Marie Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. Ils lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répond : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé. » Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. Jésus reprend : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ! », et elle raconta ce qu’il lui avait dit.
619.10 Marie se retourne pour suivre leur regard, et elle voit un homme très beau. J’ignore comment elle peut ne pas l’identifier tout de suite.
Cet homme la regarde avec pitié et lui demande :
« Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? »
Il est vrai que c’est un Jésus assombri par sa pitié pour une créature que trop d’émotions ont épuisée et qu’une joie imprévue pourrait faire mourir, mais je me demande vraiment pourquoi elle ne le reconnaît pas.
Alors Marie dit au milieu de ses sanglots :
« Ils m’ont pris le Seigneur Jésus ! J’étais venue l’embaumer en attendant sa résurrection… J’ai rassemblé tout mon courage, mon espérance et ma foi, autour de mon amour… et maintenant je ne le trouve plus… J’ai même mis mon amour comme un garde-fou autour de ma foi, de mon espérance et de mon courage, pour les défendre des hommes… Mais tout est inutile ! Les hommes ont enlevé mon Amour, et avec lui ils m’ont tout enlevé… Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et j’irai le chercher… Je ne le dirai à personne… Ce sera un secret entre toi et moi. Regarde : je suis la fille de Théophile, la sœur de Lazare, mais je reste à genoux devant toi, à te supplier comme une esclave. Veux-tu que je t’achète son corps ? Je le ferai. Combien veux-tu ? Je suis riche. Je peux te donner son poids en or et en bijoux. Mais rends-le-moi. Je ne te dénoncerai pas. Veux-tu me frapper ? Fais-le, jusqu’au sang si tu veux. Si tu as de la haine pour lui, fais-la-moi payer. Mais rends-le-moi. Oh ! ne m’appauvris pas de cette misère ! Pitié pour une pauvre femme !… Tu le refuses pour moi ? Fais-le pour sa Mère, alors. Dis-moi où est mon Seigneur Jésus. Je suis forte. Je le prendrai dans mes bras et je le porterai comme un enfant dans un lieu sûr. Tu le vois, depuis trois jours nous sommes frappés par la colère de Dieu à cause de ce qu’on a fait au Fils de Dieu… N’ajoute pas la profanation au crime…
– Marie ! »
Jésus rayonne, en l’appelant. Il se dévoile dans sa splendeur triomphante.
« Rabbouni ! »
Le cri de Marie est vraiment “ le grand cri ” qui ferme le cycle de la mort. Avec le premier, les ténèbres de la haine enveloppèrent la Victime des bandes funèbres, avec le second les lumières de l’amour accrurent sa splendeur.
Et Marie se lève au cri qui emplit le jardin, court aux pieds de Jésus, et voudrait les baiser.
Jésus l’écarte en la touchant à peine du bout des doigts sur le front :
« Ne me touche pas ! Je ne suis pas encore monté vers mon Père avec ce vêtement. Va trouver mes frères et mes amis, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Plus tard, je viendrai à eux. »
Absorbé par une lumière insoutenable, Jésus disparaît alors.
619.11 Marie baise le sol où il se trouvait et court vers la maison. Elle entre comme une fusée, car le portail est entrouvert pour livrer passage au gardien qui sort pour aller à la fontaine ; elle ouvre la porte de la chambre de Marie et s’abandonne sur son cœur en s’écriant :
« Il est ressuscité ! Il est ressuscité ! »
Elle en pleure de bonheur.
Pierre et Jean accourent ; Salomé et Suzanne, toujours apeurées, sortent du Cénacle et écoutent son récit, tandis que Marie, femme d’Alphée, Marthe et Jeanne, le souffle court, révèlent “ qu’elles y sont allées elles aussi et qu’elles ont vu deux anges qui se disaient le gardien de l’Homme-Dieu et l’ange de sa Douleur, et qu’ils ont donné l’ordre d’annoncer aux disciples qu’il était ressuscité. ”
Et comme Pierre hoche la tête, elles insistent :
« Oui. Ils ont dit : “ Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici. Il est ressuscité comme il l’avait dit quand il était encore en Galilée. Ne vous le rappelez-vous pas ? Il l’a prédit : ‘ Le Fils de l’homme doit être livré aux mains des pécheurs et être crucifié, mais le troisième jour il ressuscitera. ’ ” »
Mais Pierre continue à hocher la tête :
« Il s’est passé trop de choses, ces derniers jours ! Cela vous aura troublées. »
Marie-Madeleine lève la tête du sein de Marie, et elle précise :
« Je l’ai vu, je lui ai parlé. Il m’a dit qu’il montait vers le Père et qu’il viendrait ensuite. Comme il était beau ! »
Elle pleure comme elle n’a jamais pleuré, maintenant qu’elle n’a plus à se torturer pour s’opposer au doute qui surgit de tous côtés.
Mais Pierre, et même Jean, restent très hésitants. Ils se regardent, mais leurs yeux se disent : “ Fariboles de femmes ! ”
Alors Suzanne et Salomé osent prendre la parole à leur tour, mais l’inévitable différence dans les détails des gardes qui d’abord sont là comme morts et ensuite ne sont plus là, des anges qui tantôt sont un et tantôt deux et qui ne se sont pas montrés aux apôtres, des deux versions sur la venue de Jésus ici et sur le fait qu’il précède les siens en Galilée, renforce le doute. La conviction des apôtres s’accroît même.
619.12 Marie, la Mère bienheureuse, se tait en soutenant Marie-Madeleine… Je ne comprends pas le mystère de ce silence maternel.
Marie, femme d’Alphée, dit à Salomé :
« Retournons-y toutes les deux. Voyons si nous sommes toutes ivres… »
Et elles sortent en courant.
Les autres restent, paisiblement ridiculisées par les deux apôtres, auprès de Marie qui se tait, absorbée dans une pensée que chacun interprète à sa façon et sans que personne comprenne qu’elle est en extase.
Les deux vieilles femmes reviennent :
« C’est vrai ! C’est vrai ! Nous l’avons vu. Il nous a dit, près du jardin de Barnabé : “ Paix à vous. N’ayez pas peur. Allez dire à mes frères que je suis ressuscité et qu’ils doivent se rendre, d’ici quelques jours, en Galilée. Là-bas, nous serons réunis. ” Ce sont ses propres mots. Marie a raison. Il faut l’annoncer à ceux de Béthanie, à Joseph, à Nicodème, aux disciples les plus fidèles, aux bergers, aller, agir, agir… Oh ! il est ressuscité !… »
Toutes pleurent de bonheur.
« Vous êtes folles, femmes » dit Pierre. « La douleur vous aura troublées. Vous avez pris de la lumière pour un ange, le vent pour une voix, le soleil pour le Christ. Je ne vous critique pas, je vous comprends, mais je ne peux croire qu’à ce que j’ai vu : le tombeau ouvert et vide, et les gardes partis avec le corps volatilisé.
– Mais puisque les gardes eux-mêmes annoncent qu’il est ressuscité ! La ville est en émoi et les princes des prêtres sont fous de colère, parce qu’ils ont parlé pendant leur fuite éperdue ! Ils exigent maintenant que ces soldats reviennent sur leurs propos, et ils les paient pour cela. Mais l’événement se sait déjà, et si les juifs ne croient pas à la Résurrection, ne veulent pas croire, beaucoup d’autres croient…
– Hum ! Les femmes !… »
Pierre hausse les épaules, il est sur le point de prendre la porte.
619.13 Alors Marie, qui tient toujours sur son cœur Marie-Madeleine qui pleure comme un saule sous une averse à cause de sa trop grande joie et qui baise ses cheveux blonds, lève son visage transfiguré et dit une courte phrase :
« Il est réellement ressuscité. Je l’ai tenu dans mes bras et j’ai baisé ses plaies. » Puis elle se penche sur les cheveux de cette passionnée qu’est Marie-Madeleine, et elle ajoute : « Oui, la joie est encore plus forte que la douleur. Mais ce n’est qu’un grain de sable par rapport à ce que sera ton océan de joie éternelle. Heureuse es-tu d’avoir fait parler ton esprit sans tenir compte de la raison. »
Pierre n’ose plus nier… et avec un de ces mouvements du Pierre d’autrefois qui revient affleurer, il s’écrie, comme si c’était des autres et non pas de lui que dépendait le retard :
« Mais alors, s’il en est ainsi, il faut le faire savoir aux autres, à ceux qui sont dispersés dans les campagnes… chercher… agir… Allons, remuez-vous. S’il devait vraiment venir, qu’il nous trouve, au moins. »
Il ne se rend même pas compte que, par ces mots, il reconnaît ne pas encore croire aveuglément à la Résurrection.