Une initative de
Marie de Nazareth

La dormition de Marie

samedi 12 août 51
Jérusalem
Fra Angelico

Vision de Maria Valtorta

     649.1 Marie se tient dans sa petite pièce isolée sur la terrasse, où elle doit être montée pour passer les heures de la matinée. Le vêtement qui la couvre entièrement, son manteau fermé à la base du cou et qui descend derrière ses épaules, comme aussi le voile très fin qui descend de sa tête, tout ce qu’elle porte est de lin blanc. Elle est en train de ranger ses habits et ceux de Jésus, qu’elle a toujours conservés. Elle choisit les meilleurs. Il y en a peu. Parmi les siens, elle prend le vêtement et le manteau qu’elle avait sur le Calvaire ; parmi ceux de son Fils, un vêtement de lin qu’il portait habituellement en été, ainsi que le manteau retrouvé à Gethsémani, encore taché du sang qui avait coulé et de la sueur sanguinolente de cette heure terrible.

     Après avoir plié soigneusement ces vêtements et baisé le manteau de son Jésus, elle se dirige vers le coffre où sont réunies et conservées, depuis des années maintenant, les reliques de la dernière Cène et de la Passion. Elle rassemble ces dernières dans un seul compartiment, celui de dessus, et place les vêtements dans le compartiment inférieur.

     649.2 Elle est occupée à fermer le coffre quand Jean, peut-être étonné de sa longue absence de la cuisine, monte sans bruit sur la terrasse, s’avance pour regarder, et lui demande :

     « Que fais-tu, Mère ? »

     Marie se retourne :

     « J’ai rangé tout ce qu’il convient de conserver. Tous les souvenirs… Tout ce qui témoigne de son amour et de sa douleur infinis.

     – Pourquoi, Mère, rouvrir les blessures de ton cœur en revoyant ces tristes témoins ? Tu es pâle, ta main tremble… Tu souffres donc à leur vue » lui dit Jean en s’approchant d’elle comme s’il craignait que, pâle et tremblante comme elle est, elle se sente mal et tombe par terre.

     « Non, ce n’est pas pour cela que je suis pâle et que je tremble. Ce n’est pas parce que mes blessures se rouvrent… En vérité, elles ne se sont jamais complètement refermées. Mais j’ai aussi en moi la paix et la joie, et jamais elles n’ont été aussi parfaites qu’aujourd’hui.

     – Jamais aussi parfaites qu’aujourd’hui ? Je ne comprends pas… Pour ma part, la vue de ces objets chargés d’atroces souvenirs réveille l’angoisse de ces heures. Mais moi, je ne suis qu’un disciple. Toi, tu es la Mère…

     – Et comme telle, je devrais souffrir davantage, veux-tu dire ? Humainement, tu as raison, mais il n’en est pas ainsi. 649.3 Je suis habituée à supporter la douleur des séparations avec Jésus. C’était toujours une épreuve, car sa présence était mon Paradis sur terre. Mais je les acceptais de bon gré, sereinement, car tout ce qu’il faisait était voulu par son Père, était obéissance à la volonté divine. J’y acquiesçais donc, car moi aussi j’ai toujours obéi aux volontés et aux desseins de Dieu pour moi. Quand Jésus partait, je souffrais, c’est évident. Je me sentais seule. Lorsque, enfant, il m’a secrètement faussé compagnie pour aller débattre avec les docteurs du Temple, Dieu seul a pu mesurer l’intensité de ma souffrance. Pourtant, hormis la juste question que moi, sa Mère, je lui ai posée, je ne lui ai pas fait d’autre remarque. De même, je ne l’ai pas retenu quand il m’a quittée pour devenir le Maître… Or j’avais déjà perdu mon époux, j’étais seule dans une ville qui, à l’exception de quelques personnes, ne m’aimait pas. Et je n’ai pas montré d’étonnement devant sa réponse au banquet de Cana. Il faisait la volonté du Père. Moi, je le laissais libre de la faire.

     Je pouvais aller jusqu’à donner un conseil ou demander une prière : conseil pour les disciples, prière pour quelque malheureux. Mais pas davantage. Je souffrais quand il me quittait pour aller sur les chemins de ce monde qui lui était hostile, un monde pécheur au point qu’y vivre était pour lui une épreuve. Mais quelle joie quand il revenait à moi ! En vérité, elle était si profonde qu’elle compensait pour moi soixante-dix fois sept fois la douleur de la séparation. Déchirante fut la séparation qui suivit sa mort, mais quels mots suffiraient à exprimer la joie que j’ai éprouvée quand il m’est apparu ressuscité ? Immense fut la peine de la séparation à sa montée vers le Père, d’autant plus qu’elle ne devait se terminer qu’à la fin de ma vie terrestre. 649.4 Maintenant, je suis dans la joie, une joie aussi profonde que le fut la peine, car je sens que ma vie est achevée. J’ai fait tout ce que je devais faire. J’ai rempli ma mission terrestre. L’autre, la céleste, n’aura pas de fin. Dieu m’a laissée sur la terre jusqu’à ce que, comme mon Fils, j’aie accompli tout ce que je devais exécuter. Et j’éprouve cette joie secrète de Jésus — le seul baume de ses derniers déchirements pleins d’amertume — quand il a pu dire : “ Tout est accompli. ”

     – Joie en Jésus ? A un tel moment ?

     – Oui, Jean, une joie incompréhensible pour les hommes, mais pas pour les âmes qui vivent déjà dans la lumière de Dieu, et qui voient les réalités profondes cachées sous les voiles que l’Eternel étend sur ses secrets de Roi, grâce à cette lumière. Moi qui étais si angoissée, si bouleversée par ces événements, moi qui m’unissais à mon Fils pour m’abandonner au Père, je n’ai pas compris sur le moment. La lumière s’était éteinte pour tout le monde ces jours-là, pour tout le monde qui n’avait pas voulu l’accueillir. Même pour moi. Non pas à cause de quelque juste punition, mais parce que, devant être corédemptrice, il me fallait souffrir, moi aussi, l’angoisse de l’abandon des réconforts divins, les ténèbres, la désolation, la tentation de Satan visant à me faire douter que tout ce que Jésus avait dit et souffert spirituellement du jeudi au vendredi était possible. Mais ensuite j’ai compris. Quand la Lumière, ressuscitée pour toujours, m’est apparue, j’ai tout compris… Même l’extrême joie du Christ — une joie secrète — quand il a pu dire : “ J’ai accompli tout ce que le Père voulait que j’accomplisse. J’ai atteint le sommet de la charité divine en aimant le Père jusqu’à me sacrifier, en aimant les hommes jusqu’à mourir pour eux. J’ai fait tout ce que je devais faire. Je meurs satisfait spirituellement, bien que déchiré dans ma chair innocente. ” Moi aussi, j’ai accompli tout ce que, de toute éternité, il était écrit que je devais accomplir, depuis l’engendrement du Rédempteur jusqu’à l’aide que je vous apporte à vous, ses prêtres, pour parfaire votre formation.

     649.5 L’Eglise est désormais bien préparée et forte. L’Esprit Saint l’éclaire, le sang des premiers martyrs la cimente et la multiplie, mon aide a contribué à faire d’elle un organisme saint que l’amour pour Dieu et les frères alimente et fortifie de plus en plus, et où les haines, les rancœurs, les envies, les médisances, toutes ces mauvaises plantes de Satan, ne poussent pas. Dieu en est content. Il désire que vous l’appreniez par ma bouche. Il veut aussi que je vous exhorte à continuer à grandir en charité pour pouvoir croître en perfection, et voir ainsi augmenter le nombre des chrétiens et la puissance de la Doctrine. La Doctrine de Jésus est une doctrine d’amour, car la vie de Jésus, tout comme la mienne, a toujours été régie par l’amour. Nous n’avons repoussé personne, nous avons pardonné à tous. A un seul, nous n’avons pu accorder le pardon car, esclave de la haine comme il l’était, il n’a pas voulu de notre amour sans limites. Jésus, dans son dernier adieu avant sa mort, vous a commandé de vous aimer mutuellement. Il vous a également précisé la mesure de l’amour que vous devez avoir entre vous : “ Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. C’est à cela que l’on saura que vous êtes mes disciples. ” Pour vivre et grandir, l’Eglise a besoin de la charité, surtout de la part de ses ministres. Si vous ne vous aimiez pas de toutes vos forces, et si vous n’aimiez pas vos frères dans le Seigneur, l’Eglise deviendrait stérile. La nouvelle création et l’élévation des hommes au rang d’enfants du Très-Haut et de cohéritiers du Royaume des Cieux deviendraient difficiles, car Dieu cesserait de vous aider dans votre mission. Dieu est Amour. Tout ce qu’il a fait l’a été par amour : de la Création à l’Incarnation, de celle-ci à la Rédemption, puis à la fondation de l’Eglise, et enfin à la Jérusalem céleste qui rassemblera tous les justes pour qu’ils jubilent dans le Seigneur. 649.6 C’est à toi que je confie cela, parce que tu es l’apôtre de l’amour et que tu peux le comprendre mieux que les autres… »

     Jean l’interrompt :

     « Les autres aussi aiment et s’aiment.

     – Oui. Mais toi, tu es par excellence celui qui aime. Chacun de vous a toujours eu une caractéristique propre, comme c’est le cas pour toute personne. Toi, parmi les Douze, tu as toujours été l’amour, le pur, le surnaturel amour. C’est peut-être — ou plutôt sûrement — en raison de ta pureté que tu aimes tant.

     Pierre, de son côté, a toujours été l’homme, un homme franc et impétueux. Son frère, André, était silencieux et timide autant que l’autre ne l’était pas. Jacques, ton frère, était tellement impulsif que Jésus l’a qualifié de “ fils du tonnerre ”. L’autre Jacques, le frère de Jésus, était un homme juste et héroïque. Jude, son frère, fut toujours noble et loyal. La descendance de David était manifeste en lui. Philippe et Barthélemy étaient les traditionalistes, Simon le Zélote, prudent. Thomas, pacifique, et Matthieu avait l’humilité de celui qui, se souvenant de son passé, cherchait à rester inaperçu. Quant à Judas… hélas !, le mouton noir du troupeau du Christ, le serpent réchauffé par son amour, il fut toujours menteur et satanique. Mais toi qui es tout amour, tu peux mieux comprendre et devenir porte-parole d’amour auprès de tous les autres, qui sont au loin, pour leur rapporter mon dernier conseil.

     Tu leur diras de s’aimer et d’aimer tout le monde, même leurs persécuteurs, pour être unis à Dieu, comme moi je l’ai été, au point de mériter d’être choisie comme épouse de l’Amour éternel pour concevoir le Christ. 649.7 Je me suis donnée à Dieu sans mesure, bien que j’aie compris, dès le premier instant, l’épreuve que cela allait être pour moi. Les prophètes étaient présents à mon esprit et la lumière divine me rendait très claires leurs paroles. Ainsi, dès mon premier “ fiat ” à l’Ange, j’ai su que je me consacrais à la plus grande douleur qu’une mère pût supporter. Mais rien n’a mis de limite à mon amour car je sais qu’il est, pour quiconque le met en pratique, force, lumière, aimant qui attire vers le haut, feu qui purifie et embellit ce qu’il embrase, feu transformant qui emporte la personne qu’il étreint et la pousse à dépasser ses limites humaines.

     649.8 Oui, l’amour est réellement une flamme. La flamme qui, tout en détruisant ce qui est caduc — qu’il s’agisse d’une épave, de rebut, d’une loque d’homme —, en fait un esprit purifié et digne du Ciel. Combien d’épaves, d’hommes souillés, corrompus, finis, vous trouverez sur votre route d’évangélisateurs ! N’en méprisez aucun, mais au contraire aimez-les pour qu’ils parviennent à l’amour et soient sauvés. Déversez la charité en eux. Bien souvent, l’homme devient mauvais parce que personne ne l’a jamais aimé, ou l’a mal aimé. Vous, aimez-les, pour que l’Esprit Saint revienne habiter, après leur purification, ces temples que beaucoup d’épreuves ont vidés et souillés. Dieu, pour créer l’homme, n’a pas pris un ange, ni de matériau de premier choix. Il s’est servi de boue, la matière la plus vile. Puis, en lui infusant son souffle, c’est-à-dire encore son amour, il a élevé cette matière vile au rang privilégié d’enfant adoptif de Dieu. Mon Fils, sur son chemin, a trouvé beaucoup d’épaves d’hommes tombés dans la boue. Il ne les a pas foulés aux pieds par mépris ; au contraire, il les a recueillis et il en a fait des élus du Ciel. Souvenez-vous-en toujours, et agissez comme lui.

     649.9 Rappelez-vous toutes les actions et les paroles de mon Fils. Rappelez-vous ses douces paraboles. Vivez-les, c’est-à-dire mettez-les en pratique. Et écrivez-les pour qu’elles restent jusqu’à la fin des siècles et soient toujours un guide pour les hommes de bonne volonté désireux d’obtenir la vie et la gloire éternelles. Vous ne pourrez certainement pas répéter toutes les paroles lumineuses de l’éternelle Parole de vie et de vérité. Mais écrivez-en autant que vous le pouvez. L’Esprit de Dieu, descendu sur moi pour que je mette le Sauveur au monde et qui est descendu aussi sur vous à deux reprises, vous aidera à vous souvenir et à parler aux foules de manière à les convertir au Dieu vrai. Vous continuerez ainsi cette maternité spirituelle que j’ai commencée sur le Calvaire pour donner de nombreux enfants au Seigneur. Et le même Esprit, en parlant aux fils recréés du Seigneur, les fortifiera de manière à ce qu’il leur soit doux de mourir dans les tourments, de souffrir l’exil et les persécutions, afin de confesser leur amour pour le Christ et de le rejoindre dans les Cieux, comme déjà l’ont fait Etienne et Jacques, mon Jacques, et d’autres encore… 649.10 Quand tu seras resté seul, sauve ce coffre… »

     Jean pâlit et se trouble plus encore que lorsque Marie lui a annoncé qu’elle pensait sa mission accomplie. Il l’interrompt en s’écriant :

     « Mère, pourquoi dis-tu cela ? Tu te sens mal ?

     – Non.

     – Tu veux me quitter, alors ?

     – Non. Je resterai avec toi tant que je serai sur la terre. Mais prépare-toi, mon Jean, à être seul.

     – Mais alors tu te sens mal, et tu veux me le cacher !

     – Non, sois-en sûr. Je ne me suis jamais sentie aussi pleine de force, paisible et joyeuse qu’aujourd’hui. Mais j’éprouve une telle jubilation, une telle plénitude de vie surnaturelle que… oui, que je pense ne pas pouvoir la supporter en continuant à vivre. Je ne suis pas éternelle, du reste. Tu dois le comprendre. Mon âme est éternelle. La chair, non. Elle est sujette comme toute chair humaine à la mort.

     – Non ! Non ! Ne dis pas cela. Tu ne peux pas, tu ne dois pas mourir ! Ton corps immaculé ne peut mourir comme celui des pécheurs !

     – Tu te trompes, Jean. Mon Fils est mort ! Moi aussi, je mourrai. Je ne connaîtrai pas la maladie, l’agonie, le spasme de la mort. Mais pour ce qui est de mourir, je mourrai. Du reste sache, mon fils, que si j’ai un désir qui est mien, tout entier et seulement mien, et qui dure depuis que Jésus m’a quittée, c’est justement celui-ci. C’est mon premier, puissant désir qui est entièrement mien. Je peux même dire que c’est la première fois que je veux quelque chose. Toute autre chose de ma vie n’a été que consentement à la volonté divine. La volonté de rester vierge, c’est Dieu qui l’a déposée dans mon cœur de petite fille. Mon mariage avec Joseph, c’est sa volonté, de même que ma maternité virginale et divine. Tout, dans ma vie, a été volonté de Dieu, et obéissance de ma part. Mais vouloir me réunir à Jésus, c’est tout-à-fait personnel. Quitter la terre pour le Ciel, pour être avec lui éternellement et sans arrêt ! Mon désir de tant d’années ! Et maintenant je le sens près de devenir une réalité.

     649.11 Ne te trouble pas ainsi, Jean ! Ecoute plutôt mes dernières volontés. Quand mon corps, désormais privé de l’esprit vital, sera étendu en paix, ne me soumets pas aux embaumements en usage chez les juifs. Désormais, je ne suis plus une femme juive, mais chrétienne, la première chrétienne, si on y réfléchit bien, puisque la première j’ai eu le Christ en moi, chair et sang ; j’ai été son premier disciple, j’ai été avec lui corédemptrice et sa continuatrice ici, parmi vous, ses disciples. Aucun vivant, excepté mon père et ma mère et ceux qui ont assisté à ma naissance, n’a vu mon corps. Tu m’appelles souvent : “ Arche qui a contenu la Parole divine. ” Maintenant tu sais que l’Arche ne peut être vue que par le grand-prêtre. Tu es prêtre, et beaucoup plus saint et plus pur que le pontife du Temple. Mais je veux que seul l’éternel Pontife puisse voir, au temps voulu, mon corps. Ne me touche donc pas. Du reste, tu vois ? Je me suis déjà purifiée et j’ai mis le vêtement propre, le vêtement des noces éternelles… 649.12 Mais pourquoi pleures-tu, Jean ?

     – Parce qu’une tempête de douleur se déchaîne en moi. Je comprends que je vais te perdre. Comment ferai-je pour vivre sans toi ? Je sens mon cœur se déchirer à cette pensée ! Je ne résisterai pas à cette peine !

     – Si, tu résisteras. Dieu t’aidera à vivre, et longuement, comme il m’a aidée. Car s’il ne m’avait pas aidée, au Golgotha et sur le mont des Oliviers, quand Jésus est mort et quand il est monté, je serais morte, comme est mort Isaac. Il t’aidera à vivre et à te rappeler ce que je viens de te dire, pour le bien de tous.

     – Oh ! je me rappellerai tout. Et je ferai ce que tu veux, pour ton corps aussi. Je comprends aussi que les rites hébraïques ne servent plus pour toi, qui es chrétienne et la Toute-Pure, car, j’en suis certain, tu ne connaîtras pas la corruption de la chair. Ton corps, déifié comme aucun autre corps de mortel, ne peut pas connaître la décomposition, la putréfaction de toute chair morte : d’une part parce que tu as été exempte de la faute d’origine, mais plus encore parce que, outre la plénitude de la grâce, tu as contenu en toi la Grâce elle-même, le Verbe, et c’est pourquoi tu es la relique la plus véritable de Jésus. Ce sera le dernier miracle de Dieu sur toi, en toi. Tu seras conservée telle que tu es…

     – Alors ne pleure pas! » s’écrie Marie en regardant le visage bouleversé de l’apôtre, baigné de larmes. Et elle ajoute : « Si je demeure telle que je suis, tu ne me perdras pas. Ne sois donc pas angoissé !

     – Je te perdrai pareillement même si la corruption ne t’atteint pas. Je le sens, et je me sens comme pris par un ouragan de douleur. Un ouragan qui me brise et m’abat. Tu étais mon tout, en particulier depuis que mes parents sont morts et que mes autres frères de sang et de mission sont au loin, de même que Martial que Pierre a pris avec lui. Maintenant, je reste seul et dans la tempête la plus horrible ! »

     Jean tombe à ses pieds, en redoublant de larmes.

     649.13 Marie se penche sur lui, pose la main sur sa tête secouée par les sanglots et lui dit :

     « Pourquoi me causes-tu cette peine ? Tu t’es montré si fort sous la croix, or c’était une scène d’horreur sans pareille, à la fois à cause de la puissance de son martyre et aussi de la haine satanique du peuple ! Tu étais si fort, pour son réconfort et le mien ! Et aujourd’hui, au contraire, en ce soir de sabbat si serein et si calme, qui plus est devant moi, qui savoure la joie imminente que je pressens, tu es tellement bouleversé ? Calme-toi. Imite ce qu’il y a autour de nous et en moi, sois en union avec cela. Tout est paix, sois en paix toi aussi. Seuls les oliviers rompent, par leur léger bruissement, le calme absolu de l’instant. Mais ce léger bruit est si doux qu’il ressemble à un vol d’anges autour de la maison. Peut-être sont-ils là, d’ailleurs. Car les anges m’ont toujours été proches, un ou plusieurs, quand je me trouvais à un moment spécial de ma vie. Ils le furent à Nazareth, quand l’Esprit de Dieu rendit fécond mon sein virginal. Ils le furent chez Joseph, lorsqu’il était troublé et dans l’incertitude à cause de mon état et qu’il se demandait comment il devait se comporter à mon égard. A Bethléem, par deux fois, à la naissance de Jésus et quand nous avons dû fuir en Egypte. En Egypte, quand ils nous donnèrent l’ordre de revenir en Palestine. Et s’ils ne me sont pas apparus à moi, parce que le Roi des anges lui-même était venu auprès de moi dès sa Résurrection, les anges se sont montrés aux saintes femmes à l’aube du lendemain du sabbat, et ils ont donné l’ordre de vous dire, à Pierre et à toi, ce que vous deviez faire.

     Les anges et la lumière ont toujours été présents aux moments décisifs de ma vie et de celle de Jésus. Lumière et ardeur d’amour qui, descendant du Trône de Dieu vers moi, sa servante, et s’élevant de mon cœur vers Dieu, mon Roi et Seigneur, m’unissaient à Dieu et lui à moi, afin que s’accomplisse ce qui était écrit, et aussi pour créer un voile de lumière étendu sur les secrets de Dieu, pour que Satan et ses serviteurs ne connaissent pas, avant le temps voulu, l’accomplissement du mystère sublime de l’Incarnation. 649.14 Ce soir aussi je sens, bien que je ne les voie pas, les anges autour de moi.

     Et je sens grandir en moi, au dedans de moi, la lumière, une lumière insoutenable telle que celle qui m’enveloppa quand j’ai conçu le Christ, quand je l’ai donné au monde. Lumière qui vient d’un élan d’amour plus puissant que d’habitude. C’est par une semblable puissance d’amour que j’ai arraché le Verbe des Cieux, avant le temps prévu, pour qu’il devienne l’Homme et le Rédempteur. C’est par une puissance d’amour semblable à celle qui me pénètre ce soir, que j’espère que le Ciel me ravira et me transportera là où j’aspire à aller avec mon âme pour chanter, éternellement, avec le peuple des saints et les chœurs des anges, mon impérissable “ Magnificat ” à Dieu pour les merveilles qu’il a faites pour moi, sa servante.

     – Il est probable que ce ne sera pas avec ton âme seulement. La terre te répondra, elle qui, avec ses peuples et ses nations, te glorifiera, te rendra honneur et t’aimera, tant que le monde existera. C’est bien ce qu’a prédit Tobie à ton sujet, quoique d’une manière voilée, parce que c’est toi, et non le Saint des Saints, qui as porté vraiment en toi le Seigneur. A toi seule, tu as donné à Dieu autant d’amour que tous les grands-prêtres et tous les autres serviteurs du Temple n’en ont donné pendant des siècles et des siècles. Un amour pur et ardent. C’est pour cela que Dieu te rendra bienheureuse.

     – Et il accomplira mon unique désir, mon unique volonté. Car l’amour, quand il atteint une plénitude telle qu’il arrive presque à la perfection comme celui de mon Fils et Dieu, cet amour obtient tout, même ce qui paraîtrait, humainement parlant, impossible à obtenir. 649.15 Souviens-toi de cela, Jean, et dis-le à tes frères. Vous serez tellement combattus ! Des obstacles de tout genre vous feront redouter une défaite, des massacres de la part des persécuteurs, et des défections dans les rangs des chrétiens à la morale… proche de celle de Judas, vous déprimeront. N’ayez pas peur. Aimez sans crainte.

     Dieu vous aidera en proportion de votre amour et il vous fera triompher de tout et de tous. On obtient tout si on devient séraphin. Alors l’âme, cette réalité admirable, éternelle, qui est le souffle de Dieu infusé en nous, s’élance vers le Ciel, tombe comme une flamme au pied du divin Trône, et s’adresse à Dieu. Dieu l’écoute, et elle obtient du Tout-Puissant ce qu’elle désire. Si les hommes savaient aimer comme le commande l’antique Loi, et comme mon Fils a aimé et enseigné à aimer, ils obtiendraient tout.

     649.16 C’est ainsi que j’aime. C’est pour cela que je sens que je vais quitter la terre, par excès d’amour comme Jésus est mort par excès de douleur. Voilà ! La mesure de ma capacité d’aimer est comble. Mon âme et ma chair ne peuvent plus la contenir ! Un amour débordant me submerge et en même temps me soulève vers le Ciel, vers Dieu, mon Fils. Et sa voix me dit : “ Viens ! Sors ! Monte vers notre Trône et notre trine étreinte ! ” La terre, ce qui m’entoure, disparaît dans la grande lumière qui me vient du Ciel ! Ses bruits sont couverts par cette voix céleste ! Elle est arrivée pour moi, l’heure de l’étreinte divine, mon Jean ! »

     649.17 Jean s’était un peu apaisé, tout en restant troublé, en écoutant Marie. Dans la dernière partie de son entretien, il la regardait d’un air extasié, comme s’il était lui aussi ravi. Il est devenu aussi pâle que Marie. Comme la pâleur de cette dernière se change lentement en une lumière d’une extrême pureté, il accourt près d’elle pour la soutenir et, en même temps, il s’écrie :

     « Tu es comme Jésus quand il s’est transfiguré sur le Thabor ! Ta chair resplendit comme la lune, tes vêtements brillent comme une plaque de diamant posée devant une flamme d’une extrême blancheur ! Tu n’es plus humaine, Mère ! La pesanteur et l’opacité de la chair ont disparu ! Tu es lumière ! Mais tu n’es pas Jésus. Lui, étant Dieu en plus que d’être homme, pouvait se mouvoir par lui-même, là-haut sur le Thabor, comme ici sur l’Oliveraie, à son Ascension. Toi, tu ne le peux pas. Viens. Je vais t’aider à étendre ton corps las et bienheureux sur ton lit. Repose-toi. »

     Et, très affectueusement, il la conduit prés du pauvre lit sur lequel Marie se couche sans même enlever son manteau.

     649.18 Croisant les bras sur sa poitrine, et abaissant ses paupières sur ses doux yeux brillants d’amour, elle murmure à Jean, qui est penché sur elle :

     « Je suis en Dieu, et Dieu est en moi. Pendant que je le contemple et que je sens son étreinte, dis les psaumes et les pages de l’Ecriture qui se rapportent à moi, en particulier à cette heure-ci. L’Esprit de Sagesse te les indiquera. Récite ensuite la prière de mon Fils ; répète-moi les paroles de l’archange de l’Annonciation, et celles que m’adressa Elisabeth ; et mon hymne de louange… Je te suivrai avec ce que je garde encore présent sur la terre…»

     Jean lutte contre les larmes qui lui montent du cœur. Il s’efforce de dominer l’émotion qui le trouble. Il entonne le psaume 118 de sa très belle voix qui, au cours des années, est devenue semblable à celle du Christ, ce que Marie remarque et ce qui lui fait dire avec un sourire :

     « Il me semble avoir mon Jésus à côté de moi ! »

     Jean le récite presque en entier, puis les trois premiers versets du psaume 41, les huit premiers du psaume 38, le psaume 22 et le psaume 1. Il dit ensuite le Notre Père, les paroles de Gabriel et d’Elisabeth, le cantique de Tobie, le chapitre 24 de l’Ecclésiastique, des versets 11 à 46. Pour terminer, il entonne le “ Magnificat ”. Mais, arrivé au neuvième verset, il s’aperçoit que Marie ne respire plus, tout en ayant gardé une pose et une attitude naturelles. Ellr est souriante, tranquille, comme si elle n’avait pas remarqué l’arrêt de la vie.

     Avec un cri déchirant, Jean se jette à terre contre le bord du lit et il appelle à plusieurs reprises Marie. Il n’arrive pas à se persuader qu’elle ne peut plus lui répondre, que désormais le corps n’a plus son âme vitale.

     Mais il lui faut bien se rendre à l’évidence ! Il se penche sur le visage de la Vierge, demeure figé dans une expression de joie surnaturelle, et des larmes abondantes coulent sur ce doux visage, sur ces mains pures, si doucement croisées sur sa poitrine. C’est l’unique bain que reçoit le corps de Marie : les larmes de l’apôtre de l’amour, du fils adoptif que Jésus lui a donné.

     649.19 Après le premier accès de douleur, Jean, se rappelant le désir de Marie, rassemble les pans de son ample manteau de lin, qui tombaient des bords du lit, et aussi ceux du voile, qui pendent également des deux côtés de l’oreiller. Il étend les premiers sur le corps et les seconds sur la tête.

     Marie ressemble maintenant à une statue de marbre blanc, étendue sur le dessus d’un sarcophage. Jean la contemple longuement et des larmes coulent encore de ses yeux.

     Ensuite, il donne une autre disposition à la pièce en enlevant tout mobilier inutile. Il laisse seulement le lit, la petite table contre le mur, sur laquelle il pose le coffre contenant les reliques, un tabouret qu’il place entre la porte qui donne sur la terrasse et le lit où gît Marie, ainsi qu’une console sur laquelle se trouve la lampe que Jean allume, car maintenant le soir arrive.

     Il se hâte ensuite de descendre à Gethsémani pour y cueillir autant de fleurs qu’il peut en trouver et aussi des branches d’oliviers, dont les olives sont déjà formées. Il remonte dans la petite chambre et, à la clarté de la lampe, il dispose les fleurs et les feuillages autour du corps de Marie comme s’il était au centre d’une grande couronne.

     649.20 Pendant ce travail, il parle à la gisante comme si Marie pouvait l’entendre :

     « Tu as toujours été le lys de la vallée, la suave rose, la belle olive, la vigne féconde, le saint épi. Tu nous as donné tes parfums, l’Huile de vie, le Vin des forts, le Pain qui préserve de la mort l’esprit de ceux qui s’en nourrissent dignement. Elles font bien autour de toi, ces fleurs simples et pures comme toi, garnies comme toi d’épines, et pacifiques comme toi. Maintenant, approchons cette lampe. Comme cela, près de ton lit, pour qu’elle te veille et me tienne compagnie pendant que je te veille, en attendant au moins un des miracles que j’attends et pour l’accomplissement desquels je prie. Le premier est que, selon son désir, Pierre et les autres, que je ferai prévenir par le serviteur de Nicodème, puissent te voir encore une fois. Le second est que, puisque tu as eu en tout un sort semblable à celui de ton Fils, tu puisses comme lui te réveiller avant la fin du troisième jour, pour ne pas me rendre orphelin deux fois. Le troisième, c’est que Dieu me donne la paix, si ce que j’espère qu’il arrive pour toi, comme c’est arrivé pour Lazare, qui ne t’était pas semblable, ne devait pas s’accomplir. Mais pourquoi cela ne devrait-il pas se réaliser ? La fille de Jaïre, le jeune homme de Naïm, le fils de Théophile sont bien redevenus vivants ! Il est vrai qu’alors le Maître a agi… Mais il est avec toi, même si ce n’est pas d’une manière visible. Qui plus est, tu n’es pas morte de maladie comme ceux que le Christ a ressuscités. Mais es-tu vraiment morte ? Morte comme meurt tout homme ? Non. Je sens que non. Ton esprit n’est plus en toi, dans ton corps, et en ce sens on pourrait parler de mort. Mais, étant donné la manière dont cela a eu lieu, je pense que ce n’est qu’une séparation passagère de ton âme sans faute et pleine de grâce d’avec ton corps très pur et virginal. Il doit en être ainsi ! Il en est ainsi ! Comment et quand la réunion arrivera-t-elle avec la vie qui reviendra en toi, je l’ignore. Mais j’en suis tellement certain que je resterai ici, à côté de toi, jusqu’à ce que Dieu, par sa parole ou par son action, me montre la vérité sur ton sort. »

     Jean, qui a fini de mettre tout en ordre, pose la lampe par terre près du lit et s’assied sur le tabouret, puis il contemple, en priant, la gisante.

Que vous propose Jésus aujourd’hui ?
Pour le savoir inscrivez vous à la Newsletter Jésus Aujourd’hui