Une initative de
Marie de Nazareth

Dans la maison d’un paysan et dans la grotte de la Nativité

mardi 8 juin 27
Bethléem de Judée

Vision de Maria Valtorta

       73.1 Une route de plaine, caillouteuse, poussiéreuse, desséchée par le soleil d’été. On passe au milieu d’oliviers plantureux tout couverts de petites olives à peine formées. Le sol, là où l’on n’a pas marché, a encore une couche des minuscules fleurs d’oliviers tombées après la fécondation.

       Jésus avance avec ses trois disciples, en file indienne, le long du bord de la route où l’ombre des oliviers a gardé l’herbe encore verte et où il y a moins de poussière.

       La route tourne à angle droit et, au-delà, monte légèrement vers une cuvette qui a la forme d’un grand fer à cheval et sur laquelle sont éparpillées des maisons et des maisonnettes assez nombreuses pour former une bourgade. Au point précis où le chemin fait un coude, il y a une construction cubique surmontée d’un petit dôme tout simple. Elle est complètement fermée et semble abandonnée.

       « C’est là le tombeau de Rachel, dit Simon.

       – Alors, nous sommes presque arrivés. Nous entrons tout de suite en ville ?

       – Non, Judas. Je vais d’abord vous montrer un endroit… Puis nous entrerons dans la ville et, comme il fait encore jour et qu’il y aura un clair de lune, nous pourrons parler à la population, si elle veut écouter.

       – Pourquoi voudrais-tu qu’elle ne t’écoute pas ? »

       73.2 Ils sont arrivés au tombeau, ancien, mais bien conservé, blanchi à la chaux. Jésus s’arrête pour boire à un vieux puits tout proche.

       Une femme lui offre l’eau qu’elle est venue puiser. Jésus l’interroge :

       « Es-tu de Bethléem ?

       – Oui, mais en ce moment, à l’époque des récoltes, je suis ici avec mon mari dans cette campagne pour m’occuper des jardins et des vergers. Et toi, tu es galiléen ?

       – Je suis né à Bethléem, mais j’habite à Nazareth de Galilée.

       – Persécuté, toi aussi ?

       – La famille. Mais pourquoi dis-tu : “ Toi aussi ” ? Parmi les habitants de Bethléem, y a-t-il beaucoup de persécutés ?

       – Tu ne le sais pas ? Quel âge as-tu ?

       – Trente ans.

       – Alors tu es né au moment même où … Ah, quel malheur ! Mais pourquoi est-il né ici, celui-là ?

       – Qui ?

       – Mais celui qui se prétendait le Sauveur. Malédiction aux imbéciles qui dans l’ivresse de la boisson ont vu des anges dans les nuages, ont entendu des voix du Ciel au milieu des bêlements des brebis et des braiments des ânes et qui, dans les nuées de l’ivresse prirent trois misérables pour les gens les plus saints de la terre. Malédiction sur eux et sur ceux qui auront cru en eux !

       – Mais, avec toutes tes malédictions, tu ne m’expliques pas ce qui est arrivé. Pourquoi ces malédictions ?

       – Parce que… Mais, dis-moi : où veux-tu aller ?

       – A Bethléem, avec mes amis. J’y ai des intérêts. Je dois saluer de vieux amis et leur porter le salut de ma mère. Mais je voudrais d’abord apprendre bien des choses, parce que notre famille est absente depuis de nombreuses années. Nous avons quitté la ville quand j’avais quelques mois.

       – Avant ce malheur, alors. 73.3 Ecoute, si tu ne dédaignes pas la maison d’un paysan, venez partager avec nous le pain et le sel, toi et tes compagnons. Nous parlerons pendant le souper et je vous logerai jusqu’au matin. La maison est petite, mais sur le sol de l’étable, il y a une bonne couche de foin. La nuit est chaude et sereine. Si tu veux, tu peux y dormir.

       – Que le Seigneur d’Israël te récompense de ton hospitalité ! Je viendrai avec joie dans ta maison.

       – Le pèlerin porte avec lui sa bénédiction. Allons. Je dois verser encore six amphores d’eau sur les légumes qui viennent de sortir.

       – Je vais t’aider.

       – Non, tu es un seigneur. Ta manière de faire me le prouve.

       – Je suis un artisan, femme. Et celui-ci est un pêcheur. Ceux-ci sont judéens, fortunés et ont une situation. Pas moi. »

       Il prend une amphore appuyée contre le petit muret du puits. Il l’attache et la descend.

       Jean l’aide. Les autres aussi ne veulent pas être en reste. Ils demandent à la femme :

       « Où est le jardin ? Montre-le-nous. Nous porterons les jarres.

       – Que Dieu vous bénisse ! J’ai les reins rompus de fatigue. Venez… »

       Alors, pendant que Jésus sort son broc, les trois compagnons descendent par un sentier… puis reviennent avec les deux brocs vides, les remplissent et repartent. Ils le font, non pas trois fois, mais bien une dizaine de fois. Et Judas dit en riant :

       « Elle est en train de s’égosiller, à force de bénédictions. Nous donnons tant d’eau à la salade que la terre sera humide pendant au moins deux jours, et la femme ne se fatiguera pas les reins. »

       Quand il revient pour la dernière fois, il dit :

       « Maître, je crois cependant que nous sommes mal tombés.

       – Pourquoi, Judas ?

       – Parce qu’elle en veut au Messie. Je lui ai dit : “ Ne blasphème pas. Ne sais-tu pas que la plus grande grâce pour le peuple de Dieu, c’est le Messie ? Yahvé l’a promis à Jacob et après lui à tous les prophètes et justes d’Israël, et tu le hais ? ” Elle m’a répondu : “ Pas lui, mais ceux qui l’ont qualifié de Messie : des bergers ivres et de maudits devins d’Orient. ” Et puisque c’est toi…

       – Peu importe. Je sais que je suis fait pour être pour beaucoup un signe d’épreuve et de contradiction. Lui as-tu révélé qui je suis ?

       – Non. Je ne suis pas sot. J’ai voulu préserver tes épaules et les nôtres.

       – Tu as bien fait. Pas à cause des épaules, mais parce que je désire me manifester quand je le juge convenable. Allons. »

       Judas le conduit au jardin.

       73.4 La femme verse les trois derniers brocs et les conduit à une bâtisse ancienne au milieu du verger.

       « Entrez, dit-elle, mon ma­ri est déjà à la maison. »

       Ils s’avancent vers une cuisine basse et enfumée.

       « Que la paix soit sur cette maison, salue Jésus.

        – Qui que tu sois, que la bénédiction soit sur toi et sur les tiens. Entre !  » répond l’homme.

        Et il apporte d’abord un bassin rempli d’eau pour que les quatre hommes se rafraîchissent et se lavent. Puis ils entrent tous et s’asseyent à une table grossière.

        « Je vous remercie pour ma femme. Elle m’a raconté. Je n’avais jamais approché des Galiléens. On m’avait dit qu’ils étaient frustres et querelleurs. Mais, vous, vous vous êtes montrés gentils et bons. Déjà fatigués… et tant travailler ! Vous venez de loin ?

        – De Jérusalem. Ceux-ci sont judéens. Lui et moi, nous sommes de Galilée. Mais, crois-moi, homme : des bons et des mauvais, il y en a partout.

        – C’est vrai. Moi, pour la première fois que je rencontre des Galiléens, je suis bien tombé. Femme, apporte à manger. Je n’ai que du pain, des légumes, des olives et du fromage. Je suis un paysan.

        – Je ne suis pas un seigneur, moi non plus. Je suis menuisier.

        – Toi ? Avec ces manières ? »

        La femme intervient :

        « Notre hôte est de Bethléem, je t’ai dit, et les siens ont été persécutés. Qui sait s’ils n’étaient pas riches et instruits comme l’étaient Josué d’Ur, Mathias, fils d’Isaac, Lévi, fils d’Abraham… pauvres malheureux !

        – On ne t’a pas interrogée. Pardonnez-lui. Les femmes ba­vardent toujours plus que les moineaux, le soir.

        – C’étaient des familles de Bethléem ?

        – Comment ? Tu ne sais pas qui c’était, si tu es de Bethléem ?

        – Nous avons fui alors que j’avais quelques mois… »

        La femme, qui doit réellement être bavarde, se remet à parler :

        « Il est parti avant le massacre.

        – Eh ! Je le vois bien : autrement, il ne serait plus de ce monde. Tu n’y es jamais revenu ?

        – Non.

        73.5 – Quel grand malheur ! Tu en trouveras peu de ceux que, d’après ce que Sarah m’a dit, tu veux connaître et saluer. Beaucoup de morts, beaucoup de fugitifs, beaucoup… hélas ! Dispersés, et on n’a jamais su s’ils sont morts dans le désert ou s’ils ont péri en prison pour les punir de leur révolte. Mais était-ce une révolte ? Qui serait resté impassible en voyant égorger tant d’innocents ? Non, il n’est pas juste que Lévi et Elie soient encore vivants alors que tant d’innocents sont morts !

        – Qui sont-ils, ces deux hommes, et qu’ont-ils fait ?

        – Mais… tu as au moins entendu parler du massacre ! Le massacre d’Hérode… Plus de mille bébés dans la ville, un autre millier dans les campagnes. Et tous des garçons – ou plutôt à peu près tous car, dans leur furie, dans la nuit, dans la mêlée, les tueurs prirent même des petites filles, les arrachèrent de leurs berceaux, des lits de leurs mères, des maisons assiégées, et ils les transpercèrent, comme des gazelles en train de boire visées par un archer. Eh bien ! Tout cela, pourquoi ? Parce qu’un groupe de bergers qui, pour lutter contre le froid de la nuit, avaient bu à grandes gorgées une boisson, furent pris de délire et racontèrent qu’ils avaient vu des anges, entendu des chants, reçu un message… et nous dirent, à nous de Bethléem : “ Venez, adorez. Le Messie est né. ” Imagine-toi, le Messie dans une grotte !

        En vérité, je dois dire que nous fûmes tous ivres, même moi, qui étais encore jeune homme, même ma femme qui n’avait que quelques années… car tous nous avons cru, et dans une pauvre femme de Galilée, nous avons voulu voir la Vierge qui enfante, celle dont ont parlé les prophètes. Mais elle était avec un grossier Galiléen. Sûrement son mari. Si elle était mariée, comment pouvait-elle être la “ Vierge ” ? Bref, nous avons cru. Cadeaux, adorations, maisons ouvertes pour les accueillir… Oh ! on a bien su faire les choses. Pauvre Anne ! Elle y a perdu ses biens et la vie, et les enfants de sa fille aussi, la première, la seule à avoir été sauvée parce qu’elle avait épousé un marchand de Jérusalem, perdirent leurs biens, parce que la maison fut brûlée et tout leur domaine rasé sur ordre d’Hérode. C’est maintenant un champ inculte où paissent les troupeaux.

        – Tout cela par la faute des bergers ?

        – Non, par celle aussi de trois sorciers venus du royaume de Satan. Peut-être étaient-ils complices des trois… Et nous, imbéciles qui leur avons fait tant d’honneurs ! Ce pauvre chef de la synagogue ! Nous l’avons tué parce qu’il avait juré que les prophéties marquaient du sceau de la vérité les paroles des bergers et des mages…

        – Tout cela est donc la faute des bergers et des mages ?

        – Non, Galiléen, par notre faute aussi. A cause de notre crédulité. Il y avait si longtemps qu’on attendait le Messie ! Des siècles d’attente. Beaucoup de déceptions, les derniers temps avec les faux Messies. L’un était galiléen, comme toi, un autre s’appelait Théodas. Des menteurs ! Le Messie, eux ? Ce n’étaient que des aventuriers avides à la recherche de la fortune ! Cela aurait dû être pour nous une leçon. Au contraire…

        73.6 – Et alors, pourquoi maudissez-vous tous les bergers et les mages ? Si vous jugez que, vous aussi, vous avez été des sots, vous devriez vous maudire, vous également. Mais la malédiction n’est pas permise par le commandement de l’amour. La malédiction attire la malédiction. Etes-vous certains que votre jugement est juste ? Ne pourrait-il pas être vrai que les bergers et les mages aient dit la vérité, révélée à eux par Dieu ? Pourquoi vouloir croire qu’ils ont été des menteurs ?

        – Parce que les années de la prophétie n’étaient pas accomplies. Depuis, nous avons réfléchi… après que le sang qui avait rougi les vasques et les ruisseaux eut ouvert les yeux de notre intelligence.

        – Est-ce que le Très-Haut n’aurait pas pu, par excès d’amour pour son peuple, anticiper la venue du Sauveur ? Sur quoi les mages basaient-ils leur affirmation ? Tu m’as dit qu’ils venaient d’orient…

        – Sur leurs calculs au sujet d’une nouvelle étoile.

        – Or n’est-il pas dit : “ Une étoile naîtra de Jacob et un sceptre s’élèvera d’Israël ” ? Et Jacob n’est-il pas le grand patriarche et ne s’est-il pas arrêté dans cette terre de Bethléem qui lui était chère comme la prunelle de l’œil, parce que c’est là que mourut sa Rachel bien aimée ?

        Et encore, n’est-il pas sorti de la bouche d’un prophète : “ Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines ” ? Isaïe, le père de David, est né ici. Le surgeon sur la souche, sciée à la racine par l’usurpation des tyrans, n’est-ce pas la “ Vierge ” qui enfantera le Fils conçu, non pas d’un homme – car alors elle ne serait plus vierge –, mais de la volonté de Dieu, par quoi il sera “ l’Emmanuel ”, car Fils de Dieu, il sera Dieu et, par conséquent, apportera Dieu au milieu du peuple de Dieu, comme son nom l’indique ?

        Et, selon la prophétie, ne sera-t-il pas annoncé aux peuples des ténèbres, c’est-à-dire aux païens “ par une grande lu­mière ” ? Or l’étoile vue par les mages ne pourrait-elle pas être l’étoile de Jacob, la grande lumière des deux prophéties de Balaam et d’Isaïe ?

        Et le massacre lui-même accompli par Hérode ne rentre-t-il pas dans les prophéties ? “ Un cri s’est élevé… C’est Rachel qui pleure ses fils. ” Il était écrit que les os de Rachel, dans son tombeau d’Ephrata, gémiraient et pleureraient à l’époque où, par le Sauveur, la récompense allait venir au peuple saint. Larmes qui se changeraient ensuite en un sourire céleste, comme l’arc-en-ciel que forment les dernières gouttes d’eau de l’orage, mais qui annonce : “ Voilà : le beau temps vous est accordé. ” »

        – Tu es très instruit. Es-tu rabbi ?

        – Je le suis.

        – Je m’en rends bien compte. Il y a dans tes paroles lu­mière et vérité. Pourtant… trop de blessures saignent encore sur cette terre de Bethléem pour le Messie, vrai ou faux… Je ne lui conseillerais même pas de venir ici. Cette terre le repousserait comme on repousse un bâtard à cause de qui les vrais enfants sont morts. D’ailleurs… si c’était lui… il est mort avec les autres qu’on a égorgés.

        73.7 – Où habitent maintenant Lévi et Elie ?

        – Tu les connais ? »

        L’homme a des soupçons.

        « Je ne les connais pas. Leur visage m’est inconnu, mais ce sont des malheureux et j’ai toujours pitié des malheureux. Je veux aller les trouver.

        – Hum ! Tu seras le premier depuis presque six lustres. Ils sont encore bergers, au service d’un riche hérodien de Jérusalem qui s’est approprié les biens de beaucoup d’habitants qui ont été tués… Il y a toujours des profiteurs ! Tu les trouveras avec leurs troupeaux sur les hauteurs en direction d’Hébron. Mais, un conseil : ne te fais pas voir des habitants de Bethléem en train de leur parler. Tu aurais à t’en repentir. Nous les supportons parce que… parce qu’il y a l’hérodien. Sinon…

        – Ah, la haine ! Pourquoi haïr ?

        – Parce que c’est juste ; ils nous ont fait du mal.

        – Ils ont cru bien faire.

        – Mais ils ont mal agi, alors qu’ils souffrent ! Nous devions les tuer, comme ils ont fait tuer par leur folie. Mais nous étions hébétés… et après, il y a eu l’hérodien.

        – Alors sans lui, vous les auriez tués, même après le premier mouvement de vengeance, encore compréhensible ?

        – Maintenant encore nous les tuerions si nous ne redoutions pas leur maître.

        – Homme, je te le dis : ne hais pas. Ne désire pas le mal. Ne désire pas faire le mal. Il n’y a là aucune faute mais, même s’il y en avait, pardonne. Au nom de Dieu pardonne. Dis-le aux autres habitants de Bethléem. Quand la haine tombera de vos cœurs, le Messie viendra ; alors vous le connaîtrez, car il est vivant. Il l’était déjà quand le massacre eut lieu, je vous le dis. Ce ne fut pas par la faute des bergers et des mages, mais par la faute de Satan que ce carnage a eu lieu. Le Messie vous est né, ici. Il est venu apporter la lumière à la terre de ses pères. Fils d’une mère vierge de la race de David, c’est dans les ruines de la maison de David qu’il a ouvert au monde le fleuve des grâces éternelles, qu’il a ouvert à l’homme le chemin de la vie…

        – Va-t’en, va-t’en, hors d’ici ! Tu es un partisan de ce faux Messie qui ne pouvait être que faux, puisqu’il nous a apporté le malheur, à nous de Bethléem. Tu le défends, par conséquent…

        – Silence, homme, je suis judéen et j’ai des amis haut placés. Tu pourrais te repentir de cette insulte. »

        Judas bondit, saisit le paysan par son vêtement, le secoue avec violence. Il bout de colère.

        « Non, non, allez-vous-en ! Je ne veux pas d’ennuis ni avec les habitants de Bethléem, ni avec Rome et Hérode. Partez, maudits, si vous ne voulez pas que je vous fasse quelque chose dont vous vous souviendrez ! Dehors !…

        – Partons, Judas. Ne réagis pas. Laissons-le sur sa rancœur. Dieu ne pénètre pas là où il y a de la haine. Partons.

        – Oui, partons, mais vous me le paierez !

        – Non, Judas, non. Il ne faut pas parler ainsi. Ce sont des a­veugles… Il y en aura tant sur ma route !… »

        73.8 Ils sortent en suivant Simon et Jean, qui sont déjà dehors et parlent avec la femme dans un coin de l’étable.

        « Pardonne à mon mari, Seigneur. Je ne croyais pas faire tant de mal… Tiens. » Elle donne des œufs. « Tu les mangeras demain matin. Ils sont frais, d’aujourd’hui. Je n’ai rien d’autre… Pardon. Où vas-tu dormir ? »

        – Ne t’inquiète pas. Je sais où aller. Va en paix en raison de ta bonté. Adieu. »

        Ils font quelques pas en silence, puis Judas explose :

        « Pourquoi ne te fais-tu pas adorer ? Pourquoi ne pas faire toucher terre à ce dégoûtant blasphémateur ? Par terre ! Terrassé, pour avoir mal agi envers toi, le Messie… Ah ! Moi, je l’aurais fait ! Les Samaritains, on les réduit en cendres par le miracle. Il n’y a que cela qui les convainc.

        – Ah ! Combien de fois je l’entendrai dire ! Mais devrais-je réduire en cendres chaque personne qui pèche contre moi !… Non, Judas. Je suis venu pour créer, pas pour détruire.

        – D’accord, mais en attendant, ce sont les autres qui te dé­truisent. »

        Jésus ne réplique pas.

        Simon demande :

        « Où allons-nous maintenant, Maître ?

        – Venez avec moi. Je connais un endroit.

        – Mais si tu n’es jamais venu ici depuis que tu as fui, comment le connais-tu ? demande Judas, encore sous le coup de la colère.

        – Je le connais. Il n’est pas beau. Mais j’y suis venu une autre fois. Ce n’est pas à Bethléem. Un peu en dehors… Allons dans cette direction. »

        Jésus marche à l’avant, suivi de Simon, puis de Judas, enfin de Jean…

        73.9 Dans le silence que rompt seulement le crissement des san­dales sur les graviers du sentier, on entend un sanglot.

        « Qui pleure ? » demande Jésus en se retournant.

        Alors Judas :

        « C’est Jean. Il a eu peur.

        – Non, je n’ai pas peur. J’avais déjà la main sur le coutelas que j’ai à la ceinture… mais je me suis souvenu de ton : “ Ne tue pas, pardonne. ” Tu le dis toujours…

        – Dans ce cas, pourquoi pleures-tu ? demande Judas.

        – Parce que je souffre de voir que le monde ne veut pas de Jésus. Il ne le reconnaît pas et ne veut pas le connaître. Quelle douleur ! Comme si on me faisait pénétrer dans le cœur des é­pines enflammées. Comme si j’avais vu piétiner ma mère et cracher au visage de mon père… Plus encore… Comme si j’avais vu les chevaux des Romains manger dans l’Arche sainte et coucher dans le Saint des Saints.

        – Ne pleure pas, mon Jean. Tu le diras, cette fois et d’innombrables autres fois : “ Il était la lumière venue briller au milieu des ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas comprise. Il est venu dans le monde fait par lui, et le monde ne l’a pas connu. Il est venu dans sa ville, dans sa maison, et les siens ne l’ont pas reçu. ” Ah, ne pleure pas comme ça !

        – Cela n’arrive pas en Galilée ! Soupire Jean.

        – Alors, pas davantage en Judée, réplique Judas. Jérusalem en est la capitale et il y a trois jours qu’on t’y saluait comme Messie par des “ Hosannas ”. Ici… c’est un village de bergers grossiers, de paysans, de jardiniers… il ne faut pas se baser sur eux. Même les Galiléens, allons, ne seront pas tous bons. Du reste, Judas, le faux Messie, d’où était-il ? On disait…

        – Assez, Judas. Il ne faut pas se troubler. Moi, je suis calme. Soyez-le, vous aussi. Judas, viens ici. Je dois te parler. »

        Judas le rejoint.

        « Prends la bourse. Tu feras les courses pour demain.

        – Et, pour l’instant, où logerons-nous ? »

        Jésus sourit et se tait.

        73.10 La nuit est descendue. La lune revêt tout de blancheur. Les rossignols chantent dans les oliviers. Un ruisseau ressemble un ruban d’argent sonore. Des prés fauchés arrive une odeur de foin : chaude, presque charnelle, pourrais-je dire. Quelques mugissements. Quelques bêlements. Et des étoiles, des étoiles, des étoiles… un semis d’étoiles sur le voile du ciel, un baldaquin de joyaux vivants sur les collines de Bethléem.

        « Mais ici !… Ce sont des ruines. Où nous conduis-tu ? Ce n’est plus la ville.

        – Je le sais. Viens, suis le ruisseau, derrière moi. Encore quelques pas, et puis… et puis je t’offrirai le logement du Roi d’Israël. »

        Judas hausse les épaules et garde le silence.

        Encore quelques pas, puis voilà un tas de maisons en ruines, des restes d’habitations… Un antre, entre deux fentes de hautes murailles.

        Jésus dit :

        « Avez-vous de l’amadou ? Allumez. »

        Simon allume une lanterne qu’il tire de sa besace et la donne à Jésus.

        « Entrez, dit le Maître, en levant la lumière, entrez. C’est la chambre de la nativité du Roi d’Israël.

        – Tu te trompes, Maître ! C’est une caverne nauséabonde. Ah ! Pour moi, je n’y reste sûrement pas ! Elle me dégoûte : humide, froide, fétide, pleine de scorpions, de serpents peut-être…

        – Et pourtant, mes amis : ici, la nuit du 25 du mois d’Encénie, naquit de la Vierge, Jésus le Christ, l’Emmanuel, le Verbe de Dieu fait chair pour l’amour de l’homme : moi, qui vous parle. A cette époque comme aujourd’hui, le monde fut sourd aux voix du Ciel qui s’adressaient au cœur… et il a repoussé la Mère… et ici… Non, Judas, ne détourne pas les yeux d’un air dégoûté de ces chauves-souris qui volent, de ces lézards verts, de ces toiles d’araignées. Ne relève pas avec dégoût ton beau vêtement brodé pour qu’il ne se souille pas sur le sol, couvert d’excréments d’animaux. Ces chauves-souris sont les petites-filles de celles qui furent les premiers jouets qui s’agitèrent sous les yeux du Bébé, pour lequel les anges chantaient le “ Gloria ” que les bergers entendirent, ivres de rien d’autre que d’une joie extatique, de la vraie joie. Ces lézards couleur émeraude furent les premières couleurs qui frappèrent ma pupille, les premières après la blancheur du vêtement et du visage de ma Mère. Ces toiles d’araignées for­mèrent le baldaquin de mon berceau royal. Quant à ce sol, tu peux le fouler sans dédain… il est couvert d’excréments, mais il est sanctifié par son pied à elle, la Sainte, la grande Sainte, la Pure, l’Inviolée, la Mère de Dieu, celle qui enfanta parce qu’elle devait enfanter, qui enfanta parce que Dieu, et non pas l’homme, le lui dit et la rendit enceinte de lui-même. Elle, la Femme immaculée, l’a foulé aux pieds. Tu peux y mettre tes pas. Et que Dieu veuille que par la plante de tes pieds te monte au cœur la pureté qui émana d’elle… »

        73.11 Simon s’est agenouillé. Jean va droit à la crèche et pleure, la tête appuyée sur elle. Judas est abasourdi… puis, vaincu par l’émotion et sans plus penser à son bel habit, il se jette sur le sol, saisit un pan du vêtement de Jésus, l’embrasse et se frappe la poitrine en disant :

        « Ah ! Aie pitié, bon Maître, de l’aveuglement de ton serviteur ! Mon orgueil tombe… Je te vois comme tu es. Non pas le roi que je pensais, mais le Prince éternel, le Père du siècle à venir, le Roi de la paix. Pitié, mon Seigneur et mon Dieu ! Pitié !

        – Oui, tu as toute ma pitié. Nous allons maintenant dormir à l’endroit où dormirent l’Enfant et la Vierge, là où Jean a pris la place de la Mère en adoration, là où Simon ressemble à mon père putatif. Ou bien, si vous préférez, je vous parlerai de cette nuit…

        – Oh oui, Maître, fais-nous connaître ton épanouissement en ce monde !

        – Pour qu’il soit une perle lumineuse dans nos cœurs et pour que nous puissions le redire au monde.

        – Et pour vénérer ta Mère, non seulement pour avoir été ta mère, mais pour être… ah, pour être la Vierge !»

        C’est d’abord Judas qui a parlé, puis Simon, puis Jean là tout près de la crèche ; sur son visage, les larmes se mêlent aux sourires.

        « Venez sur le foin. Ecoutez… »

        Jésus leur raconte alors la nuit de sa naissance :

        “ … la Mère qui était déjà sur le point d’enfanter, vint, sur l’ordre de César Auguste et sur l’avis du délégué impérial, Publius Sulpicius Quirinus, alors que Sentius Saturninus était gouverneur de la Palestine. L’avis ordonnait le recensement de tous les habitants de l’Empire. Excepté les esclaves, ils de­vaient se rendre sur leur lieu d’origine pour s’inscrire sur les registres de l’Empire. Joseph, époux de la Mère, était de la race de David, tout comme elle. Obéissant donc à cet avis, ils quittèrent Nazareth pour venir à Bethléem, berceau de la race royale. Le temps était froid… ”

        Jésus continue le récit et tout cesse ainsi.

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