Une initative de
Marie de Nazareth

Le caractère de Pilate

samedi 9 mars 30
Ephraïm

Vision de Maria Valtorta

       566.1 Tout le monde est déjà debout dans la maison de Marie, femme de Jacob, bien que le jour se lève à peine. Je suppose que c’est un jour de sabbat, car je vois les apôtres, habituellement en mission. Les uns et les autres s’activent à faire de grands préparatifs de feu et d’eau chaude, à tamiser la farine ou à pétrir le pain pour aider Marie. La vieille femme est très agitée, d’une agitation de fillette, et, tout en travaillant énergiquement, elle demande à l’un ou l’autre :

       « C’est vraiment pour aujourd’hui ? Est-ce que les autres pièces sont prêtes ? Vous êtes sûrs qu’elles ne sont pas plus de sept ? »

       Pierre, qui est en train d’écorcher un agneau pour le préparer à la cuisson, lui répond pour tous :

       « Elles devaient être ici avant le sabbat, mais peut-être que les femmes n’étaient pas encore prêtes et ont ainsi pris du retard. Mais elles vont sûrement arriver aujourd’hui. J’en suis bien content ! Le Maître est sorti ? Il est peut-être allé à leur rencontre…

       – Oui, il est sorti avec Jean et Samuel en direction de la route de la Samarie centrale, répond Barthélemy, qui sort avec un broc rempli d’eau bouillante.

       – Dans ce cas, nous pouvons être certains qu’elles approchent. Lui, il sait toujours tout, déclare André.

       – Je voudrais savoir pourquoi tu ris ainsi : qu’est-ce qu’il y a de risible dans ce que dit mon frère ? demande Pierre, qui a remarqué le ricanement de Judas, inoccupé dans son coin.

       – Ce n’est pas ton frère qui me fait rire. Vous êtes tous heureux, et je peux bien l’être moi aussi, et rire même sans raison. »

       Pierre le regarde en montrant clairement ce qu’il en pense, mais il retourne s’occuper de son travail.

       « Voilà ! J’ai réussi à trouver une branche fleurie, même si ce n’est pas de l’amandier, comme je l’aurais souhaité. Mais à l’époque où l’amandier n’a pas de fleurs, Marie elle-même prend d’autres branches, et elle se contentera de la mienne » dit Jude qui rentre, dégoulinant de rosée comme s’il était allé dans les bois, une gerbe de branches fleuries dans les bras.

       C’est un miracle de blancheur humide de rosée qui paraît éclairer et embellir la cuisine.

       « Qu’elles sont belles ! Où les as-tu trouvées ?

       – Chez Noémie. Je savais que son verger est tardif, à cause de la tramontane qui ralentit son développement, et je suis monté là-haut.

       – C’est pour cela que tu ressembles à un arbre des forêts. Les gouttes de rosée brillent dans tes cheveux et ont trempé tes vêtements.

       – Le sentier était humide comme s’il avait plu. Ce sont déjà les rosées abondantes des plus beaux mois. »

       Jude s’éloigne avec ses fleurs et, quelque temps plus tard, appelle son frère pour qu’il l’aide à les disposer.

       « Je viens. Moi, je m’y connais. Femme, n’as-tu pas quelque am­phore au col élancé, si possible en terre rouge ? demande Thomas.

       – J’ai ce que tu cherches, et aussi d’autres vases… Ceux qui servaient les jours de fêtes… pour les noces de mes enfants ou à quelque autre occasion importante. Si tu attends que je mette ces fouaces au four, un instant, je viens t’ouvrir le coffre où se trouvent mes plus beaux objets… Ah ! il y en a peu désormais, après tant de malheurs ! Mais j’en ai gardé quelques-uns pour… me rappeler… et souffrir, car si ce sont aussi des souvenirs joyeux, maintenant ils font pleurer car ils font revivre ce qui est fini.

       – Alors il aurait mieux valu que personne ne les réclame. Je ne voudrais pas que ce soit comme à Nobé. Tant de préparatifs pour rien… dit Judas.

       – Je te dis qu’un groupe de disciples nous a avertis ! Veux-tu qu’ils aient rêvé ? Ils ont parlé avec Lazare. Il les a envoyés en avant exprès. Ils venaient ici pour prévenir qu’avant le sabbat la Mère de Jésus allait arriver avec Lazare, son char, et les femmes disciples.

       – En attendant, elles ne sont toujours pas là…

       566.2 – Vous qui avez vu cet homme, dites-moi : est-ce qu’il ne fait pas peur ? demande la vieille femme en s’essuyant les mains à son tablier après avoir confié ses fouaces à Jacques, fils de Zébédée, et à André pour qu’ils les portent au four.

       – Peur ? Pourquoi ?

       – Eh ! un homme qui revient de chez les morts ! »

       Elle est bouleversée.

       « Sois tranquille, mère. Il est en tout comme nous, répond Jacques, fils d’Alphée, pour la réconforter.

       – Veille plutôt à ne pas bavarder avec les autres femmes : que tout Ephraïm ne vienne pas nous ennuyer, lance impérieusement Judas.

       – Je n’ai jamais parlé imprudemment depuis que vous êtes ici, ni aux habitants de la ville ni aux pèlerins. J’ai préféré passer pour une sotte plutôt que me montrer savante et déranger le Maître ou lui causer du tort. Et je saurai me taire aujourd’hui encore. Viens, Thomas… »

       Et elle sort pour aller prendre ses trésors cachés.

       « La vieille est épouvantée à l’idée qu’elle va voir un ressuscité, ricane Judas.

       – Ce n’est pas la seule. Les disciples m’ont dit qu’à Nazareth les gens étaient tout agités, et de même à Cana et à Tibériade. Quelqu’un qui revient de la mort, après quatre jours de tombeau, ne se rencontre pas aussi facilement que des marguerites au printemps. Nous aussi, nous étions bien pâles quand il est sorti du tombeau ! Mais ne pourrais-tu pas travailler au lieu de rester planté là à faire des commentaires ? Tout le monde est affairé, et il y a encore tant de choses à préparer… Puisqu’on peut le faire aujourd’hui, va au marché, et achète ce qu’il faut. Ce que nous avons pris n’est pas suffisant maintenant qu’elles viennent, et nous n’avions pas le temps de retourner faire des courses en ville. Nous aurions été bloqués là où nous étions par le coucher du soleil. »

       Judas appelle Matthieu qui rentre dans la cuisine bien rangée, et ils sortent ensemble.

       566.3 Simon le Zélote, bien habillé, pénètre à son tour dans la pièce et s’exclame :

       « Ce Thomas ! C’est vraiment un artiste ! Avec un rien, il a orné la salle comme pour un repas de noces. Allez voir. »

       Tout le monde, excepté Pierre qui est en train de finir son travail, court pour aller admirer. Pierre dit :

       « J’ai hâte qu’elles soient ici. Marziam sera peut-être avec elles. Dans un mois, c’est la Pâque, donc il sera sûrement déjà parti de Capharnaüm ou de Bethsaïde.

       – Je me réjouis de la venue de Marie, à cause du Maître. Elle le réconfortera mieux que n’importe qui, et il en a besoin, lui répond Simon.

       – Oh oui ! Mais as-tu remarqué comme Jean, lui aussi, est triste ? Je l’ai questionné, mais en vain. Malgré sa douceur, il est plus ferme que nous tous, et s’il ne veut rien dire, rien ne le fera parler. Mais je suis sûr qu’il sait quelque chose. On dirait l’ombre du Maître, il le suit toujours, il ne le quitte pas des yeux. Et il répond à ton regard par un sourire qui ferait fondre un tigre. Mais quand il ne se sent pas observé, son visage devient tout triste. Essaie de le questionner, toi. Il t’aime beaucoup, et il te sait plus prudent que moi…

       – Ne crois pas cela ! Tu es devenu pour tous un exemple de prudence. On ne reconnaît plus en toi le vieux Simon. Tu es vraiment la pierre qui, par sa robustesse et sa carrure compacte, nous soutient tous.

       – Mais tais-toi donc ! Je suis un pauvre homme. Bien sûr… à rester tant d’années avec Lui, on devient un peu comme Lui. Un peu… très peu, mais nous sommes déjà très différents de ce que nous étions. Et cela vaut pour tous… non, ce n’est pas exact, malheureusement. 566.4 Judas est toujours le même, ici comme à “ La Belle Eau ”…

       – Dieu veuille qu’il soit toujours le même !

       – Quoi ? Qu’est-ce que tu entends par là ?

       – Tout et rien, Simon, fils de Jonas. Si le Maître m’entendait, il me dirait : “ Ne juge pas. ” Mais ce n’est pas juger, c’est craindre. Je crains que Judas ne devienne pire qu’à “ La Belle Eau ”.

       – Il est certain qu’il a empiré, bien qu’il soit toujours le même. Il devrait en effet avoir changé, avoir grandi en justice, mais il est toujours pareil. Il a donc sur le cœur le péché de paresse spirituelle, qu’alors il ne l’avait pas. Les premiers temps… il était fou, oui, mais plein de bonne volonté… Mais, dis-moi : à ton avis, que signifie la décision du Maître d’envoyer Samuel avec nous et de rassembler tous les disciples, autant que faire se peut à Jéricho, pour la néoménie de Nisan ? Il avait d’abord annoncé que Samuel resterait ici… il avait aussi défendu de révéler où il se trouvait, lui. Je soupçonne quelque chose…

       – Non, j’y reconnais une logique, pour moi c’est clair. Désormais, on ne sait par qui ni comment, la nouvelle de la présence du Maître ici est connue de toute la Palestine. Tu vois que des pèlerins et des disciples sont venus de Cédés à Engaddi, de Joppé à Bozra. Il est, par conséquent, inutile de garder plus longtemps le secret. En outre, la Pâque approche et il est certain que le Maître veut avoir les disciples avec lui, pour son retour à Jérusalem. Le Sanhédrin prétend, tu l’as entendu, qu’il est un vaincu et qu’il a perdu tous ses disciples. Et il lui répond en entrant en ville à leur tête…

       – J’ai peur, Simon, terriblement peur… Tu as entendu, n’est-ce pas ? Tous, même les hérodiens, se sont unis contre lui…

       – Eh oui ! Que Dieu nous aide !

       – Et pourquoi envoie-t-il Samuel avec nous ?

       – Sûrement pour le préparer à sa mission. Je ne vois pas de raison de s’agiter… 566.5 On frappe ! Ce sont certainement les femmes disciples ! »

       Pierre se débarrasse de son tablier taché de sang et il suit, en courant, Simon le Zélote, qui s’est précipité à la porte de la maison. Tous ceux qui se trouvent dans la maison débouchent de partout en criant :

       « Les voilà ! Les voilà ! »

       Mais, une fois la porte ouverte, leur déception à la vue d’Elise et de Nikê est si manifeste que les deux disciples demandent :

       « Il est arrivé quelque chose ?

       – Non ! Non ! Mais nous croyions que… c’étaient Marie et les femmes disciples de Galilée… répond Pierre.

       – Ah ! et vous voilà contrariés ! Nous, en revanche, nous sommes très heureuses de vous voir et d’apprendre que Marie ne va pas tarder à arriver, dit Elise.

       – Contrariés, non… Déçus, voilà ! Mais venez ! Entrez ! Paix à nos bonnes sœurs ! »

       Jude les salue au nom de tous.

       « A vous aussi. Le Maître n’est pas là ?

       – Il est parti avec Jean à la rencontre de Marie. On sait qu’elle arrive par la route de Sichem, sur le char de Lazare » explique Simon le Zélote.

       Elles entrent dans la maison, pendant qu’André s’occupe de l’ânon d’Elise. Nikê est venue à pied. Elles parlent des événements de Jérusalem, demandent des nouvelles des amis et des disciples… d’Annalia, de Marie et de Marthe, du vieux Jean de Nobé, de Joseph, de Nicodème, de tant d’autres… 566.6 L’absence de Judas permet de parler en paix et librement.

       Elise, en femme âgée et expérimentée qui, au temps de Nobé, a été en contact avec Judas et le connaît donc bien — elle avoue même ouvertement “ ne l’aimer que pour l’amour de Dieu ” —, s’informe pour savoir s’il est à la maison, séparé des autres par quelque caprice, et c’est seulement quand elle est sûre qu’il est sorti pour faire les courses, qu’elle parle de ce qu’elle sait. Elle raconte “ qu’à Jérusalem, tout semble calme, qu’on n’interroge même plus les disciples connus, et qu’on murmure tout bas cette raison : Pilate aurait donné de la voix contre les membres du Sanhédrin, pour leur rappeler que c’est lui seul qui est chargé de rendre la justice en Palestine, et qu’ils doivent mettre fin à leurs agissements ”.

       Et Nikê ajoute :

       « Pourtant, on dit aussi — notamment Manahen mais aussi d’autres avec lui, et surtout une femme, Valéria — que Pilate a beau être las de ces soulèvements qui tiennent le pays dans l’agitation et peuvent lui valoir des ennuis, il est néanmoins impressionné par l’insistance avec laquelle les juifs lui insinuent que Jésus vise à se proclamer roi. On ajoute que, s’il n’y avait pas les rapports concordants et favorables des centurions et surtout l’influence de sa femme, il finirait par punir le Christ, peut-être par l’exil, pour ne plus avoir d’ennuis.

       – Il ne manquerait plus que cela ! Il serait bien capable de le faire ! C’est pour les Romains la peine la plus légère, et la plus employée après la flagellation. Imaginez-vous : Jésus seul, je ne sais où, et nous dispersés çà et là… s’exclame Simon le Zélote.

       – Dispersés… c’est toi qui le dis ! Moi, on ne me disperse pas ! Je marche à sa suite… s’écrie Pierre.

       – Oh ! Simon ! Peux-tu avoir l’illusion qu’ils te laisseraient faire ? Ils t’attachent comme un galérien et t’emmènent là où ça leur plaît, sur les galères ou dans une de leurs prisons, et toi, tu ne peux plus suivre ton Maître » lui dit Barthélemy.

       Pierre s’entortille les cheveux, perplexe, découragé.

       « Nous allons en parler à Lazare. Lazare se rendra ouvertement chez Pilate. Pilate le verra sûrement avec plaisir, car les païens aiment voir les êtres extraordinaires… préconise Simon le Zélote.

       – Il y est certainement allé avant son départ, et Pilate n’aura plus envie de le voir ! répond Pierre d’un air abattu.

       – Alors il s’y rendra en tant que fils de Théophile, ou bien il accompagnera sa sœur Marie chez les dames. Elles étaient amies quand… bref, quand Marie était pécheresse…

       566.7 – Savez-vous que Valéria est devenue prosélyte après le divorce de son mari ? Je parle sérieusement ! Elle mène une vie de juste qui est un exemple pour beaucoup d’entre nous. Elle a affranchi ses esclaves et les instruit tous dans le vrai Dieu. Elle avait pris une maison dans Sion. Mais maintenant que Claudia est venue, elle est retournée chez elle…

       – Alors !…

       – Non, dit Nikê. Elle m’a déclaré : “ Quand Jeanne vient, je l’accompagne. Mais maintenant je veux convaincre Claudia ”… Il semble que Claudia n’arrive pas à dépasser les limites de sa croyance dans le Christ. Pour elle, c’est un sage, rien de plus… Il paraît même que, avant d’arriver en ville, elle a été quelque peu troublée par les bruits qu’on a fait courir et qu’elle a dit, l’air sceptique : “ C’est un homme comme nos philosophes, et pas des meilleurs, car sa parole ne correspond pas à sa vie ”, et qu’elle a eu des… des… en somme, elle s’est permis des mots qu’elle n’aurait pas dits, auparavant.

       – Il fallait s’y attendre ! Des âmes païennes ! Ouais ! Il peut y en avoir une bonne… Mais les autres !… Elles ne valent rien, c’est de l’ordure ! s’exclame sentencieusement Barthélemy.

       – Et Joseph ? demande Jude.

       – Lequel ? Celui de Séphoris ? Il a une peur ! Ah ! Il y a eu votre frère Joseph. A peine arrivé, il est reparti, en passant toutefois par Béthanie, pour conseiller aux sœurs d’empêcher à tout prix le Maître d’entrer en ville et d’y séjourner. J’étais là, et j’ai entendu. C’est ainsi que j’ai appris que Joseph de Séphoris a eu beaucoup d’ennuis, et qu’il a très peur. Votre frère l’a chargé de se tenir au courant de ce qu’on complote au Temple. Joseph peut le savoir par l’intermédiaire de ce parent qui est marié, je ne sais si c’est avec la sœur ou la nièce de sa femme, et qui est employé au Temple, dit Elise.

       566.8 – Que de peurs ! Désormais, quand nous monterons à Jérusalem, j’enverrai mon frère chez Hanne. Je pourrais y aller, moi aussi, car je connais bien ce vieux renard. Mais Jean sait mieux s’y prendre. Et Hanne l’aimait bien autrefois, quand on écoutait les paroles de ce vieux loup, en le prenant pour un agneau ! J’enverrai Jean. Lui saura supporter même des insultes sans réagir. Moi… s’il me déclarait anathème du Maître, ou même seulement que je suis anathème parce que je l’aime, je sauterais sur ce vieil enflé, je l’attrapperais par le cou et le tordrais comme on essore un filet. Je lui ferais rendre l’âme sournoise qui l’habite ! Même s’il était entouré de tous les soldats du Temple et des prêtres !

       – Oh ! si le Maître t’entendait parler ainsi ! s’exclame André, scandalisé.

       – C’est bien parce qu’il n’est pas là que je le dis !

       – Tu as raison ! Tu n’es pas seul à le vouloir. Je le veux moi aussi, déclare Pierre.

       – Moi aussi, et je ne parle pas seulement d’Hanne, affirme Jude.

       – Ah ! pour cela, moi j’en… servirais plusieurs. J’ai une longue liste… Ces trois carcasses de Capharnaüm — j’exclus Simon le pharisien, qui me paraît passablement bon —, ces deux loups d’Esdrelon, ce vieux sac d’os qu’est Chanania, et puis… un mas­sacre, je vous dis, un massacre à Jérusalem, et en tête de tous Elchias. Je n’en peux plus de voir toutes ces vipères aux aguets ! »

       Pierre bouillonne de colère.

       Jude prend la parole avec un calme glacial encore plus impressionnant que s’il était furieux comme Pierre :

       « Et moi, je t’aiderais. Mais… je commencerais peut-être par enlever les vipères qui se trouvent à côté de nous.

       – Qui ? Samuel ?

       – Non, non ! Samuel n’est pas le seul à être près de nous. Il y en a tant qui montrent un certain visage mais ont une âme différente de ce qu’ils laissent paraître ! Je ne les perds pas de vue, jamais. Je veux être sûr avant d’agir. Mais quand je le serai… Le sang de David est chaud, et celui de Galilée aussi. Je les ai en moi, tous les deux, en lignée paternelle et maternelle.

       – Il suffit que tu me le dises, et je t’aide… déclare Pierre.

       – Non. La vengeance du sang regarde les parents, c’est donc moi qui suis concerné. »

       566.9 Soudain, Elise, qui pleurait doucement depuis quelque temps, intervient :

       « Mes enfants ! Mes enfants ! Ne parlez pas ainsi ! Ce n’est pas ce qu’enseigne le Maître ! Vous ressemblez à des lionceaux furieux au lieu d’être les agneaux de l’Agneau ! Abandonnez cet esprit de vengeance. L’époque de David est passée depuis longtemps ! Les lois du sang et du talion sont supprimées par le Christ. Il conserve les dix commandements immuables, mais les autres dures lois mosaïques, il les abroge. De Moïse restent les commandements de pitié, d’humanité et de justice, résumés et perfectionnés par notre Jésus dans son plus grand commandement : “ Aimer Dieu de tout son être, aimer le prochain comme soi-même, pardonner à ceux qui nous offensent, aimer nos ennemis. ” Ah ! pardonnez-moi, si moi, qui suis une femme, j’ai osé enseigner à mes frères, et vous êtes plus grands que moi ! Mais je suis une vieille mère, et une mère peut toujours parler. Croyez-moi, mes enfants ! Si vous appelez Satan en vous avec, dans votre cœur, de la haine pour les ennemis, avec un désir de vengeance, il entrera en vous pour vous corrompre. Satan n’est pas une force, soyez-en sûr. La force, c’est Dieu. Satan est faiblesse, il est fardeau, il est torpeur. Vous ne saurez plus remuer un doigt, non contre les ennemis, mais pas même pour faire une caresse à notre Jésus tellement affligé, si la haine et la vengeance vous tiennent dans leurs chaînes. Oui, mes enfants, tous mes enfants ! Même vous qui avez mon âge, et davantage peut-être. Vous êtes tous des enfants pour une femme qui vous aime, pour une mère qui a retrouvé la joie de pouvoir l’être en vous aimant tous comme des fils. Ne me donnez pas l’angoisse de perdre une nouvelle fois des fils chéris, et pour toujours ; car si vous mourez dans la haine ou dans le crime, vous êtes morts pour l’éternité et nous ne pourrons plus nous réunir là-haut, dans la joie, autour de notre commun amour : Jésus. Promettez-moi ici, maintenant, à moi qui vous en supplie, à une pauvre femme, à une pauvre mère, de ne plus jamais avoir de telles pensées. Ah ! c’est jusqu’à votre visage qui est défiguré. Vous me paraissez des inconnus, vous n’êtes plus les mêmes ! Comme la haine vous enlaidit ! Vous étiez si doux ! Mais qu’arrive-t-il donc ? Ecoutez-moi ! Marie vous dirait les mêmes paroles, avec plus de puissance, car c’est Marie ; mais il vaut mieux qu’elle ne connaisse pas toute la douleur… Oh ! pauvre Mère ! Mais qu’arrive-t-il ? Dois-je donc vraiment croire que déjà se lève l’heure des ténèbres, l’heure qui engloutira tout, l’heure où Satan sera le roi en tous, sauf chez le Saint, et dévoiera même les saints, même vous, en vous rendant lâches, parjures, cruels comme il l’est ? Ah ! jusqu’à présent, j’ai toujours espéré ! J’ai toujours dit : “ Les hommes ne triompheront pas contre le Christ. ” Mais maintenant… maintenant je crains et je tremble pour la première fois ! Sur ce ciel serein d’Adar, je vois s’allonger et envahir la grande Ténèbre dont le nom est Lucifer, je la vois vous plonger tous dans la nuit et faire pleuvoir des poisons qui vous rendent malades. Oh ! j’ai peur ! »

       Elise s’abandonne alors, la tête sur la table près de laquelle elle est assise, et elle sanglote douloureusement.

       566.10 Les apôtres se regardent d’un air affligé, puis ils s’efforcent de la réconforter. Mais elle ne veut pas de leur réconfort et le leur fait savoir :

       « Une seule chose a de la valeur à mes yeux : votre promesse. C’est pour votre bien ! Pour qu’aux souffrances de Jésus ne s’ajoute pas la plus grande : celle de vous voir damnés, vous, ses bien-aimés.

       – Mais oui, Elise. Si tu le veux ! Ne pleure pas, femme ! Nous te le promettons. Ecoute : nous ne lèverons pas le petit doigt sur qui que ce soit. Nous ne regarderons même pas, pour ne pas voir. Ne pleure pas ! Ne pleure pas ! Nous pardonnerons à ceux qui nous offensent. Nous aimerons ceux qui nous haïssent ! Allons ! Ne pleure pas. »

       Elise lève son visage ridé où brillent des larmes, et elle dit :

       « Souvenez-vous-en. Vous me l’avez promis ! Répétez votre promesse !

       – Nous te le promettons, femme.

       – Mes chers fils ! Maintenant, vous me plaisez ! Je vous retrouve bons. Maintenant que mon angoisse est apaisée, et que vous êtes redevenus purs, après cet amer levain, préparons-nous à recevoir Marie. Qu’est-ce qu’il reste à faire ? demande-t-elle en finissant de sécher ses yeux.

       – Vraiment… Nous avions veillé à tout, à la manière des hommes. Mais Marie, femme de Jacob, nous a aidés. C’est une Samaritaine, mais elle est très bonne. Tu vas la voir. Elle est au four en train de surveiller le pain. Elle est seule. Ses enfants sont morts ou oublieux, ses richesses évanouies, et pourtant elle n’a pas de rancune…

       – Ah ! vous voyez ! Vous voyez qu’il y en a qui savent pardonner, même chez les païens, les Samaritains ? Et ce doit être terrible, sachez-le, de devoir pardonner à un fils !… Mieux vaut être mort que pécheur !… 566.11 Etes-vous sûrs que Judas n’est pas là ?

       – A moins d’être devenu un oiseau, c’est impossible, car les fe­nêtres sont ouvertes, mais les portes sont fermées, excepté celle-ci.

       – Alors… La mère de Judas s’est rendue à Jérusalem, avec quelqu’un de sa parenté. Elle est allée offrir des sacrifices au Temple, puis elle est venue chez nous. On dirait une martyre. Elle est d’une tristesse… ! Elle m’a demandé, elle nous a demandé à toutes, si nous ne savions rien de son fils : s’il était avec le Maître, s’il y était toujours resté avec lui…

       – Qu’a-t-elle, cette femme ? s’étonne André.

       – Elle a son fils. Tu ne penses pas que cela suffit ? répond Jude.

       – Je l’ai réconfortée. Elle a voulu retourner au Temple avec nous. Nous y sommes allées toutes ensemble pour prier… Puis elle est repartie, toujours aussi angoissée. Je lui ai dit : “ Si tu restes avec nous, nous allons bientôt trouver le Maître. Ton fils est auprès de lui. ” Elle savait déjà que Jésus est ici. Cela s’est su jusqu’aux confins de la Palestine. Elle m’a répondu : “ Non, non ! Le Maître m’a recommandé de ne pas être à Jérusalem au printemps. J’obéis, mais j’ai voulu, avant l’époque de son retour, monter au Temple. J’ai un tel besoin de Dieu ! ” Et elle a ajouté une étrange parole : “ Je suis innocente, mais j’ai l’enfer en moi, et il me torture ”… Nous l’avons longuement interrogée, mais elle n’a pas voulu en dire davantage, ni sur ses tortures, ni sur la raison de l’interdiction de Jésus. Elle nous a prié de ne parler de tout cela ni à Jésus ni à Judas.

       – Pauvre femme ! Elle ne sera donc pas ici à la Pâque ? demande Thomas.

       – Non.

       – Si Jésus le lui a imposé, c’est qu’il a ses raisons… Vous avez entendu, hein ! On sait vraiment partout que Jésus est ici ! s’exclame Pierre.

       – Oui. L’homme qui le révélait appelait au rassemblement en son nom pour se soulever “ contre les tyrans ”, aux dires de certains. D’autres prétendaient que le Maître est ici parce qu’il se sait démasqué…

       – Toujours les mêmes raisons ! Ils doivent avoir dépensé tout l’or du Temple pour envoyer partout leurs émissaires » remarque André.

       566.12 On frappe à la porte.

       « Les voici ! » s’écrient-ils en courant ouvrir.

       Mais c’est Judas qui revient avec ses achats, suivi de Matthieu. A la vue d’Elise et Nikê, Judas les salue en demandant :

       « Etes-vous seules ?

       – Seules. Marie n’est pas encore arrivée.

       – Elle ne vient pas des régions du midi, donc elle ne peut avoir fait route avec vous. Je voulais savoir si Anastasica était venue.

       – Non. Elle est restée à Bet-Çur.

       – Pourquoi ? Elle aussi est disciple. Ignores-tu donc que c’est d’ici que nous partirons à Jérusalem pour la Pâque ? Elle devrait être ici. Si les femmes disciples et les fidèles ne sont pas parfaits, qui le sera ? Qui escortera le Maître, pour détruire la légende que tous l’ont abandonné ?

       – S’il s’agit de cela, ce ne sera pas une pauvre femme qui comblera les vides ! Les roses sont à leur place parmi les épines et dans les jardins clos. Je lui sers de mère et je le lui ai imposé.

       – Alors, elle sera absente pour la Pâque ?

       – Effectivement.

       – Et de deux ! s’écrie Pierre.

       – Que dis-tu ? Qui sont ces deux ? demande Judas, toujours soupçonneux.

       – Rien, rien ! Un calcul. On peut compter tant de choses, n’est-ce pas ? Même les… mouches, par exemple, qui se posent sur mon agneau écorché. »

       Marie, femme de Jacob, rentre, suivie de Samuel et de Jean qui portent les pains sortis du four. Elise salue la femme et Nikê l’imite. Elise a une douce parole pour mettre tout de suite la femme à son aise :

       « Nous sommes sœurs dans la douleur, Marie. Moi aussi, je suis seule, car j’ai perdu mon époux et mes fils, et Nikê est veuve. Nous nous aimerons donc, car il faut avoir pleuré pour comprendre. »

       566.13 Pendant ce temps, Pierre interroge Jean :

       « Comment donc es-tu ici ? Et le Maître ?

       – Sur le char, avec sa Mère.

       – Et tu ne le disais pas ?

       – Tu ne m’en as pas donné le temps ! Elles sont toutes là, mais vous verrez comme Marie de Nazareth est changée ! Elle semble avoir pris des années. Lazare m’a rapporté que la nouvelle que Jésus était réfugié ici l’avait remplie d’angoisse.

       – Pourquoi le lui a-t-il dit, cet imbécile ? Avant de mourir, il était intelligent. Mais peut-être que dans le tombeau son cerveau s’est écrabouillé et ne s’est pas reconstruit. On ne reste pas mort impunément !… ironise Judas sur un ton méprisant.

       – Mais non ! Pour parler, attends de savoir ! Lazare de Béthanie l’a appris à Marie quand déjà ils étaient en route, car elle s’étonnait de le voir prendre cette route, intervient sévèrement Samuel.

       – Oui. A son premier passage à Nazareth, il a seulement dit : “ Je te conduirai chez ton Fils d’ici un mois. ” Il ne lui a même pas révélé : “ Nous allons à Ephraïm ” au moment de partir… ajoute Jean.

       – Tout le monde sait que Jésus se trouve ici. Elle était donc la seule à l’ignorer ? demande toujours impoliment Judas en interrompant son compagnon.

       – Marie le savait. Elle l’avait entendu dire, mais comme un fleuve de toutes sortes de mensonges coulait en charriant de la boue à travers la Palestine, elle ne tenait aucune nouvelle pour vraie. Elle se consumait en silence, dans la prière. Mais une fois qu’ils furent en voyage, Lazare avait pris le chemin qui longe le fleuve pour désorienter les Nazaréens et tous les habitants de Cana, de Sephoris, de Bethléem de Galilée…

       – Ah ! il y a aussi Noémie avec Myrta et Aurea ? demande Thomas.

       – Non, elles en ont eu l’interdiction de la part de Jésus. C’est Isaac qui leur a porté cet ordre à son retour en Galilée.

       – Alors… ces femmes, elles aussi, ne seront pas avec nous comme l’an passé.

       – En effet.

       – Et de trois !

       – Ni nos femmes ni nos filles. Le Maître le leur a ordonné avant de quitter la Galilée, ou plutôt il l’a répété. Car ma fille Marianne m’a rapporté que Jésus l’avait dit dès la dernière Pâque.

       – Mais… très bien ! Il y a au moins Jeanne ? Salomé ? Marie, femme d’Alphée ?

       – Oui, et Suzanne aussi.

       – Et certainement Marziam… 566.14 Mais qu’est-ce que ce tapage ?

       – Les chars ! Les chars ! Et tous les Nazaréens qui ne se sont pas donnés pour battus et ont suivi Lazare… et ceux de Cana… » répond Jean, qui s’éloigne en courant avec les autres.

       Par la porte ouverte, un spectacle tumultueux s’offre à la vue. Il y a là Marie, assise auprès de son Fils, les femmes disciples, Lazare, Jeanne qui est sur son char avec Marie et Mathias, Esther et d’autres serviteurs ainsi que le fidèle Jonathas, mais aussi une foule de gens : des visages connus, d’autres inconnus, de Nazareth, de Cana, de Tibériade, de Naïm, d’En-Dor. Et des Samaritains de tous les villages situés sur le parcours et d’autres localités voisines. Ils se précipitent devant les chars, obstruant le passage de ceux qui veulent sortir comme de ceux qui veulent entrer.

       « Mais que désirent ces gens ? Pourquoi sont-ils venus ? Com­ment ont-ils su ?

       – Eh ! ceux de Nazareth étaient aux aguets. Quand ils ont vu Lazare arriver le soir pour repartir au matin, ils ont couru pendant la nuit dans les villes voisines ; ceux de Cana en ont fait autant, car Lazare était passé pour prendre Suzanne et rencontrer Jeanne, et ils l’ont suivi et précédé pour voir Jésus et Lazare. De même, quand les Samaritains l’ont appris, ils les ont rejoints. Et les voilà tous !… explique Jean.

       – Dis-moi, toi qui avais peur que le Maître n’ait pas d’escorte, celle-là te paraît-elle suffisante ? demande Philippe à Judas.

       – Ils sont venus pour Lazare…

       – Ils auraient pu repartir après l’avoir vu, mais ils sont restés jusqu’ici. C’est signe qu’il y en a encore qui viennent pour le Maître.

       – Bien. Ne faisons pas de discours inutiles. Cherchons plutôt à leur faire place pour leur permettre d’entrer. Allons, mes garçons ! Il faut nous remettre à l’exercice ! Il y a longtemps que nous n’avions pas joué des coudes pour frayer la route au Maître ! »

       Et Pierre est le premier à tenter d’ouvrir un passage à travers la foule qui crie des hosannas, curieuse, dévouée, bavarde selon les cas. Cela fait, avec l’aide des autres et de disciples nombreux qui, disséminés dans la foule, cherchent à se joindre aux apôtres, il maintient vide un espace pour que les femmes puissent se réfugier dans la maison ainsi que Jésus et Lazare. Une fois entré en dernier, il bloque la porte avec des verrous et des barres, et envoie les autres fermer du côté du jardin.

       566.15 « Ouf ! La paix soit avec toi, Marie bénie ! Je te revois enfin ! Maintenant tout est beau, puisque tu es parmi nous ! » s’exclame Pierre, qui la salue en se courbant jusqu’à terre.

       Marie a le visage triste, pâle et fatigué, déjà le visage de l’Affligée.

       « Oui, tout maintenant est moins douloureux puisque je suis auprès de Jésus.

       – Je t’avais assuré que je ne te disais que la vérité ! déclare Lazare.

       – Tu as raison… Mais le soleil s’est obscurci pour moi, et toute paix a disparu quand j’ai su que mon Fils était ici… J’ai compris… Ah ! »

       D’autres larmes coulent sur ses joues pâles.

       « Ne pleure pas, Maman ! Ne pleure pas ! J’étais ici parmi ces braves gens, près d’une autre Marie qui est une mère… »

       Jésus la conduit vers une pièce qui ouvre sur le jardin tranquille. Tous les suivent.

       Lazare s’excuse :

       « J’ai été obligé de la renseigner, car elle connaissait la route et ne comprenait pas pourquoi je faisais ce détour. Elle le croyait chez moi à Béthanie… En outre, à Sichem un homme a crié : “ Allons nous aussi à Ephraïm, chez le Maître. ” Aucune excuse ne me fut plus possible… J’espérais prendre les devants sur cette foule en partant de nuit par des chemins. Mais pas moyen ! Ils montaient partout la garde, et pendant qu’un groupe me suivait, un autre allait dans les environs pour prévenir. »

       566.16 Marie, femme de Jacob, apporte du lait, du miel, du beurre et du pain frais et les offre à Marie pour commencer. Elle regarde Lazare par en dessous, un peu curieuse, un peu craintive, et sa main a une secousse quand, en donnant du lait à Lazare, elle l’effleure ; elle ne peut retenir un cri de surprise quand elle le voit manger sa fouace comme tous les autres.

       Lazare est le premier à en rire en disant, sur un ton affable, distingué et plein d’assurance, comme tous les hommes de grande naissance :

       « Oui, femme, je mange tout comme toi, et j’aime ton pain et ton lait. Et ton lit me plaira certainement, car je sens la lassitude comme je sens la faim. »

       Il se tourne vers les autres pour ajouter :

       « Beaucoup de gens me touchent sans prétexte pour sentir si je suis en chair et en os, si j’ai de la chaleur et si je respire. C’est un peu ennuyeux, et une fois ma mission finie, je me retirerai à Béthanie. Si je restais près de toi, Maître, je susciterais trop de distractions. J’ai brillé, j’ai témoigné de ta puissance jusqu’en Syrie. Maintenant, je m’éclipse. Toi seul dois resplendir dans le ciel du miracle, dans le ciel de Dieu, et en présence des hommes. »

       Marie, pendant ce temps, s’adresse à la vieille mère :

       « Mon Fils m’a dit à quel point tu as été bonne pour lui. Per­mets-moi de t’embrasser pour te montrer que je t’en suis recon­naissante. Je n’ai rien pour te récompenser, excepté mon amour. Je suis pauvre, moi aussi… et je puis même dire que je n’ai plus de Fils, car c’est à Dieu et à sa mission qu’il appartient… Je souhaite d’ailleurs qu’il en soit toujours ainsi, car tout ce que Dieu veut est saint et juste. »

       Marie est douce, mais comme elle est déjà brisée… Tous les apôtres la regardent avec pitié, jusqu’à en oublier de penser à tous ceux qui manifestent dehors et de demander des nouvelles de leurs parents qui habitent au loin.

       Mais Jésus intervient :

       « Je monte sur la terrasse pour congédier les gens et les bénir. »

       566.17 Alors Pierre se réveille :

       « Mais où est Marziam ? J’ai vu tous les disciples, sauf lui.

       – Il n’est pas là, répond Marie Salomé, la mère de Jacques et de Jean.

       – Il n’est pas là ? Pourquoi ? Il est malade ?

       – Non. Il va bien, et ta femme aussi va bien. Mais Porphyrée ne l’a pas laissé venir.

       – Quelle femme stupide ! Dans un mois, c’est la Pâque, et il lui faudra bien venir pour la Pâque ! Elle pouvait le lui permettre dès maintenant, et faire cette joie à Marziam et à moi. Mais elle est plus lente à comprendre qu’une brebis et…

       – Jean et Simon-Pierre, et toi aussi Lazare avec Simon le Zélote, venez avec moi. Quant aux autres, restez là où vous êtes, jusqu’à ce que j’aie congédié les gens et mis les disciples à part » ordonne Jésus.

       Après être sorti avec les quatre hommes, il ferme la porte, traverse le couloir et la cuisine et arrive dans le jardin, suivi de Pierre, qui bougonne, et des autres. Mais avant de poser le pied sur la terrasse, il s’arrête dans l’escalier, et se tourne pour poser une main sur l’épaule de Pierre, qui lève la tête d’un air mécontent.

       « Ecoute-moi bien, Simon-Pierre, et cesse d’accuser Porphyrée et de lui faire des reproches. Elle est innocente. Elle obéit à un ordre de moi. C’est moi qui lui ai commandé, avant les Tabernacles, de ne pas faire venir Marziam en Judée…

       – Mais la Pâque, Seigneur ?

       – Je suis le Seigneur, comme tu le dis bien. Et en tant que tel, je peux demander ce que je veux, car tout ordre de moi est juste. Par conséquent, ne te laisse pas troubler par des scrupules. Te souviens-tu de ce qui est écrit dans les Nombres ? “ Si quelqu’un dans votre nation se trouve impur du fait d’un mort, ou est en voyage au loin, il célébrera la Pâque du Seigneur le quatorzième jour du second mois, vers le soir. ”

       – Mais Marziam n’est pas impur, j’espère du moins que Porphyrée ne songe pas à mourir justement maintenant, et il n’est pas en voyage… objecte Pierre.

       – Peu importe. C’est ma volonté. Certaines choses rendent plus impur qu’un mort. Marziam… je ne veux pas qu’il se contamine. Laisse-moi faire, Pierre. Je sais. Sois capable d’obéir, comme ton épouse et Marziam lui-même. Nous ferons avec lui la seconde Pâque, au quatorzième jour du second mois. Et nous serons très heureux alors. Je te le promets. »

       Pierre fait un geste comme pour dire : “ Résignons-nous ”, mais il ne répond rien.

       566.18 Simon le Zélote remarque :

       « II vaut mieux que tu cesses de compter ceux qui seront absents à la Pâque en ville !

       – Je n’ai plus envie de compter. Tout cela me fait… froid… Les autres peuvent-ils savoir ?

       – Non. C’est exprès que je vous ai pris à part.

       – Alors… j’ai aussi quelque chose à dire en particulier à Lazare.

       – Parle. Si je le peux, je te répondrai, dit Lazare.

       – Même si tu ne me réponds pas, peu m’importe. Il me suffit que tu ailles trouver Pilate — l’idée est de ton ami Simon — et que, en parlant de choses et d’autres, tu lui fasses révéler ses intentions au sujet de Jésus, en bien ou en mal… Tu sais… adroitement… Car on colporte tant d’histoires !…

       – Je le ferai, dès mon arrivée à Jérusalem. Je passerai par Béthel et Rama plutôt que par Jéricho sur ma route vers Béthanie, je séjournerai dans mon palais de Sion, et j’irai chez Pilate. Sois tranquille, Pierre, car je serai adroit et sincère.

       – Et tu perdras du temps pour rien, mon ami », intervient Jésus, « Car Pilate — tu le connais comme homme, moi je le connais comme Dieu — n’est qu’un roseau qui ploie sous le vent, en essayant d’y échapper. Il ne manque jamais de sincérité, car il est toujours convaincu qu’il veut agir, et il fait ce qu’il dit à ce moment-là. Mais peu après, sous l’effet d’un vent contraire, il oublie — oh ! ce n’est pas qu’il manque à ses promesses et à sa volonté — il oublie tout simplement ce qu’il voulait auparavant. Le cri d’une volonté plus forte que la sienne lui enlève, comme en soufflant dessus, le souvenir des idées qu’un autre cri y avait mises, et lui en inspire d’autres. Il doit aussi tenir compte de son épouse, qui menace de se séparer de lui s’il ne fait pas ses quatre volontés — or une fois séparé d’elle, adieu toute sa force, toute protection auprès du “ divin ” César, comme ils disent, même s’ils sont convaincus que ce César est plus abject qu’eux… Mais, en l’homme, ils savent reconnaître l’Idée, or l’Idée surpasse l’homme qui la représente, et on ne peut dire d’elle qu’elle est impure : il est juste que, comme tout citoyen, il aime sa patrie, qu’il veuille son triomphe… Or César, c’est la Patrie… et voilà comment un misérable est… un grand homme, grâce à ce qu’il représente…

       Mais je ne voulais pas parler de César, mais de Pilate ! Car, au-dessus de toutes ces voix, depuis celle de son épouse jusqu’à celle des foules, il y a son moi. Le petit ego d’un petit homme, l’ego avide de l’homme avide, l’ego orgueilleux de l’homme orgueilleux. Cette petitesse, cette avidité, cet orgueil veulent régner pour être grands, avoir beaucoup d’argent et dominer une foule de sujets que l’obéissance fait plier. La haine couve par dessous, mais notre petit César appelé Pilate ne s’en rend pas compte… Il ne voit que les dos courbés qui feignent d’obéir et de trembler devant lui, ou qui le font réellement. Et à cause de cette voix tempétueuse de son ego, il est prêt à tout. Je dis bien : à tout, pourvu qu’il continue à être Ponce Pilate, le Proconsul, le serviteur de César, le Dominateur de l’une des nombreuses régions de l’Empire. Il s’ensuit que, même s’il est aujourd’hui mon défenseur, demain il sera mon juge… inexorable. La pensée de l’homme est toujours indécise, mais elle est souverainement indécise quand cet homme s’appelle Ponce Pilate. Mais toi, Lazare, tu peux satisfaire Pierre… Si cela doit le consoler…

       – Consoler non, mais… me calmer un peu, oui…

       – Alors fais ce plaisir à notre bon Pierre, et va voir Pilate.

       – J’irai, Maître. Mais tu as dépeint le Proconsul comme aucun historien ou philosophe n’aurait pu le faire. Le tableau est parfait !

       – Je pourrais aussi bien dépeindre tout homme avec sa véritable effigie : son caractère. 566.19 Mais allons trouver ces gens qui font beaucoup de bruit. »

       Il monte les dernières marches et se présente. Il lève les bras et dit d’une voix forte :

       « Hommes de Galilée et de Samarie, mes disciples et vous qui me suivez : votre amour, le désir de m’honorer et d’honorer ma Mère et mon ami, en escortant leur char, m’indique quel est votre état d’esprit. Je ne puis que vous bénir pour cela. Néanmoins, retournez à vos maisons, à vos affaires. Vous qui venez de Galilée, partez et dites à ceux qui sont restés là-bas que Jésus de Nazareth les bénit. Hommes de Galilée, nous nous verrons pour la Pâque à Jérusalem, où j’entrerai le lendemain du sabbat précédant la Pâque. Hommes de Samarie, partez vous aussi, et sachez ne pas borner votre amour pour moi à me suivre et me chercher sur les routes de la terre, mais sur celles de l’esprit. Allez, et que la Lumière brille en vous. Disciples du Maître, séparez-vous des fidèles en restant à Ephraïm pour recevoir mes instructions. Allez. Obéissez.

       – Il a raison ! Nous le dérangeons. Il veut rester avec sa Mère ! s’écrient les disciples et les Nazaréens.

       – Nous allons partir, mais auparavant, nous voulons qu’il nous promette de venir à Sichem avant la Pâque. A Sichem ! A Sichem !

       – J’y viendrai. Allez. Je viendrai avant de monter pour la Pâque à Jérusalem.

       – Non, n’y va pas ! Reste avec nous ! Avec nous ! Nous te défendrons ! Nous te ferons Roi et Pontife ! Eux te haïssent ! Nous, nous t’aimons ! A bas les juifs ! Vive Jésus !

       – Silence ! Arrêtez ce vacarme ! Ma Mère souffre de ces cris qui peuvent davantage me nuire qu’une voix qui me maudirait. Mon heure n’est pas encore venue. Partez. Je passerai par Sichem, mais enlevez de votre cœur la pensée que je puisse, par quelque basse lâcheté humaine et par une révolte sacrilège contre la volonté de mon Père, ne pas accomplir mon devoir d’israélite, en adorant le vrai Dieu dans l’unique Temple où l’on puisse l’adorer, et de Messie, en prenant la couronne ailleurs qu’à Jérusalem, où je serai oint Roi universel selon la parole et la vérité vue par les grands prophètes.

       – A bas ! Il n’y a pas d’autre prophète après Moïse ! Tu es un rêveur.

       – Et vous aussi. Etes-vous libres, peut-être ? Non. Comment s’appelle Sichem ? Quel est son nouveau nom ? Car il en est d’elle comme de beaucoup d’autres villes de Samarie, de Judée ou de Ga­lilée — le mangonneau romain nous met tous au même niveau. S’appelle-t-elle donc Sichem ? Non, mais Neapolis, comme Bet-Shéan s’appelle Scythopolis et comme beaucoup d’autres villes, par la volonté des Romains ou celle de leurs vassaux flatteurs, ont pris le nom imposé par la domination ou la flatterie. Et vous, chacun en particulier, vous voudriez être plus qu’une ville, plus que nos maîtres, plus que Dieu ? Non, rien ne peut changer ce qui a été fixé pour le salut de tous. Moi, je suis la voie droite. Suivez-moi, si vous voulez entrer avec moi dans le Royaume éternel. »

       566.20 Il est sur le point de se retirer, mais les Samaritains font un tel vacarme que les Galiléens réagissent ; et en même temps, ceux qui étaient à l’intérieur de la maison accourent dans le jardin, puis sur l’escalier et sur la terrasse. Le premier visage à apparaître derrière Jésus, c’est celui, pâle, triste et angoissé de Marie. Elle embrasse son Fils et le serre contre elle comme si elle voulait le défendre des injures qui montent d’en bas :

       « Tu nous as trahis ! Tu t’es réfugié chez nous pour nous faire croire que tu nous aimais, alors qu’ensuite tu nous méprises ! Méprisés, nous le serons encore davantage par ta faute ! »… et ainsi de suite.

       S’approchent aussi de Jésus les femmes disciples, les apôtres et en dernier, apeurée, Marie, femme de Jacob. Les cris d’en-bas expliquent l’origine du tumulte, origines lointaines, mais certaines :

       « Pourquoi nous as-tu envoyé tes disciples nous apprendre que tu es persécuté ?

       – Je n’ai envoyé personne. Voici là-bas ceux de Sichem. Qu’ils s’avancent. Que leur ai-je dit un jour sur la montagne ?

       – C’est vrai. Il nous a dit qu’il ne peut être qu’adorateur dans le Temple aussi longtemps que le temps nouveau ne sera pas venu pour tous. Maître, nous ne sommes pas coupables, crois-le bien. Ils ont été trompés par de faux envoyés.

       – Je le sais. Et maintenant, partez. Je viendrai quand même à Sichem. Je n’ai peur de personne. Mais allez-vous-en, pour ne pas vous nuire à vous-mêmes et à ceux de votre sang. Voyez-vous là-bas luire au soleil les cuirasses des légionnaires qui descendent la route ? Ils vous ont certainement suivis à distance à la vue d’une telle escorte. Ils sont restés dans les bois à attendre. Vos cris maintenant les attirent ici. Partez pour votre bien. »

       Effectivement, au loin, sur la grande route que l’on voit s’élever vers les montagnes, celle sur laquelle Jésus avait trouvé l’affamé, on voit briller des clartés mouvantes qui avancent. Les gens se dispersent lentement. Il reste ceux d’Ephraïm, les Galiléens, les disciples.

       « Vous aussi, habitants d’Ephraïm et de Galilée, rentrez chez vous. Obéissez à celui qui vous aime ! »

       Eux aussi s’en vont. 566.21Seuls restent les disciples que Jésus ordonne de faire entrer dans le jardin et dans la maison. Pierre et d’autres descendent ouvrir. Mais pas Judas. Il ricane :

       « Maintenant, tu vas voir comment les “ bons Samaritains ” vont te détester ! Pour construire le Royaume, tu disperses les pierres, et les pierres écartées d’une construction deviennent des armes pour frapper. Tu les as méprisés ! Ils ne l’oublieront pas.

       – Qu’ils me détestent. Ce n’est pas par peur de leur haine que j’éviterai d’accomplir mon devoir. Viens, Mère. Allons dire aux disciples ce qu’ils doivent faire avant que je ne les congédie. »

       Accompagné de Marie et de Lazare, il descend l’escalier pour entrer dans la maison où s’entassent les disciples venus à Ephraïm. Il leur donne l’ordre de s’éparpiller partout pour prévenir tous leurs compagnons qu’ils doivent être à Jéricho pour la néoménie de Nisan et attendre son arrivée. Il leur demande aussi d’avertir les habitants des endroits où ils passeront qu’il allait quitter Ephraïm et de leur dire qu’ils doivent le chercher à Jérusalem pour la Pâque.

       Puis il les répartit en groupes de trois et confie à Isaac, Hermas et Etienne, le nouveau disciple — Samuel — qu’Etienne salue ainsi :

       « La joie de te voir dans la lumière tempère mon angoisse de constater que tout devient pierre pour le Maître. »

       Et Hermas, de son côté, lui dit :

       « Tu as quitté un homme pour un Dieu. Désormais, Dieu est vraiment avec toi. »

       Humble et réservé, Isaac se contente de lui souhaiter :

       « Que la paix soit avec toi, mon frère. »

       Une fois consommés le pain et le lait que les habitants d’Ephraïm ont offerts, avec une bonne intention, les disciples aussi prennent la route. Voici enfin la paix…

       566.22 Mais pendant qu’on prépare l’agneau, Jésus est encore occupé. Il va trouver Lazare et lui dit :

       « Viens avec moi le long du torrent. »

       Lazare obéit avec sa promptitude habituelle.

       Ils s’éloignent de la maison d’environ deux cents mètres. Lazare se tait en attendant que Jésus parle. Et Jésus s’explique :

       « Voici ce dont je voulais te faire part : ma Mère est très abattue, tu le vois. Fais venir ici tes sœurs. Moi, en réalité, je vais pousser vers Sichem avec tous les apôtres et les femmes disciples. Mais je les enverrai ensuite en avant, à Béthanie, pendant que je m’arrêterai quelque temps à Jéricho. Je peux encore oser garder avec moi des femmes ici, en Samarie, mais pas ailleurs…

       – Maître ! Tu crains vraiment… Ah ! s’il en est ainsi, pourquoi m’as-tu ressuscité ?

       – Pour avoir un ami.

       – Oh ! si c’est pour cela, alors, me voici. Toute douleur n’est rien pour moi, si je puis te réconforter par mon amitié.

       – Je le sais. C’est pour cela que je me sers de toi et que je me servirai de toi comme du plus parfait ami.

       – Dois-je réellement aller trouver Pilate ?

       – Oui, si tu veux. Mais pour Pierre, pas pour moi.

       – Maître, je te tiendrai au courant… Quand quittes-tu cet endroit ?

       – D’ici huit jours. J’aurai à peine le temps d’aller où je veux, puis d’arriver chez toi avant la Pâque, pour refaire mes forces à cette oasis de paix qu’est Béthanie, avant de me plonger dans le tumulte de Jérusalem.

       – Tu sais, Maître, que le Sanhédrin est bien décidé à créer des accusations — étant donné qu’il n’y en a pas — pour t’obliger à fuir pour toujours ? Je le tiens de Jean, le membre du Sanhédrin, que j’ai rencontré par hasard à Ptolémaïs, heureux du nouvel enfant qui va bientôt naître. Il m’a dit : “ Je regrette cette décision du Sanhédrin. Car j’aurais voulu que le Maître soit présent à la circoncision du bébé, que j’espère être un garçon. Il doit naître dans les premiers jours de Tamuz. Mais le Maître sera-t-il encore parmi nous à cette époque ? Et j’aurais souhaité… qu’il puisse bénir le petit Emmanuel — et ce nom te dit ce que je pense — à son entrée dans le monde. Car mon fils — bienheureux sera-t-il — n’aura pas à lutter pour croire, comme nous le devons. Il grandira dans le temps messianique, et il lui sera facile d’en accepter l’idée. ” Jean est arrivé à croire que tu es le Promis.

       – Lui seul, parmi tant de personnes, me dédommage de ce que les autres ne font pas. Lazare, saluons-nous ici, dans la paix. Et merci pour tout, mon ami. Tu es un ami véritable. Avec dix hommes qui te ressembleraient, il serait encore doux de vivre au milieu de tant de haine…

       – Tu as maintenant ta Mère, mon Seigneur. Elle vaut cent Lazare. Mais rappelle-toi bien que je te procurerai tout ce dont tu peux avoir besoin, si cela m’est possible. Ordonne, et je serai ton serviteur, en toute chose. Je ne serai pas sage, ni saint comme d’autres qui t’aiment, mais tu ne trouveras personne de plus fidèle que moi, excepté Jean. Je ne crois pas être orgueilleux en disant cela. 566.23Et maintenant que nous avons parlé de toi, je dois t’entretenir de Syntica. Je l’ai vue. Elle est active et sage comme seule une Grecque, qui a pu venir à ta suite, peut l’être. Elle souffre d’être au loin, mais elle dit qu’elle est heureuse de préparer ton chemin. Elle espère te revoir avant de mourir.

       – Elle me reverra assurément. Je ne déçois jamais les espérances des justes.

       – Elle dirige une petite école très fréquentée par des fillettes de toutes provenances. Mais, le soir, elle prend avec elle quelque pauvre gamine de sang mêlé et n’appartenant donc à aucune religion, et elle les instruit sur toi. Je lui ai demandé : “ Pourquoi ne te fais-tu pas prosélyte ? Cela t’aiderait beaucoup. ” Elle m’a répondu : “ Parce que je ne veux pas me consacrer au peuple d’Israël, mais aux autels vides qui attendent un Dieu. Je les prépare à recevoir mon Seigneur. Puis, une fois son Règne établi, je rentrerai dans ma patrie et, sous le ciel de l’Hellade, je finirai ma vie en préparant les cœurs aux maîtres. C’est mon rêve. Mais si je meurs auparavant de maladie ou sous la persécution, je partirai tout aussi heureuse, car ce sera signe que j’ai accompli mon travail, et qu’il appelle à lui sa servante, qui l’a aimé dès la première rencontre. ”

       – C’est vrai. Syntica m’a réellement aimé dès la première rencontre.

       – Je voulais lui taire à quel point tu es tourmenté. Mais Antioche résonne comme un coquillage de toutes les rumeurs du vaste empire de Rome, donc de ce qui se passe ici. Par conséquent, Syntica n’ignore pas tes peines, et elle en souffre encore plus que d’être au loin. Elle voulait me donner de l’argent. J’ai refusé en lui conseillant de s’en servir pour les fillettes. Mais j’ai pris un couvre-chef qu’elle a tissé avec de la soie de deux grosseurs. C’est ta Mère qui l’a. Syntica a voulu dessiner avec le fil ton histoire, la sienne et celle de Jean d’En-Dor. Et sais-tu comment ? En tissant tout autour du carré une bordure représentant un agneau qui défend deux colombes contre une bande de hyènes. L’une d’elles a les ailes brisées et l’autre a rompu la chaîne qui la tenait attachée. Et l’histoire se poursuit en alternant, jusqu’au vol vers les hauteurs de la colombe aux ailes brisées, et la prison volontaire de l’autre aux pieds de l’agneau. On dirait une de ces histoires que les sculpteurs grecs retracent dans le marbre sur les festons des temples et sur les stèles de leurs morts, ou encore que les peintres peignent sur les vases. Elle voulait te l’envoyer par l’entremise d’un de mes serviteurs, mais je l’ai pris moi-même.

       – Je le porterai, parce qu’il vient d’une bonne disciple. Allons vers la maison. Quand comptes-tu partir ?

       – Demain à l’aurore, pour faire reposer les chevaux. Puis je ne m’arrêterai pas jusqu’à Jérusalem et j’irai trouver Pilate. Si je peux lui parler, je t’enverrai ses réponses par Marie. »

       Ils rentrent lentement dans la maison en parlant de sujets de moindre importance.

Observation

Le mystérieux sabbat « second premier ».

Pour situer l’époque à laquelle se déroule l’épisode des « épis volés », saint Luc écrit : « Il arriva, un jour de sabbat appelé second-premier (?ν σαββ?τ? δευτεροπρ?τ? - deuteroprotos en grec), que Jésus traversait des champs de blé » (Lc 6,1). Certains Pères de l’Eglise ont supposé que cette expression sabbat second premier pouvait indiquer un moment de l'année liturgique, sans doute en relation avec la Pâque... Mais Théophylactus, saint Jean Chrysostome, saint Isidore, saint Epiphane ou saint Ambroise, pour n’en citer que quelques uns, donnèrent des explications assez confuses et contradictoires. Saint Jérôme rapporte même qu’ayant interrogé à ce sujet Grégoire de Naziance, celui-ci lui avoua « qu’il n’avait rien à répondre qui put le satisfaire ». Cette formule resta mystérieuse et continua donc à intriguer les biblistes pendant vingt siècles, au point que certains affirmèrent même qu’elle « ne veut rien dire du tout » (sic !). La plupart des versions bibliques modernes indiquent désormais simplement « un sabbat »…

Les épis volés (Mt 12,1-8 ; Mc 2,23-28 ; Lc 6,1-5)

Maria Valtorta ne donne pas d’explication directe à la formule de saint Luc, mais la chronologie extrêmement précise de son récit semble apporter la solution oubliée depuis la chute du Temple ! D’après les descriptions de la mystique, cet épisode se déroule sans conteste deux semaines avant la Pentecôte (ou la fête des Moissons, aussi appelée fête des Semaines - Chavouoth), et donc cinq semaines après la Pâque. Or ce samedi se trouve être le premier sabbat après la seconde Pâque (1). L’interprétation s’impose donc ici d’évidence.

(1) La Pâque supplémentaire est prévue dans Nombres 9,10-11, et il en est longuement question en EMV 566.17.

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