Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche.
Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.
106.1 Je vois une grande pièce carrée. Même si je comprends qu’il s’agit de la synagogue de Nazareth (comme me le dit celui qui m’avertit intérieurement), j’emploie ce terme car il n’y a que des murs nus, peints en jaune et, de côté, une sorte de chaire. Il s’y trouve également un pupitre élevé avec des rouleaux posés dessus. Pupitre, étagère ? Je vous laisse choisir le mot approprié. En somme, c’est une sorte de table inclinée montée sur un pied, et sur laquelle sont rangés des rouleaux.
Des gens qui prient, pas comme nous, mais tous tournés d’un côté, sans joindre les mains, mais à peu près comme un prêtre à l’autel.
Au-dessus du siège et du pupitre, des lampes sont disposées de la manière suivante :
Je ne vois pas le but de cette vision qui demeure ainsi un certain temps sans changer. Mais Jésus me dit de l’écrire et je le fais.
[…]
106.2 Je me trouve de nouveau dans la synagogue de Nazareth. Cette fois, le rabbin fait la lecture. J’entends sa voix monotone et nasillarde, mais je ne comprends pas les paroles qu’il prononce dans une langue qui m’est inconnue.
Dans la foule se trouve aussi Jésus en compagnie de ses cousins apôtres et d’autres qui sont certainement eux aussi des parents, mais que je ne connais pas.
Après la lecture, le rabbin tourne les yeux vers la foule, comme en une muette invitation. Jésus s’avance et demande à tenir la réunion aujourd’hui.
Je l’entends lire de sa belle voix le passage d’Isaïe cité par l’Evangile : « L’esprit du Seigneur est sur moi. » Et j’entends le commentaire qu’il en fait en se présentant comme « celui qui apporte la Bonne Nouvelle, la loi d’amour qui remplace l’ancienne rigueur par la miséricorde, afin qu’obtiennent le salut tous ceux dont la faute d’Adam rend l’âme malade et, par contrecoup, la chair, car le péché engendre le vice, et le vice la maladie, même physique. Et aussi pour que tous ceux que l’Esprit du mal retient prisonniers obtiennent leur libération. Je suis venu pour rompre ces chaînes et rouvrir le chemin du Ciel, pour donner la lumière aux âmes aveuglées et l’ouïe aux âmes sourdes. Le temps de la grâce du Seigneur est venu. Elle est parmi vous, c’est elle qui vous parle. Les patriarches ont désiré voir ce jour, dont la voix du Très-Haut a proclamé l’existence et dont les prophètes ont prédit le temps. Et déjà, portée à leur connaissance par un ministère surnaturel, ils savent que l’aube de ce jour s’est levée et que leur entrée au paradis est proche désormais. Elle exulte, l’âme des saints auxquels il ne manque que ma bénédiction pour être citoyens du Ciel. Vous le voyez. Venez à la Lumière qui s’est levée. Dépouillez-vous de vos passions, afin d’avoir l’agilité nécessaire pour suivre le Christ. Ayez la bonne volonté de croire, de devenir meilleurs, de vouloir le salut, et le salut vous sera procuré. Il est entre mes mains, mais je ne le donne qu’à ceux qui font preuve de la bonne volonté de le posséder, car ce serait une offense à la grâce que de le donner à ceux qui désirent continuer à servir Mammon. »
106.3 Un murmure s’élève dans la synagogue.
Jésus tourne les yeux vers l’assistance. Il lit sur les visages et dans les cœurs et continue :
« Je comprends votre pensée. Parce que je suis de Nazareth, vous voudriez une faveur spéciale, un privilège. Mais cela, c’est par égoïsme de votre part et non par la puissance de votre foi. Aussi, je vous dis qu’en vérité aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. D’autres régions m’ont accueilli et m’accueilleront avec une plus grande foi, même certains dont le nom est pour vous un scandale. J’y trouverai une moisson de disciples, alors que je ne puis rien faire sur cette terre-ci, parce qu’elle m’est fermée et hostile. Mais je vous rappelle Elie et Elisée. Le premier trouva la foi chez une femme phénicienne et le second chez un Syrien. Ils purent donc accomplir un miracle en faveur de l’un et de l’autre. Les gens qui mouraient de faim en Israël n’eurent pas de pain et les lépreux pas de purification, parce qu’il n’y avait pas dans leurs cœurs de bonne volonté, cette perle fine que le prophète avait découverte ailleurs. C’est ce qui vous arrivera, à vous aussi qui êtes hostiles et incrédules à l’égard de la Parole de Dieu. »
106.4 La foule s’agite, lance des imprécations, tente de mettre la main sur Jésus, mais ses apôtres et cousins Jude, Jacques et Simon le défendent. Furieux, les Nazaréens chassent alors Jésus de la ville. Ils le poursuivent avec des menaces – pas seulement verbales – jusqu’au sommet de la colline. Alors Jésus se retourne, les immobilise de son regard magnétique, passe indemne au milieu d’eux et disparaît en gravissant un sentier de la colline.
106.5 Je vois un petit groupe de maisons, un hameau, dirions-nous aujourd’hui. Il est plus élevé que Nazareth, que l’on aperçoit en contrebas à quelques kilomètres. C’est une toute petite bourgade bien misérable.
Assis sur un muret près d’une cabane, Jésus parle avec Marie. Peut-être est-ce une maison amie, ou du moins hospitalière, suivant les lois de l’hospitalité orientale. Jésus s’y est réfugié, après avoir été chassé de Nazareth, pour attendre les apôtres qui s’étaient sûrement éparpillés dans le voisinage, pendant que Jésus se trouvait près de sa Mère.
Seuls les trois apôtres et cousins l’accompagnent. Ils sont rassemblés dans la cuisine et discutent avec une femme plutôt âgée que Jude appelle « mère ». Je comprends donc qu’il s’agit de Marie, femme de Clopas, en qui je reconnais celle qui accompagnait
Marie la très sainte aux noces de Cana. Ses fils et elle se sont certainement retirés là pour laisser à Jésus et à sa Mère toute liberté de converser à leur guise.
106.6 Marie est affligée. Elle a été informée de l’incident de la synagogue et elle en est meurtrie. Jésus la console. Marie supplie son Fils de rester loin de Nazareth, où tous sont mal disposés à son égard, même les autres personnes de sa parenté qui voient en lui un fou qui cherche à susciter brouilles et disputes. Mais Jésus fait un geste en souriant. Il semble dire : « Ici ou ailleurs, cela se vaut. Laisse tomber ! » Mais Marie insiste.
Il répond alors :
« Maman, si le Fils de l’homme devait aller uniquement là où on l’aime, il devrait tourner le dos à cette terre et retourner au Ciel. J’ai partout des ennemis. Car on hait la Vérité et moi je suis la Vérité. Mais je ne suis pas venu pour trouver un amour facile. Je suis venu faire la volonté du Père et racheter l’homme. L’amour, tu l’es, Maman. Tu es mon amour qui compense pour moi tout le reste. Toi et ce petit troupeau qui chaque jour s’accroît de quelque brebis que j’arrache au loup des passions et que j’amène au bercail de Dieu. Pour le reste, c’est mon devoir. Je suis venu accomplir ce devoir, et je dois l’accomplir jusqu’à me briser contre les pierres de leurs cœurs réfractaires au bien. Et même, ce n’est que lorsque je serai tombé, baignant de mon sang ces cœurs, que je les attendrirai en y imprimant mon Signe qui efface celui de l’Ennemi. Maman, c’est pour cela que je suis descendu du Ciel. Je ne puis qu’en désirer l’accomplissement.
– Oh, mon Fils ! Mon Fils ! »
Marie a la voix déchirée. Jésus la caresse. Je remarque que, en plus du voile, Marie a aussi son manteau sur la tête. Elle est plus que jamais voilée, comme une prêtresse.
106.7 « Je vais m’absenter quelque temps, pour te faire plaisir. Quand je serai dans le voisinage, je te ferai prévenir.
– Envoie Jean. Il me semble un peu te voir quand je le vois. Sa mère aussi est pleine d’égards pour moi et pour toi. Elle espère, il est vrai, une place privilégiée pour ses fils. C’est une femme et une maman, Jésus. Il faut l’excuser. Elle t’en parlera à toi aussi. Mais elle t’est sincèrement dévouée. Quand elle sera libérée de l’humanité qui fermente en elle et chez ses fils, comme chez les autres, comme chez tous, mon Fils, elle deviendra une femme de grande foi. Il est douloureux de constater que tous attendent de toi quelque bienfait humain, un bienfait qui, même s’il n’est pas humain, est égoïste. Mais le péché est en eux, avec sa concupiscence. Elle n’est pas encore venue, l’heure bénie et tellement redoutable où tu effaceras le Péché, bien que l’amour de Dieu et de l’homme me la fasse désirer. Ah, cette heure ! Comme le cœur de ta Maman tremble devant cette heure ! Que vont-ils te faire, mon Fils Rédempteur dont les prophètes prédisent un tel martyre ?
– N’y pense pas, Maman. Cette heure venue, Dieu t’aidera. Dieu nous aidera, toi et moi. Ensuite, ce sera la paix. Je te le dis, encore une fois. Maintenant, va. La nuit va tomber et le chemin est long. Je te bénis. »
Réflexions sur quatre contemplations
« Petit Jean, nous avons beaucoup de travail aujourd’hui. Mais nous avons un jour de retard et il est impossible d’aller lentement. Je t’en ai donné la force nécessaire, aujourd’hui.
Je t’ai accordé ces quatre contemplations pour pouvoir te parler des douleurs de Marie et des miennes, qui préparent la Passion. J’aurais dû t’en parler hier, samedi, le jour dédié à ma Mère. Mais j’ai eu pitié. Nous reprenons donc aujourd’hui le temps perdu. Après les douleurs que je t’ai fait connaître, Marie a encore subi les suivantes, et moi avec elle.
106.9 Mon regard avait lu dans le cœur de Judas. Nul ne doit penser que la sagesse de Dieu n’a pas été capable de comprendre ce cœur. Mais, comme je l’ai dit à ma Mère, il était nécessaire. Malheur à lui d’avoir été le traître ! Mais il fallait un traître. Plein de duplicité, rusé, avide, assoiffé de luxure, voleur, mais aussi plus intelligent et plus cultivé que la plupart, il avait su s’imposer à tous. Audacieux, il m’aplanissait les voies les plus difficiles. Plus que tout, il aimait se distinguer et faire ressortir sa place de confiance auprès de moi. S’il était serviable, ce n’était pas par instinct de charité, mais uniquement parce que, selon votre expression, il “ faisait la mouche du coche. ” Cela lui permettait de tenir la bourse et d’approcher les femmes. Deux choses qu’il aimait d’une façon effrénée, sans parler de son goût pour les honneurs.
Ce serpent ne pouvait que faire horreur à la femme pure, humble, détachée des richesses terrestres qu’était ma Mère. Moi-même, j’éprouvais du dégoût. Le Père, l’Esprit et moi sommes seuls à savoir combien il m’a fallu me dépasser pour pouvoir supporter sa présence. Mais je te l’expliquerai une autre fois.
106.10 De même, je n’ignorais pas l’hostilité des prêtres, des pharisiens, des scribes et des sadducéens. C’étaient des renards rusés qui cherchaient à me pousser dans leur tanière pour me déchirer. Ils étaient assoiffés de mon sang. Ils essayaient de me tendre des pièges partout pour me capturer, pour avoir un motif d’accusation, pour se débarrasser de moi. Ce piège a duré longtemps, trois ans durant, et ils ne se sont apaisés que lorsqu’ils m’ont su mort. Ce soir-là, ils ont dormi heureux. La voix de leur accusateur s’était éteinte à jamais. Du moins le croyaient-ils. Mais non : elle n’était pas éteinte. Elle ne le sera jamais, elle tonne au contraire et maudit leurs semblables d’aujourd’hui. Quelles douleurs ma Mère n’eut-elle pas à subir à cause d’eux ! Et moi, je ne saurais oublier ces douleurs.
106.11 Que la foule soit changeante, voilà qui n’est guère nouveau. C’est la bête sauvage qui lèche la main du dompteur si elle est armée d’un fouet ou si elle offre à sa faim un morceau de viande. Mais il suffit que le dompteur tombe et ne puisse plus se servir du fouet, ou bien qu’il n’ait plus de proie pour la rassasier, pour qu’elle se précipite et le déchire. Il suffit de dire la vérité et d’être bon pour être haï par la foule, une fois le premier moment d’enthousiasme passé. La vérité est reproche et avertissement. La bonté prive du fouet et fait en sorte que ceux qui ne sont pas bons n’aient plus à craindre. D’où les : “ Crucifie-le ! ” après les “ Hosannas ! ” Ma vie de Maître est remplie de ces deux cris. Et le dernier fut : “ Crucifie-le ! ” Le hosanna est l’haleine que reprend le chanteur pour avoir le souffle nécessaire pour monter haut. Le soir du vendredi saint, Marie a réentendu tous ces hosannas menteurs devenus hurlements de mort pour son Enfant, et elle en fut transpercée. Cela aussi, je ne l’oublie pas.
106.12 L’humanité des apôtres ! Qu’elle est lourde ! Pour les élever au Ciel, je soulevais des masses que leur poids entraînait vers la terre. Même ceux qui n’imaginaient pas devenir des ministres d’un roi terrestre comme Judas Iscariote, ceux qui ne pensaient pas comme lui à monter sur le trône à ma place si besoin était, avaient néanmoins soif de gloire. Un jour est venu où même mon Jean et son frère désirèrent cette gloire qui, jusque dans le domaine des réalités célestes, vous éblouit comme un mirage. Ce n’est pas seulement le saint désir du paradis que je veux que vous ayez, ni le désir humain que votre sainteté soit reconnue. Pour un peu d’amour donné à Celui auquel je vous ai dit que vous devez vous donner tout entier, c’est aussi une avidité de changeur, d’usurier, qui vous incite à prétendre à une place à ma droite au Ciel.
Non, mes enfants, non. Il faut d’abord savoir boire toute la coupe que j’ai bue. Entièrement : y compris sa charité témoignée en réponse à la haine, sa chasteté en réponse aux voix de la sensualité, son héroïcité dans les épreuves, son sacrifice par amour pour Dieu et pour ses frères. Puis, quand vous aurez rempli intégralement votre devoir, dites encore : “ Nous sommes des serviteurs inutiles ” et attendez que mon Père – qui est aussi le vôtre –, vous accorde, par bonté, une place dans son Royaume. Comme tu m’as vu être dépouillé de mes vêtements au Prétoire, il convient de se dépouiller de tout ce qui est humain et de ne garder que cet indispensable qui est respect envers ce don de Dieu qu’est la vie et envers les frères auxquels nous pouvons être plus utiles du Ciel que sur la terre, puis laisser Dieu vous revêtir de l’étole immortelle purifiée dans le sang de l’Agneau.
106.13 Je t’ai montré les douleurs qui préparent à la Passion. Je t’en montrerai d’autres. Bien que ce soient toujours des douleurs, il a été reposant pour ton âme de les contempler. Maintenant, en voilà assez. Sois en paix. »