Une initative de
Marie de Nazareth

Le séphorim Samuel devient disciple

samedi 26 janvier 30
Goféna

Vision de Maria Valtorta

       561.1 Jésus est seul et encore dans la caverne. Un feu brille pour donner lumière et chaleur, et il se dégage une forte odeur de résine et de fagot dans l’antre, au milieu des crépitements et des étincelles. Jésus s’est retiré au fond, dans une crevasse où l’on a jeté des branches sèches, et il y reste en méditation. La flamme ondoie de temps à autre, baisse ou se ravive successivement au gré des bourrasques qui courent à travers les bois, pénètrent en hurlant à l’intérieur de la caverne et la font résonner comme un buccin. Ce n’est pas un vent continu. Il tombe, puis se relève comme les flots de la mer par temps de grande marée. Quand il souffle fort, la cendre et les feuilles sèches sont poussées vers l’étroit couloir rocheux par lequel Jésus est entré dans la plus grande grotte, et la flamme ploie jusqu’à lécher le sol de ce côté ; puis, une fois le coup de vent tombé, elle se redresse, frétille et recommence à flamber toute droite. Jésus ne s’en occupe pas. Il médite.

       Peu à peu, au mugissement du vent s’unit le bruit de la pluie qui, d’abord légère, puis drue, frappe les feuillages des fourrés. Un véritable ouragan a vite fait de changer les sentiers en petits torrents grondants. Et c’est maintenant le battement de l’eau qui domine, car le vent tombe peu à peu. La lumière très relative d’un crépuscule orageux, et celle du feu qui, faute d’être alimenté, rougit mais ne flambe plus, éclaire à peine la caverne. L’obscurité est déjà complète dans les coins. Vêtu de sombre, Jésus n’est plus visible. Son visage est penché sur ses genoux qu’il tient relevés, et c’est à peine, quand il le relève, si on voit une blancheur se détacher sur la paroi obscure.

       561.2 Un bruit de pas et des mots haletants comme d’une personne épuisée résonnent hors de la grotte, sur le sentier, puis une ombre obscure d’où l’eau dégoutte de tous côtés se profile dans le vide de l’entrée.

       L’homme — car c’est un homme à la barbe touffue et noire — pousse un “ ah ! ” de soulagement et jette à terre son couvre-chef détrempé par l’eau, secoue son manteau et monologue :

       « Hum ! Tu as beau le secouer, Samuel, il semble être tombé dans la cuve d’un foulon ! Et tes sandales ? De vraies barques ! Des barques au fond du fleuve ! Je suis trempé jusqu’aux os ! Regarde ici ces ruisseaux qui tombent des cheveux ! On dirait une gouttière rompue qui laisse passer l’eau par mille trous. Ça commence bien ! A-t-il peut-être Belzébuth pour le défendre ? Ouais ! La mise est belle… mais… »

       Il se laisse tomber sur une pierre près du feu. Il n’y a plus de flammes, mais des tisons rouges qui forment des dessins étranges, dernière trace de vie du bois consumé. Il essaie de les raviver en soufflant dessus. Il enlève ses sandales et cherche à essuyer ses pieds boueux avec un pan du manteau moins trempé que le reste. Mais c’est avec de l’eau qu’il s’essuie. Le mal qu’il se donne ne sert qu’à enlever la boue de ses pieds pour la mettre sur le manteau.

       Il continue à parler tout seul :

       « Maudits soient-ils, lui, et tous les autres ! J’ai même perdu ma bourse, c’est sûr ! C’est déjà bien que je n’aie pas perdu la vie… “ C’est le chemin le plus sûr ”? m’ont-ils affirmé. Oui, mais ce ne sont pas eux qui l’ont pris ! Si je ne voyais pas cette flamme ! Qui a pu l’allumer ? Quelque malheureux comme moi. Où peut-il être maintenant ? Là, il y a un trou… Probablement une autre grotte… N’y aurait-il pas des voleurs ? Après tout… quel sot je fais ! Que pourraient-ils me prendre, puisque je n’ai pas le moindre sou ? Mais peu importe. Ce feu est plus qu’un trésor. Si je pouvais avoir quelques branches pour le raviver ! Je me déshabillerais, je sécherais mes vêtements ! Or je n’ai que ce vêtement jusqu’à mon retour !…

       561.3 – Si tu veux des branches, mon ami, il y en a ici » dit Jésus sans quitter sa place.

       L’homme, qui tournait le dos à Jésus, sursaute en entendant cette voix inattendue, et il bondit sur ses pieds en se retournant. Il paraît effrayé.

       « Qui es-tu ? demande-t-il en écarquillant les yeux pour essayer d’y voir quelque chose.

       – Un voyageur comme toi. C’est moi qui ai allumé le feu, et je suis content qu’il t’ait servi pour te diriger. »

       Jésus s’avance avec une brassée de bois et la jette près du feu en ordonnant :

       « Ranime la flamme avant que la cendre ne recouvre tout. Je n’ai pas d’amadou ni d’allume-feu, car celui qui me l’a prêté est parti après le coucher du soleil. »

       Jésus parle amicalement, mais il ne s’avance pas pour que le feu l’éclaire. Au contraire, il retourne dans son coin en restant plus que jamais enveloppé dans son manteau.

       561.4 L’homme, pendant ce temps, se penche pour souffler fort sur des feuilles qu’il a jetées sur le feu et reste ainsi occupé jusqu’à ce que la flamme jaillisse. Il rit en jetant des branches de plus en plus grosses qui ravivent le brasier. Jésus, retourné s’asseoir à sa place, l’observe.

       « Je devrais maintenant me déshabiller pour faire sécher mes vêtements. Je préfère rester nu qu’ainsi trempé. Mais je n’y arrive pas. Il y a eu un glissement de terrain, et je me suis trouvé enseveli sous un éboulis de terre et d’eau. Ah ! me voilà frais ! Regarde ! J’ai déchiré mon vêtement. Maudit voyage! Si encore j’avais transgressé le sabbat ! Mais non, je me suis arrêté jusqu’au coucher du soleil. Après… Et maintenant comment vais-je faire ? Pour me sauver, j’ai laissé tomber ma bourse, et maintenant elle sera dans la vallée, ou accrochée à quelque buisson qui sait où…

       – Voici mon vêtement. Il est sec et chaud. Mon manteau me suffit. Prends-le. Je suis en bonne santé, ne crains rien.

       – Et bon. Tu es un bon ami. Comment te remercier ?

       – En m’aimant comme un frère.

       – En t’aimant comme un frère ! Tu ne sais même pas qui je suis ! Et si j’étais mauvais, voudrais-tu de mon amour ?

       – Je le voudrais pour te rendre bon. »

       L’homme, qui est jeune, à peu près de l’âge de Jésus, baisse la tête et réfléchit. Il a le vêtement de Jésus dans les mains, mais il ne le voit pas. Il pense, et machinalement il se le passe sur la peau nue, car il s’est déshabillé même de ses sous-vêtements.

       561.5 Jésus, qui était revenu dans son coin, lui demande :

       « Depuis quand n’as-tu pas mangé ?

       – Depuis sexte. J’aurais dû dîner en arrivant dans le village, dans la vallée. Mais je me suis égaré et j’ai perdu ma bourse et mon argent.

       – Voici. J’ai encore ici des restes de nourriture. Ils devaient me servir pour demain, mais prends-les. A moi, le jeûne ne me pèse pas.

       – Mais… si tu dois marcher, tu auras besoin de forces…

       – Oh ! je ne vais pas loin : à Ephraïm seulement…

       – A Ephraïm ? Tu es Samaritain ?

       – Cela t’indispose ? Je ne suis pas Samaritain.

       – Effectivement… tu as l’accent de Galilée. Qui es-tu ? Pourquoi ne découvres-tu pas ton visage ? Tu dois te cacher parce que tu es coupable ? Je ne te dénoncerai pas.

       – Je suis un voyageur, je te l’ai déjà dit. Mon nom ne te dirait rien, ou te dirait trop. Du reste, qu’est-ce que le nom, quand je t’offre un vêtement pour tes membres glacés, du pain pour ta faim, et surtout ma pitié pour ton cœur ? As-tu besoin de connaître mon nom pour te sentir revigoré par les vêtements secs, la nourriture et l’affection ? Mais si tu veux m’en donner un, appelle-moi “ Pitié ”. Je n’ai rien de honteux qui m’oblige à me cacher. Mais ce n’est pas pour cette raison que tu ne me dénoncerais pas. Car tu as en ton cœur un dessein qui n’est pas bon, et une mauvaise pensée engendre de mauvaises actions. »

       L’homme sursaute et s’approche de Jésus. Mais il ne voit de lui que les yeux, et même ceux-ci sont voilés par les paupières baissées.

       « Mange, mange, mon ami. Il n’y a rien d’autre à faire. »

       561.6 Tandis que Jésus reste pelotonné dans son coin, l’homme revient auprès du feu, et se restaure lentement, sans parler. Il est pensif. La chaleur du feu, le pain et la viande rôtie que Jésus lui a donnés, le mettent en train. Il se lève, s’étire, tend le cordon qui lui servait de ceinture, d’un éclat de roche à un piton rouillé fixé là qui sait par qui et depuis quand, et il étend dessus son vêtement, son manteau, son couvre-chef pour les faire sécher. Il secoue ses sandales et les présente à la flamme qu’il alimente généreusement.

       Jésus semble sommeiller. L’homme s’assied à son tour et réfléchit, puis il se retourne pour dévisager l’inconnu. Il demande :

       « Tu dors ? »

       Jésus répond :

       « Non. Je réfléchis et je prie.

       – Pour qui ?

       – Pour tous les malheureux, de toutes sortes. Il y en a tant !

       – Tu es un pénitent ?

       – Oui. La terre a grand besoin de pénitence pour donner aux faibles qui l’habitent la force de repousser Satan.

       – Tu as raison. Tu parles comme un rabbi. Et je m’y connais car je suis séphorim. Je suis avec le rabbi Jonathas ben Uziel, son plus cher disciple. Et maintenant, si le Très-Haut m’assiste, je lui deviendrai encore plus cher. Mon nom sera exalté par tout Israël. »

       Jésus ne répond rien.

       561.7 Après un un certain temps, l’homme se lève et vient s’asseoir à côté de Jésus. Tout en lissant ses cheveux de la main — ils sont presque secs — et en remettant sa barbe en forme, il dit :

       « Ecoute. Tu as indiqué que tu allais à Ephraïm. Mais y vas-tu par hasard ou y résides-tu ?

       – J’habite à Ephraïm.

       – Mais tu n’es pas samaritain, as-tu dit !

       – Je le répète : je ne suis pas samaritain.

       – Mais qui peut habiter là? si ce n’est… Ecoute : on assure que c’est à Ephraïm que s’est réfugié le Rabbi de Nazareth, le proscrit, le maudit. Est-ce vrai ?

       – C’est vrai. Jésus, le Christ du Seigneur, s’y trouve.

       – Ce n’est pas le Christ du Seigneur ! C’est un menteur ! C’est un blasphémateur ! Un démon ! C’est la cause de tous nos malheurs. Et personne ne se dresse pour l’abattre afin de venger tout un peuple ! s’écrie-t-il avec une violence fanatique.

       – T’a-t-il donc fait du mal pour que tu en parles avec de tels accents de haine ?

       – Pas à moi, non. C’est à peine si je l’ai aperçu une fois lors de la fête des Tentes, et dans un tel tumulte que j’aurais du mal à le reconnaître. Car, si je suis disciple du grand rabbi Jonathas ben Uziel, c’est depuis peu que je suis définitivement au Temple. Auparavant… cela m’était impossible pour plusieurs raisons, et c’est seulement quand le rabbi était chez lui que j’étais à ses pieds pour boire ses paroles de justice et son enseignement. Mais toi… tu m’as demandé si je le détestais, et j’ai senti un reproche caché dans tes paroles. Tu es peut-être un partisan du Nazaréen ?

       – Non, je ne le suis pas. Mais quiconque est juste condamne la haine.

       – La haine est sainte quand elle est dirigée contre un ennemi de Dieu et de la patrie. Le Rabbi nazaréen en est un, et il est saint de le combattre, de le haïr.

       – Combattre l’homme, ou l’idée qu’il représente et la doctrine qu’il proclame ?

       – Tout ! Tout ! On ne peut combattre une théorie si on épargne son auteur. C’est en l’homme que se trouvent sa doctrine et sa pensée. Il faut tout détruire, sans quoi cela ne sert à rien. Quand on embrasse une idée, on embrasse l’homme qui la représente et en même temps sa doctrine. Je le sais, car j’en fais l’expérience avec mon maître : ses idées sont les miennes, ses désirs une loi pour moi.

       – En effet, un bon disciple agit ainsi. Il faut cependant savoir discerner si le maître est bon, et ne suivre qu’un bon maître. Car il n’est pas permis de perdre sa propre âme pour l’amour d’un homme.

       – Jonathas ben Uziel est bon.

       – Non, il ne l’est pas.

       – Que dis-tu là ? C’est à moi que tu parles ? Alors que nous sommes seuls ici et que je pourrais te tuer pour venger mon maître ? Je suis fort, tu sais ?

       – Je n’ai pas peur. Je ne crains pas la violence. Pourtant, même si tu me frappes, je ne réagirai pas.

       561.8 – Ah ! j’ai compris ! Tu es un disciple du Rabbi, un “ apôtre ”. C’est ainsi qu’il appelle ses disciples les plus fidèles, et tu vas le rejoindre. Peut-être que celui qui était avec toi était l’un de tes semblables. Et tu attends quelqu’un comme toi.

       – J’attends quelqu’un. Oui.

       – Le Rabbi peut-être ?

       – Il n’est pas nécessaire que je l’attende. Il n’a pas besoin de ma parole pour être guéri de son mal. Il n’a pas l’âme malade, pas plus que le corps. J’attends une pauvre âme empoisonnée, délirante, pour la guérir.

       – Tu es un apôtre ! On sait qu’il les envoie évangéliser, car il a peur d’y aller lui-même depuis qu’il a été condamné par le Sanhédrin. C’est pour cela que tu connais sa doctrine ! Ne pas réagir contre celui qui offense, c’est l’un de ses enseignements.

       – C’est l’un de ses enseignements, car lui, il enseigne l’amour, le pardon, la justice, la douceur. Il aime ses ennemis comme ses amis, parce qu’il voit tout en Dieu.

       – Oh ! s’il me rencontrait, ou plutôt si, comme je l’espère, je le rencontre, je ne crois pas qu’il m’aimera. Ce serait un sot ! Mais je ne puis parler avec toi, son apôtre. Et je regrette d’avoir tenu ces propos, il y a un instant. Tu vas les lui rapporter.

       – Cela n’est pas nécessaire. Mais en vérité, je t’assure qu’il t’aimera, et même qu’il t’aime déjà, bien que tu te rendes à Ephraïm pour l’entraîner dans un piège et le livrer au Sanhédrin, qui a promis une grande récompense à celui qui le fera.

       – Tu es… prophète ou bien tu as l’esprit de python ? Il t’a communiqué sa puissance ? Tu es donc un maudit, toi aussi ? Et moi, j’ai accepté ton pain, ton vêtement, tu as été pour moi un ami ! Il est écrit : “ Tu ne lèveras pas la main contre celui qui t’a fait du bien. ” Or c’est ce que tu as fait ! Pourquoi, si tu savais que moi… Peut-être pour m’empêcher d’agir ? Mais si je t’épargne toi, parce que tu m’as donné le pain et le sel, le feu et le vêtement, et que je manquerais à la justice en te faisant tort, je n’épargnerai pas ton Rabbi, car lui, je ne le connais pas, et il ne m’a pas fait du bien, mais du mal.

       – Ah ! malheureux ! Tu ne te rends pas compte que tu délires ? Comment quelqu’un que tu ne connais pas peut-il t’avoir fait du mal ? Comment peux-tu respecter le sabbat, si tu ne respectes pas le précepte de ne pas tuer ?…

       – Je ne tue pas.

       – Physiquement, non. Mais il n’y a pas de différence entre celui qui tue et celui qui remet la victime aux mains du tueur. Tu respectes la parole d’un homme qui dit de ne pas nuire à celui qui t’a fait du bien, et ensuite tu ne respectes pas celle de Dieu ! Et, au moyen d’un piège et pour une poignée d’argent, pour un peu d’honneurs — honneurs pourris d’avoir su livrer un innocent —, tu te prépares à commettre un crime !

       – Je n’agis pas seulement pour l’argent et pour les honneurs, mais pour faire un acte agréable à Jéovêh et salutaire pour notre patrie. 561.9 Je répète le geste de Yaël et de Judith. »

       Il est plus fanatique que jamais.

       « Sisera et Holopherne étaient des ennemis de notre patrie. Ils étaient des envahisseurs, ils étaient cruels. Mais qu’est le Rabbi de Nazareth ? Qu’est-ce qu’il envahit ? Qu’est-ce qu’il usurpe ? Il est pauvre et ne veut pas de richesses. Il est humble, et ne veut pas d’honneurs. Il se montre bon avec tous. Des milliers de personnes ont reçu ses bienfaits. Pourquoi le haïssez-vous ? Et toi, pourquoi le hais-tu ? Il ne t’est pas permis de nuire à ton prochain. Tu sers le Sanhédrin, mais qui te jugera dans l’autre vie : le Sanhédrin ou Dieu ? Et comment te jugera-t-il ? Je ne dis pas : comment te jugera-t-il parce que tu auras tué le Christ ; mais : comment te jugera-t-il parce que tu auras tué un innocent. Tu ne crois pas que le Rabbi de Nazareth soit le Christ, c’est pourquoi ce crime ne te sera pas imputé. Dieu est juste, et il ne compte pas comme faute un acte accompli sans une complète connaissance. Il ne te jugera donc pas pour avoir tué le Christ puisque, à tes yeux, Jésus de Nazareth ne l’est pas. Mais il t’accusera d’avoir assassiné un innocent, car tu sais qu’il est innocent. Ils t’ont empoisonné, enivré par leurs paroles de haine, mais tu ne l’es pas au point de ne pas comprendre qu’il est innocent. Ses œuvres parlent en sa faveur. Votre peur — moins celle des disciples que celle des maîtres — redoute et voit des choses qui n’existent pas. La peur de ceux qui craignent d’être supplantés par lui. Ne craignez pas. Jésus vous ouvre les bras pour vous appeler : “ Frères ” ! Il n’envoie pas contre vous des troupes. Il ne vous maudit pas. Il voudrait seulement vous sauver, vous les grands et les disciples des grands, comme il veut sauver le dernier homme d’Israël ; vous, plus que le plus petit d’Israël, plus que l’enfant qui ignore encore ce que sont la haine et l’amour : vous en avez besoin plus que les ignorants et les enfants, parce que vous savez quelle est la réalité, et vous péchez en connaissance de cause. Si tu dépouilles ta conscience d’homme des idées qu’on y a déposées, si tu la purifies des poisons qui la font délirer, peut-elle avancer que le Christ est coupable ? Reconnais-le ! Sois sincère : l’as-tu vu un jour manquer à la Loi, ou conseiller d’y manquer ? L’as-tu vu être bagarreur, avide, luxurieux, calomniateur, dur de cœur ? Parle ! L’as-tu vu irrespectueux envers le Sanhédrin ? Il vit comme un proscrit, pour obéir au verdict du Sanhédrin. Il pourrait lancer un appel, et toute la Palestine le suivrait pour marcher contre le petit nombre de ceux qui le haïssent. Mais lui, au contraire, conseille à ses disciples la paix et le pardon. Puisqu’il est capable de rendre la vie aux morts, la vue aux aveugles, le mouvement aux paralytiques, l’ouïe aux sourds, la délivrance aux possédés — car ni le Ciel ni l’Enfer ne sont insensibles à ses volontés —, il pourrait vous foudroyer de ses foudres divines et se débarrasser ainsi de ses ennemis. Au lieu de cela, il prie pour vous et guérit vos familles, vous guérit le cœur, vous donne le pain, le vêtement, le feu. 561.10 Car c’est moi : je suis Jésus de Nazareth, le Christ, celui que tu cherches pour obtenir la somme promise à celui qui le livrera au Sanhédrin et les honneurs du libérateur d’Israël. Je suis Jésus de Nazareth, le Christ. Me voici. Prends-moi donc. Comme Maître et comme Fils de Dieu, je te libère de l’obligation et du péché de lever ou d’avoir levé la main sur celui qui t’a fait du bien. »

       Jésus s’est levé en dégageant la tête de son manteau, et il tend les mains comme pour qu’on se saisisse de lui et qu’on le lie. Mais, grand comme il est — et il paraît encore plus élancé avec son seul sous-vêtement court et presque étriqué, avec son manteau foncé qui pend de ses épaules, le torse bien droit, les yeux fixés sur le visage de son persécuteur, dans le reflet mobile des flammes qui allument des points lumineux sur ses cheveux flottants et font briller ses larges pupilles dans le cercle bleu saphir des iris — si majestueux, franc, sans peur, il impose plus de respect que s’il était entouré d’une armée chargée de le défendre.

       L’homme est comme fasciné… paralysé par l’étonnement. C’est seulement après un moment qu’il arrive à murmurer : “ Toi ! Toi ! Toi ! ” Il semble ne pas savoir dire autre chose.

       Jésus insiste :

       « Prends-moi donc ! Enlève ce cordon inutile, tendu pour soutenir un vêtement sale et déchiré, et lie mes mains. Je te suivrai comme un agneau suit le boucher, et je ne te haïrai pas si tu me conduis à la mort. Je te l’ai dit. C’est la fin qui justifie l’acte et en change la nature. A tes yeux, je fais la ruine d’Israël et tu crois sauver ta patrie en me tuant. Pour toi, je suis coupable de tous les crimes, par conséquent tu sers la justice en supprimant un malfaiteur. Tu n’es donc pas plus coupable que le bourreau qui exécute un ordre qu’il a reçu. Veux-tu m’immoler ici, sur place ? A mes pieds, se trouve le couteau avec lequel j’ai découpé la nourriture. Prends-le. La lame, qui a servi à l’amour pour mon prochain, peut se changer en couteau de sacrificateur. Ma chair n’est pas plus dure que la viande d’agneau rôti que mon ami m’avait laissée pour ma faim et que je t’ai donnée pour te nourrir, toi, mon ennemi. Mais tu crains les patrouilles romaines. Elles arrêtent ceux qui tuent un innocent et elles ne nous laissent pas rendre la justice, car nous sommes les sujets et eux les maîtres. Aussi n’oses-tu pas me tuer, puis repartir vers ceux qui t’envoient portant sur les épaules l’Agneau égorgé comme une marchandise qui sert à gagner de l’argent. Eh bien, laisse ici mon cadavre, et cours avertir tes maîtres — car tu n’es pas un disciple, mais un esclave, tant tu as renoncé à cette souveraine liberté de pensée et de volonté que Dieu lui-même laisse aux hommes. Et tu sers servilement tes maîtres, jusqu’à commettre un crime. Mais tu n’es pas coupable. Tu es “ empoisonné ”. Tu es l’âme empoisonnée que j’attendais. Allons donc ! La nuit et l’endroit favorisent le crime. Je m’exprime mal : la rédemption d’Israël ! 561.11 Mon pauvre enfant ! Tu prononces sans le savoir des paroles prophétiques ! Ma mort sera vraiment rédemption, et non seulement d’Israël, mais de toute l’humanité. Je suis venu pour être immolé. Je brûle de l’être pour être le Sauveur, et le Sauveur de tous. Toi qui es séphorim du docte Jonathas ben Uziel, tu connais certainement Isaïe. Voici : l’Homme des douleurs se tient devant toi. Et si je ne semble pas l’être, si je ne semble pas être celui que même David a vu, avec les os à nu et disloqués, si je ne suis pas comme le lépreux annoncé par Isaïe, c’est parce que vous ne voyez pas mon cœur. Je ne suis qu’une plaie. Le manque d’amour, la haine, la dureté, votre injustice m’ont blessé et meurtri de toutes parts. Est-ce que je ne dissimulais pas mon visage lorsque tu me méprisais à cause de ce que je suis réellement : le Verbe de Dieu, le Christ ? Mais je suis habitué à la souffrance ! Et ne me jugez-vous pas comme un homme frappé par Dieu ? Est-ce que je ne me sacrifie pas parce que je le veux, pour vous guérir ?

       561.12 Allons ! Frappe ! Regarde : je ne suis pas effrayé, et tu ne dois pas avoir peur non plus. Pour ma part, c’est que je suis l’Innocent et que je ne crains pas le jugement de Dieu ; moi, parce qu’en présentant mon cou à ton couteau, je fais en sorte que s’accomplisse la volonté de Dieu, en anticipant de quelque temps mon heure pour votre bien. Même quand je suis né, j’en ai anticipé l’heure par amour pour vous, pour vous donner la paix avant le temps. Mais vous, de cette angoisse d’amour que j’éprouve, vous inventez une arme de négation… Ne crains rien ! Je n’appelle pas sur toi le châtiment de Caïn, ni les foudres de Dieu. Je prie pour toi. Je t’aime. Rien de plus. Je suis trop grand pour ta main d’homme ? C’est vrai ! En effet, l’homme ne pourrait frapper Dieu si Dieu ne se plaçait pas volontairement entre les mains de l’homme. Eh bien, je m’agenouille devant toi. Le Fils de l’homme est devant toi, à tes pieds. Frappe donc ! »

       Jésus se met à genoux, et présente le couteau, qu’il tient par la lame, à son persécuteur qui recule en murmurant :

       « Non ! Non !

       – Allons ! Un moment de courage… et tu seras plus célèbre que Yaël et Judith ! Regarde, je prie pour toi. Isaïe le dit : “ … et il pria pour les pécheurs. ” Tu ne viens toujours pas ? Pourquoi t’éloi­gnes-tu ? Ah ! peut-être crains-tu de ne pas voir comment meurt un Dieu. Voilà, je viens ici, près du feu. Le feu ne fait jamais défaut lors des sacrifices, il en fait partie. Voilà. Maintenant, tu me vois bien. »

       Il s’est agenouillé à côté du foyer.

       « Mais ne me regarde pas ainsi ! Ne me regarde pas ! Où dois-je donc fuir pour ne pas voir ton regard ? dit l’homme.

       – Qui ? Qui veux-tu ne pas voir ?

       – Toi… et mon crime. Vraiment, mon péché est devant moi ! 561.13Où fuir ? »

       L’homme est terrorisé…

       « Sur mon cœur, mon fils ! Ici, dans mes bras cessent les cauchemars et les peurs. Ici, c’est la paix. Viens ! Viens ! Rends-moi heureux ! »

       Jésus s’est levé et tend les bras. Le feu est entre eux deux. Jésus rayonne dans le reflet des flammes.

       L’homme tombe à genoux en se couvrant le visage et en criant :

       « Aie pitié de moi, Dieu ! Aie pitié de moi ! Efface mon péché ! Je voulais frapper ton Christ ! Pitié ! Ah ! il ne peut y avoir de pitié pour un tel crime ! Me voilà damné ! »

       Hocquetant, en larmes face contre terre, il gémit : “ Pitié ” et lance des imprécations : “ Maudits ! ”…

       Jésus contourne la flamme et s’avance vers lui ; il se penche, lui touche la tête et lui dit :

       « Ne maudis pas ceux qui t’ont dévoyé. Ils t’ont obtenu le plus grand bienfait : celui que je te parle, et que je te tienne ainsi dans mes bras. »

       Le prenant par les épaules, il le relève et, s’asseyant par terre, il l’attire sur son cœur. L’homme s’abandonne sur ses genoux avec des sanglots moins violents, mais si purificateurs ! Jésus caresse sa tête brune et le laisse se calmer.

       L’homme lève enfin la tête et, le visage tout changé, il gémit :

       « Ton pardon ! »

       Jésus s’incline et dépose un baiser sur son front. 561.14 L’homme jette ses bras autour de son cou et, la tête penchée sur l’épaule de Jésus, il pleure et raconte, il voudrait raconter comment on l’avait manipulé pour le pousser au crime. Mais Jésus le lui défend :

       « Tais-toi ! Tais-toi ! Je n’en ignore rien. Quand tu es entré, je t’ai reconnu, à la fois pour ce que tu étais et pour ce que tu voulais faire. J’aurais pu m’éloigner et m’enfuir. Je suis resté pour te secourir. Tu es sauvé. Le passé est mort. Ne le rappelle pas.

       – Mais… tu me fais ainsi confiance ? Et si je péchais de nouveau ?

       – Non. Tu ne pécheras pas de nouveau. Je le sais. Tu es guéri.

       – Oui, je le suis. Mais eux sont si rusés ! Ne me renvoie pas chez eux.

       – Et où veux-tu aller, où ils ne soient pas ?

       – Avec toi, à Ephraïm. Si tu vois mon cœur, tu te rendras compte que ce n’est pas un piège que je te tends, mais seulement une prière pour que tu me protèges.

       – Je le sais. Viens, mais je t’avertis que là se trouve Judas, vendu au Sanhédrin et traître du Christ.

       – Divine miséricorde ! Cela aussi, tu le sais ? ! »

       Sa stupeur est à son comble.

       « Je sais tout. Il croit que j’en ignore tout, mais c’est l’inverse. Et je sais aussi que tu es si bien converti que tu ne parleras pas à Judas, ni à aucun autre de cela. Cependant, pense à ceci : si Judas est capable de trahir son Maître, que ne saura-t-il pas faire pour te nuire ? »

       L’homme réfléchit longuement, puis il dit :

       « Peu importe ! Si tu ne me chasses pas, je reste avec toi, au moins pour quelque temps. Jusqu’à la Pâque, jusqu’à ce que tu te joignes à tes disciples. Je m’unirai à eux. Ah ! s’il est vrai que tu m’as pardonné, ne me chasse pas !

       – Je ne te chasse pas. 561.15 Maintenant, allons là-bas, sur ces feuilles, pour attendre le matin, puis, à l’aube, nous partirons pour Ephraïm. Nous dirons que le hasard nous a réunis et que tu es venu parmi nous. C’est la vérité.

       – Oui, c’est la vérité. A l’aube, mes vêtements seront secs et je te rendrai les tiens…

       – Non. Laisse ici ces vêtements : c’est le symbole de l’homme qui se dépouille de son passé et revêt une nouvelle tenue. La mère de Samuel l’ancien a chanté dans sa joie : “ Le Seigneur fait mourir et fait vivre, il conduit au séjour des morts et en fait revenir. ” Tu es mort, et te voilà revenu à la vie. Tu viens du séjour des morts vers la vraie Vie. Abandonne les vêtements qui ont subi le contact du tombeau rempli de pourriture. Et vis ! Vis pour ta vraie gloire : servir Dieu avec justice, le posséder pour l’éternité. »

       Une fois qu’ils se sont installés dans le creux où se sont accumulées les feuilles, le silence s’installe vite, car l’homme, épuisé, s’est endormi, la tête appuyée contre l’épaule de Jésus, qui prie encore…

       561.16 … Et c’est par une belle matinée de printemps qu’ils arrivent, par le sentier du torrent — qui va redevenir limpide après l’averse et dont le courant plus fourni chante plus fort et brille au soleil entre ses rives, que la pluie rend toujours luisantes — devant la maison de Marie, femme de Jacob.

       Sur le seuil, Pierre pousse un cri et court à leur rencontre. Il se précipite pour étreindre Jésus, qui est enveloppé dans son manteau, et il dit :

       « Oh ! mon Maître béni ! Quel triste sabbat tu m’as fait passer ! Je ne me décidais pas à partir sans t’avoir vu. J’aurais été perdu cette semaine, si j’étais parti avec l’incertitude au cœur et sans ton adieu ! »

       Jésus l’embrasse, sans se défaire de son manteau. Pierre est tellement occupé à contempler son Maître qu’il ne remarque même pas la présence de l’étranger qui l’accompagne.

       Entre-temps, les autres sont accourus, et Judas s’écrie :

       « Samuel, toi ici ?

       – Oui. Le Royaume de Dieu est ouvert à tous, en Israël. J’y suis entré », répond l'homme, sûr de lui.

       Judas a une sorte de petit rire étrange, mais il ne répond rien.

       L’attention de tous se porte sur le nouveau venu, et Pierre demande :

       « Qui c’est ?

       – Un nouveau disciple. Le hasard nous a fait nous rencontrer. Ou plus exactement, c’est Dieu qui a suscité cette rencontre, et j’ai accueilli cet homme comme étant envoyé à moi par le Père. C’est bien ce que je vous dis de faire, vous aussi. Vous étiez sur le point de partir mais, puisque l’entrée d’une personne dans le Royaume des Cieux est l’occasion d’une grande fête, déposez vos sacs et vos manteaux et restons unis jusqu’à demain. 561.17 Et maintenant, Simon, laisse-moi aller, car j’ai donné mes vêtements à cet homme, or l’air frais du matin est mordant, si je reste dehors.

       – Ah, j’en avais bien l’impression ! Mais tu vas te rendre malade, Maître, en agissant ainsi !

       – Moi, je ne voulais pas, c’est lui qui a insisté, dit Samuel pour s’excuser.

       – Oui, il avait été emportée par une crue, et c’est par sa seule volonté qu’il a été sauvé. Afin que rien ne subsiste en lui de ce moment pénible, et pour qu’il vienne à nous libre de toute saleté, je lui ai demandé d’abandonner ses habits déchirés et souillés, et je l’ai revêtu des miens » explique Jésus.

       Tout en parlant, il regarde Judas, qui de nouveau rit bizar­rement, comme au début et comme lorsque Jésus a annoncé que l’entrée d’une personne dans le Royaume des Cieux est l’occasion d’une grande fête. Puis il se hâte d’entrer dans la maison pour aller s’habiller.

       Les autres s’approchent du nouveau-venu et lui donnent le baiser de paix.

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