618.1 Marie est prosternée, le visage contre terre. On dirait une pauvre loque abandonnée. Elle semble être cette fleur morte de soif dont elle a parlé.
La fenêtre fermée s’ouvre en faisant fortement battre les volets et, avec le premier rayon de soleil, Jésus entre.
Marie sursaute, lève la tête pour voir quel vent a pu ouvrir les volets, et voit son Fils rayonnant : il est beau, infiniment plus beau qu’il ne l’était avant d’avoir souffert, souriant, vivant, plus lumineux que le soleil, vêtu d’un blanc qui ressemble à de la lumière tissée, et il s’avance vers elle.
Elle se redresse sur ses genoux et, joignant en croix les mains sur sa poitrine, elle dit dans un sanglot qui est tout à la fois rire et pleur :
« Seigneur, mon Dieu ! »
Et elle reste ainsi ravie dans sa contemplation, le visage tout baigné de larmes, mais devenu serein, pacifié par le sourire et l’extase.
618.2 Mais lui ne veut pas voir sa Maman à genoux comme une servante. Il l’appelle en lui tendant les mains, des blessures desquelles sortent des rayons qui rendent encore plus lumineuse son corps glorieux :
« Maman ! »
Ce n’est pas la parole affligée des colloques et des adieux qui ont précédé la Passion, ni la lamentation déchirée de la rencontre sur le Calvaire et de l’agonie. C’est un cri de triomphe, de joie, de libération, de fête, d’amour, de gratitude.
Incliné sur sa Mère qui n’ose pas le toucher, il glisse les mains sous les coudes pliés de Marie, puis il la lève, la serre sur son cœur et l’embrasse.
Alors Marie comprend qu’il ne s’agit pas d’une vision, que c’est son Fils réellement ressuscité, que c’est son Jésus, son Fils qui l’aime encore comme un fils. Et avec un cri, elle se jette à son cou, l’embrasse et le couvre de baisers, mêlant rire et larmes. Elle baise son front où il n’y a plus de blessures, sa tête qui n’est plus dépeignée ni couverte de sang, ses yeux éblouissants, ses joues guéries, sa bouche qui n’est plus enflée. Et puis elle lui prend les mains et en baise le dessus et la paume, sur les blessures rayonnantes, et tout à coup se baisse à ses pieds, les découvre de dessous son vêtement de splendeur et les baise. 618.3 Puis elle se lève, le regarde, n’ose pas.
Mais lui sourit et comprend. Il entrouvre son vêtement sur la poitrine et suggère :
« Et celle-là, Maman, tu ne la baises pas, celle qui t’a fait si mal et que toi seule es digne de baiser ? Embrasse-moi sur le cœur, Maman. Ton baiser m’enlèvera le dernier souvenir de tout ce que j’ai souffert et me donnera cette joie qui manque encore à ma joie de Ressuscité. »
Il prend dans ses mains le visage de sa Mère et en pose les lèvres sur le bord de la blessure du côté, d’où sortent des flots de lumière très vive.
Le visage de Marie est auréolé de cette lumière, plongé comme il l’est dans ses rayons. Elle l’embrasse longuement tandis que Jésus la caresse. Elle ne s’en lasse pas. On dirait une assoiffée qui a trouvé une source et y boit la vie qui lui échappait.
« Tout est terminé, Maman. Maintenant, tu ne dois plus pleurer pour ton Fils. L’épreuve est achevée. La Rédemption est arrivée.
Maman, merci de m’avoir conçu, élevé, aidé dans la vie et dans la mort.
J’ai senti monter vers moi tes prières. Elles ont été ma force dans la douleur, mes compagnes dans mon voyage sur la terre et au-delà de la terre. Elles sont venues avec moi sur la croix et dans les limbes. Elles étaient l’encens qui précédait le Grand-Prêtre qui allait appeler ses serviteurs pour les amener dans le Temple qui ne meurt pas : dans mon Ciel. Elles sont venues avec moi au Paradis, précédant comme une voix angélique le cortège des rachetés guidés par le Rédempteur pour que les anges soient prêts à saluer le Vainqueur de retour dans son Royaume. Elles ont été entendues et vues par le Père et par l’Esprit, qui en ont souri comme de la fleur la plus belle et du chant le plus doux nés au Paradis. Elles ont été connues par les Patriarches et les nouveaux saints, par les nouveaux, les premiers habitants de ma Jérusalem. Et moi, je t’apporte leurs remerciements, Maman, accompagnés des baisers de nos parents, de leur bénédiction et de celle de Joseph, ton époux d’âme.
Le Ciel tout entier t’acclame, ma Mère, Maman sainte ! Ce sont des louanges qui ne meurent pas, qui ne mentent pas comme les hosannas qui m’ont été adressés, il y a quelques jours.
618.5 Je vais maintenant auprès du Père avec mon vêtement humain. Le Paradis doit voir le Vainqueur dans son vêtement d’homme avec lequel il a vaincu le péché de l’homme. Mais ensuite je reviendrai. Je dois confirmer dans la foi ceux qui ne croient pas encore et ont besoin de croire pour amener les autres à la foi, je dois fortifier les faibles qui auront bien besoin de force pour résister au monde.
Puis je monterai au Ciel, mais je ne te laisserai pas seule, Maman. Tu vois ce voile ? Dans mon anéantissement, j’ai dégagé encore une puissance de miracle pour toi, pour te donner ce réconfort. Mais j’accomplis pour toi un autre miracle *. Tu me posséderas dans le Sacrement, réel comme je l’étais quand tu me portais.
Tu ne seras jamais seule. Ces jours-ci, tu l’as été. Mais il fallait aussi à ma Rédemption cette douleur que tu as éprouvée. Ma Rédemption s’enrichira encore beaucoup, car les péchés abonderont continuellement. J’appellerai tous mes serviteurs à cette participation corédemptrice. Tu feras, à toi seule, plus que tous les autres saints ensemble. C’est pour cela aussi qu’il fallait ce long abandon.
Il est désormais terminé. Je ne suis plus séparé du Père. Tu ne seras plus séparée du Fils. Et, ayant le Fils, tu as notre Trinité. Ciel vivant, tu porteras sur la terre la Trinité parmi les hommes et tu sanctifieras l’Eglise, toi, la Reine du sacerdoce et la Mère des chrétiens. Puis je viendrai te chercher. Et cette fois, je ne serai plus en toi, mais toi en moi, dans mon Royaume, pour rendre le Paradis plus beau.
618.6 Maintenant je m’en vais, Maman. Je vais rendre heureuse l’autre Marie. Puis je monterai vers le Père. C’est de là que je viendrai à ceux qui ne croient pas.
Maman, ton baiser pour bénédiction, et ma paix à toi pour compagne. Adieu. »
Alors Jésus disparaît dans le soleil qui descend à flots du ciel serein du matin.
* Mais j’accomplis pour toi un autre miracle, c’est-à-dire pour te procurer ce réconfort. Cette expression est employée une autre fois, avec la même signification mais aussi celle de : par ton intermédiaire, grâce à toi, comme on le verra au chapitre 637 (en particulier en 637.6/7), où Jésus l’explique longuement et précise que l’Eucharistie est “ un miracle d’amour que j’ai fait pour vous, les hommes ”.