Une initative de
Marie de Nazareth

Marie-Madeleine écoute un discours de Jésus

samedi 11 décembre 27
Béthanie

Vision de Maria Valtorta

       135.1 Quand Jésus, après avoir gravi la dernière côte, arrive sur le plateau, il voit Béthanie toute riante sous le soleil de décembre qui rend moins triste la campagne dépouillée, et moins sombres les taches émeraude des cyprès, des jeunes chênes verts et des caroubiers qui surgissent çà et là, pareils à des courtisans prêts à faire leur révérence devant quelque très haut palmier, vraiment royal et solitaire, qui se dresse dans les plus beaux jardins.

       C’est qu’à Béthanie il n’y a pas seulement la belle maison de Lazare. On y trouve aussi d’autres demeures de riches, peut-être des citoyens de Jérusalem qui préfèrent vivre ici, près de leurs biens, et qui, au milieu des maisonnettes des villageois, font ressortir les masses imposantes et magnifiques de leurs villas aux jardins soigneusement entretenus. C’est une vision étrange sur ces collines que celle de ces palmiers au fût élancé que surmonte une touffe dure et bruissante de feuilles. Ils me rappellent l’Orient. Derrière ce vert de jade, on cherche instinctivement les sables jaunes illimités du désert. Ici, au contraire, c’est un fond d’oliviers vert argenté, de champs cultivés mais nus à cette époque, sans la moindre végétation, et de vergers aux arbres squelettiques et aux troncs noirs dont les branches s’entrelacent, évoquant des âmes qui se tordent dans une torture infernale.

       Jésus voit alors un serviteur de Lazare, en sentinelle. Celui-ci le salue profondément et demande la permission de signaler son arrivée à son maître. Dès qu’il l’a obtenue, il s’en va rapidement.

       Entre-temps, paysans et citadins accourent saluer le Rabbi et, d’une haie de lauriers qui entoure de sa verdure parfumée une belle maison, s’avance une jeune femme qui n’est certainement pas juive. Son péplum ou – si je me souviens bien des noms – son étole est assez longue pour former une légère traîne, ample, en laine fine très blanche et elle a pour la faire ressortir un volant avec une grecque brodée aux couleurs vives où brillent des fils d’or. Elle est serrée à la taille par une ceinture qui rappelle le volant. Sa coiffure, qu’une résille d’or tient en place, est très compliquée avec des boucles par-devant, lisse en arrière, et elle se termine en un gros chignon sur la nuque. Cela me fait penser qu’il s’agit d’une grecque ou d’une romaine. Alertée par les cris aigus des femmes et les hosannas des hommes, elle observe avec curiosité. Puis elle a un sourire méprisant en voyant qu’ils s’adressent à un homme pauvre qui n’a même pas de mule pour voyager et qui marche au milieu d’un groupe de gens qui lui ressemblent, mais encore moins attrayants que lui. Elle hausse les épaules et s’éloigne avec une moue dédaigneuse, suivie, comme si c’étaient des chiens, par un groupe d’échassiers multicolores, au nombre desquels se trouvent des ibis blanc et noir et des flamants roses, sans compter deux hérons couleur feu avec une aigrette qui tremble sur leur tête argentée, unique blancheur de leur splendide plumage de flammes dorées.

       Jésus la regarde un instant, puis se retourne pour écouter un vieillard… qui voudrait bien être débarrassé d’une faiblesse dans les jambes. Jésus lui tapote l’épaule et l’encourage à… patienter car bientôt viendra le printemps et avec le beau soleil d’avril, il se sentira plus fort.

       135.2 Survient Maximin, qui précède Lazare de quelques mètres.

       « Maître… Simon m’a dit que… que tu vas chez lui… C’est une douleur pour Lazare… mais ça se comprend… 

       – Nous en parlerons plus tard. Oh ! Mon ami ! »

       Jésus s’approche vivement de Lazare qui semble embarrassé, et il l’embrasse sur la joue. Ils sont arrivés, entre-temps, à une petite maison qui se trouve entre d’autres vergers et celui de Lazare.

       « Alors, c’est bien chez Simon que tu veux aller ? 

       – Oui, mon ami. J’ai avec moi tous mes disciples et je trouve que cela vaut mieux… »

       Lazare regrette cette décision, mais ne réplique pas. Il se tourne seulement vers la petite foule qui le suit et dit :

       « Allez. Le Maître a besoin de repos. »

       Je vois par là à quel point Lazare est influent. Tout le monde s’incline à ses paroles et se retire, pendant que Jésus leur adresse son doux salut :

       « Paix à vous. Je vous ferai savoir quand je prêcherai.

       – Maître, lui dit Lazare, maintenant qu’ils sont seuls – les disciples les suivent de quelques mètres en arrière, et discutent avec Maximin –, Maître… Marthe est tout en larmes. C’est pour cela qu’elle n’est pas venue, mais elle viendra plus tard. Pour moi, je ne pleure qu’au fond de mon cœur. Mais nous disons : c’est juste. Si nous avions pensé qu’elle venait… Mais elle ne vient jamais pour les fêtes… Mais… quand vient-elle ?… Moi je dis que c’est le démon qui aujourd’hui l’a poussée ici. 

       – Le démon ? Et pourquoi pas son ange gardien sur ordre de Dieu ? Mais, tu dois me croire, même si elle n’avait pas été là, je serais allé dans la maison de Simon. 

       – Pourquoi, mon Seigneur ? N’as-tu pas trouvé de paix dans ma maison ? 

       – Une telle paix que, après Nazareth, c’est l’endroit qui m’est le plus cher. Mais réponds-moi : pourquoi m’as-tu dit : “ Quitte la Belle Eau ” ? C’est pour le piège qu’on y prépare, n’est-ce pas ? C’est pourquoi je vais sur les terres de Lazare, mais je ne mets pas Lazare en danger d’être insulté dans sa maison. Tu crois qu’ils te respecteraient ? Pour me fouler aux pieds, ils passeraient même sur l’Arche sainte… Laisse-moi faire. Pour l’instant, du moins. J’aviserai plus tard. Du reste, rien ne m’empêche de prendre mes repas chez toi et rien n’empêche que tu viennes chez moi. Mais fais en sorte qu’on dise : “ Il est dans la maison de l’un de ses disciples. ”

       – Et moi, ne le suis-je pas ?

       – Tu es l’ami : c’est être plus que disciple pour ce qui est de l’affection. Ce n’est pas la même chose pour les méchants. Laisse-moi faire, Lazare : cette maison t’appartient… mais ce n’est pas ta mai­son, la belle et riche demeure du fils de Théophile. Et, pour les pédants, cela a beaucoup d’importance. 

       – Tu dis cela… mais c’est parce que… c’est à cause d’elle, voilà. J’allais me décider à lui pardonner… mais, si elle t’éloigne, pardi, je la haïrai… 

       – Et tu me perdras tout à fait. Abandonne cette pensée immédiatement ou tu me perds tout de suite… 135.3 Voici Marthe. Paix à toi, ma douce hôtesse. 

       – Oh ! Seigneur ! »

       Marthe pleure à genoux. Elle a baissé le voile posé sur sa coiffure en forme de diadème, pour ne pas trop faire voir ses pleurs aux étrangers. Mais elle ne pense pas à les cacher à Jésus.

       « Pourquoi ces larmes ? En vérité, tu les gâches ! Il y a bien des raisons de pleurer et de faire des larmes un objet précieux. Mais pleurer pour cette raison-ci ! Oh, Marthe ! Il me semble que tu ne sais plus qui je suis ! De l’homme, tu le sais, je n’ai que le vêtement. Mon cœur et ses battements sont divins. Allons, lève-toi et viens à la maison… quant à elle… laissez-la faire. Même si elle venait se moquer, laissez-la faire, je vous le dis. Ce n’est pas elle. C’est celui qui la tient qui en fait un instrument de trouble. Mais il y a ici Quelqu’un de plus fort que son maître. Maintenant, la lutte se passe directement entre lui et moi. Pour vous, priez, pardonnez, patientez et croyez. Rien d’autre. »

       Ils entrent dans la maisonnette. C’est une petite habitation de forme carrée, entourée d’un portique qui l’agrandit. A l’intérieur il y a quatre pièces séparées par un corridor en forme de croix. Un escalier, extérieur comme toujours, mène au-dessus du petit portique qui se change donc en terrasse et donne accès à une pièce très vaste, aux dimensions de la maison, et qui sert parfois pour les provisions, mais est actuellement tout à fait libre et propre, et absolument vide.

       Simon, qui se tient à côté du vieux serviteur que j’entends appeler Joseph, fait les honneurs de la maison et dit :

       « Ici, on pourrait parler aux gens, ou encore prendre les repas… Comme tu veux. 

       – Nous y penserons tout à l’heure. En attendant, va dire aux autres qu’après le repas, les habitants viennent eux aussi. Je ne décevrai pas tous ces braves gens. 

       – Où dois-je leur dire d’aller ? 

       – Ici. Le jour est tiède. L’endroit est à l’abri du vent. Le verger dénudé ne subira pas de dommages si les gens y viennent. Je parlerai ici, du haut de la terrasse. Va donc. »

       Lazare reste seul avec Jésus. Marthe, obligée de s’occuper de tout ce monde, est redevenue la « bonne hôtesse » et travaille en bas, avec les serviteurs et même les apôtres pour préparer tables et couchettes.

       135.4 Jésus passe son bras autour des épaules de Lazare et l’entraîne hors de la pièce marcher sur la terrasse qui entoure la maison, au beau soleil qui attiédit le temps. D’en haut, il observe le travail des serviteurs et des disciples et sourit à Marthe qui va et vient, le visage sérieux mais déjà moins bouleversé. Il contemple aussi le beau panorama qui entoure l’endroit et nomme avec Lazare diverses localités et diverses personnes ; enfin, il demande brusquement :

       « La mort de Doras a donc été comme un bâton remué dans le nid des serpents ?

       – Ah, Maître ! Nicodème m’a dit que la séance du Sanhédrin a été d’une violence jamais vue !

       – Qu’ai-je fait au Sanhédrin pour l’inquiéter ? Doras est mort naturellement, à la vue de tout un peuple, tué par la colère. Je n’ai pas permis qu’on manque de respect au mort. Par conséquent…

       – Tu as raison. Mais eux… Ils sont fous de peur. Et… sais-tu qu’ils ont dit qu’il fallait te prendre en état de péché, pour pouvoir te tuer ?

       – Dans ce cas, sois tranquille ! Il leur faudra attendre jusqu’à l’heure de Dieu !

       – Mais, Jésus ! Sais-tu de qui on parle ? Sais-tu de quoi sont capables les pharisiens et les scribes ? Connais-tu les sentiments d’Hanne ? Sais-tu qui est son second ? Le sais-tu ?… Mais que dis-je ? Tu le sais bien ! Il est donc inutile que je te prévienne qu’ils inventeront un péché pour pouvoir t’accuser.

       – Ils l’ont déjà trouvé… J’ai déjà fait plus qu’il n’en faut. J’ai parlé à des Romains, à des pécheresses… Oui. A des pécheresses, Lazare. Ne me regarde pas d’un air si effrayé… L’une d’elle vient toujours m’écouter. Elle habite dans une étable que lui a donnée ton régisseur, à ma demande, car, pour rester près de moi, elle demeurait dans un refuge pour les porcs… »

       La stupeur paralyse Lazare. Il reste immobile. Il regarde Jésus comme s’il voyait quelqu’un que son étrangeté rend incompréhensible.

       Jésus le secoue en souriant.

       « Tu as vu Mammon ? demande-t-il.

       – Non… C’est la Miséricorde que j’ai vue. Mais… mais moi, je le comprends. Eux, ceux du Conseil, non. Et ils disent que c’est péché. C’est donc vrai ! Je croyais… Ah ! Qu’as-tu fait ?

       – C’est mon devoir, mon droit, mon désir : chercher à racheter une âme qui est tombée. Tu vois donc que ta sœur ne sera pas la première fange que j’approche et sur laquelle je me penche. Et elle ne sera pas la dernière. C’est sur la boue que je veux semer les fleurs et les faire pousser : les fleurs du bien.

       – Oh ! Dieu ! Mon Dieu !… Mais… Ah ! Mon Maître, tu as raison. C’est ton droit, c’est ton devoir, c’est ton désir. Mais les hyènes ne le comprennent pas. Eux, ils sont des charognes tellement puantes qu’ils ne sentent, ne peuvent sentir l’odeur des lys. Et même là où les lys fleurissent, eux, les puissantes charognes, flairent l’odeur du péché. Ils ne comprennent pas que c’est de leur propre cloaque que provient cette odeur…

       135.5 Je t’en prie : ne reste plus longtemps dans un même endroit. Va, tourne, sans leur fournir le moyen de te rejoindre. Sois comme un feu follet qui danse sur les tiges des fleurs, rapide, insaisissable, déconcertant dans ses itinéraires. Fais cela. Non par lâcheté, mais par amour du monde qui a besoin que tu vives pour être sanctifié. La corruption augmente. Oppose-lui la sanctification… La corruption… ! Tu as vu la nouvelle habitante de Béthanie ? C’est une Romaine mariée à un juif. Lui est fidèle à la Loi, mais elle est idolâtre. Elle ne pouvait vivre comme elle le voulait à Jérusalem, car elle se disputait avec ses voisins à cause de ses bêtes. Elle est venue ici. Sa maison est remplie d’animaux qui pour nous sont impurs et… la plus immonde, c’est elle, qui se gausse de nous et se permet des choses… Moi, je ne puis la critiquer, puisque… Mais je dis que, si on ne met pas les pieds chez moi à cause de Marie dont le péché pèse sur toute la famille, on va sans scrupule dans la maison de cette femme. C’est qu’elle est en faveur auprès de Ponce Pilate et elle vit séparée de son mari. Lui est à Jérusalem, elle ici. Lui et eux font semblant de ne pas se profaner en y venant et de ne pas constater qu’ils se profanent. Hypocrisie ! Ils vivent plongés jusqu’au cou dans l’hypocrisie ! Et il s’en faut de peu qu’ils s’y noient. Le sabbat, c’est le jour du festin… Des membres du Conseil eux-mêmes y assistent ! C’est un fils d’Hanne qui est le plus assidu.

       – Je l’ai vue, oui. Et laisse-la faire. Laisse-les faire. Quand un médecin prépare un médicament, il mélange les ingrédients, les remue, ce qui fait paraître l’eau corrompue et trouble. Mais ensuite ce qui est mort se dépose, et l’eau redevient limpide tout en étant saturée des sucs de ces substances salutaires. Ainsi en est-il maintenant. Tout se mélange, et je travaille avec tout le monde. Ensuite, ce qui est mort se déposera et on le jettera, ce qui est vivant restera actif dans la grande mer du peuple de Jésus Christ. Descendons. On nous appelle… »

       135.6 … La vision reprend lorsque Jésus revient sur la terrasse pour parler aux habitants de Béthanie et des localités voisines, accourus pour l’entendre.

       « Paix à vous.

       Quand bien même je me tairais, les vents de Dieu vous apporteraient les paroles de mon amour et de la rancœur d’autrui. Je sais que vous êtes en effervescence, car la raison de ma présence parmi vous ne vous est pas inconnue. Mais ce ne doit être qu’une manifestation joyeuse, et bénissez avec moi le Seigneur qui utilise le mal pour réjouir ses enfants, ramenant par l’aiguillon du mal son Agneau parmi les agneaux pour le mettre à l’abri des loups.

       Voyez comme le Seigneur est bon. A l’endroit où j’étais, sont arrivés, comme des eaux à la mer, un fleuve et une rivière. Un fleuve de douceur affectueuse, une rivière de brûlante amertume. Le premier, c’était votre amour, depuis Lazare et Marthe jusqu’au bout du pays ; la rivière, c’était la hargne injuste de gens qui, ne pouvant venir vers le Bien qui les invite, accusent le Bien d’être le Crime. Et le fleuve disait : “ Reviens, reviens parmi nous. Que nos eaux t’entourent, t’isolent, te défendent. Qu’elles te donnent tout ce que te refuse le monde ! ” La rivière empoisonnée était menaçante et voulait tuer par son poison. Mais qu’est-ce qu’une rivière devant un fleuve, et qu’est-elle devant la mer ? Rien. Le poison de la rivière a été réduit à rien car le fleuve de votre amour l’a annihilé, et dans la mer de mon amour ne s’est jetée que la douceur de votre amour. Mieux, il a fait naître un bien : il m’a ramené vers vous. Bénissons-en le Très-Haut. »

       Puissante, la voix de Jésus se répand dans l’air calme et silencieux. Jésus, très beau dans la lumière du soleil, sourit avec des gestes tranquilles du haut de la terrasse. En bas, les gens l’é­coutent, pleins de joie : c’est une floraison de visages levés vers lui qui s’épanouissent au son de sa voix harmonieuse. Lazare se tient auprès de Jésus, de même que Simon et Jean. Les autres sont dispersés dans la foule. Marthe elle aussi monte sur la terrasse et s’assied par terre aux pieds de Jésus. Elle regarde vers sa maison que l’on aperçoit par-delà le verger.

       « Le monde appartient aux méchants. Le Paradis appartient aux bons. C’est la vérité et la promesse. C’est sur elle que s’appuient notre force et notre assurance. Le monde passe. Le Paradis ne passe pas. Celui qui le conquiert par sa bonté en jouit éternellement. Alors pourquoi se troubler devant les actes des méchants ? Vous rappelez-vous les lamentations de Job ? Ce sont les éternelles lamentations des bons que l’on opprime. Car la chair gémit, mais elle ne devrait pas gémir, et plus on la foule aux pieds, plus les ailes de l’âme devraient s’élever dans la joie du Seigneur.

       Croyez-vous qu’ils soient heureux, ceux qui le paraissent parce qu’ils possèdent – licitement ou plutôt illicitement – des monceaux de blé, des cuves toutes pleines, et des outres remplies d’huile ? Non. Ils sentent le goût du sang et des larmes d’autrui dans toute leur nourriture, et leur lit leur paraît hérissé de ronces tellement ils y sont dévorés par leurs remords. Ils volent les pauvres et dépouillent les orphelins, pillent le prochain pour toujours amasser, ils oppriment ceux qui sont moins puissants et moins pervers qu’eux. Peu importe. Laissez-les faire. Leur royaume est de ce monde. Et à leur mort, que leur restera-t-il ? Rien. A moins qu’on ne veuille appeler trésor le fardeau des fautes qu’ils portent avec eux et avec lequel ils se présenteront à Dieu. Laissez-les faire. Ce sont les fils des ténèbres, révoltés contre la Lumière, et ils ne peuvent suivre ses sentiers lumineux. Quand Dieu fait briller l’Etoile du matin, ils l’appellent ombre mortelle et la croient contaminée. Ils préfèrent cheminer à la lueur ténébreuse de leur or et de leur haine qui ne luisent que parce que les réalités infernales ont la brillante phosphorescence des lacs de perdition. »

       135.7 « Ma sœur, Jésus… oh ! »

       Lazare découvre Marie qui se glisse derrière une haie du verger de son frère pour arriver le plus près possible. Elle marche courbée, mais sa tête blonde brille comme de l’or sur le fond du buis vert foncé.

       Marthe va se lever. Mais Jésus lui pose une main sur la tête, et elle doit rester où elle est. Jésus hausse encore la voix.

       « Que dire de ces malheureux ? Dieu leur a donné le temps de faire pénitence et ils en abusent pour pécher. Mais le Seigneur ne les perd pas de vue, même quand il semble le faire. Un moment vient où, comme la foudre qui brise même le roc, l’amour de Dieu brise leur cœur dur, ou bien encore l’accumulation de leurs fautes fait monter jusqu’à leur gueule et leurs narines la marée de leur fange. Ils ressentent alors – oh oui, ils ressentent enfin ! – le dégoût de cette saveur et de cette puanteur qui répugne aux autres et qui remplit leur cœur. Alors vient un moment où ils en ont la nausée et il s’élève en eux un commencement de désir de faire le bien.

       L’âme s’écrie alors : “ Et qui m’aidera à revenir au temps de ma jeunesse, quand mon âme était dans l’amitié de Dieu ? Quand sa lumière brillait dans mon cœur et que je marchais dans son rayonnement ? Quand, devant ma justice, le monde se taisait, plein d’admiration, et que quiconque me voyait proclamait mon bonheur ? Le monde buvait mon sourire, on accueillait mes paroles comme celles d’un ange et le cœur de mes proches tressaillait de fierté dans leur poitrine. Et maintenant que suis-je devenue ? Objet de railleries pour les jeunes, d’horreur pour les vieux. Je suis l’objet de leurs moqueries et ils me crachent leur mépris au visage. ” Oui, c’est ainsi que parle à certaines heures l’âme des pécheurs, des vrais Job, car il n’y a pas de misère plus grande que celle-là, la misère de celui qui a perdu pour toujours l’amitié de Dieu et son Royaume. Et elle doit faire pitié, seulement pitié.

       Ce sont des âmes qui, par désœuvrement ou par étourderie, ont perdu l’éternel Epoux. “ La nuit, dans mon lit, je cherchais l’amour de mon âme et ne le trouvais pas. ” En effet, dans les ténèbres, on ne peut distinguer l’époux, et l’âme, aiguillonnée par l’amour, inconsciente parce qu’elle est environnée par la nuit spirituelle, cherche et veut trouver un rafraîchissement à son tourment. Elle croit le trouver dans un amour quelconque. Non. Il n’y a qu’un amour pour l’âme : Dieu. Elles errent, ces âmes que l’amour de Dieu aiguillonne, à la recherche de l’amour. Il suffirait qu’elles veuillent en elles la lumière et elles auraient l’Amour pour époux. Elles errent, comme des malades, cherchant à tâtons l’amour, et elles rencontrent tous les amours, toutes les choses dégoûtantes auxquelles l’homme a donné ce nom, mais elles ne trouvent pas l’Amour ; car l’Amour, c’est Dieu et non pas l’or, la jouissance, le pouvoir.

       Pauvres, pauvres âmes ! Si elles étaient moins paresseuses, elles se seraient levées au premier appel de l’Epoux éternel pour aller vers Dieu qui appelle : “ Suis-moi ”, vers Dieu qui dit : “ Ouvre-moi ”, de sorte qu’elles ne seraient pas allées ouvrir la porte avec l’élan de leur amour réveillé quand l’Epoux déçu est déjà loin. Disparu… Et elles n’auraient pas profané cet élan saint d’un besoin d’aimer dans une boue qui dégoûte l’animal immonde tant elle est saumâtre et couverte de ronces, et celles-ci n’étaient pas des fleurs mais seulement des aiguilles qui la déchirent au lieu de la couronner. Elles n’auraient pas connu le mépris des gardes de service, de tous les gens qui, comme Dieu mais pour des motifs opposés, ne perdent pas de vue le pécheur et le montrent du doigt pour le tourner en dérision et le critiquer.

       Pauvres âmes frappées, dépouillées, blessées par tout le monde ! Seul Dieu ne s’unit pas à cette lapidation de mépris sans pitié.

       Mais il fait tomber ses larmes pour guérir ses blessures et revêtir sa créature d’un vêtement qui brille comme le diamant. C’est toujours sa créature… Dieu seul… et avec le Père, les enfants de Dieu. Bénissons le Seigneur. Il a voulu que, pour les pécheurs, je doive revenir ici pour vous dire : “ Pardonnez, pardonnez toujours. Faites sortir de tout mal un bien, de toute offense une grâce. ” Je ne vous dis pas seulement “ faites-le ”, je vous dis : répétez mon geste. J’aime, et je bénis mes ennemis puisque, grâce à eux, j’ai pu revenir vers vous, mes amis.

       La paix soit sur vous tous. »

       Les gens agitent des voiles et des rameaux en l’honneur de Jésus et puis s’éloignent tout doucement.

       135.8 « L’auront-ils vue, cette impudente ? 

       – Non, Lazare. Elle était derrière la haie, bien cachée. Nous pouvions la voir d’ici, de la terrasse. Pas les autres.

       – Elle nous avait promis de… 

       – Pourquoi ne devait-elle pas venir ? N’est-elle pas une fille d’Abraham, elle aussi ? Je veux que vous, mes frères, et vous aussi, mes disciples, vous promettiez de ne pas lui faire de réflexions. Laissez-la faire. Elle se moquera de moi ? Laissez-la faire. Elle pleurera ? Laissez-la faire. Elle voudra rester ? Laissez-la faire. Elle voudra fuir ? Laissez-la faire. C’est le secret du Rédempteur et des rédempteurs : faire preuve de patience, de bonté, de constance et prier. Rien d’autre. Tout geste est de trop pour certaines maladies… Adieu, mes amis. Je reste pour prier. Quant à vous, que chacun aille remplir sa tâche. Et que Dieu vous accompagne. »

       Et tout prend fin.

Observation

Des flamants et des ibis apprivoisés…

Alors que Jésus traverse Béthanie, Maria Valtorta observe, dans le jardin d’une riche demeure romaine, une femme « suivie, comme si c’étaient des chiens, par un groupe d’échassiers multicolores, au nombre desquels se trouvent des ibis blanc et noir et des flamants roses, sans compter deux hérons couleur feu avec une aigrette qui tremble sur leur tête argentée, unique blancheur de leur splendide plumage de flammes dorées » (EMV 135.1). Ce spectacle insolite surprend sans doute durablement Maria Valtorta, car elle en fait référence à deux reprises dans son œuvre. Une première fois, deux ans plus tard, lorsque Jésus et Simon le Zélote reviennent à Béthanie, Maria Valtorta écrit : « Ils passent devant la maison où autrefois il y avait des paons et des flamants. » (EMV 365.11). La maison semble alors inhabitée, comme cela se confirme six mois plus tard lorsque Jésus repasse au même endroit : « il est près du jardin en friche de la maison, où il y avait tant d'échassiers » (EMV 485.1).

Cigogne (mosaïque du 5e siècle. Tabgha)
Héron (mosaïque du 5e siècle. Tabgha)
Ibis (fresque murale. Pompéi)

Buffon, dans le tome 8 de son Histoire naturelle des oiseaux, intitulé L'ibis blanc, rappelle que la description de l'ibis a été donné dès l'Antiquité par Hérodote. L’ibis sacré (Threskiornis aethiopicus) est un oiseau aquatique très commun. En Égypte le dieu Thot était représenté comme un ibis au plumage blanc et noir, et l'ibis vivait couramment en domesticité.

C’est un fait avéré que les romains apprivoisaient toutes sortes d'animaux sauvages, et en particulier de nombreuses espèces d’oiseaux, dont les grues et les hérons (1). On voit même sur quelques peintures de vases des grues, des hérons ou des cigognes se promenant librement à l'intérieur des habitations. Et des oiseaux de toutes sortes figurent sur les fresques murales et les mosaïques.

Cette observation « inattendue » de Maria Valtorta apparaît donc comme parfaitement crédible.

(1) Voir par exemple Pline, Histoire Naturelle Livre X.

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