Le lendemain, la foule restée sur l’autre rive se rendit compte qu’il n’y avait eu là qu’une seule barque, et que Jésus n’y était pas monté avec ses disciples, qui étaient partis sans lui. Cependant, d’autres barques, venant de Tibériade, étaient arrivées près de l’endroit où l’on avait mangé le pain après que le Seigneur eut rendu grâce. Quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. »
Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. »
Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Mais je vous l’ai déjà dit : vous avez vu, et pourtant vous ne croyez pas. Tous ceux que me donne le Père viendront jusqu’à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors. Car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »
Les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? » Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit. Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Voilà ce que Jésus a dit, alors qu’il enseignait à la synagogue de Capharnaüm.
Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !... C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » Jésus leur dit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un de vous est un diable ! » Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; celui-ci, en effet, l’un des Douze, allait le livrer.
354.2 La plage de Capharnaüm fourmille de gens qui sortent d’une vraie flottille de barques de toutes tailles. Les premiers à débarquer partent dans la foule à la recherche du Maître, d’un apôtre ou au moins d’un disciple. Ils interrogent les uns et les autres….
Finalement, un homme répond :
« Le Maître ? Les apôtres ? Non. Ils sont partis dès la fin du sabbat et ne sont pas rentrés. Mais ils vont revenir, car il y a des disciples. J’ai parlé tout à l’heure avec l’un d’entre eux. Ce doit être un grand disciple. Il parle comme Jaïre ! Il est allé vers cette maison au milieu des champs, en suivant la mer. »
L’homme qui a posé la question en répand le bruit, et tous se précipitent vers l’endroit indiqué. Mais après avoir parcouru environ deux cents mètres sur la rive, ils rencontrent tout un groupe de disciples qui viennent vers Capharnaüm en faisant de grands gestes. Ils les saluent et demandent :
« Où est le Maître ? »
Les disciples répondent :
« Pendant la nuit, après le miracle, il est parti en barque de l’autre côté de la mer en compagnie de ses disciples. Nous avons vu, au clair de lune, les voiles qui cinglaient vers Dalmanutha.
– Ah ! Voilà ! Nous le cherchions à Magdala chez Marie, et il n’y était pas ! Pourtant… les pêcheurs de Magdala auraient pu nous le dire !
– Ils ne l’auront pas su. Peut-être est-il allé sur les monts d’Arbel pour prier. Il y est déjà passé une fois, l’an dernier avant la Pâque. Je l’ai rencontré à ce moment-là, par une très grande grâce du Seigneur à son pauvre serviteur, dit Etienne.
– Mais il ne revient pas ici ?
– Il va sûrement revenir. Il doit faire ses adieux et donner des ordres. Mais que voulez-vous ?
– L’entendre encore, le suivre, devenir ses disciples.
– Il va maintenant à Jérusalem. Vous l’y retrouverez. Et là, dans la Maison de Dieu, le Seigneur vous parlera, si pour vous il est utile de le suivre.
354.3 Car il est bon que vous sachiez que, s’il ne repousse personne, nous avons en nous des tendances qui repoussent la Lumière. Certains en sont saturés — cela ne serait qu’un moindre mal car lui, il est Lumière et si nous devenons loyalement ses disciples avec une volonté bien décidée, sa lumière nous pénètre et chasse nos ténèbres. Mais s’ils y sont plongés et s’y attachent comme à leur propre chair, alors il vaut mieux qu’ils s’abstiennent de venir, à moins qu’ils ne se détruisent pour se recréer à neuf. Réfléchissez donc pour savoir si vous avez en vous la force de prendre un nouvel esprit, une nouvelle manière de penser, une nouvelle façon de vouloir. Priez pour pouvoir connaître la vérité sur votre vocation. Puis venez, si vous croyez. Et veuille le Très-Haut, qui a guidé Israël dans son “ Passage ”, vous guider, en ce “ Pessah ”, pour que vous marchiez à la suite de l’Agneau, hors des déserts, vers la Terre éternelle, vers le Royaume de Dieu, dit Etienne au nom de tous ses compagnons.
– Non, non ! Tout de suite ! Tout de suite ! Personne ne fait ce que lui fait. Nous voulons le suivre » dit la foule en effervescence.
Etienne a un sourire où passent beaucoup d’expressions. Il ouvre les bras et dit :
« C’est parce qu’il vous a donné en abondance du bon pain que vous voulez venir ? Croyez-vous qu’à l’avenir il ne vous donnera que cela ? Lui, il promet à ceux qui le suivent ce qui est son lot : la souffrance, la persécution, le martyre. Ce ne sont pas des roses, mais des épines ; pas des caresses, mais des gifles, pas du pain, mais des pierres qui sont prêtes pour les “ christ ”. Et je parle ainsi sans blasphémer, parce que ses vrais fidèles seront oints de l’huile sainte faite de sa grâce et de sa souffrance, et nous serons “ oints ” pour être victimes sur l’autel et rois au Ciel.
– Eh bien ? En serais-tu jaloux ? Tu en es, toi ? Nous voulons en être nous aussi. Il est le Maître pour tous.
– C’est bien. Je vous le disais parce que je vous aime et que je veux que vous sachiez ce que c’est qu’être ses “ disciples ” pour ne pas être ensuite des déserteurs. Allons donc l’attendre tous ensemble à sa maison. Le crépuscule commence et c’est le début du sabbat. Il viendra le passer ici avant son départ. »
354.4 Ils se dirigent vers la ville en discutant. Plusieurs interrogent Etienne – et Hermas qui les a rejoints –, car, aux yeux des juifs, ils ont une lumière spéciale en tant qu’élèves préférés de Gamaliel. Plusieurs demandent : “ Mais que dit Gamaliel de lui ? ”, d’autres : “ Est-ce lui qui vous a envoyés ? ”, et d’autres encore : “ N’a-t-il pas souffert de vous perdre ? ”, ou bien : “ Et le Maître, que dit-il du grand rabbi ? ”
Les deux hommes répondent avec patience :
« Gamaliel parle de Jésus de Nazareth comme du plus grand homme d’Israël.
– Oh ! Plus grand que Moïse ? demandent certains, presque scandalisés.
– Il dit que Moïse est l’un des nombreux précurseurs du Christ, mais qu’il n’était que le serviteur du Christ.
– Alors, pour Gamaliel, celui-ci est le Christ ? C’est ce qu’il dit ? Si le rabbi Gamaliel l’affirme, la question est tranchée. C’est lui le Christ !
– Il ne dit pas cela. Il n’arrive pas encore à le croire, pour son malheur. Mais il assure que le Christ est sur la terre car il lui a parlé, il y a plusieurs années, ainsi que le sage Hillel. Et il attend le signe que le Christ lui a promis pour le reconnaître, dit Hermas.
– Mais comment a-t-il fait pour croire que cet homme était le Christ ? Que faisait-il ? Moi, je suis aussi âgé que Gamaliel, mais je n’ai jamais entendu dire que ce que le Maître fait l’ait déjà été chez nous. S’il n’est pas persuadé par ces miracles, qu’est-ce qu’il a donc vu de si surnaturel dans ce Christ pour pouvoir croire en lui ?
– Il l’a vu oint par la Sagesse de Dieu. C’est ce qu’il affirme, répond encore Hermas.
– Et alors qui est cet homme-ci pour Gamaliel ?
– Le plus grand homme, maître et précurseur d’Israël. S’il pouvait dire : “ C’est le Christ ”, l’âme sage et juste de mon premier maître serait sauvée » dit Etienne.
Et il achève :
« Et je prie pour que cela arrive, à tout prix.
– Et s’il ne croit pas que c’est le Christ, pourquoi vous y a-t-il envoyés ?
– Nous voulions y venir. Il nous a laissés faire en disant que c’était bien.
– Peut-être pour savoir et rapporter au Sanhédrin…, insinue quelqu’un.
– Homme, que dis-tu là ? Gamaliel est honnête. Il ne sert d’espion à personne et surtout pas aux ennemis d’un innocent ! »
Etienne se fâche et on dirait un archange, tant il est indigné, et presque rayonnant dans sa sainte colère.
« Il aura été désolé de vous perdre, pourtant, dit un autre.
– Oui et non. Comme homme qui nous aimait bien, oui. Comme âme très droite, non, parce qu’il a dit : “ Il est plus grand et plus jeune que moi. Je puis donc fermer les yeux, rassuré sur votre avenir, en sachant que vous appartenez au ‘ Maître des maîtres ’. ”
– Et Jésus de Nazareth, que dit-il du grand rabbi ?
– Oh ! Il n’a que des paroles élevées pour lui !
– Il n’en est pas jaloux ?
– Dieu ne jalouse pas » rétorque sévèrement Hermas. « Ne fais pas de suppositions sacrilèges.
– Mais pour vous, alors, il est Dieu ? En êtes-vous certains? »
Les deux hommes affirment d’une seule voix :
« Comme d’être vivants en ce moment. »
Et Etienne conclut :
« Et croyez-le vous aussi pour posséder la vraie vie. »
354.5 Les voilà de nouveau sur la plage devenue un lieu de réunion, et ils la traversent pour aller à la maison. Sur le seuil se trouve Jésus, qui caresse des enfants. Des disciples se groupent avec des curieux et ils demandent :
« Maître, quand es-tu arrivé ?
– Il y a quelques instants. »
Le visage de Jésus a encore la majesté solennelle, un peu extatique, qu’il prend après une prière prolongée.
« Tu as été en oraison, Maître ? demande Etienne à voix basse, par respect, comme il s’est incliné pour le même motif.
– Oui. A quoi le vois-tu, mon fils ? demande Jésus en posant la main sur ses cheveux foncés en une douce caresse.
– A ton visage d’ange. Je suis un pauvre homme, mais ton aspect est si limpide que j’y lis les palpitations et les actions de ton âme.
– Le tien aussi est limpide. Tu es l’un de ceux qui restent tout petits…
– Et qu’y a-t-il sur mon visage, Seigneur ?
– Viens à part et je te le dirai. »
Il le saisit par le poignet et l’entraîne dans un couloir obscur.
« Charité, foi, pureté, générosité, sagesse ; or tout cela, c’est Dieu qui te l’a donné, tu l’as cultivé, et tu l’approfondiras. Enfin, d’après ton nom, tu as la couronne d’or pur et avec un grand joyau qui resplendit sur ton front. Sur l’or et les pierres sont gravés deux mots : “ Prédestination ” et “ Prémices ”. Sois digne de ton sort, Etienne. Va en paix avec ma bénédiction. »
Et il pose de nouveau la main sur ses cheveux tandis qu’Etienne s’agenouille pour ensuite se prosterner et lui baiser les pieds.
354.6 Ils reviennent vers les autres.
« Ces gens sont venus pour t’entendre, dit Philippe.
– On ne peut pas parler ici. Allons à la synagogue. Jaïre en sera heureux. »
Jésus en tête, suivi par le cortège des autres, se rend donc à la belle synagogue de Capharnaüm ; salué par Jaïre, il y entre et ordonne que toutes les portes restent ouvertes pour que ceux qui n’arrivent pas à pénétrer puissent l’entendre de la rue et de la place voisines.
Jésus va à sa place, dans cette synagogue amie. Cette fois, heureusement, les pharisiens sont absents : peut-être sont-ils déjà partis en grande pompe pour Jérusalem. Et il commence à parler.
« En vérité, je vous dis : vous me cherchez non pas pour m’entendre ni pour les miracles que vous avez vus, mais pour ce pain que je vous ai donné à manger à satiété et sans frais. Les trois quarts d’entre vous me cherchaient pour cette raison, et par curiosité, venant de toutes parts de notre patrie. Il manque donc à votre recherche l’esprit surnaturel ; et l’esprit humain reste dominant, avec ses curiosités malsaines ou pour le moins ses imperfections infantiles, une curiosité non pas simple comme celle des petits enfants, mais diminuée comme l’intelligence d’un esprit obtus. Et à la curiosité, s’allie la sensualité et un sentiment vicié. La sensualité, subtile comme le démon dont elle est la fille, se cache derrière des apparences et des actes qui semblent bons ; le sentiment vicié, simple déviation morbide du sentiment, ressent, comme tout ce qui est “ maladie ”, le besoin et le désir des drogues et non de la simple nourriture : le bon pain, l’eau limpide, l’huile pure, le lait frais, suffisant pour vivre, et bien vivre. Le sentiment vicié veut des sensations extraordinaires pour être remué et éprouver le frisson du plaisir, ce frisson maladif des paralysés qui ont besoin de se droguer pour goûter l’illusion d’être intègres et virils. La sensualité veut satisfaire sans fatigue sa gourmandise, dans ce cas, avec du pain qui n’a pas coûté de sueurs, puisque Dieu l’a donné par bonté.
354.7 Les dons de Dieu ne sont pas l’ordinaire, ils sont l’exceptionnel. On ne peut y prétendre, ni se livrer à la paresse en disant : “ Dieu me les donnera. ” Il est écrit : “ Tu mangeras ton pain baigné par la sueur de ton front ”, c’est-à-dire le pain gagné par le travail. Si celui qui est Miséricorde a dit : “ J’ai pitié de ces foules qui me suivent depuis trois jours, n’ont plus rien à manger et pourraient défaillir en route avant d’avoir atteint Hippos sur le lac, ou Gamla, ou d’autres villes ”, et s’il a pourvu à leurs besoins, cela ne signifie pas pour autant qu’on doive le suivre pour cette raison. C’est pour bien davantage qu’un peu de pain, destiné à devenir ordure après la digestion, que l’on doit me suivre. Ce n’est pas pour la nourriture qui remplit le ventre, mais pour celle qui nourrit l’âme, car vous n’êtes pas seulement des animaux occupés à brouter, ruminer, ou fouiller avec leur groin et s’engraisser. Mais vous êtes des âmes ! C’est cela que vous êtes ! La chair, c’est le vêtement, l’être c’est l’âme, et elle seule est immortelle. La chair, comme tout vêtement, s’use et finit en poussière : elle ne mérite pas qu’on s’en occupe comme si c’était une perfection à laquelle il faut accorder tous ses soins.
Cherchez donc ce qu’il est juste de se procurer, non ce qui est superflu. Cherchez à vous procurer non la nourriture périssable, mais celle qui dure pour la vie éternelle. Celle-là, le Fils de l’homme vous la donnera toujours, quand vous la voudrez. Car le Fils de l’homme dispose de tout ce qui vient de Dieu et il peut vous le donner ; car il est Maître – et le Maître magnanime – des trésors du Père qui a imprimé sur lui son sceau pour que les yeux honnêtes ne soient pas confondus. Et si vous avez en vous la nourriture éternelle, vous pourrez accomplir les œuvres de Dieu, puisque vous serez nourris de Dieu lui-même.
354.8 – Que devons-nous faire pour accomplir les œuvres de Dieu ? Nous observons la Loi et les prophètes. Nous sommes donc déjà nourris de Dieu et nous accomplissons les œuvres de Dieu.
– C’est vrai. Vous observez la Loi, ou plutôt vous “ connaissez ” la Loi. Mais connaître n’est pas pratiquer. Nous connaissons, par exemple, les lois de Rome et pourtant un juif fidèle ne les pratique pas autrement que dans les formules qui lui sont imposées par sa condition de sujet. Pour le reste, nous ne pratiquons pas – je parle des juifs fidèles – les usages païens des Romains bien que nous les connaissions. La Loi et les prophètes que vous tous connaissez devraient en effet vous nourrir de Dieu et vous donner par conséquent la capacité d’accomplir les œuvres de Dieu. Mais pour cela, ils devraient ne faire qu’un avec vous, comme l’air que vous respirez et la nourriture que vous assimilez, qui se changent tous deux en vie et en sang. Au contraire, ils restent étrangers, tout en étant dans votre maison, comme peut l’être un objet que vous appréciez et utilisez souvent, mais qui ne vous ôterait pas la vie s’il venait à manquer. Alors que… Ah ! Essayez un peu de ne pas respirer pendant quelques minutes, essayez de rester sans nourriture pendant des jours et des jours… et vous verrez que vous ne pouvez pas vivre. C’est ce que devrait ressentir votre moi à cause de sa dénutrition et de son asphyxie de la Loi et des prophètes, puisque vous les connaissez, mais ne les assimilez pas, et qu’ils ne font pas qu’un avec vous. C’est cela que je suis venu enseigner et donner : le suc, l’air de la Loi et des prophètes, pour rendre sang et respiration à vos âmes qui meurent de faim et d’asphyxie. Vous ressemblez à des enfants qu’une maladie rend incapables de savoir ce qui peut les nourrir. Vous avez des provisions, mais vous ne savez pas qu’elles doivent être mangées pour se changer en principe vital, et qu’elles deviennent vraiment nôtres, par une fidélité pure et généreuse à la Loi du Seigneur, qui a parlé à Moïse et aux prophètes pour vous tous. C’est donc un devoir de venir à moi pour avoir l’air et le suc de la vie éternelle. Mais ce devoir présuppose en vous une foi. Car si quelqu’un n’a pas la foi, il ne peut croire à mes paroles, et s’il ne croit pas, il ne vient pas me dire : “ Donne-moi le pain véritable. ” Et s’il n’a pas le pain véritable, il ne peut accomplir les œuvres de Dieu puisque cette capacité lui manque. Par conséquent, pour être nourris de Dieu et pour accomplir ses œuvres, il est nécessaire que vous fassiez cette démarche fondamentale : croire en Celui que Dieu a envoyé.
354.9 – Mais quels miracles fais-tu donc pour qu’il nous soit possible de croire en toi comme en un envoyé de Dieu et pour qu’on puisse voir sur toi le sceau de Dieu ? Que fais-tu que les prophètes n’aient déjà fait, certes sous une forme plus modeste ? Moïse t’a même surpassé, puisque ce n’est pas une seule fois, mais pendant quarante ans qu’il a nourri nos pères d’une nourriture merveilleuse. Il est écrit que, pendant quarante années, nos pères ont mangé la manne du désert et il est dit par conséquent que Moïse leur donna à manger du pain venu du Ciel : lui, il le pouvait.
– Vous êtes dans l’erreur. Ce n’est pas Moïse, mais le Seigneur qui a pu faire cela. Et dans l’Exode on lit : “ Voici : je ferai pleuvoir du pain du ciel. Que le peuple sorte et recueille ce qui lui suffit pour chaque jour ; ainsi je me rendrai compte si le peuple marche selon ma Loi. Et le sixième jour, qu’il en ramasse le double par respect pour le septième jour, le sabbat. ” Et les Hébreux virent le désert se recouvrir chaque matin de “ quelque chose de minuscule qui ressemble à ce qui est pilé dans le mortier, et au grésil, semblable à la graine de coriandre, et au bon goût de fleur de farine mélangée à du miel. ” Ce n’est donc pas Moïse, mais le Seigneur qui a procuré la manne. C’est Dieu qui peut tout. Tout. Punir et bénir, enlever et accorder. Et moi, je vous assure qu’entre les deux, il préfère bénir et accorder plutôt que punir et enlever.
Moïse, comme il est dit dans l’Ecclésiastique, était “ cher à Dieu et aux hommes, sa mémoire était bénie, car il était rendu par Dieu semblable aux saints dans leur gloire, grand et terrible pour les ennemis, capable de susciter des prodiges et d’y mettre fin, glorieux en présence des rois, son ministre en présence du peuple. Il avait vu la gloire de Dieu et entendu la voix du Très-Haut, il était le gardien des préceptes et de la Loi de vie et de sagesse. ” C’est pourquoi Dieu, comme le dit la Sagesse, par amour pour Moïse, a nourri son peuple du pain des anges, et lui a envoyé du ciel un pain déjà fait, sans fatigue, un pain délicieux et d’une douce saveur. Et — souvenez-vous bien de ce que dit la Sagesse — puisqu’il venait du ciel, et qu’il montrait la douceur de Dieu envers ses fils, il avait pour chacun le goût que celui-ci désirait, et procurait à chacun les effets qu’il voulait, étant utile aussi bien au bébé, à l’estomac encore imparfait, qu'à l’adulte à l’appétit et à la digestion vigoureux, à la fillette délicate ou qu'au vieillard décrépit. Et même, pour montrer que ce n’était pas œuvre d’homme, il renversa les lois des éléments car ce pain mystérieux qui, au lever du soleil, fondait comme du givre, résistait au feu. Ou plutôt : le feu — c’est toujours la Sagesse qui parle — oublia sa propre nature par respect pour l’œuvre de Dieu son Créateur et pour les besoins des justes de Dieu. Ainsi, alors qu’il a l’habitude de s’enflammer pour tourmenter, ici il se fit doux pour faire du bien à ceux qui faisaient confiance au Seigneur.
C’est donc pour cela qu’en se transformant de toutes manières, il servit à la grâce du Seigneur, leur nourrice à tous, selon les besoins de celui qui priait le Père éternel, pour que ses enfants bien-aimés apprennent que ce n’est pas la reproduction des fruits qui nourrit les hommes, mais que c’est la parole du Seigneur qui conserve ceux qui croient en Dieu. En effet, le feu ne consumait pas – comme il le pouvait – la douce manne, pas même si la flamme était haute et puissante, alors que le doux soleil du matin suffisait à la faire fondre, afin que les hommes apprennent et se rappellent que les dons de Dieu doivent être recherchés dès le commencement du jour et de la vie, et que, pour les obtenir, il faut devancer la lumière et se lever pour louer l’Eternel dès la première heure du matin.
C’est cela que la manne enseignait aux Hébreux. Et moi, je vous le rappelle, car c’est un devoir qui dure et durera jusqu’à la fin des siècles. Cherchez le Seigneur et ses dons célestes, sans paresser jusqu’aux heures tardives du jour ou de la vie. Levez-vous pour le louer avant même que le soleil levant ne le fasse, et nourrissez-vous de sa parole qui consacre, préserve et conduit à la vie véritable.
Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel mais, en vérité, c’est Dieu le Père, et maintenant, en vérité, c’est mon Père qui vous donne le Pain véritable, le Pain nouveau, le Pain éternel qui descend du ciel, le Pain de miséricorde, le Pain de vie, le Pain qui donne la vie au monde, le Pain qui rassasie toute faim et libère de toute faiblesse, le Pain qui donne, à celui qui le prend, la vie éternelle et l’éternelle joie.
354.10 – Seigneur, donne-nous de ce pain et nous ne mourrons plus.
– Vous mourrez comme tout homme, mais vous ressusciterez pour la vie éternelle si vous vous nourrissez saintement de ce Pain, parce qu’il rend incorruptible celui qui le mange. Pour ce qui est de vous, il sera donné à ceux qui le demandent à mon Père avec un cœur pur, une intention droite et une sainte charité. C’est pour cela que je vous ai appris à dire : “ Donne-nous notre pain quotidien. ” Mais pour ceux qui s’en nourriront indignement, il deviendra un grouillement de vers d’enfer, comme les paniers de manne conservés contre l’ordre reçu. Et ce Pain de salut et de vie deviendra, pour eux, mort et condamnation. Car le plus grand sacrilège sera commis par ceux qui mettront ce Pain sur une table spirituelle corrompue et fétide, et le profaneront en le mêlant à la sentine de leurs inguérissables passions. Mieux vaudrait pour eux ne l’avoir jamais pris !
354.11 – Mais où est ce Pain ? Comment le trouve-t-on ? Quel nom a-t-il ?
– Moi, je suis le Pain de vie. C’est en moi qu’on le trouve. Son nom est Jésus. Qui vient à moi n’aura plus jamais faim, et qui croit en moi n’aura plus jamais soif, car les fleuves célestes se déverseront en lui, éteignant toute ardeur matérielle. Je vous l’ai dit, désormais. Vous me connaissez à présent, et pourtant vous ne croyez pas. Vous ne pouvez croire que tout est en moi. Et pourtant, c’est ainsi. C’est en moi que se trouvent tous les trésors de Dieu. C’est à moi qu’est donné tout ce qui appartient à la terre, de sorte que les Cieux glorieux et la terre militante sont réunis en moi. Même, elle est en moi, la foule de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu et attendent en souffrant, car tout pouvoir est en moi et pour moi. Et je vous le dis : tout ce que le Père me donne viendra à moi. Et je ne chasserai pas celui qui vient à moi car je suis descendu du Ciel pour faire, non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or voici la volonté de mon Père, du Père qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. La volonté du Père qui m’a envoyé est que quiconque connaît le Fils et croit en lui ait la vie éternelle et que je puisse le ressusciter au Dernier Jour, en le voyant nourri de la foi en moi et marqué de mon sceau. »
354.12 Ce discours nouveau et hardi du Maître suscite tout un bourdonnement dans la synagogue et au-dehors. Et lui, après avoir repris haleine un instant, tourne ses yeux étincelants de ravissement là où l’on murmure davantage – or ce sont précisément les groupes où il y a des juifs. Il reprend :
« Pourquoi marmonner entre vous ? Oui, je suis le fils de Marie de Nazareth, fille de Joachim de la race de David, vierge consacrée au Temple, puis épousée par Joseph, fils de Jacob, de la race de David. Beaucoup d’entre vous ont connu les justes qui donnèrent la vie à Joseph, menuisier de race royale, et à Marie, vierge héritière de souche royale. Cela vous fait dire : “ Comment celui-ci peut-il se dire descendu du Ciel ? ” et le doute naît en vous.
Je vous rappelle ce qu’annoncent les prophètes sur l’incarnation du Verbe. Et je vous rappelle comment, plus pour nous israélites que pour tout autre peuple, nous croyons que Celui que nous n’osons pas nommer ne peut pas se donner une chair selon les lois humaines, qui plus est selon les lois d’une humanité déchue. Si le Très Pur, l’Incréé, s’est humilié jusqu’à se faire homme par amour pour l’homme, il ne pouvait choisir qu’un sein de Vierge plus pur que les lys pour revêtir de chair sa divinité.
Le Pain descendu du ciel au temps de Moïse a été placé dans l’arche d’or, recouverte du propitiatoire, veillée par les chérubins, derrière les voiles du Tabernacle. Et avec le Pain était la Parole de Dieu. Et il était juste qu’il en fût ainsi, parce que les dons de Dieu et les tables de sa très sainte Parole doivent être traités avec le plus grand respect. Mais alors qu’est-ce que Dieu aura préparé pour sa propre Parole et pour le Pain véritable descendu du Ciel ? Une arche plus inviolée et plus précieuse que l’arche d’or, couverte du précieux propitiatoire de sa pure volonté d’immolation, veillée par les chérubins de Dieu, voilée d’une candeur virginale, d’une parfaite humilité, d’une sublime charité et de toutes les vertus les plus saintes.
Alors ? Ne comprenez-vous pas encore que ma paternité est au Ciel et donc que c’est de là que je viens ? Oui, je suis descendu du Ciel pour accomplir le décret de mon Père, le décret de salut des hommes selon ce qui a été promis au moment même de la condamnation et répété aux patriarches et aux prophètes.
Mais cela, c’est la foi. Or la foi est donnée par Dieu à ceux qui ont une âme de bonne volonté. Aussi personne ne peut venir à moi s’il n’est pas conduit à moi par mon Père, qui le voit dans les ténèbres, mais avec un vrai désir de la lumière. Il est écrit dans les Prophètes : “ Ils seront tous instruits par Dieu. ” Voilà, c’est dit. C’est Dieu qui leur apprend où ils doivent aller pour être instruits par Dieu. Donc tout homme qui, au fond de son âme droite, a entendu Dieu parler, a appris de mon Père à venir vers moi.
– Et qui veux-tu qui ait entendu Dieu, ou vu sa Face ? » demandent plusieurs qui commencent à montrer des signes d’irritation et de scandale. Et ils finissent par dire :
« Tu délires ou tu es un illuminé.
– Personne n’a vu Dieu, excepté celui qui est de Dieu. Celui-là a vu le Père et c’est moi.
354.13 Et maintenant écoutez le “ Credo ” de la vie future sans lequel on ne peut se sauver.
En vérité, en vérité je vous dis que celui qui croit en moi a la vie éternelle. En vérité, en vérité je vous dis que je suis le Pain de la vie éternelle.
Dans le désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts, car la manne était une nourriture sainte mais temporelle, et elle donnait la vie pour autant qu’il était nécessaire d’arriver à la Terre, promise par Dieu à son peuple. Mais la Manne que je suis n’aura pas de limites de temps ni de puissance. Non seulement elle est céleste, mais elle est divine, et elle produit ce qui est divin : l’incorruptibilité, l’immortalité de ce que Dieu a créé à son image et à sa ressemblance. Elle ne durera pas quarante jours, quarante mois, quarante ans, quarante siècles. Mais elle durera aussi longtemps que le temps, et elle sera donnée à tous ceux qui ont pour elle une faim sainte et agréable au Seigneur, qui se réjouira de se donner sans mesure aux hommes pour lesquels il s’est incarné afin qu’ils aient la Vie qui ne meurt pas.
Moi, je peux me donner, je peux me transsubstantier par amour pour les hommes, de sorte que le pain devienne Chair et que la Chair devienne pain, pour la faim spirituelle des hommes qui, sans cette nourriture, mourraient de faim et de maladies spirituelles. Mais si quelqu’un mange de ce Pain avec justice, il vivra éternellement. Le Pain que je donnerai, ce sera ma Chair immolée pour la vie du monde ; ce sera mon amour répandu dans les maisons de Dieu pour que viennent à la table du Seigneur ceux qui sont aimants ou malheureux et qu’ils trouvent un réconfort pour leur besoin de se fondre en Dieu et un soulagement pour leurs peines.
354.14 – Mais comment peux-tu nous donner ta chair à manger ? Pour qui nous prends-tu ? Pour des fauves sanguinaires ? Pour des sauvages ? Pour des homicides ? Le sang et le crime nous répugnent.
– En vérité, en vérité je vous dis que bien des fois l’homme est pire qu’un fauve et que le péché rend plus que sauvage, que l’orgueil donne une soif homicide, et que ce n’est pas à tous ceux qui sont ici présents que répugneront le sang et le crime. A l’avenir aussi, l’homme restera le même parce que Satan, la sensualité et l’orgueil en font une bête féroce. Et c’est pour satisfaire un besoin plus grand que jamais que vous devez et que l’homme devra se guérir lui-même des germes terribles par l’infusion du Saint. En vérité, en vérité je vous dis que si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la Vie. Celui qui mange dignement ma chair et qui boit mon sang possède la vie éternelle et je le ressusciterai au Dernier Jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang un breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Comme le Père vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra par moi et ira là où je l’envoie. Il fera ce que je veux, il vivra avec austérité comme homme, il sera ardent comme un séraphin et il sera saint, car pour pouvoir se nourrir de ma chair et de mon sang, il s’interdira les fautes et il vivra en s’élevant pour finir son ascension aux pieds de l’Eternel.
– Mais cet homme est fou ! Qui peut vivre de cette façon ? Dans notre religion, il n’y a que le prêtre qui doive se purifier pour offrir la victime. Lui, ici, il veut faire de nous autant de victimes de sa folie. Cette doctrine est trop pénible et ce langage trop dur ! Qui peut l’écouter et le pratiquer ? » murmure-t-on dans l’assistance, dont plusieurs sont des disciples réputés tels.
354.15 Les gens se dispersent en commentant, et les rangs des disciples paraissent très réduits quand le Maître et les plus fidèles restent seuls dans la synagogue. Je ne les compte pas, mais je pense qu’on arrive à peu près à une centaine. Il doit donc y avoir eu une forte défection même dans les rangs des anciens disciples depuis longtemps au service de Dieu.
Parmi ceux qui sont restés, il y a les apôtres, le prêtre Jean et le scribe Jean, Etienne, Hermas, Timon, Hermastée, Agape, Joseph, Salomon, Abel de Bethléem de Galilée, et Abel l’ancien lépreux de Chorazeïn avec son ami Samuel, Elie (celui qui renonça à ensevelir son père pour suivre Jésus), Philippe d’Arbel, Aser et Ismaël de Nazareth, ainsi que d’autres dont je ne connais pas le nom. Tous ceux-là parlent doucement en commentant la défection des autres et les paroles de Jésus, qui reste pensif, les bras croisés, appuyé à un haut pupitre.
« Vous êtes scandalisés par mes paroles ? Et si je vous disais que vous verrez un jour le Fils de l’homme monter au Ciel, où il était auparavant, et s’asseoir à côté du Père ? Et qu’avez-vous compris, assimilé, cru, jusqu’à présent ? Et avec quoi avez-vous écouté et saisi ? Seulement avec ce qui est tout humain ? C’est l’esprit qui vivifie et a de la valeur. La chair n’a rien à y voir. Mes paroles sont esprit et vie, et c’est spirituellement qu’il faut les écouter et les comprendre pour y puiser la vie. Mais il y en a beaucoup parmi vous dont l’esprit est mort parce qu’il est sans foi. Beaucoup d’entre vous ne croient pas vraiment, et c’est inutilement qu’ils restent près de moi. Ils n’y trouveront pas la Vie, mais la Mort. Car ils restent, comme je l’ai déjà dit, par curiosité ou par affection humaine, ou pire, dans une intention encore plus indigne. Ils n’ont pas été amenés ici par le Père en récompense de leur bonne volonté, mais par Satan. Personne, en vérité, ne peut venir à moi, si cela ne lui est pas accordé par mon Père. Partez vous aussi, vous qui restez difficilement parce que vous avez honte, humainement, de m’abandonner, mais qui avez encore plus honte de rester au service d’un homme qui vous semble “ fou et dur ”. Partez. Il vaut mieux que vous soyez loin pour nuire. »
Plusieurs autres disciples se retirent alors, parmi lesquels le scribe Jean et Marc, le Gérasénien possédé, guéri par Jésus qui envoya les démons dans les porcs. Les bons disciples se consultent et courent derrière ceux qui ont abandonné, en essayant de les arrêter.
354.16 Il reste maintenant dans la synagogue Jésus, le chef de la synagogue, et les apôtres…
Jésus se tourne vers les Douze, désolés, regroupés dans un coin :
« Voulez-vous vous en aller, vous aussi ? »
Il dit cela sans amertume, sans tristesse, mais avec beaucoup de sérieux. Dans un élan douloureux, Pierre lui dit :
« Seigneur, où veux-tu que nous allions ? Vers qui ? Tu es notre vie et notre amour. Toi seul as les paroles de la vie éternelle. Nous savons que tu es le Christ, le Fils de Dieu. Si tu veux, chasse-nous. Mais, pour notre part, nous ne te quitterons pas, pas même… pas même si tu ne nous aimais plus… »
Pierre pleure sans bruit, avec de grosses larmes, André aussi. Jean et les deux fils d’Alphée pleurent ouvertement ; les autres, pâles ou rouges par suite de l’émotion, ne pleurent pas, mais souffrent visiblement.
« Pourquoi devrais-je vous chasser ? N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, tous les douze ? »
Prudemment, Jaïre s’est retiré pour laisser Jésus libre de réconforter ou de réprimander ses apôtres. Jésus, qui remarque sa retraite silencieuse, s’assied d’un air accablé, comme si la révélation qu’il fait lui coûtait un effort supérieur à ses moyens, épuisé comme il l’est, dégoûté, endolori. Puis il dit :
« Et pourtant, l’un de vous est un démon. »
La parole tombe lentement, effrayante, dans la synagogue où il n’y a que la lumière des nombreuses lampes qui soit joyeuse… et personne n’ose rien dire. Mais ils se regardent les uns les autres avec un frisson de peur, en se posant une question angoissée et, par une réponse encore plus angoissée et intime, chacun s’examine lui-même…
Personne ne bouge pendant un moment. Jésus reste seul sur son siège, les mains croisées sur les genoux, la tête basse. Il la relève enfin et dit :
« Venez. Je ne suis tout de même pas un lépreux ! Ou bien me croyez-vous tel ? »
Alors Jean s’avance rapidement et lui passe les bras autour du cou en disant :
« Dans ce cas, j’ai la lèpre avec toi, mon seul amour. Avec toi dans la condamnation. Avec toi dans la mort, si tu crois que c’est cela qui t’attend… »
Et Pierre rampe à ses pieds, il les lui prend et les pose sur ses épaules en sanglotant :
« Presse-moi, foule-moi aux pieds ! Mais ne me laisse pas penser que tu te méfies de ton Simon. »
Voyant que Jésus caresse les deux premiers, les autres s’avancent et lui donnent des baisers sur ses vêtements, sur ses mains, sur ses cheveux… Seul Judas ose lui embrasser le visage.
Jésus se lève tout à coup et semble le repousser brusquement tant son mouvement est imprévu, et il dit :
« Allons à la maison. Demain soir, à la nuit, nous partirons en barque pour Hippos. »