du sommet était glacial. Ce séjour sera moins torturant parce que plus court et parce que nous avons maintenant ce minimum de nourriture qui peut apaiser notre faim. Et, dans les gourdes que je vous ai fait donner par les bergers, il y a assez d’eau pour ce court séjour. Moi… Moi, j’ai besoin d’arracher deux âmes à Satan. Il n’y a que la pénitence qui puisse en venir à bout. Je vous demande de l’aide. Cela servira aussi à votre formation. Vous apprendrez comment on arrache les proies à Mammon : moins par les mots que par le sacrifice… Les mots !… Le vacarme satanique empêche qu’on les écoute… Les âmes qui sont la proie de l’Ennemi sont emportées dans un tourbillon de voix infernales… Voulez-vous rester avec moi ? Mais si vous, vous ne voulez pas, partez. Moi je reste. Nous nous retrouverons à Tecua, près du marché.

       – Non, Maître, je ne t’abandonne pas » dit Jean, pendant qu’en même temps Simon s’écrie :

       « C’est pour nous élever que tu nous veux avec toi dans cette rédemption. »

       Judas… ne me paraît pas très enthousiaste, mais il fait bonne figure au… destin et dit :

       « Moi, je reste.

       – Prenez alors les gourdes, les sacs et portez-les à l’intérieur et, avant que le soleil ne soit brûlant, coupez du bois et entassez-le près de l’ouverture. La nuit est froide ici, même en été, et toutes les bêtes ne sont pas inoffensives. Allumez tout de suite une branche de cette plante d’acacia gommeux. Cela brûle bien. Nous regarderons dans les fissures pour chasser par le feu aspics et scorpions. Allez-y »…

       80.6 … Le même endroit sur la montagne. Seulement, il fait maintenant nuit. Une nuit tout étoilée. Une beauté du ciel nocturne comme, je crois, on ne peut en voir que dans ces pays déjà presque tropicaux. Des étoiles d’une taille et d’un brillant merveilleux. Les principales constellations ressemblent à des grappes de diamants, à de claires topazes, à de pâles saphirs, à de douces opales, à de tendres rubis. Elles tremblent, s’allument, s’éteignent, comme les regards quand les paupières les voilent un instant, et retrouvent un éclat d’autant plus merveilleux. De temps à autre, une étoile filante strie le ciel et disparaît vers on ne sait quel horizon, formant un trait lumineux qui paraît être le cri de joie d’un météore, charmé de voler ainsi dans ces prairies illimitées. 

       Jésus est assis à l’entrée de la caverne et parle aux trois hommes, en demi-cercle devant lui. Ils ont allumé du feu car, au milieu du groupe qu’ils forment, un tas de tisons a encore des lueurs de braises et rougit de son reflet les quatre visages.

       « Oui, le séjour est terminé. Ce séjour-ci. La dernière fois, il a duré quarante jours… Et je vous le répète : c’était encore l’hiver sur ces pentes… et je n’avais pas de nourriture. C’était un peu plus difficile que cette fois, n’est-ce pas ? Je sais que vous aussi avez souffert maintenant. Le peu que nous avions et que je vous donnais n’était rien, en particulier pour une faim de jeunes. C’était tout juste suffisant pour vous empêcher de tomber de faiblesse. L’eau, il y en avait encore moins avec la chaleur torride du jour. Vous me direz que cela n’existait pas en hiver. Mais il y avait alors un vent sec qui descendait de la cime en brûlant les poumons et s’élevait de la plaine, chargé de la poussière du désert, et desséchait plus encore que cette chaleur estivale que l’on peut adoucir en suçant ces fruits acidulés qui sont presque mûrs. A ce moment-là, la montagne ne donnait que vent et herbes brûlées par le gel autour des acacias squelettiques. Je ne vous ai pas tout remis, car j’ai réservé les derniers pains et le dernier fromage avec la dernière gourde pour le retour… Je sais ce que fut le retour, épuisé comme je l’étais dans la solitude du désert… Rassemblons nos affaires et partons. La nuit est encore plus claire que celle par laquelle nous sommes arrivés. Il n’y a pas de lune, mais le ciel pleut de la lumière. Partons. Gardez le souvenir de cet endroit. Sachez vous rappeler la manière dont s’est préparé le Christ et dont se préparent les apôtres. C’est comme je l’ai enseigné que les apôtres doivent se préparer. »

       80.7 Ils se lèvent. Simon remue les braises à l’aide d’une branche, les ravive, avant de les disperser avec les pieds, en y jetant des herbes sèches, puis il allume à la flamme un rameau d’acacia qu’il tient levée à l’entrée de la grotte pendant que Judas et Jean rassemblent les manteaux, les sacs et les outres de peau dont une seule est encore pleine. Puis il éteint le rameau en le secouant contre la roche, se charge de son sac et, comme tous les autres, met son manteau en l’attachant à la taille pour qu’il ne gêne pas la marche.

       Ils descendent sans plus parler l’un derrière l’autre par un sentier très raide, mettant en fuite de petits animaux qui broutent les rares herbes qui résistent encore au soleil. Le chemin est long et difficile. Finalement, ils arrivent à la plaine. La marche n’est pas très aisée non plus, ici, où pierres et éclats de pierres roulent traîtreusement sous le pied – et blessent même, parce que la terre réduite en poussière les cache et qu’on ne peut les éviter –, et où des buissons épineux brûlés par le soleil griffent les pieds et gênent la marche en s’accrochant au bas des vêtements. Mais c’est le trajet le plus direct.

       Là-haut, les étoiles sont toujours plus belles.

       Ils cheminent ainsi pendant des heures. La terre est toujours plus stérile et plus triste. Des éclats scintillants brillent dans des petites fissures du sol, dans des trous parmi les aspérités du terrain. On dirait des éclats de brillants ternis. Jean se baisse pour les regarder.

       « C’est le sel du sous-sol. Il en est saturé. Il affleure avec les crues du printemps, puis se dessèche. Voilà pourquoi il n’y a ici aucune vie. Par des veines profondes, la mer Orientale répand la mort à plusieurs stades alentour. Là seulement où des sources d’eau douce s’opposent à son action, on peut trouver des arbres pour s’abriter », explique Jésus.

       80.8 Ils marchent encore. Puis Jésus s’arrête près de la grotte où je l’ai vu tenté par Satan.

       « Arrêtons-nous ici. Asseyez-vous. D’ici peu ce sera le chant du coq. Cela fait six heures que nous marchons et vous devez avoir faim et soif, être fatigués. Prenez. Mangez et buvez assis ici autour de moi, pendant que je vous dis encore une chose que vous rapporterez aux amis et au monde. »

       Jésus a ouvert son sac et en a tiré du pain et du fromage qu’il coupe et distribue, puis il verse de l’eau de sa calebasse dans un bol et la distribue aussi.

       « Tu ne manges pas, Maître ?

       – Non. Je vous parle. Ecoutez. Un jour, un homme m’a demandé si j’avais jamais été tenté. Si je n’avais jamais péché. Si, au cours de la tentation, je n’avais jamais cédé. Et il fut stupéfait de ce que moi, le Messie, j’aie demandé, pour résister, l’aide du Père en disant : “ Père, ne m'induis pas en tentation. ” »

       Jésus parle doucement, comme s’il racontait un fait ignoré de tous… Judas baisse la tête comme s’il était gêné. Mais les autres sont tellement attentifs à regarder Jésus qu’ils ne s’en aperçoivent pas.

       Jésus continue :

       « Maintenant vous, mes amis, vous pourrez savoir ce que cet homme n’a appris que succinctement. Après mon baptême – j’étais pur, mais on ne l’est jamais suffisamment par rapport au Très-Haut, et l’humilité de dire : “ Je suis un homme pécheur ” est déjà un baptême qui purifie le cœur –, après mon baptême, donc, je suis venu ici. J’avais été appelé “ l’Agneau de Dieu ” par celui qui, saint et prophète, voyait la Vérité et voyait l’Esprit descendre sur le Verbe et l’oindre de son chrême d’amour, tandis que la voix du Père emplissait les cieux en proclamant : “ Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance. ” Toi, Jean, tu étais présent quand Jean-Baptiste a répété ces mots… Après mon baptême et bien que je sois pur par nature et par ma personnalité, j’ai voulu “ me préparer. ” Oui, Judas. Regarde-moi. Mes yeux te disent ce que ma bouche tait encore. Regarde-moi, Judas. Regarde ton Maître qui ne s’est pas senti supérieur à l’homme du fait qu’il était le Messie et qui, même sachant qu’il était l’Homme, a voulu l’être en tout, sauf dans la complaisance au mal. Voilà : c’est comme cela. »

       Judas a maintenant levé son visage et regarde Jésus, qu’il a en vis-à-vis. La lumière des étoiles fait briller les yeux de Jésus comme si c’étaient deux étoiles éclairant son pâle visage.

       80.9 « Pour se préparer à être maître, il faut avoir été écolier. En tant que Dieu, je savais tout. Mon intelligence pouvait aussi me faire comprendre les combats de l’homme par mon intelligence et intellectuellement. Mais un jour, quelque pauvre ami à moi, quelque pauvre fils à moi, aurait pu dire et me dire : “ Tu ne sais pas ce que c’est que d’être un homme et d’avoir sentiments et passions. ” Ç’aurait été un reproche juste. Je suis venu ici, sur ce mont, pour me préparer… non seulement à la mission… mais à la tentation. Voyez-vous ? Là où vous êtes assis, moi je fus tenté. Par qui ? Par un mortel ? Non. Sa puissance aurait été trop faible. J’ai été tenté par Satan, directement.

       J’étais épuisé. Voilà quarante jours que je n’avais rien mangé… Mais tant que j’avais été perdu dans l’oraison, tout s’était anéanti dans la joie de parler avec Dieu, plus qu’anéanti : devenu supportable. Je le ressentais comme un désagrément matériel, qui se bornait à la matière seule… Puis je suis revenu au monde… sur les routes du monde… et j’ai ressenti les besoins de tout homme qui vit dans ce monde. J’ai eu faim. J’ai eu soif. J’ai senti le froid vif de la nuit du désert. J’ai senti mon corps brisé par le manque de repos, de lit, et à cause du long chemin accompli dans de telles conditions d’épuisement qu’elles m’empêchaient d’aller plus loin…

       Car j’ai une chair, moi aussi, mes amis. Une vraie chair. Et elle est sujette aux mêmes faiblesses qu’éprouvent toutes les chairs. Et avec la chair, j’ai un cœur. Oui. De l’homme, j’ai pris la première et la deuxième des trois parties qui constituent l’homme. J’ai pris la matière avec ses exigences et la sensibilité avec ses passions. Si, par l’effet de ma volonté, j’ai fait plier dès avant leur naissance toutes les passions qui ne sont pas bonnes, j’ai laissé croître, puissantes comme des cèdres centenaires, les saintes passions de l’amour filial, de l’amour de la patrie, des amitiés, du travail, de tout ce qui est excellent et saint. Et ici, j’ai éprouvé la nostalgie de ma Mère éloignée, j’ai ressenti le besoin de ses soins sur ma fragilité d’homme. Ici, j’ai senti se renouveler la souffrance de m’être séparé de la seule personne qui m’aime parfaitement. Ici, j’ai éprouvé la souffrance qui m’était réservée et la douleur de sa douleur, pauvre Maman, qui n’aura plus de larmes tant elle devra en répandre pour son Fils et à cause des hommes. Ici, j’ai ressenti la lassitude du héros et de l’ascète qui, en une heure de prémonition, se rend compte de l’inutilité de son effort… J’ai pleuré… La tristesse… quel appel magique pour Satan ! Ce n’est pas un péché d’être triste si le moment est torturant. Ce qui en est un, c’est de s’abandonner à la tristesse et de tomber dans l’inertie ou le désespoir. Mais Satan arrive tout de suite quand il voit quelqu’un tomber dans la langueur spirituelle.

       Il est venu, en habits de voyageur serviable. Il prend toujours un aspect sympathique… J’avais faim… et j’avais mes trente ans dans le sang. Il m’a offert son aide et il a commencé par me susurer : “ Dis à ces pierres de se transformer en pain. ” Mais, encore avant … oui… encore avant, il m’avait parlé de la femme… Ah ! Il sait bien en parler ! Il la connaît à fond. Il a commencé par la corrompre pour s’en faire une alliée dans son œuvre de corruption. Je ne suis pas seulement le Fils de Dieu. Je suis Jésus, l’artisan de Nazareth. A cet homme qui me parlait alors, me demandant si je connaissais la tentation et m’accusait presque d’être injustement heureux parce que je n’avais pas péché, à cet homme j’ai dit : “ L’acte s’apaise par la satisfaction. La tentation repoussée ne disparaît pas, mais se fait plus forte, surtout parce que Satan l’excite. ” J’ai repoussé la double tentation de la faim de la femme et de la faim de pain. Et sachez que Satan me proposait la première, et il n’avait pas tort, d’après le jugement des hommes, comme la meilleure alliée pour m’imposer dans le monde.

       La Tentation, qui n’était pas vaincue par mon : “ Ce n’est pas seulement des sens que vit l’homme ”, m’a alors parlé de ma mission. Elle voulait séduire le Messie après avoir tenté l’homme jeune. Elle me poussa à anéantir les indignes ministres du Temple par le biais d’un miracle… Le miracle, flamme du Ciel, ne se prête pas à se faire cercle d’osier pour qu’on s’en tresse une couronne… Et on ne tente pas Dieu en lui demandant des miracles à des fins humaines. C’est cela que voulait Satan. Le motif présenté était un prétexte ; la vérité était : “ Glorifie-toi d’être le Messie ”, pour m’amener à l’autre concupiscence, celle de l’orgueil.

       Pas encore vaincu par mon : “ Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ”, il a cherché à me circonvenir par la troisième force de sa nature : l’or. Ah, l’or ! Pour ceux qui sont affamés de pain ou de jouissance, le pain est une grande chose, et la femme plus encore. Pour l’homme, l’acclamation des foules compte énormément… Dans ces trois domaines, que de fautes se commettent ! Mais l’or… l’or… Clé qui ouvre, moyen de corruption, c’est l’alpha et l’oméga de quatre-vingt-dix-neuf actions sur cent des hommes. Pour le pain et la femme, l’homme devient voleur. Pour le pouvoir, il va jusqu’à l’homicide. Mais, pour l’or, il devient idolâtre. Le roi de l’or, Satan, m’a offert son or pour que je l’adore… Je l’ai transpercé par les paroles éternelles : “ Tu n’adoreras que le Seigneur ton Dieu. ”

       C’est ici que cela s’est passé. »

       80.10 Jésus s’est levé. Il paraît plus grand qu’à l’ordinaire dans la plaine qui l’entoure, à la lumière légèrement phosphorescente qui tombe des étoiles. Les disciples se lèvent eux aussi. Jésus continue à parler en fixant intensément Judas.

       « Alors sont venus les anges du Seigneur… L’Homme avait remporté la triple victoire. L’Homme savait ce que voulait dire être homme et il avait vaincu. Il était épuisé. Ce combat avait été plus épuisant que le jeûne prolongé… Mais l’esprit dominait… Je crois que les Cieux ont tressailli à mon affirmation complète de créature douée de connaissance. C’est à partir de ce moment, je crois, qu’est venu en moi le pouvoir de faire des miracles. J’avais été Dieu. J’étais devenu l’Homme. Maintenant, triomphant des tendances animales liées à la nature humaine, j’étais devenu l’Homme-Dieu. Je le suis. Et comme Dieu, je puis tout. Comme homme, j’ai l’expérience de tout. Vous aussi, agissez comme moi, si vous voulez faire ce que je fais. Et faites-le en mémoire de moi.

       Cet homme s’étonnait que j’aie demandé l’aide du Père et que je l’aie prié de ne pas m’induire en tentation. Par conséquent, de ne pas m’abandonner au risque d’une tentation qui dépasserait mes forces. Je crois que cet homme, maintenant qu’il sait, ne s’en étonnera plus. Agissez-vous aussi de même en mémoire de moi, et aussi pour vaincre comme moi. Quand vous me verrez fort dans toutes les épreuves de la vie, victorieux dans les combats contre les cinq sens, de la sensibilité et des sentiments, ne doutez jamais de ma nature de véritable être humain, et en plus d’être divin. Souvenez-vous de tout cela.

       80.11 Je vous avais promis de vous conduire là où vous auriez pu connaître le Maître… depuis l’aube de son jour – une aube aussi pure que celle qui va se lever – jusqu’au midi de sa vie, ce midi d’où je suis parti pour aller à la rencontre du soir humain de ma vie… J’ai dit à l’un de vous : “ Moi aussi, je me suis préparé. ” Vous voyez que c’était vrai. Je vous remercie de m’avoir tenu compagnie dans ce retour à mon lieu de naissance et à mon lieu de pénitence. Les premiers contacts avec le monde m’avaient déjà donné la nausée et découragé. Il est trop laid. Désormais, mon âme s’est nourrie de la moelle du lion : la fusion avec le Père dans l’oraison et la solitude. Je peux retourner dans le monde pour reprendre ma croix, ma première croix de Rédempteur : celle du contact avec le monde, avec le monde où trop rares sont les âmes qui s’appellent Marie, qui s’appellent Jean…

       Maintenant, écoutez, surtout toi, Jean. Nous revenons vers ma Mère et vers nos amis. Je vous en prie : ne rapportez pas à ma Mère la dureté qui s’est opposée à l’amour de son Fils. Elle en souffrirait trop. Elle souffrira tellement de cette cruauté de l’homme… mais ne lui en présentons pas le calice dès maintenant. Il sera si amer quand il lui sera tendu ! Si amer, que tel un poison, il se glissera comme un serpent dans ses viscères saints et dans ses veines et les mordra, lui glacera le cœur. Ah ! Ne dites pas à ma Mère que Bethléem et Hébron m’ont repoussé comme un chien ! Pitié pour elle ! Toi, Simon, tu es âgé et bon, tu es réfléchi et ne parleras pas, je le sais. Toi, Judas, tu es judéen et tu ne parleras pas par fierté patriotique. Mais toi, Jean, toi qui es galiléen et jeune, ne tombe pas dans le péché d’orgueil, de critique, de cruauté. Tais-toi. Plus tard… plus tard tu raconteras aux autres ce que maintenant je te prie de taire. Même aux autres. Il y a déjà tant à dire en ce qui concerne le Christ. Pourquoi y mêler ce qui vient de Satan contre le Christ ? Mes amis : me promettez-vous tout cela ?

       – Oh ! Maître, bien sûr que nous te le promettons ! Sois tranquille !

       – Merci. Allons jusqu’à cette petite oasis. Il y a là une source, une citerne pleine d’eau fraîche, de l’ombre, de la verdure. La route vers le fleuve passe à côté. Nous pourrons y trouver nourriture et repos jusqu’au soir. A la clarté des étoiles, nous atteindrons le fleuve, le gué. Nous attendrons Joseph, ou nous nous joindrons à lui, s’il est déjà revenu. Allons. »

       Ils se mettent en route, tandis qu’à l’orient une première lueur rose annonce qu’un nouveau jour se lève.

Observation

Les onagres du désert de Judée

Lorsqu'au début de l'œuvre Jésus raconte à ses apôtres son jeûne dans le désert de Judée, il leur dit : « J’avais pour serviteurs les onagres qui, la nuit, venaient dormir dans leur tanière… » (EMV 80.2). Jésus évoque encore les onagres à d’autres occasions, comme lorsqu’il leur compare certains notables : « Nos grands d'Israël semblent vraiment les ânes sauvages dont parle le prophète (1). Ils sont habitués au désert de leur cœur. (…) Ils ont chassé Dieu de leur cœur et se trouvent ainsi dans un désert aride. Comme les ânesses sauvages, ils flairent dans le vent l'odeur des mâles qui, dans notre cas et en raison de leurs passions, s’appellent puissance, argent, sans oublier la luxure, et ils suivent cette odeur jusqu’au crime »  (MV 212.5). Et c’est encore l’exemple des onagres que le Maître utilise, lorsqu’il conseille ses disciples : « Que votre travail soit constant, confiant, paisible, sans brusques départs ni brusques arrêts. C’est ce que font les onagres sauvages, mais personne ne les utilise, à moins d'être fou, pour cheminer en sécurité » (MV 276.7).

Toutes ces évocations de l’onagre sont irréprochables et dépassent certainement les connaissances que pouvait en avoir Maria Valtorta. L'onagre est une sous-espèce de l'Hémione, un âne sauvage d'Asie de couleur sable, avec les flancs plus clairs. On le trouvait initialement au Tibet, en Mongolie, en Israël et en Iran. L'onagre sauvage vécu en Israël jusqu'au 18e siècle (2). La réintroduction récente de l'onagre en Israël est un fait nouveau, et sur les quelques 650 onagres vivants encore dans le monde, 500 environ sont répartis entre Israël et l'Iran. L’existence de ces ânes sauvages en liberté dans le désert de Judée, au 1er siècle est parfaitement crédible.

(1) Jr 2,24 ;

(2) Dominique Auzias, Patricia Huon, Jean-Paul Labourdette, Israël page 209 et International Union for Conservation of Nature and Natural Ressources

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