Une initative de
Marie de Nazareth

Les différents procès

vendredi 5 avril 30
Jérusalem
James Tissot

Dans les évangiles : Mt 26,57-75 ; Mt 27,1-2 et 11-31 ; Mc 14,53-72 ; Mc 15,1-20 ; Lc 22,54-71 ; Lc 23,1-25 ; Jn 18,12-40 ; Jn 19,1-16

Matthieu 26,57-75 ; 27,1-2 et 27,11-31

Ceux qui avaient arrêté Jésus l’amenèrent devant Caïphe, le grand prêtre, chez qui s’étaient réunis les scribes et les anciens. Quant à Pierre, il le suivait à distance, jusqu’au palais du grand prêtre ; il entra dans la cour et s’assit avec les serviteurs pour voir comment cela finirait.

Les grands prêtres et tout le Conseil suprême cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire mettre à mort. Ils n’en trouvèrent pas ; pourtant beaucoup de faux témoins s’étaient présentés. Finalement il s’en présenta deux, qui déclarèrent : « Celui-là a dit : “Je peux détruire le Sanctuaire de Dieu et, en trois jours, le rebâtir.” » Alors le grand prêtre se leva et lui dit : « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? » Mais Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu. » Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! En tout cas, je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir sur les nuées du ciel. » Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant : « Il a blasphémé ! Pourquoi nous faut-il encore des témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème ! Quel est votre avis ? » Ils répondirent : « Il mérite la mort. »

Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups en disant : « Fais-nous le prophète, ô Christ ! Qui t’a frappé ? »

Cependant Pierre était assis dehors dans la cour. Une jeune servante s’approcha de lui et lui dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus, le Galiléen ! » Mais il le nia devant tout le monde et dit : « Je ne sais pas de quoi tu parles. » Une autre servante le vit sortir en direction du portail et elle dit à ceux qui étaient là : « Celui-ci était avec Jésus, le Nazaréen. » De nouveau, Pierre le nia en faisant ce serment : « Je ne connais pas cet homme. » Peu après, ceux qui se tenaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : « Sûrement, toi aussi, tu es l’un d’entre eux ! D’ailleurs, ta façon de parler te trahit. » Alors, il se mit à protester violemment et à jurer : « Je ne connais pas cet homme. » Et aussitôt un coq chanta. Alors Pierre se souvint de la parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement.

Le matin venu, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mettre à mort. Après l’avoir ligoté, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate, le gouverneur.

On fit comparaître Jésus devant Pilate, le gouverneur, qui l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus déclara : « C’est toi-même qui le dis. » Mais, tandis que les grands prêtres et les anciens l’accusaient, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tous les témoignages portés contre toi ? » Mais Jésus ne lui répondit plus un mot, si bien que le gouverneur fut très étonné.

Or, à chaque fête, celui-ci avait coutume de relâcher un prisonnier, celui que la foule demandait. Il y avait alors un prisonnier bien connu, nommé Barabbas. Les foules s’étant donc rassemblées, Pilate leur dit : « Qui voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ? ou Jésus, appelé le Christ ? » Il savait en effet que c’était par jalousie qu’on avait livré Jésus.

Tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. » Les grands prêtres et les anciens poussèrent les foules à réclamer Barabbas et à faire périr Jésus. Le gouverneur reprit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils répondirent : « Barabbas ! » Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus appelé le Christ ? » Ils répondirent tous : « Qu’il soit crucifié ! » Pilate demanda : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Ils criaient encore plus fort : « Qu’il soit crucifié ! »

Pilate, voyant que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme : cela vous regarde ! » Tout le peuple répondit : « Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors, il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et il le livra pour qu’il soit crucifié.

Alors les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans la salle du Prétoire et rassemblèrent autour de lui toute la garde. Ils lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d’un manteau rouge. Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient devant lui en disant : « Salut, roi des Juifs ! » Et, après avoir craché sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier.

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Marc 14,53-72 et 15,1-20

Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre. Ils se rassemblèrent tous, les grands prêtres, les anciens et les scribes. Pierre avait suivi Jésus à distance, jusqu’à l’intérieur du palais du grand prêtre, et là, assis avec les gardes, il se chauffait près du feu.

Les grands prêtres et tout le Conseil suprême cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mettre à mort, et ils n’en trouvaient pas. De fait, beaucoup portaient de faux témoignages contre Jésus, et ces témoignages ne concordaient pas. Quelques-uns se levèrent pour porter contre lui ce faux témoignage : « Nous l’avons entendu dire : “Je détruirai ce sanctuaire fait de main d’homme, et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme.” » Et même sur ce point, leurs témoignages n’étaient pas concordants.

Alors s’étant levé, le grand prêtre, devant tous, interrogea Jésus : « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? » Mais lui gardait le silence et ne répondait rien. Le grand prêtre l’interrogea de nouveau : « Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? » Jésus lui dit : « Je le suis. Et vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant, et venir parmi les nuées du ciel. » Alors, le grand prêtre déchire ses vêtements et dit : « Pourquoi nous faut-il encore des témoins ? Vous avez entendu le blasphème. Qu’en pensez-vous ? » Tous prononcèrent qu’il méritait la mort.

Quelques-uns se mirent à cracher sur lui, couvrirent son visage d’un voile, et le giflèrent, en disant : « Fais le prophète ! » Et les gardes lui donnèrent des coups.

Comme Pierre était en bas, dans la cour, arrive une des jeunes servantes du grand prêtre. Elle voit Pierre qui se chauffe, le dévisage et lui dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus de Nazareth ! » Pierre le nia : « Je ne sais pas, je ne comprends pas de quoi tu parles. » Puis il sortit dans le vestibule, au dehors. Alors un coq chanta. La servante, ayant vu Pierre, se mit de nouveau à dire à ceux qui se trouvaient là : « Celui-ci est l’un d’entre eux ! » De nouveau, Pierre le niait. Peu après, ceux qui se trouvaient là lui disaient à leur tour : « Sûrement tu es l’un d’entre eux ! D’ailleurs, tu es Galiléen. » Alors il se mit à protester violemment et à jurer : « Je ne connais pas cet homme dont vous parlez. » Et aussitôt, pour la seconde fois, un coq chanta. Alors Pierre se rappela cette parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Et il fondit en larmes.

Dès le matin, les grands prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le Conseil suprême. Puis, après avoir ligoté Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Celui-ci l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui le dis. » Les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations. Pilate lui demanda à nouveau : « Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi. » Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate fut étonné.

À chaque fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils demandaient. Or, il y avait en prison un dénommé Barabbas, arrêté avec des émeutiers pour un meurtre qu’ils avaient commis lors de l’émeute. La foule monta donc chez Pilate, et se mit à demander ce qu’il leur accordait d’habitude. Pilate leur répondit : « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » Il se rendait bien compte que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient livré. Ces derniers soulevèrent la foule pour qu’il leur relâche plutôt Barabbas. Et comme Pilate reprenait : « Que voulez-vous donc que je fasse de celui que vous appelez le roi des Juifs ? », de nouveau ils crièrent : « Crucifie-le ! » Pilate leur disait : « Qu’a-t-il donc fait de mal ? » Mais ils crièrent encore plus fort : « Crucifie-le ! » Pilate, voulant contenter la foule, relâcha Barabbas et, après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour qu’il soit crucifié.

Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur du palais, c’est-à-dire dans le Prétoire. Alors ils rassemblent toute la garde, ils le revêtent de pourpre, et lui posent sur la tête une couronne d’épines qu’ils ont tressée. Puis ils se mirent à lui faire des salutations, en disant : « Salut, roi des Juifs ! » Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui, et s’agenouillaient pour lui rendre hommage. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements. Puis, de là, ils l’emmènent pour le crucifier,

Luc 22,54-71 et 23,1-25

S’étant saisis de Jésus, ils l’emmenèrent et le firent entrer dans la résidence du grand prêtre. Pierre suivait à distance. On avait allumé un feu au milieu de la cour, et tous étaient assis là. Pierre vint s’asseoir au milieu d’eux. Une jeune servante le vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : « Celui-là aussi était avec lui. » Mais il nia : « Non, je ne le connais pas. » Peu après, un autre dit en le voyant : « Toi aussi, tu es l’un d’entre eux. » Pierre répondit : « Non, je ne le suis pas. » Environ une heure plus tard, un autre insistait avec force : « C’est tout à fait sûr ! Celui-là était avec lui, et d’ailleurs il est Galiléen. » Pierre répondit : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. Alors Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement.

Les hommes qui gardaient Jésus se moquaient de lui et le rouaient de coups. Ils lui avaient voilé le visage, et ils l’interrogeaient : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres blasphèmes.

Lorsqu’il fit jour, se réunit le collège des anciens du peuple, grands prêtres et scribes, et on emmena Jésus devant leur conseil suprême. Ils lui dirent : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » Il leur répondit : « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ; et si j’interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. » Tous lui dirent alors : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » Il leur répondit : « Vous dites vous-mêmes que je le suis. » Ils dirent alors : « Pourquoi nous faut-il encore un témoignage ? Nous-mêmes, nous l’avons entendu de sa bouche. »

L’assemblée tout entière se leva, et on l’emmena chez Pilate. On se mit alors à l’accuser : « Nous avons trouvé cet homme en train de semer le trouble dans notre nation : il empêche de payer l’impôt à l’empereur, et il dit qu’il est le Christ, le Roi. » Pilate l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui le dis. » Pilate s’adressa aux grands prêtres et aux foules : « Je ne trouve chez cet homme aucun motif de condamnation. » Mais ils insistaient avec force : « Il soulève le peuple en enseignant dans toute la Judée ; après avoir commencé en Galilée, il est venu jusqu’ici. »

À ces mots, Pilate demanda si l’homme était Galiléen. Apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode, il le renvoya devant ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là.

À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les grands prêtres et les scribes étaient là, et ils l’accusaient avec véhémence. Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate.Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux.

Alors Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple. Il leur dit : « Vous m’avez amené cet homme en l’accusant d’introduire la subversion dans le peuple. Or, j’ai moi-même instruit l’affaire devant vous et, parmi les faits dont vous l’accusez, je n’ai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation. D’ailleurs, Hérode non plus, puisqu’il nous l’a renvoyé. En somme, cet homme n’a rien fait qui mérite la mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. » Ils se mirent à crier tous ensemble : « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. » Ce Barabbas avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville, et pour meurtre. Pilate, dans son désir de relâcher Jésus, leur adressa de nouveau la parole. Mais ils vociféraient : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pour la troisième fois, il leur dit : « Quel mal a donc fait cet homme ? Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. » Mais ils insistaient à grands cris, réclamant qu’il soit crucifié ; et leurs cris s’amplifiaient. Alors Pilate décida de satisfaire leur requête. Il relâcha celui qu’ils réclamaient, le prisonnier condamné pour émeute et pour meurtre, et il livra Jésus à leur bon plaisir.

Jean 18,12-40 et 19,1-16

Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent.

Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. » Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » Il répondit : « Non, je ne le suis pas ! » Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer.

Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » Jésus lui répliqua : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »

Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe.

Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » Pierre le nia et dit : « Non, je ne le suis pas ! » Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta.

Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » Ils lui répondirent : « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » Les Juifs lui dirent : « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? »

Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » Alors ils répliquèrent en criant : « Pas lui ! Mais Barabbas ! » Or ce Barabbas était un bandit.

Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : « Salut à toi, roi des Juifs ! » Et ils le giflaient.

Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : « Voici l’homme. » Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Ils lui répondirent : « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » Jésus répondit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. »

En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors ; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : « Voici votre roi. » Alors ils crièrent : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Vais-je crucifier votre roi ? » Les grands prêtres répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié. Ils se saisirent de Jésus.

Enseignement de Jésus à Maria Valtorta

     603.1 Jésus dit :

     « Tu as contemplé la souffrance de mon agonie spirituelle du jeudi. Tu as vu ton Jésus, angoissé comme un homme frappé à mort qui sent sa vie s’enfuir par les blessures qui le vident de son sang, ou comme une personne dominée par un traumatisme psychique plus grand que ses forces. Tu as vu ce traumatisme s’aggraver progressivement, jusqu’à l’effusion sanguine provoquée par le déséquilibre circulatoire dû à mes efforts pour me dominer et résister au poids qui m’écrasait.

     J’étais, je suis, le Fils du Très-Haut. Mais j’étais aussi le Fils de l’homme. Je désire par ces pages établir clairement ma double nature, également totale et parfaite.

     C’est ma parole qui vous permet d’avoir foi en ma divinité, car elle a des accents qui ne peuvent appartenir qu’à Dieu. Mon humanité vous est montrée par les besoins, les passions, les souffrances que je vous présente et que j’ai subis dans ma chair d’homme véritable, et elle vous est proposée en modèle pour votre humanité, de la même manière que j’instruis votre esprit par ma doctrine de vrai Dieu.

     Tant ma très sainte divinité que ma très parfaite humanité ont été affadies au cours des siècles sous l’action désagrégeante de “ votre ” humanité imparfaite ; leur représentation a été déformée. Vous avez rendu mon humanité irréelle, inhumaine, tout comme vous avez rapetissé ma figure divine en en niant de nombreux aspects qui vous gênaient ; vous n’arriviez plus à reconnaître ces aspects, tant vos esprits étaient étouffés par le vice, l’athéisme, l’humanisme ou le rationalisme.

     En cette heure tragique qui annonce des malheurs universels, je viens vous rafraîchir l’esprit sur ma double nature de Dieu et d’homme, afin que, de nouveau, vous la connaissiez après tout l’obscurantisme dont vous avez recouvert vos esprits, et afin que vous l’aimiez, que vous y reveniez et que vous soyez sauvés par elle. C’est la figure de votre Sauveur. Ceux qui la connaîtront et l’aimeront seront sauvés.

     603.2 Ces jours-ci, je t’ai montré mes souffrances physiques. Elles ont torturé mon humanité. Je t’ai révélé mes souffrances morales qui étaient étroitement liées, entrelacées, à celles de ma Mère, en union totale. On ne peut comparer cette unité dans la douleur qu’aux lianes inextricables des forêts équatoriales : il est impossible de les séparer pour en écarter une, il faut les couper d’un même coup de machette pour se frayer un passage, et les tuer ensemble. Ou, pour prendre un meilleur exemple, il est impossible que la mort d’une mère enceinte n’atteigne pas le bébé qu’elle porte, puisque ce sont la chaleur, la nourriture, le sang, la vie de la mère qui, au rythme des battements de son cœur, pénètrent par des membranes internes jusqu’à l’enfant et achèvent de le mettre au monde.

     Elle, ma pure Mère, ne m’a pas porté neuf mois seulement comme toute femme porte le fruit de l’homme, mais sa vie durant. Nos cœurs étaient unis par des fibres spirituelles et ont toujours battu ensemble ; aucune larme de ma Mère n’a coulé sans strier mon cœur de son sel, et chacune de mes lamentations intérieures a résonné en elle et réveillé sa douleur.

     Vous éprouvez de la peine devant la mère d’un fils condamné par quelque maladie inguérissable, ou devant la mère d’un condamné à mort par la rigueur de la justice humaine. Pensez donc à ma Mère ! Dès l’instant de ma conception, elle a tremblé à l’idée que j’allais être le Condamné… Lorsqu’elle a déposé son premier baiser sur le corps doux et rose du nouveau-né que j’étais, elle a senti d’avance les plaies de son Enfant… Elle aurait cent fois donné sa vie pour m’empêcher de devenir homme et de parvenir au moment de l’Immolation… Elle savait et devait désirer cette heure terrible pour accepter la volonté du Seigneur, pour la gloire de Dieu, par bonté pour l’humanité. Non, il n’y a pas eu d’agonie plus longue que celle de Marie, qui s’est achevée en une douleur plus grande encore.

     603.3 Jamais il n’y eut douleur plus horrible et plus complète que la mienne. Je ne faisais qu’un avec le Père. De toute éternité, il m’avait aimé comme seul Dieu peut aimer. Il avait mis en moi toute sa complaisance et avait trouvé en moi sa joie divine. Et moi, je l’avais aimé comme seul Dieu peut aimer et j’avais trouvé ma joie divine dans mon union avec lui. Il est impossible de vous expliquer les relations inexprimables qui lient éternellement le Père et son Fils, même par ma parole, car, si elle est parfaite, votre intelligence ne l’est pas, de sorte que vous ne pouvez comprendre et connaître qui est Dieu tant que vous n’êtes pas avec lui au Ciel. Eh bien, je sentais croître heure par heure, comme l’eau qui monte et fait pression sur une digue, la sévérité du Père à mon égard.

     En guise de témoignage contre ces brutes que sont les hommes qui ne voulaient pas comprendre qui j’étais, il a ouvert le Ciel à trois reprises pendant ma vie publique : au Jourdain, au Thabor et à Jérusalem, à la veille de la Passion. Mais c’est pour les hommes qu’il l’a fait, et non pour me réconforter. Moi, désormais, j’étais l’Expiateur.

     Il arrive fréquemment, Maria, que Dieu fasse connaître aux hommes l’un de ses serviteurs afin que cela les frappe et que, par cette personne, ils reviennent à lui. Mais là encore, c’est grâce à la souffrance de ce serviteur que cela se produit. C’est lui qui paie, en mangeant le pain amer de la sévérité de Dieu, le réconfort et le salut de ses frères. N’est-ce pas vrai ? Les victimes d’expiation connaissent la rigueur de Dieu. La gloire vient ensuite, une fois que la justice est apaisée. Il n’en est pas comme pour mon amour, qui donne des baisers à ses victimes. Moi, je suis Jésus, je suis le Rédempteur, celui qui a souffert et qui sait, par expérience personnelle, ce qu’est la souffrance d’être regardé sévèrement par Dieu et d’être abandonné de lui ; c’est pourquoi je ne suis jamais sévère, et je n’abandonne jamais personne. Je consume aussi, mais dans un incendie d’amour.

     603.4 Plus l’heure de l’expiation approchait, plus je sentais le Père s’éloigner. Toujours plus séparée du Père, mon humanité se voyait de moins en moins soutenue par la divinité de Dieu. Cela me faisait atrocement souffrir. La séparation de Dieu entraîne la peur, l’attachement à la vie, l’accablement, la fatigue, l’ennui. Plus elle est profonde, plus ces conséquences sont fortes. Quand elle est totale, elle conduit au désespoir. Et celui qui, par décret de Dieu, la subit sans l’avoir méritée, en souffre d’autant plus, parce que son âme vivante sent la coupure de Dieu comme une chair vive sent la coupure d’un membre. Cela provoque un douloureux étonnement, angoissant, qu’il faut avoir connu pour le comprendre.

     Moi, j’ai connu cela. Il m’a fallu tout connaître pour pouvoir plaider devant le Père en votre faveur, et dans tous les domaines. Il m’a donc fallu éprouver votre désespoir, au point que j’ai pu dire : “ Je suis seul. Tous m’ont trahi, abandonné. Même le Père, même Dieu ne me vient plus en aide. ” Et c’est pour cette raison que j’opère de mystérieux prodiges de grâce dans les pauvres cœurs submergés par le désespoir, et que je demande à mes bien-aimés de boire à ma coupe, rendue si amère par l’expérience, afin que ces personnes qui coulent au fond de la mer du désespoir ne refusent pas la croix que je leur offre en guise d’ancre et de salut, mais s’y agrippent. Je pourrai ainsi les amener au bienheureux rivage où seule règne la paix.

     603.5 Je suis seul à savoir si, en ce jeudi soir, j’allais avoir besoin du Père ! Mon esprit agonisait déjà sous l’effort d’avoir surmonté ces deux insupportables douleurs de l’homme : l’adieu à une mère tendrement aimée, et la proximité d’un ami infidèle. Ces deux plaies me brûlaient le cœur, l’une par ses larmes, l’autre par sa haine.

     Il m’avait fallu partager mon pain avec mon Caïn. J’avais dû lui parler en ami pour ne pas l’accuser devant les autres : je n’étais pas sûr qu’ils puissent maîtriser leur violence, et je voulais empêcher un crime, d’ailleurs inutile puisque tout était déjà écrit dans le grand livre de la vie : ma sainte mort, comme le suicide de Judas. D’autres morts réprouvées par Dieu étaient inutiles. Nul autre sang que le mien ne devait être versé, et il en fut ainsi. La corde brisa cette vie en enfermant dans le sac immonde du corps du traître son sang impur d’homme vendu à Satan, car ce sang ne devait pas se mêler, en tombant sur la terre, au sang très pur de l’Innocent.

     Ces deux plaies auraient suffi à faire de moi un agonisant intérieur. Mais j’étais l’Expiateur, la Victime, l’Agneau. Avant d’être immolé, l’agneau connaît la marque brûlante, les coups, le dépouillement, la vente au boucher, enfin le froid du couteau qui pénètre dans sa gorge, le saigne et le tue. Il lui faut d’abord tout abandonner : le pâturage où il a grandi, la mère qui l’a nourri et réchauffé, ses compagnons de vie. Tout. J’ai tout connu, moi, l’Agneau de Dieu.

     603.6 Satan est alors venu, tandis que le Père se retirait aux Cieux. Il était déjà venu me tenter dans les débuts de ma mission, pour m’en détourner. Il était de retour. C’était son heure. L’heure infernale, satanique.

     Des hordes de démons s’étaient répandues cette nuit-là sur la terre, pour porter à son terme la séduction des cœurs et les disposer à souhaiter le meurtre du Christ le lendemain. Chaque membre du Sanhédrin avait le sien, tout comme Hérode, Pilate, et chaque juif qui allait demander que mon sang retombe sur lui. Les apôtres eux-mêmes avaient un tentateur auprès d’eux pour les endormir au moment où, moi, je souffrais, et pour les préparer à la lâcheté. Remarque le pouvoir de la pureté. Jean, le pur, fut le premier à se libérer des griffes démoniaques, et il s’empressa de revenir auprès de son Jésus ; il comprit mon désir inexprimé et me conduisit Marie.

     Mais Judas comme moi avions Lucifer, lui dans le cœur, moi à mes côtés. Nous étions les deux principaux personnages de la tragédie, et Satan s’occupait personnellement de nous. Après avoir conduit Judas au point de non-retour, il s’en prit à moi.

     Avec une ruse parfaite, il me présenta les tortures physiques avec un réalisme inoui. Dans le désert déjà, il avait commencé par la chair. Je le vainquis par la prière. L’esprit a dominé les peurs de la chair.

     Il me montra alors l’inutilité de ma mort, alors qu’il serait bien plus avantageux de vivre pour moi-même sans m’occuper des hommes ingrats. Vivre riche, heureux, aimé. Vivre pour ma Mère, pour lui éviter toute souffrance. Vivre pour amener à Dieu par un long apostolat des hommes nombreux. Il m’exposa que ma mort ne leur apporterait rien, puisqu’ils allaient m’oublier, alors que, si je restais leur Maître, non pas trois ans seulement, mais pendant des dizaines d’années, ils finiraient par s’approprier ma doctrine. Ses anges allaient m’aider à séduire les hommes. Est-ce que je ne voyais pas que les anges de Dieu ne venaient pas à mon secours ? Plus tard, Dieu m’aurait pardonné à la vue de la moisson de croyants que je lui aurais amenés. Au désert aussi, il m’avait poussé à tenter Dieu par l’imprudence. Je l’ai vaincu par la prière. L’esprit a dominé la tentation morale.

     603.7 Il souligna l’abandon de Dieu. Le Père ne m’aimait plus. J’étais chargé de tous les péchés du monde. Je lui faisais horreur. Il était absent, il me laissait seul. Il m’abandonnait à la risée d’une foule féroce. Il ne m’accordait pas le moindre réconfort divin. J’étais absolument seul. Il n’y avait plus, à cette heure, que Satan auprès du Christ. Dieu et les hommes étaient absents, parce qu’ils ne m’aimaient pas. Ils me haïssaient ou étaient indifférents. Je priais pour couvrir ces paroles sataniques. Mais ma prière ne s’élevait plus vers Dieu. Elle retombait sur moi comme les pierres d’une lapidation et m’écrasait sous son poids. Prier avait toujours été pour moi caresser le Père, c’était une voix qui s’élevait et à laquelle répondaient des caresses et des paroles du Père. Mais ma prière était désormais morte, pesante, vaine, et elle butait contre les Cieux clos.

     J’ai alors senti toute l’amertume du fond de la coupe, le goût du désespoir. Et c’était bien ce que voulait Satan : m’amener à désespérer pour faire de moi son esclave. Mais j’ai vaincu ce désespoir, je l’ai vaincu par mes propres forces, parce que je l’ai voulu. Par mes seules forces humaines. Je n’étais plus que l’Homme, mais un homme que Dieu ne secourait plus. Quand Dieu vient à notre aide, il est facile de soulever le monde et de le soutenir comme un jouet d’enfant. Mais quand il n’intervient plus, le poids d’une simple fleur nous écrase.

     J’ai vaincu le désespoir et Satan son créateur, pour servir Dieu et vous servir en vous donnant la Vie. Mais j’ai connu la Mort. Non pas la mort physique d’un crucifié — celle-là fut moins atroce — mais la Mort totale, consciente, du lutteur qui tombe, après avoir triomphé, le cœur brisé et le sang qui s’extravase dans le traumatisme d’un effort supérieur à ses possibilités. Et j’ai sué du sang. J’ai sué du sang pour rester fidèle à la volonté de Dieu.

     603.8 Voilà pourquoi l’ange de ma douleur m’a exposé l’espérance de tous les sauvés par mon sacrifice comme remède à ma mort.

     Vos noms ! Chacun fut pour moi une goutte médicinale infusée dans mes veines pour leur rendre du tonus et leur permettre de remplir leur fonction, chacun fut pour moi vie qui revenait, lumière et force. Au moment des tortures inhumaines, je me suis répété vos noms pour ne pas hurler ma souffrance d’homme, et pour ne pas désespérer de Dieu et l’accuser de se montrer trop sévère et injuste envers sa Victime. Je vous ai vus. Dès cet instant, je vous ai bénis et je vous ai portés dans mon cœur. Et lorsque votre heure est venue de paraître sur cette terre, je me suis penché du haut des Cieux pour accompagner votre naissance, tout heureux à l’idée qu’une nouvelle fleur d’amour était née dans le monde et qu’elle allait vivre pour moi.

     Ah ! Mes bénis ! Consolation du Christ agonisant ! Ma Mère, Jean le disciple bien-aimé, les saintes femmes assistaient à ma mort, mais vous étiez présents, vous aussi. Mes yeux de mourant voyaient, à côté du visage déchiré de ma Mère, vos visages aimants, et c’est ainsi qu’ils se sont fermés, tout au bonheur de vous avoir sauvés, ô hommes qui méritez le sacrifice d’un Dieu. »

     Le 16 février 1944.

     603.9 Jésus dit :

     « Je t’ai fait connaître toutes les souffrances qui ont précédé ma Passion proprement dite. Je te révèle maintenant celles de la Passion en acte. Ce sont celles qui vous frappent le plus lorsque vous les méditez.

     Mais vous le faites trop rarement. Vous ne réfléchissez pas au prix que vous m’avez coûté, ni à quelles tortures est dû votre salut. Vous qui vous plaignez d’une écorchure, d’un choc contre un coin, d’une migraine, vous ne tenez pas compte que je n’étais qu’une plaie, et que ces plaies étaient irritées par bien des moyens créés, qui servaient au tourment de leur Créateur, parce qu’ils augmentaient la torture de Dieu le Fils, sans respect pour le Père de toute création qui les avait formés.

     Mais les moyens n’étaient pas coupables. C’est toujours l’homme qui est coupable, depuis le jour où il a écouté Satan au paradis terrestre. Jusqu’alors la création n’avait ni épine, ni poison ni férocité pour l’homme, cette créature élue. Dieu avait fait un roi de cet homme créé à son image et ressemblance et, dans son amour paternel, il n’avait pas voulu que la création puisse nuire à l’homme. Satan, lui, s’en prit à l’homme et lui tendit des pièges, en commençant par son cœur. Il atteignit ensuite l’homme lui-même, avec la punition du péché, les ronces et les épines.

     603.10 Moi, l’Homme, je n’ai donc pas seulement dû souffrir à cause de l’homme, mais aussi par ses instruments et leurs forces. Des hommes, j’ai reçu insultes et sévices, les instruments en furent les armes.

     Dieu avait donné à l’homme une main pour le distinguer des bêtes sauvages, il lui avait appris à l’utiliser, il l’avait mise en relation avec l’intelligence pour qu’elle exécute les ordres de l’esprit. Une main si parfaite aurait dû ne servir qu’à caresser le Fils de Dieu, dont elle avait reçu caresses et guérison lorsqu’elle en avait besoin. Or elle s’est révoltée contre lui, elle le gifla, lui donna des coups de poing, s’arma de fouets, se fit tenaille pour lui arracher les cheveux et la barbe, et maillet pour enfoncer les clous.

     Les pieds de l’homme n’auraient dû lui servir qu’à courir adorer le Fils de Dieu, mais ils se hâtèrent de venir m’arrêter, me pousser et m’entraîner vers mes bourreaux, en me lançant plus de coups de pied qu’on ne le ferait à l’encontre d’une mule rétive.

     La bouche de l’homme aurait dû être l’instrument de la parole, cette parole qui, de toute la création, a été accordée aux seuls hommes, pour louer et bénir le Fils de Dieu, mais elle s’est emplie de blasphèmes et de mensonges pour en proférer, avec sa bave, contre ma personne.

     L’intelligence de l’homme, qui est la preuve de son origine céleste, s’efforça d’inventer des tourments d’une cruauté raffinée.

     603.11 C’est l’homme tout entier qui a torturé le Fils de Dieu. Pis, il a appelé la terre et ses produits à son secours. Des galets des torrents, il fit des projectiles pour me blesser ; il utilisa des branches en guise de matraques ; le chanvre retors fut utilisé pour former des cordes pour me traîner, en m’entaillant les chairs ; il tressa des épines en une couronne de feu brûlant sur ma tête épuisée ; il se servit des minéraux pour rendre plus cruel le fouet ; le roseau devint un instrument de torture ; les pierres du chemin furent un obstacle sous les pieds vacillants de Celui qui, déjà mourant, montait vers sa mort en croix.

     Le ciel s’est uni à la terre : le froid de l’aube sur mon corps épuisé par l’agonie dans le jardin, le vent qui exacerbe la douleur des blessures, sans oublier le soleil, qui avive les brûlures et la fièvre, amène mouches et poussière, et éblouit mes yeux fatigués sans que mes mains ligotées puissent les en protéger.

     A tout cela s’unirent les fibres offertes à l’homme pour revêtir sa nudité : le cuir devint fouet, la laine du vêtement colla aux plaies ouvertes par les coups, causant des irritations telles que chaque mouvement m’était un supplice.

     603.12 Tout, absolument tout a servi à torturer le Fils de Dieu. A l’heure où il était devenu Hostie offerte à Dieu, lui, par qui toute chose fut créée, les eut toutes contre lui. Non, Maria, rien n’a apporté le moindre réconfort à ton Jésus. A l’exemple de vipères féroces, tout ce qui existe s’en est pris à moi pour me mordre et accroître mon supplice.

     Vous devriez penser à cela lorsque vous souffrez ; si vous comparez votre imperfection à ma perfection et ma souffrance à la vôtre, vous devriez reconnaître que le Père vous aime comme il ne m’a pas aimé, moi, à cette heure-là, et l’aimer de tout votre être, comme je l’ai aimé en dépit de sa sévérité. »

Vision de Maria Valtorta

     604.1 Alors commence la douloureuse marche, par le chemin pierreux qui mène de la petite place où Jésus a été capturé au Cédron et, de là, par un autre chemin, à la ville. Aussitôt les moqueries s’élèvent, les sévices se déclenchent.

     Jésus, lié aux poignets et à la ceinture comme s’il était un fou dangereux, avec les bouts des cordes confiés à des énergumènes ivres de haine, est ballotté d’un côté et de l’autre comme un chiffon abandonné à la colère d’une meute de chiens. Encore seraient-ils excusables si c’étaient des chiens. Mais ce sont des hommes, bien qu’ils n’aient d’humain que l’aspect. Pour accroître la souffrance, ils ont imaginé de joindre deux cordes en sens contraire : l’une sert seulement à emprisonner les poignets qu’elle griffe et irrite par son frottement rugueux, et l’autre, celle de la ceinture, comprime les coudes contre le thorax, et oppresse le haut de l’abdomen jusqu’à le scier, en torturant le foie et les reins où ils ont fait un énorme nœud. De temps à autre, l’homme qui tient les bouts des cordes s’en sert pour fouetter Jésus en lançant : “ Hue ! Allez ! Trotte, baudet ! ” et il y ajoute des coups de pieds, appliqués derrière les genoux du Torturé, qui chancelle. S’il ne tombe pas, c’est uniquement parce que les cordes le maintiennent debout. Mais cela n’évite pas que, tiré à droite par celui qui s’occupe des mains et à gauche par celui qui tient la corde de la ceinture, Jésus aille heurter les murets et les arbres, et tombe brutalement contre le parapet du petit pont sur le Cédron à cause d’un coup plus cruel reçu au moment de le franchir. La bouche contusionnée de Jésus saigne. Il lève ses mains liées pour essuyer le sang qui lui souille la barbe, en silence. C’est vraiment l’agneau qui ne mord pas son bourreau.

     Pendant ce temps, des gens sont descendus ramasser des galets et des cailloux sur la rive et, d’en-bas, une grêle de pierres commence à s’abattre sur une cible facile à atteindre. Comme la marche s’est ralentie sur ce pont étroit et peu sûr, sur lequel les gens s’entassent au point de se gêner les uns les autres, les pierres atteignent Jésus à la tête et aux épaules, mais aussi ses gardiens, qui réagissent en lançant des bâtons et en renvoyant les pierres. Et tout sert à frapper de nouveau Jésus à la tête et au cou. Finalement le pont se dégage, et c’est alors une étroite ruelle qui jette son ombre sur la mêlée : en effet, la lune, qui commence à descendre, n’éclaire pas ce sentier tortueux, et beaucoup de torches se sont éteintes au cours de la cohue.

     Mais la haine tient lieu de lumière pour voir le pauvre Martyr dont la haute taille facilite la torture. Comme il est le plus grand, il est facile de le frapper, de l’attrapper par les cheveux pour l’obliger à renverser violemment la tête, sur laquelle on lance une poignée d’immondices qui doit forcément entrer dans la bouche et dans les yeux, et provoquer nausée et souffrance.

     604.2 Le cortège en vient à traverser le faubourg d’Ophel, ce faubourg où il a accordé tant de bienfaits. La foule hurle pour appeler les dormeurs sur les seuils. Les femmes poussent des cris de douleur et, terrorisées, s’enfuient à la vue de ce qui arrive, mais les hommes qui ont pourtant obtenu de Jésus guérisons, secours, paroles amicales soit baissent la tête par indifférence, soit affectent l’insouciance, quand ils ne passent pas de la curiosité à la colère, aux ricanements, aux gestes de menace, avant de suivre le cortège pour continuer à harceler Jésus. Satan est déjà à l’œuvre…

     Un homme qui veut suivre Jésus pour s’en prendre à lui, est saisi au bras par sa femme qui lui crie :

     « Lâche ! C’est grâce à lui que tu es vivant, homme dégoûtant, espèce de pourri ! Souviens-t’en ! »

     Mais la femme est vaincue par l’homme qui la frappe bestialement en la jetant par terre, et qui court ensuite rejoindre le Martyr sur la tête de qui il jette une pierre.

     Une autre femme, d’un certain âge, cherche à barrer le chemin à son fils au visage de hyène qui accourt avec un bâton pour s’en prendre lui aussi à Jésus. Elle lui crie :

     « Tant que je vivrai, tu ne seras pas l’assassin de ton Sauveur ! »

     Mais la malheureuse, frappée par son fils d’un coup de pied brutal à l’aine, s’abat en hurlant :

     « Déicide et matricide ! Pour le sein que tu déchires une seconde fois et pour le Messie que tu accables, sois maudit ! »

     604.3 La violence s’accroît à mesure que le cortège approche de la ville.

     Jean et Pierre se tiennent devant la porte de la ville. Elle est déjà ouverte, et les soldats romains, l’arme au pied, observent d’où vient le tumulte et comment il se développe, prêts à intervenir si le prestige de Rome devait être lésé. Je crois qu’ils sont arrivés là par un raccourci, après avoir franchi le Cédron en amont du pont, puis précédé rapidement la foule qui, gênée par le nombre, avance lentement. Ils se trouvent dans la pénombre d’une entrée, près d’une petite place qui précède les murs. Ils ont mis leurs manteaux sur la tête pour dissimuler leur visage. Mais à l’arrivée de Jésus, Jean laisse tomber son manteau et découvre son visage pâle et bouleversé au clair de lune, qui brille encore avant de disparaître derrière la colline qui se trouve au-delà des murs — je l’entends appeler Tofet par les sbires qui ont capturé Jésus. Pierre n’ose pas se découvrir, mais il s’avance pour être vu…

     Jésus les regarde… Il a un sourire d’une infinie bonté. Pierre fait demi-tour et revient dans son coin obscur, les mains sur les yeux, courbé, vieilli, déjà une loque humaine. Jean reste courageusement à sa place et ne rejoint Pierre qu’une fois la foule hurlante passée. Il le prend par le coude, le conduit comme si c’était un jeune garçon qui guide son père aveugle, et ils entrent tous deux dans la ville, derrière la foule vociférante.

     J’entends les exclamations étonnées, narquoises, affligées des soldats romains. L’un d’eux maudit ceux qui l’ont fait se lever à cause de ce “ mouton imbécile ” ; un autre se moque des juifs capables de “ prendre une femmelette ” ; un troisième a pitié de la Victime “ qu’il a toujours vue pleine de bonté ” ; l’un des soldats va jusqu’à dire :

     « J’aurais préféré qu’ils me tuent plutôt que de le voir entre leurs mains. C’est un grand homme. Si je vénère quoi que ce soit en ce monde, c’est bien lui et Rome.

     – Par Jupiter ! s’écrie le plus gradé, je ne veux pas d’ennuis. Je vais aller trouver le porte-enseigne. C’est à lui d’en parler à qui de droit. Je ne veux pas que l’on m’envoie combattre les Germains. Ces Hébreux sentent mauvais, ce sont des serpents qui ne nous causent que des ennuis. Mais ici, la vie est sûre. Or je suis sur le point de finir mon temps, et j’ai une petite fille près de Pompéi… »

     604.4 Je perds le reste pour suivre Jésus. Celui-ci s’avance sur le chemin qui monte en tournant vers le Temple. Mais je vois et comprends que la maison d’Hanne, où ils veulent l’amener, est située dans ce labyrinthe qu’est le Temple, qui occupe toute la colline de Sion. Plus exactement, elle y est et elle n’y est pas : elle se trouve à son extrémité, près d’une série de grosses murailles qui semblent marquer la limite de la ville, avant de s’étendre avec des portiques et des cours à travers le flanc de la colline pour arriver dans l’enceinte du Temple proprement dit, c’est-à-dire là où les juifs se rendent pour les diverses manifestations du culte.

     Un haut portail en fer perce la muraille. Vers lui accourent des hyènes volontaires qui y frappent violemment. A peine est-il entrebaillé qu’ils se ruent à l’intérieur en faisant presque tomber la servante venue pour ouvrir, et ils la piétinent afin d’ouvrir tout grand le vantail pour que la foule hurlante, avec le Capturé au milieu, puisse entrer. Une fois tous à l’intérieur, ils le ferment par une barre, peut-être par peur de Rome ou des partisans du Nazaréen.

     Ses partisans ! Où sont-ils ?…

     Une fois passé l’atrium de l’entrée, ils traversent une vaste cour, un couloir, un autre portique et une nouvelle cour. Traînant Jésus, ils lui font alors monter trois marches, puis ils le font passer au pas de course sous des arcades surélevées au-dessus de la cour, pour arriver plus vite à une riche salle où se trouve un homme âgé habillé en prêtre.

     « Que Dieu te console, Hanne » dit celui qui semble être l’officier, si on peut appeler ainsi le gredin qui commande ces brigands. « Voici le coupable. Je le confie à ta sainteté pour qu’Israël soit purifié de la faute.

     – Que Dieu te bénisse pour ta sagacité et ta foi. »

     Belle sagacité ! Il avait suffi de la voix de Jésus pour les faire tomber par terre à Gethsémani.

     604.5 « Qui es-tu ?

     – Jésus de Nazareth, le Rabbi, le Christ. Tu me connais. Je n’ai pas agi dans les ténèbres.

     – Dans les ténèbres, non. Mais tu as dévoyé les foules par des doctrines ténébreuses. Et le Temple a le droit et le devoir de protéger l’âme des enfants d’Abraham.

     – L’âme ! Prêtre d’Israël, peux-tu dire que tu as souffert pour l’âme du plus petit ou du plus grand de ce peuple ?

     – Et toi donc ? Qu’as-tu fait qui puisse s’appeler souffrance ?

     – Ce que j’ai fait ? Pourquoi me le demandes-tu ? Israël tout entier en parle. De la cité sainte au plus misérable, les pierres elles-mêmes parlent pour dire ce que j’ai fait. J’ai rendu aux aveugles la vue des yeux et celle du cœur. J’ai ouvert l’ouïe à ceux qui étaient sourds aux voix de la terre et aux voix du Ciel. J’ai fait marcher les estropiés et les paralytiques pour qu’ils commencent leur marche vers Dieu par la chair, puis progressent avec l’esprit. J’ai purifié les lépreux : des lèpres que la Loi mosaïque signale et de celles qui rendent impur auprès de Dieu : les péchés. J’ai ressuscité les morts ; je ne prétends pas que rappeler à la vie une chair est extraordinaire, mais c’est une grande œuvre de racheter un pécheur, et je l’ai fait. J’ai secouru les pauvres en enseignant aux Hébreux avides et riches le saint précepte de l’amour du prochain et, en restant pauvre malgré les fleuves d’or qui me sont passés par les mains, j’ai essuyé plus de larmes, moi seul, que vous tous, les possesseurs de richesses. J’ai apporté enfin une richesse qui n’a pas de nom : la connaissance de la Loi, la connaissance de Dieu, la certitude que nous sommes tous égaux et que, aux yeux saints du Père, égaux sont les pleurs ou les crimes, qu’ils soient versés ou accomplis par le Tétrarque et le Pontife, ou par le mendiant et le lépreux qui meurt au bord du chemin. Voilà ce que j’ai fait. Rien de plus.

     604.6 – Sais-tu que tu t’accuses toi-même ? Tu parles de lèpres qui rendent impur aux yeux de Dieu et ne sont pas signalées par Moïse. Tu insultes Moïse et tu insinues qu’il y a des lacunes dans sa Loi…

     – Ce n’est pas la sienne, mais celle de Dieu. C’est ainsi. Plus que la lèpre, ce malheur de la chair qui a une fin, je déclare grave la faute qui est un malheur, et un malheur éternel de l’âme.

     – Tu oses dire que tu peux remettre les péchés. Comment le fais-tu ?

     – S’il est permis et croyable qu’on annule une faute par un peu d’eau lustrale et le sacrifice d’un bêlier, qu’on l’expie et qu’on en est purifié, comment mes larmes, mon sang et ma volonté ne le pourront-ils pas ?

     – Mais tu n’es pas mort. Où donc est le sang ?

     – Je ne suis pas encore mort. Mais je le serai, car c’est écrit. C’était écrit au Ciel avant que n’existent Moïse, Jacob et Abraham, mais depuis que le roi du Mal a mordu l’homme au cœur et l’a empoisonné, lui et sa descendance. C’est écrit sur la terre dans le Livre où sont rassemblées les paroles des prophètes. C’est écrit dans les cœurs : dans le tien, dans celui de Caïphe et des membres du Sanhédrin qui ne me pardonnent pas ; non, ces cœurs ne me pardonnent pas d’être bon. J’ai absous, en anticipant sur mon sang. Maintenant, j’accomplis l’absolution par un bain dans ce sang.

     – Tu nous accuses d’être avides et ignorants du précepte d’amour…

     – N’est-ce pas vrai ? Pourquoi me tuez-vous ? Parce que vous avez peur que je vous détrône. Oh ! ne craignez rien. Mon Royaume n’est pas de ce monde. Je vous laisse maître de tout pouvoir. L’Eternel sait quand il faut dire les mots “ Cela suffit ! ” qui vous feront tomber, foudroyés…

     – Comme Doras ?

     – Il est mort de colère, non par la foudre du Ciel. Dieu l’attendait de l’autre côté pour le foudroyer.

     – C’est à moi, son parent, que tu oses dire cela ?

     – Je suis la Vérité. La Vérité n’est jamais lâche.

     – Orgueilleux et fou que tu es !

     – Non : sincère. Tu m’accuses de vous offenser, mais est-ce que vous ne vous haïssez pas tous ? C’est votre animosité contre moi qui vous unit aujourd’hui. Mais demain, quand vous m’aurez tué, votre haine mutuelle renaîtra, encore plus féroce, et vous vivrez avec cette hyène dans le dos et ce serpent dans le cœur. J’ai enseigné l’amour, par pitié pour le monde. J’ai enseigné à ne pas être avide, à faire preuve de pitié. 604.7 De quoi m’accuses-tu ?

     – D’avoir apporté une doctrine nouvelle.

     – O prêtre ! Israël pullule de doctrines nouvelles : esséniens, sadducéens, pharisiens, tous ont la leur. Ensuite, chacun a sa doctrine secrète qui, pour l’un s’appelle plaisir, pour l’autre or, pour un troisième puissance. Chacun a son idole. Pas moi. J’ai repris la Loi piétinée de mon Père, du Dieu éternel, et je suis revenu dire simplement les dix propositions du Décalogue. Je me suis desséché les poumons pour les faire entrer dans des cœurs qui ne les connaissaient plus.

     – Horreur ! Blasphème ! C’est à moi, un prêtre, que tu dis cela ? Israël n’a-t-il pas de Temple ? Sommes-nous comme les exilés à Babylone ? Réponds.

     – C’est ce que vous êtes et plus encore. Il y a bien un Temple, oui, un édifice. Mais Dieu n’y est pas. Il a fui devant l’abomination qui occupe sa maison. Mais pourquoi tant m’interroger puisque ma mort est décidée ?

     – Nous ne sommes pas des assassins. Nous tuons si nous en avons le droit pour une faute avérée. 604.8 Mais moi, je veux te sauver. Parle, et je te sauverai. Où sont tes disciples ? Si tu me les livres, je te laisse libre. Je veux les noms de tous, et ceux qui sont secrets davantage que ceux qui sont connus. Dis-moi : Nicodème est-il à toi ? Et Joseph ? Et Eléazar ? Gamaliel aussi ? Et… pour celui-ci, je suis au courant… inutile de te le demander. Parle, parle. Tu le sais : je peux te tuer et te sauver. Je suis puissant.

     – Tu n’es que fange. Je laisse à la fange le métier d’espion. Moi, je suis Lumière. »

     Un sbire lui donne un coup de poing.

     « Je suis Lumière. Lumière et Vérité. J’ai parlé ouvertement au monde, j’ai enseigné dans les synagogues et au Temple où se rassemblent les juifs, et je n’ai rien dit en secret. Je le répète : pourquoi m’interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu mes paroles. Eux le savent. »

     Un autre sbire le gifle en criant :

     « C’est ainsi que tu réponds au grand-prêtre ?

     – C’est à Hanne que je parle. Le grand-prêtre, c’est Caïphe. Et je m’adresse à lui avec le respect dû à un vieillard. Mais s’il te semble que j’ai mal parlé, montre-le-moi. Autrement, pourquoi me frappes-tu ?

     – Laissez-le faire. 604.9 Je vais trouver Caïphe. Vous, gardez-le ici jusqu’à ce que j’en décide autrement. Et faites en sorte qu’il ne parle à personne. »

     Hanne sort.

     Jésus ne parle pas, non, il ne parle pas. Pas même à Jean qui ose rester sur le pas de la porte en défiant toute la gent policière. Mais Jésus doit, sans mot dire, lui donner un ordre, car Jean, après un regard affligé, sort de là, et je le perds de vue.

     Jésus reste avec ses gardes. Coups de corde, crachats, injures, coups de pied, cheveux arrachés, c’est ce qui lui reste, jusqu’au moment où un serviteur vient demander qu’on amène le Prisonnier dans la maison de Caïphe.

     Toujours lié et maltraité, Jésus passe de nouveau sous les arcades, jusqu’à une entrée, puis il traverse une cour où une foule nombreuse se réchauffe à un feu, car la nuit est devenue froide et venteuse à ces premières heures du vendredi. Pierre et Jean s’y trouvent, mêlés à la foule hostile. Ils doivent avoir un beau courage pour rester là… Jésus les regarde, et une ombre de sourire passe sur ses lèvres déjà enflées par les coups.

     Le chemin est long, à travers portiques, atriums, cours et couloirs. Mais quelles maisons avaient donc ces personnages attachés au Temple ?

     La foule n’entre pas dans les murs de la maison du grand-prêtre. Elle est repoussée dans l’atrium d’Hanne. Jésus s’avance, seul au milieu des sbires et des prêtres. 604.10 Il pénètre dans une vaste salle qui semble perdre sa forme rectangulaire à cause des nombreux sièges disposés en fer à cheval sur trois côtés, laissant au milieu un espace vide au-delà duquel se trouvent deux ou trois fauteuils montés sur des estrades.

     Au moment où Jésus est sur le point d’entrer, le rabbi Gamaliel le rejoint, et les gardes donnent un coup au Prisonnier pour qu’il cède le passage au rabbi d’Israël. Mais celui-ci, raide comme un piquet, hiératique, ralentit et, presque sans remuer les lèvres, sans regarder personne, il demande :

     « Qui es-tu ? Dis-le-moi. »

     Et Jésus, doucement :

     « Lis les prophètes et tu trouveras ta réponse. Le premier signe est chez eux. L’autre va venir. »

     Gamaliel resserre son manteau et entre, suivi de Jésus. Pendant que Gamaliel va s’asseoir, Jésus est traîné au milieu de la salle, en face du grand-prêtre — une vraie figure de criminel —, et on attend qu’entrent tous les membres du Sanhédrin. Enfin, la séance commence. Mais Caïphe voit deux ou trois sièges vides, et il demande :

    « Où est Eléazar ? Et où est Jean ? »

     Un jeune scribe, je crois, se lève, s’incline :

     « Ils ont refusé de venir. Voici l’écrit.

     – Qu’on le conserve et qu’on le note, ils en répondront. 604.11 Qu’est-ce que les saints membres de ce Conseil ont à dire à son sujet ?

     – C’est moi qui prends la parole : dans ma maison, il a violé le sabbat. Dieu m’est témoin que je ne mens pas. Ismaël ben Phabi ne ment jamais.

     – Est-ce vrai, accusé ? »

     Jésus se tait.

     « Je l’ai vu vivre avec des courtisanes connues. En faisant le prophète, il avait transformé son repaire en lupanar, et pour comble avec des femmes païennes. Avec moi, il y avait Sadoq, Ben Calba Schéboua et Nahum, l’homme de confiance d’Hanne. Est-ce que je dis vrai, Sadoq et Ben Calba Schéboua ? Démentez-moi, si je le mérite.

     – C’est vrai. C’est vrai.

     – Que dis-tu ? »

     Jésus se tait.

     « Il ne manquait pas une occasion de nous ridiculiser et de nous faire ridiculiser. La foule ne nous aime plus à cause de lui.

     – Tu les entends ? Tu as profané les membres saints. »

     Jésus se tait.

     « Cet homme est possédé du démon. Revenu d’Egypte, il exerce la magie noire.

     – Peux-tu le prouver ?

     – Je le jure par ma foi et par les tables de la Loi !

     – Grave accusation. Disculpe-toi. »

     Jésus se tait.

     « Ton ministère est illégal, tu le sais, et passible de mort. Parle. »

     Mais Gamaliel intervient :

     « Cette séance est illégale. Lève-toi, Siméon, et partons.

     – Mais rabbi, tu deviens fou ?

     – Je respecte les règles. Il n’est pas permis de procéder ainsi, et j’en ferai une accusation publique. »

     Et le rabbi Gamaliel sort, raide comme une statue, suivi d’un homme d’environ trente-cinq ans qui lui ressemble.

     604.12 Il se fait un peu de tumulte dont profitent Nicodème et Joseph pour parler en faveur du Martyr.

     « Gamaliel a raison. L’heure et l’endroit sont illicites, et les accusations manquent de consistance. Quelqu’un peut-il l’accuser d’avoir méprisé notoirement la Loi ? Je suis son ami et je jure que je l’ai toujours trouvé respectueux de la Loi, déclare Nicodème.

     – Et moi également. Et pour ne pas souscrire à un crime je me couvre la tête, non à cause de lui, mais à cause de nous. Je sors. »

     Joseph s’apprête à descendre de sa place pour partir.

     Mais Caïphe braille :

     « C’est-ce que vous dites ? Dans ce cas, faisons entrer les témoins assermentés. Ecoutez-les, puis vous vous en irez. »

     Entrent deux figures de galériens. Regards fuyants, sourires cruels, mouvements sournois.

     « Parlez.

     – Il n’est pas licite de les entendre ensemble, crie Joseph.

     – Je suis le grand-prêtre. C’est moi qui commande. Et silence ! »

     Joseph donne un coup de poing sur la table et lance :

     « Que les flammes du Ciel s’ouvrent sur toi ! A partir de ce moment, sache que Joseph l’Ancien est ennemi du Sanhédrin et ami du Christ. Et je vais de ce pas avertir le Préteur qu’ici on tue sans respect pour Rome ! »

     A ces mots, il sort en repoussant violemment un jeune scribe maigre qui tentait de le retenir.

     Nicodème, plus paisible, s’éloigne sans dire un mot. En passant devant Jésus, il le regarde…

     604.13 Nouveau tumulte. On craint Rome. Et la victime expiatoire est encore et toujours Jésus.

     « Tout cela, c’est à cause de toi ! Tu es le corrupteur des meilleurs juifs. Tu les as prostitués. »

     Jésus se tait.

     « Qu’on entende les témoins ! crie Caïphe.

     – Oui, celui-ci utilisait le… le… Nous le savions… Comment ça s’appelle, déjà?

     – Le tétragramme, peut-être ?

     – Voilà ! Tu l’as dit ! Il invoquait les morts. Il enseignait la rébellion pour le sabbat et la profanation pour l’autel. Nous le jurons. Il disait qu’il voulait détruire le Temple pour le reconstruire en trois jours avec l’aide des démons.

     – Non. Il disait : il ne sera pas fait de main d’homme. »

     Caïphe descend de son siège et s’approche de Jésus. Petit, obèse, laid, il ressemble à un énorme crapaud près d’une fleur. Car Jésus, malgré ses blessures, ses contusions, souillé et dépeigné, est encore très beau et majestueux.

     « Tu ne dis rien? Quelles horribles accusations ils font contre toi ! Parle pour te laver de cette honte ! »

     Mais Jésus se tait. Il le regarde et se tait.

     604.14 « Adresse-toi à moi, alors. Je suis ton grand-prêtre. Au nom du Dieu vivant, je t’en conjure. Réponds-moi : es-tu le Christ, le Fils de Dieu ?

     – C’est toi qui l’as dit. Je le suis. Et vous verrez le Fils de l’homme, assis à la droite de la puissance du Père, venir sur les nuées du ciel. Du reste, pourquoi m’interroges-tu ? J’ai parlé en public pendant trois ans. Je n’ai rien dit de caché. Interroge ceux qui m’ont entendu. Ils te rapporteront ce que j’ai dit et ce que j’ai fait. »

     Un des soldats qui le tiennent le frappe sur la bouche en le faisant saigner de nouveau, et hurle :

     « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre, ô satan ? »

     Mais Jésus leur répond à tous les deux avec douceur :

     « Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Si j’ai mal parlé, pourquoi ne me dis-tu pas en quoi je me trompe ? Je le répète : je suis le Christ, Fils de Dieu. Je ne puis mentir. Le Grand-Prêtre, le Prêtre éternel, c’est moi. Je suis seul à porter le vrai rational sur lequel il est écrit : Doctrine et Vérité. Et je leur suis fidèle, jusqu’à la mort, ignominieuse aux yeux des hommes, sainte aux yeux de Dieu, et jusqu’à la bienheureuse Résurrection. Je suis l’Oint. Je suis Grand-Prêtre et Roi. Je suis sur le point de prendre mon sceptre et de m’en servir comme d’un van pour purifier l’aire. Ce Temple sera détruit et ressuscitera, nouveau, saint, car celui-ci est corrompu et Dieu l’a abandonné à son destin.

     – Blasphémateur ! crient-ils tous ensemble.

     – Tu ferais cela en trois jours ? Tu es fou et possédé !

     – Non, pas celui-ci, mais le mien se dressera, le Temple du Dieu vrai, vivant, saint, trois fois saint.

     – Anathème ! » hurlent-ils de nouveau.

     Caïphe déchire ses vêtements de lin avec des gestes d’horreur étudiés, et s’exclame de sa voix éraillée :

     « Quels autres témoignages avons-nous besoin d’entendre ? Il a blasphémé. Que faisons-nous donc ? »

     Et tous en chœur :

     « Il est passible de mort. »

     Avec des gestes indignés et scandalisés, ils sortent de la salle, laissant Jésus à la merci des sbires et de la populace des faux témoins. Ceux-ci le giflent, lui donnent des coups de poing, le couvrent de crachats, lui bandent les yeux avec un chiffon puis, en lui tirant violemment les cheveux, ils l’envoient çà et là, les mains liées de façon qu’il heurte les tables, les chaises et les murs. En même temps il lui demandent :

     « Qui t’a frappé ? Devine ! »

     Plusieurs fois, ils lui font des crocs-en-jambe pour le faire tomber par terre et rient vulgairement en voyant comment, les mains liées, il peine à se relever.

     604.15 Les heures passent ainsi, et les bourreaux fatigués songent à prendre un peu de repos. Ils décident de conduire Jésus dans un débarras, mais ils doivent pour cela traverser de nombreuses cours au milieu des moqueries de la foule, déjà dense dans l’enceinte des maisons pontificales.

     Jésus arrive dans la cour où se trouve Pierre près de son feu, et il le regarde. Mais Pierre évite son regard. Jean n’est plus là, je ne le vois pas. Je pense qu’il est parti avec Nicodème…

     L’aurore apporte une lueur vert pâle. Un ordre est donné : il faut ramener le Prisonnier dans la salle du Conseil pour un procès plus légal. C’est à ce moment-là que Pierre nie pour la troisième fois connaître le Christ quand celui-ci passe, déjà marqué par ses souffrances. Et dans la lumière verte de l’aube, les contusions semblent encore plus atroces sur le visage terreux de Jésus, ses yeux plus profonds et vitreux. Jésus est comme assombri par la douleur du monde…

     Un coq lance dans l’air à peine remué de l’aube son cri railleur, sarcastique, gamin. Dans le grand silence qui s’est fait à l’apparition du Christ, on entend la voix rauque de Pierre qui dit : “ Je te le jure, femme. Je ne le connais pas ”, affirmation tranchante, sûre, à laquelle, comme un rire moqueur, répond aussitôt le chant du petit coq.

     Pierre sursaute. Il fait demi-tour pour fuir et se trouve en face de Jésus, qui le regarde avec une infinie pitié, avec une douleur si profonde et si intense qu’elle me brise le cœur comme si, après cela, je devais voir se dissoudre mon Jésus, et pour toujours. Pierre fait entendre un sanglot et sort en titubant comme s’il était ivre. Il s’enfuit derrière deux serviteurs qui sortent dans la rue et se perd dans la route encore à moitié obscure.

     Jésus est ramené dans la salle, et ils lui répètent en chœur la question captieuse :

     « Au nom du vrai Dieu, réponds-nous : es-tu le Christ ? »

     Comme ils obtiennent la même réponse que précédemment, ils le condamnent à mort et donnent l’ordre de le conduire à Pilate.

     604.16 Jésus, escorté par tous ses ennemis hormis Hanne et Caïphe, sort, en repassant par ces cours du Temple où tant de fois il avait parlé, répandu des bienfaits et guéri. Après avoir franchi l’enceinte crénelée, il entre dans les rues et, plutôt traîné que conduit, descend vers la ville qui rosit dans une première annonce de l’aurore.

     Je crois que, dans l’unique but de le tourmenter plus longuement, ils lui font faire un long tour vicieux dans Jérusalem, en passant exprès par les marchés, devant les écuries et les auberges bondées en raison de la Pâque. Les déchets des légumes des marchés, tout comme les excréments des animaux des écuries deviennent alors des projectiles lancés sur l’Innocent dont le visage, voilé par les ordures variées qui se sont répandues sur lui, montre de plus en plus de bleus et de petites lacérations sanglantes. Les cheveux, déjà alourdis et légèrement plaqués par la sueur sanguinolente, sont devenus plus opaques. Comme on les lui ébouriffe pour lui voiler le visage, ils pendent, dépeignés, mêlés de pailles et d’immondices, devant ses yeux.

     Sur les marchés, acheteurs et vendeurs laissent tout en plan pour suivre, et non par amour, le Malheureux. Les garçons d’écuries et les serviteurs des auberges sortent en masse, sourds aux appels et aux ordres de leurs maîtresses. A dire vrai, celles-ci comme presque toutes les autres femmes sont, sinon opposées aux offenses, du moins indifférentes au tumulte, et elles se retirent en grommelant parce qu’on les laisse seules avec tant de clients à servir.

     La troupe hurlante grossit de minute en minute. Il semble que, par quelque subite épidémie, les âmes et les physionomies changent de nature : les premières deviennent des âmes de criminels et les secondes des masques féroces sur des visages bleus de rage ou rouges de colère ; les mains deviennent des griffes, les bouches changent de forme pour hurler comme des loups, les yeux deviennent torves, comme ceux des fous. Seul Jésus est toujours lui-même, bien que maintenant couvert d’immondices jetées sur son corps et altéré par les bleus et les œdèmes.

     604.17 A une arcade qui resserre le chemin comme un anneau, alors que tout s’engorge et ralentit, un cri fend l’air : “ Jésus ! ” C’est Elie, le berger, qui cherche à se frayer un passage en faisant tournoyer une lourde matraque. Vieux, puissant, menaçant et fort, il parvient presque à rejoindre le Maître. Mais la foule, déroutée par l’assaut imprévu, serre les rangs et sépare, repousse, maîtrise cet homme qui est seul contre tout un peuple.

     « Maître ! crie-t-il pendant que le tourbillon de la foule l’absorbe et le repousse.

     – Va !… Ma Mère… Je te bénis… »

     Une fois le passage étroit franchi, le cortège, comme une eau qui retrouve le large après une écluse, se déverse tumultueusement dans une vaste avenue élevée au-dessus d’une dépression entre deux collines, au bout desquelles s’élèvent de splendides palais de grands seigneurs.

     Je recommence à voir le Temple en haut de sa colline, et je comprends que l’on revient au point de départ après le tour inutile imposé au Condamné pour en faire un objet de moquerie pour toute la ville et pour permettre à tous de l’injurier, en augmentant à chaque pas le nombre de ceux qui l’insultent.

     604.18 D’un palais, un cavalier sort au galop. Le caparaçon pourpre sur la blancheur du cheval arabe et la majesté de son aspect, l’épée brandie nue et manœuvrée d’estoc et de taille sur les échines et sur les têtes qui saignent, le font ressembler à un archange. Il a trouvé le meilleur moyen de s’ouvrir un passage dans la foule : il pousse son cheval à se cabrer, en faisant des sabots une arme de défense pour la monture et son maître. Ce mouvement fait tomber de sa tête le voile pourpre et or qui la couvrait, tenu serré par une bande d’or, et je reconnais Manahen.

     « Arrière ! » crie-t-il. « Comment vous permettez-vous de troubler le repos du Tétrarque ? » Mais ce n’est qu’une feinte pour justifier son intervention et sa tentative d’arriver à Jésus. « Cet homme… Laissez-moi le voir… Ecartez-vous, ou j’appelle les gardes… »

     Sous la grêle de coups de plat d’épée et des ruades du cheval et devant les menaces du cavalier, la foule s’ouvre, et Manahen rejoint le groupe de Jésus et des gardes du Temple qui le maintiennent.

     « Laissez passer ! Le Tétrarque est plus grand que vous, serviteurs dégoûtants. Arrière ! Je veux lui parler ! »

     Et il y arrive en chargeant avec son épée le plus acharné des geôliers.

     « Maître !…

     – Merci, mais va-t’en ! Et que Dieu te réconforte !»

     Et, comme il le peut de ses mains liées, Jésus esquisse un geste de bénédiction.

     La foule siffle de loin, et dès qu’elle voit que Manahen s’est retiré, elle se venge d’avoir été repoussée, par une grêle de pierres et d’immondices sur le Condamné.

     604.19 Par une ruelle qui monte et que le soleil a déjà réchauffée, le cortège se dirige vers la tour Antonia, dont la masse apparaît au loin.

     Un cri aigu de femme fend l’air :

     « Oh ! mon Sauveur ! Ma vie pour la sienne, ô Eternel ! »

     Jésus tourne la tête et voit, en haut de la loge fleurie qui couronne une belle maison, Jeanne, femme de Kouza, qui se tient au milieu de ses servantes et serviteurs, avec les petits Matthias et Marie autour d’elle, et lève les bras au ciel.

     Mais le Ciel n’entend pas les prières, aujourd’hui ! Jésus lève les mains et trace un geste de bénédiction et d’adieu.

    « A mort ! A mort le blasphémateur, le corrupteur, le satan ! A mort ses amis ! »

     Sifflets et pierres volent vers la haute terrasse. Je ne sais si quelqu’un est blessé. J’entends un cri aigu et je vois le groupe se séparer et disparaître.

     La longue montée se poursuit… Jérusalem montre ses maisons au soleil, vidées par la haine qui pousse contre Jésus désarmé toute une cité, avec ses habitants effectifs et les occasionels venus pour la Pâque.

     604.20 Des soldats romains, tout un manipule, sortent en courant de l’Antonia, leurs lances dirigées contre la populace, qui se disperse en criant. Restent au milieu du chemin Jésus, les gardes et les chefs des prêtres, des scribes et des anciens du peuple.

     « Qui est cet homme ? Pourquoi cette sédition ? Vous en répondrez à Rome, dit avec hauteur un centurion.

     – Il est passible de mort selon notre loi.

     – Et depuis quand vous a-t-on rendu le jus gladii et sanguinis ? » demande toujours le plus ancien des centurions, un vrai Romain au visage sévère dont une joue est lacérée par une cicatrice profonde. Il parle avec le mépris et le dégoût avec lequel il se serait adressé à des galériens pouilleux.

     « Nous savons que nous n’avons pas ce droit. Nous sommes les fidèles sujets de Rome…

     – Ah ! Ah ! Ah ! Entends-les, Longinus ! Fidèles ! Sujets ! Charognes ! Je vous donnerais les flèches de mes archers en guise de récompense.

     – Ce serait une trop noble mort ! Pour les échines des mulets, il n’y a que le fouet… » répond Longinus avec un flegme ironique.

     Les chefs des prêtres, les scribes et les anciens écument leur venin. Mais ils veulent parvenir à leur but. Alors ils se taisent, ils avalent l’offense sans montrer qu’ils la comprennent et, s’inclinant devant les deux chefs, ils demandent que Jésus soit conduit à Ponce Pilate pour qu’il “ le juge et le condamne avec la justice bien connue et honnête de Rome ”.

     « Ah ! Ah ! Ah ! Tu les entends ? Nous sommes devenus plus sages que Minerve… Ici ! Amenez-le ! Et marchez en avant ! On ne sait jamais. Vous êtes d’immondes chacals. Vous avoir derrière nous est un danger. En avant !

     – Nous ne pouvons pas.

     – Et pourquoi ? Quand quelqu’un accuse, il doit venir devant le juge avec l’accusé. C’est le règlement de Rome.

     – La maison d’un païen est impure à nos yeux, or nous nous sommes déjà purifiés pour la Pâque.

     – Oh ! les pauvres ! Ils se contaminent à entrer ! Et le meurtre de l’unique Hébreu qui soit un homme et non un chacal, un reptile comme vous, cela ne vous souille pas ? C’est bien. Restez là où vous êtes, alors. N’avancez pas, sinon on vous enfilera sur les lances. Une décurie autour de l’Accusé ! Les autres contre cette racaille qui sent du bec mal lavé. »

     604.21 Jésus entre au Prétoire au milieu des dix lanciers, qui forment un carré de hallebardes autour de sa personne. Les deux centurions marchent en avant. Jésus s’arrête dans un large atrium, au-delà duquel se trouve une cour que l’on entrevoit derrière un rideau que le vent remue ; eux disparaissent derrière une porte. Ils reviennent avec le Gouverneur, vêtu d’une toge très blanche sur laquelle est posé un manteau écarlate. C’est peut-être ainsi qu’il leur fallait s’habiller quand ils représentaient officiellement Rome.

     L’air indolent, un sourire sceptique sur son visage rasé, il entre en frottant entre ses mains des feuilles de cédrat dont il hume l’odeur avec volupté. Il se dirige vers un cadran solaire, y jette un coup d’œil et fait demi-tour. Il lance quelques grains d’encens dans un brasier placé aux pieds d’une divinité. Il se fait apporter de l’eau de cédrat et se gargarise. Il regarde sa coiffure toute bouclée dans un miroir de métal très propre. Il semble avoir oublié le Condamné qui attend son assentiment à sa mort. Il mettrait même des pierres en colère.

     Comme l’atrium est complètement ouvert par devant et surélevé de trois hautes marches au-dessus du niveau du vestibule, qui s’ouvre sur la rue, déjà surélevé de trois autres marches par rapport à celle-ci, les juifs voient tout parfaitement et frémissent, mais ils n’osent pas se rebeller par peur des lances et des javelots.

     Finalement, après avoir marché en long et en large dans la vaste pièce, Pilate va se placer en face de Jésus, le regarde et demande aux deux centurions :

     « C’est lui ?

     – Oui.

     – Que ses accusateurs approchent ! »

     Et il va s’asseoir sur un siège placé sur une estrade. Au-dessus de sa tête, les insignes de Rome s’entrecroisent avec leurs aigles dorées et leur sigle puissant.

     « Ils ne peuvent pas venir : ils se contamineraient.

     – Eh bien, cela vaut mieux. Nous épargnerons des fleuves d’essences pour enlever de la pièce leur odeur de bouc. Faites-les du moins approcher là-dessous, et veillez à qu’ils n’entrent pas, puisqu’ils s’y refusent. Cet homme peut être un prétexte pour une sédition.»

     Un soldat part porter l’ordre du Procurateur romain. Les autres s’alignent sur le devant de l’atrium à des distances régulières, beaux comme neuf statues de héros.

     604.22 Les chefs des prêtres, les scribes et les anciens s’avancent alors et saluent avec des courbettes serviles, puis ils s’arrêtent sur la petite place qui se trouve devant le Prétoire, au-delà des trois degrés du vestibule.

     « Parlez, mais soyez brefs. Déjà vous êtes en faute pour avoir troublé la nuit et obtenu par la force l’ouverture des portes. Mais je vérifierai cela. Mandants et mandataires répondront de leur désobéissance au décret. »

     Pilate s’est avancé vers eux, tout en restant dans le vestibule.

     « Nous venons soumettre à Rome, dont tu représentes le divin empereur, notre jugement sur cet homme.

     – Quelle accusation portez-vous contre lui ? Il me semble inoffensif…

     – Si ce n’était pas un malfaiteur, nous ne te l’aurions pas amené. »

     Et dans leur violent désir d’accuser, ils font quelques pas en avant.

     « Repoussez cette plèbe ! Six pas au-delà des gradins de la place ! Les deux centuries aux armes ! »

     Les soldats obéissent rapidement : cent s’alignent sur le degré extérieur le plus haut, dos au vestibule, et cent sur la petite place sur laquelle s’ouvre le portail d’entrée de la demeure de Pilate. J’ai parlé de portail d’entrée : je devrais dire porte cochère ou arc de triomphe, parce que c’est une très vaste ouverture bordée d’une grille, actuellement ouverte, qui permet de pénétrer dans l’atrium grâce au long couloir du vestibule large de six mètres au moins, de sorte que l’on voit bien ce qui arrive dans l’atrium surélevé. Au-delà du vestibule, on voit les figures bestiales des juifs qui regardent, l’air menaçant, satanique même, vers l’intérieur, par delà la barrière armée des soldats qui, coude à coude, comme pour une parade, présente deux cents pointes de lances aux lâches assassins.

     « Je le répète : quelle accusation portez-vous contre lui ?

     – Il a commis un crime contre la Loi de nos pères.

     – Et vous venez me déranger pour cela ? Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon vos lois.

     – Nous ne pouvons pas mettre quelqu’un à mort. Nous ne sommes pas savants. Le droit hébraïque n’est qu’un enfant déficient en comparaison du droit parfait de Rome. En tant qu’ignorants et sujets de Rome, notre maîtresse, nous avons besoin…

    – Depuis quand vous faites-vous tout miel ? Mais vous avez dit une vérité, ô maîtres du mensonge ! Vous avez besoin de Rome ! Oui. Pour vous débarrasser de lui, qui vous gêne. J’ai compris. »

     Et Pilate rit en regardant le ciel serein qui s’encadre comme un ruban rectangulaire de turquoise foncée entre les blancs murs de marbre de l’atrium.

     « Dites-moi : en quoi a-t-il commis un crime contre vos lois ?

     – Nous avons trouvé qu’il mettait le désordre dans notre nation et qu’il empêchait de payer le tribut à César, en se prétendant le Christ, le roi des Juifs. »

     604.23 Pilate retourne près de Jésus, qui se tient au milieu de l’atrium, laissé là par les soldats, lié mais sans escorte tant apparaît nettement sa douceur. Il lui demande :

     « Es-tu le roi des Juifs ?

     – Me poses-tu cette question de toi-même ou parce que d’autres l’insinuent ?

     – Que m’importe ton royaume ? Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et ses chefs t’ont livré pour que je juge. Qu’as-tu fait ? Je sais que tu es loyal. Parle. Est-il vrai que tu aspires à régner ?

     – Mon Royaume n’est pas de ce monde. Si c’était un royaume du monde, mes ministres et mes soldats auraient combattu pour que les Juifs ne s’emparent pas de moi. Mais mon Royaume n’est pas de la terre et tu sais que je ne brigue pas le pouvoir.

     – C’est vrai. Je le sais, on me l’a dit. Mais tu ne nies pas que tu es roi ?

     – Tu le dis. Je suis Roi. C’est pour cela que je suis venu au monde : pour rendre témoignage à la Vérité. Qui est ami de la vérité écoute ma voix.

     – Qu’est-ce que c’est la vérité ? Tu es philosophe ? Cela ne sert à rien devant la mort. Socrate est quand même mort.

     – Mais cela lui a servi devant la vie, à bien vivre, mais aussi à bien mourir et à entrer dans la seconde vie sans avoir trahi les vertus civiques.

     – Par Jupiter ! »

     Pilate le regarde un instant avec admiration, puis il reprend son sarcasme sceptique. Il fait un geste d’ennui, lui tourne le dos, et retourne vers les juifs.

     « Je ne trouve en lui aucune faute. »

     La foule se déchaîne, prise par la panique de perdre sa proie et le spectacle du supplice. Elle hurle :

     « C’est un rebelle !

     – Un blasphémateur !

     – Il encourage le libertinage !

     – Il pousse à la rébellion !

     – Il refuse le respect dû à César !

     – Il veut se faire passer pour prophète !

     – Il fait de la magie !

     – C’est un satan !

     – Il soulève le peuple par ses doctrines en les enseignant dans toute la Judée, où il est venu de Galilée enseigner.

     – A mort !

     – A mort !

     – Il est galiléen ? Tu es galiléen ? »

     Pilate revient vers Jésus :

     « Tu entends comme ils t’accusent ? Disculpe-toi. »

     Mais Jésus se tait.

     604.24 Pilate réfléchit… Puis il prend sa décision.

     « Une centurie ! Qu’on le conduise à Hérode ! Qu’il le juge, c’est son sujet. Je reconnais le droit du Tétrarque et je souscris à l’avance à son verdict. Qu’on le lui dise. Allez. »

     Encadré comme un gredin par cent soldats, Jésus retraverse la ville et rencontre une nouvelle fois Judas, qu’il avait déjà rencontré près d’un marché. J’avais oublié de le dire, tant j’étais écœurée par la bagarre de la populace. Même regard de pitié sur le traître…

     Maintenant, il est plus difficile de lui donner des coups de pied et de bâton, mais les pierres et les immondices ne manquent pas et, si les pierres font seulement du bruit sur les casques et les cuirasses des Romains, elles laissent des marques quand elles atteignent Jésus qui s’avance avec son seul vêtement, puisqu’il a laissé son manteau à Gethsémani.

     En entrant dans le somptueux palais d’Hérode, il rencontre Kouza… qui ne peut le regarder et qui se couvre la tête de son manteau pour ne pas le voir dans cet état.

     604.25 Le voilà dans la salle, devant Hérode. Derrière lui se tiennent les scribes et les pharisiens, qui se sentent ici à leur aise, et entrent en qualité de faux accusateurs. Seul le centurion et quatre soldats l’escortent devant le Tétrarque.

     Celui-ci descend de son siège et tourne autour de Jésus en écoutant les accusations de ses ennemis. Il sourit et se moque. Puis il feint une pitié et un respect qui ne troublent pas plus le Martyr que ses railleries.

     « Tu es grand, je le sais. Je t’ai suivi et je me suis réjoui que Kouza soit ton ami et Manahen ton disciple. Moi… les soucis de l’Etat… Mais je désire vivement te dire combien tu es grand… et te demander pardon… L’œil de Jean… sa voix… m’accusent et sont toujours devant moi. Tu es le saint qui efface les péchés du monde. Absous-moi, ô Christ. »

     Jésus se tait.

     « J’ai entendu dire qu’on t’accuse de t’être dressé contre Rome. Mais n’es-tu la verge promise pour frapper Assur ? »

     Jésus se tait.

     « On m’a dit que tu prophétises la fin du Temple et de Jérusalem. Mais le Temple n’est-il pas éternel comme esprit, puisqu’il est voulu par Dieu, qui est éternel ? »

     Jésus se tait.

     « Tu es fou ? Tu as perdu ton pouvoir ? Satan te coupe la parole ? Il t’a abandonné ? »

     Hérode rit franchement.

     604.26 Mais sur son ordre, des serviteurs accourent avec un lévrier dont la jambe est cassée et qui glapit lamentablement, et un palefrenier simple d’esprit dont la tête est pleine d’eau, un avorton qui bave, le jouet des serviteurs.

     Les scribes et les prêtres fuient en criant au sacrilège à la vue du chien sur un brancard.

     Hérode, faux et railleur, explique :

     « C’est le préféré d’Hérodiade. Un cadeau de Rome. Il s’est cassé une patte hier et elle pleure. Ordonne qu’il guérisse. Fais un miracle. »

     Jésus le regarde avec sévérité et se tait.

     « Je t’ai offensé ? Alors celui-ci : c’est un homme, bien qu’il ne soit guère plus qu’une bête. Donne-lui l’intelligence, toi qui es l’Intelligence du Père… N’est-ce pas ce que tu dis ? »

    Et il rit, offensant.

     Autre regard plus sévère de Jésus, et même silence…

     « Cet homme est trop abstinent et le voilà maintenant abruti par les mépris. Amenez du vin et des femmes, et qu’on le délie. »

     Pendant qu’on libère Jésus de ses liens, des serviteurs en grand nombre apportent des amphores et des coupes, des danseuses entrent… couvertes de rien. Une frange multicolore de lin ceint pour unique vêtement leur mince personne de la taille aux hanches. Rien d’autre. Bronzées parce qu’africaines, souples comme de jeunes gazelles, elles commencent une danse silencieuse et lascive.

     Jésus repousse les coupes et ferme les yeux sans mot dire. La cour d’Hérode rit de son indignation.

     « Prends celle que tu veux. Vis donc ! Apprends à vivre !… » insinue Hérode.

     Jésus est une vraie statue. Les bras croisés, les yeux fermés, il ne bouge pas même quand les danseuses impudiques le frôlent de leurs corps nus.

     « Cela suffit. Je t’ai traité en Dieu, et tu n’as pas agi en Dieu. Je t’ai traité en homme, et tu n’as pas agi en homme. Tu es fou. Un vêtement blanc ! Revêtez-le de celui-ci pour que Ponce Pilate sache que le Tétrarque a jugé son sujet fou. Centurion, tu diras au Proconsul qu’Hérode lui présente humblement son respect et vénère Rome. Allez. »

     Alors Jésus, attaché de nouveau, sort avec une tunique de lin qui lui arrive aux genoux par dessus son vêtement rouge de laine.

     Et ils reviennent chez Pilate.

     604.27 Maintenant la centurie fend non sans peine la foule, qui ne s’est pas lassée d’attendre devant le palais proconsulaire. Il est étrange de voir une foule si nombreuse en ce lieu et dans le voisinage, alors que le reste de la ville paraît vide. Jésus voit les bergers en groupe ; ils sont au complet : il y a là Isaac, Jonathas, Lévi, Joseph, Elie, Matthias, Jean, Siméon, Benjamin et Daniel, avec un petit groupe de Galiléens parmi lesquels je reconnais Alphée et Joseph, fils d’Alphée, ainsi que deux autres que je ne connais pas, mais leur coiffure me laisse croire qu’ils sont juifs. Plus loin, il aperçoit Jean qui s’est glissé à l’intérieur du vestibule, à demi caché derrière une colonne, avec un Romain, probablement un serviteur. Il sourit à celui-ci et à ceux-là… Ses amis… Mais que sont ces quelques amis, et Jeanne, Manahen, ou Kouza au milieu d’un océan de haine qui bout ?…

     604.28 Le centurion salue Ponce Pilate et fait son rapport.

     « Encore là ? Maudite race ! Faites avancer la populace et amenez ici l’accusé. Ah ! Quel ennui ! »

     Il s’avance vers la foule en s’arrêtant toujours au milieu du vestibule.

     « Hébreux, écoutez. Vous m’avez amené cet homme comme fauteur de troubles. Devant vous, je l’ai examiné, et je n’ai trouvé en lui aucun des crimes dont vous l’accusez. Hérode lui non plus n’a rien vu de coupable, et il nous l’a renvoyé. Il ne mérite pas la mort. Rome a parlé. Cependant, pour ne pas vous déplaire en vous enlevant votre amusement, je vais vous donner Barabbas en échange.

     Et lui, je le ferai frapper par quarante coups de bâton. Cela suffit.

     – Non, non ! Pas Barabbas ! Pas Barabbas ! Pour Jésus il faut la mort ! Une mort horrible ! Libère Barabbas et condamne le Nazaréen.

     – Ecoutez ! J’ai parlé de coups de bâton. Cela ne suffit pas ? Je vais le faire flageller alors ! C’est atroce, savez-vous ? On peut en mourir. Qu’a-t-il fait de mal ? Je ne trouve aucune faute en lui et je le délivrerai.

     – Crucifie-le ! Crucifie-le ! A mort ! Tu protèges les criminels ! Païen ! Satan toi aussi ! »

     La foule s’avance par dessous et le premier rang de soldats se déforme dans le heurt, car ils ne peuvent se servir de leurs lances. Mais le second rang, descendant d’un degré, fait tourner les lances et dégage ses compagnons.

     « Qu’on le flagelle, ordonne Pilate à un centurion.

     – Combien de coups ?

     – Comme bon te semble… Le tout est d’en finir. Tout cela m’ennuie. Va… »

     604.29 Jésus est emmené par quatre soldats dans la cour au-delà de l’atrium. Au milieu de cette cour pavée de marbres de couleur, il y a une haute colonne semblable à celle du portique. A environ trois mètres du sol, un bras de fer dépasse d’au moins un mètre et se termine en anneau. On y attache Jésus, mains jointes au-dessus de la tête, après l’avoir fait déshabiller. Il ne garde qu’un petit caleçon de lin et ses sandales. Les mains, attachées au niveau des poignets, sont élevées jusqu’à l’anneau, de façon que, malgré sa haute taille, il ne touche le sol que de la pointe des pieds… Cette position doit être une torture.

     J’ai lu, je ne sais où, que la colonne était basse et que Jésus se tenait courbé. C’est possible. Moi, je dis ce que je vois.

     Derrière lui se place un bourreau au net profil hébraïque, devant lui un autre personnage semblable. Ils sont armés d’un fouet composé de sept lanières de cuir, attachées à un manche et qui se terminent par un martelet de plomb. Rythmiquement, comme pour un exercice, ils se mettent à frapper, l’un devant, l’autre derrière, de manière que le tronc de Jésus se trouve pris dans un tourbillon de coups de fouets.

     Indifférents, les quatre soldats auxquels il a été remis se sont mis à jouer aux dés avec trois autres qui se sont joints à eux. Et les voix des joueurs suivent la cadence des fouets, qui sifflent comme des serpents puis résonnent comme des pierres lancées sur la peau tendue d’un tambour. Ils frappent le pauvre corps si mince et d’un blanc de vieil ivoire de Jésus. D’abord zébré d’un rosé de plus en plus vif, puis violet, il se couvre de traces d’indigo gonflées de sang, qui se rompent en laissant couler du sang de tous côtés. Ils frappent en particulier le thorax et l’abdomen, mais il ne manque pas de coups donnés aux jambes et aux bras et même à la tête, pour qu’il ne reste pas un lambeau de la peau qui ne souffre pas.

     Et pas une plainte… S’il n’était pas soutenu par les cordes, il tomberait. Mais il ne tombe pas et ne gémit pas. Seulement, après une grêle de coups, sa tête pend sur sa poitrine comme s’il s’évanouissait.

     « Arrête-toi ! Il doit être tué vivant » bougonne un soldat.

     Les deux bourreaux s’arrêtent et essuient leur sueur.

     « Nous sommes épuisés » disent-ils. « Donnez-nous notre paye, pour que nous puissions boire et nous désaltérer…

     – C’est la potence que je vous donnerais ! Mais prenez… ! »

     Et le décurion jette une grande pièce à chacun des deux bourreaux.

     « Vous avez bien travaillé. Il ressemble à une mosaïque. Titus, tu dis que c’était vraiment lui, l’amour d’Alexandre ? Dans ce cas, nous l’en informerons pour qu’il en fasse le deuil. Détachons-le un peu. »

     604.30 Une fois délié, Jésus s’abat sur le sol comme s’il était mort. Ils le laissent là, le heurtant de temps en temps de leurs pieds chaussés de caliges pour voir s’il gémit.

     Mais lui se tait.

     « Est-il possible qu’il soit mort ? Il est jeune et c’est un artisan, m’a-t-on dit… or on dirait une dame délicate.

     – Je vais m’en occuper » propose un soldat.

     Il l’assied, le dos appuyé à la colonne. Des caillots de sang restent à l’endroit où Jésus se trouvait… Puis il se dirige vers une fontaine qui coule sous le portique, remplit d’eau une cuvette et la renverse sur la tête et le corps de Jésus.

     « Voilà ! L’eau fait du bien aux fleurs. »

     Jésus soupire profondément et fait mine de se lever, mais il garde les yeux fermés.

     « Bien ! Allons, mon mignon ! Ta dame t’attend !… »

     Mais c’est en vain que Jésus appuie ses mains sur le sol pour tenter de se redresser.

     « Allons ! Vite ! Tu es faible ? Voilà pour te redonner des forces » ironise un autre soldat.

     Et du manche de sa hallebarde, il lui donne une volée de coups au visage et atteint Jésus entre la pommette droite et le nez, qui se met à saigner.

     Jésus ouvre les yeux, il les tourne. Un regard voilé… Il fixe le soldat qui l’a frappé, s’essuie le sang avec la main, puis se lève avec effort.

     « Habille-toi. Ce n’est pas décent de rester ainsi. Impudique ! »

     Tous rient, en cercle autour de lui.

     Il obéit sans mot dire. Il s’incline et lui seul sait ce qu’il souffre en se penchant ainsi vers le sol, couvert de contusions comme il l’est et avec des plaies qui s’ouvrent plus encore lorsque la peau se tend, et d’autres qui se forment à cause des cloques qui crèvent. Un soldat donne un coup de pied aux vêtements et les éparpille. Jésus titube vers l’endroit où ils sont tombés, mais chaque fois qu’il veut les reprendre, un soldat les repousse ou les lance dans une autre direction. Et Jésus, qui éprouve une souffrance aiguë, les suit sans dire un mot pendant que les soldats se moquent de lui en tenant des propos obscènes.

     Il peut finalement se rhabiller. Il remet aussi son vêtement blanc, resté propre dans un coin. Il semble qu’il veuille cacher le rouge qui, hier seulement, était si beau et qui maintenant est sale et taché par le sang versé à Gethsémani. Avant d’enfiler sa tunique courte sur la peau, il s’en sert pour essuyer son visage mouillé et le nettoie ainsi de la poussière et des crachats. Le pauvre, le saint visage de Jésus, paraît alors propre, marqué seulement de bleus et de petites blessures. Il redresse sa coiffure tombée en désordre, et sa barbe, par un besoin inné d’être ordonné.

     Puis il s’accroupit au soleil, car il tremble, mon Jésus… La fièvre commence à se glisser en lui avec ses frissons, et la faiblesse due au sang perdu, au jeûne, au long chemin se fait sentir.

     604.31 On lui lie de nouveau les mains, et la corde revient le scier à l’endroit où l’on voit déjà un bracelet rouge de peau écorchée.

     « Et maintenant ? Qu’en faisons-nous ? Moi, je m’ennuie !

     – Attends. Les juifs veulent un roi, nous allons leur en donner un. Celui-là… » dit un soldat.

     Et il sort en courant, certainement dans une cour qui se trouve derrière, d’où il revient avec un fagot de branches d’aubépine sauvage. Elles sont encore flexibles, car le printemps garde les branches relativement souples, mais leurs épines longues et pointues sont bien dures. De leur dague, ils enlèvent les feuilles et les fleurs, ils plient les branches en forme de cercle et les enfoncent sur la pauvre tête de Jésus. Mais cette couronne barbare lui retombe sur le cou.

     « Elle ne tient pas. Il la faut plus étroite. Retire-la. »

     En l’enlevant, ils griffent les joues de Jésus en risquant de l’aveugler et arrachent ses cheveux. Ils la resserrent. Elle est maintenant trop étroite et, bien qu’ils l’enfoncent en faisant pénétrer les épines dans la tête, elle menace de tomber. Ils l’enlèvent de nouveau en lui arrachant d’autres cheveux. Ils la modifient encore. Finalement, elle va bien. Par devant, elle forme un triple cordon épineux, mais derrière, là où les extrémités des branches se croisent, c’est un vrai nœud d’épines qui pénètrent dans la nuque.

     « Tu vois comme tu es beau ? Bronze naturel et vrais rubis. Regarde-toi, ô roi, dans ma cuirasse, bougonne celui qui a eu l’idée du supplice.

     – La couronne ne suffit pas pour faire un roi. Il faut la pourpre et le sceptre. Dans l’écurie, il y a un roseau et aux ordures une chlamyde rouge. Va les chercher, Cornélius. »

     Ils placent donc ce sale chiffon rouge sur les épaules de Jésus. Avant de mettre le roseau dans ses mains, ils lui en donnent des coups sur la tête en s’inclinant et en saluant : “ Salut, roi des Juifs ” et ils se tordent de rire.

     Jésus les laisse faire. Il accepte de s’asseoir sur le “ trône ”, un bassin retourné, certainement employé pour abreuver les chevaux. Il se laisse frapper, railler, sans jamais parler. Il les regarde seulement… et c’est un regard d’une douceur et d’une souffrance si atroce que je ne puis le soutenir sans m’en sentir blessée au cœur.

     604.32 Les soldats ne cessent leurs railleries qu’en entendant la voix acerbe d’un supérieur qui demande que l’on traduise le coupable devant Pilate.

     Coupable ! Mais de quoi ?

     Jésus est ramené dans l’atrium, maintenant couvert d’un précieux vélarium à cause du soleil. Il a encore la couronne, le roseau et la chlamyde.

     « Avance, que je te montre au peuple. »

     Jésus, bien que brisé, se redresse avec dignité. Oh ! comme il est vraiment roi !

     « Ecoutez, Hébreux. L’homme est ici, je l’ai puni. Mais maintenant laissez-le aller.

     – Non, non ! Nous voulons le voir ! Dehors ! Nous voulons voir le blasphémateur !

     – Conduisez-le dehors et veillez à ce qu’on ne s’empare pas de lui. »

     Et pendant que Jésus sort dans le vestibule et se montre dans le carré des soldats, Ponce Pilate le désigne de la main en disant :

     « Voici l’homme. Voici votre roi. Cela ne suffit pas encore ? »

     Le soleil d’une journée accablante, qui maintenant descend presque à pic — nous sommes juste entre tierce et sexte —, éclaire et met en relief les regards et les visages. Est-ce que ce sont des hommes ? Non, des hyènes enragées. Ils crient, montrent le poing, demandent la mort…

     Jésus se tient debout. Et je vous assure que jamais il n’a eu une telle noblesse, pas même quand il faisait les miracles les plus puissants. Noblesse de la souffrance. Mais il est tellement divin que cela suffirait à le marquer du nom de Dieu. Mais pour dire ce nom, il faut être au moins des hommes. Or il n’y a pas d’hommes à Jérusalem aujourd’hui, seulement des démons.

     Jésus tourne les yeux vers la foule, cherche, découvre quelques amis dans cette mer de visages haineux. Combien ? Moins de vingt amis parmi les milliers d’ennemis… Alors il incline la tête, frappé par cet abandon. Une larme tombe… puis une autre… encore une… La vue de ses pleurs ne suscite pas la pitié, mais une haine encore plus forte.

     604.33 On le ramène dans l’atrium.

     « Alors ? Laissez-le aller. C’est justice.

     – Non. A mort ! Crucifie-le.

     – Je vous donne Barabbas.

     – Non. Le Christ !

     – Dans ce cas, chargez-vous-en. Prenez sur vous de le crucifier, car moi je ne trouve aucune faute en lui qui justifie que je le fasse.

     – Il s’est proclamé Fils de Dieu. Notre loi prescrit la mort pour celui qui se rend coupable d’un tel blasphème. »

     Pilate devient pensif. Il rentre, et s’assied sur son petit trône. Il met la main à son front, son coude sur son genoux, et il scrute Jésus.

     « Approche-toi » dit-il.

     Jésus s’avance au pied de l’estrade.

     « Est-ce vrai ? Réponds. »

     Jésus se tait.

     « D’où viens-tu ? Qu’est-ce que Dieu ?

     – C’est le Tout.

     – Et puis ? Que veut dire le Tout ? Qu’est le Tout pour l’homme qui meurt ? Tu es fou… Dieu n’existe pas. Moi, j’existe. »

     Jésus se tait. Il a prononcé la grande parole à dire, puis il recommence à s’envelopper de silence.

     604.34 Quelqu’un annonce :

     « Ponce : l’affranchie de Claudia Procula demande à entrer. Elle a un écrit pour toi.

     – Voici que les femmes s’en mêlent ! Qu’elle entre. »

     Une Romaine entre et s’agenouille pour présenter une tablette de cire. Ce doit être celle où Procula prie son mari de ne pas condamner Jésus. La femme se retire à reculons pendant que Pilate lit.

     « On me conseille d’éviter ton homicide. Est-ce vrai que tu es plus grand qu’un haruspice ? Tu me fais peur. »

     Jésus se tait.

     « Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te libérer ou de te crucifier ?

     – Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en-haut. Aussi celui qui m’a mis entre tes mains est-il plus coupable que toi.

     – Qui est-ce ? Ton Dieu ? J’ai peur… »

     Jésus se tait. Pilate est sur des charbons ardents : il voudrait et ne voudrait pas. Il craint le châtiment de Dieu, il craint celui de Rome, il craint la vengeance des Juifs. Un moment, c’est la peur de Dieu qui l’emporte. Il va sur le devant de l’atrium et dit d’une voix tonitruante :

     « Il n’est pas coupable.

     – Si tu dis cela, tu es l’ennemi de César. Celui qui se fait roi est son ennemi. Tu veux libérer le Nazaréen. Nous en informerons César. »

     Pilate est pris par la peur de l’homme.

     « Vous voulez sa mort, en somme ? Soit ! Mais que le sang de ce juste ne soit pas sur mes mains. »

     Et, s’étant fait apporter un bassin, il se lave les mains en présence du peuple, qui paraît pris de frénésie et crie :

     « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. Nous ne le craignons pas. A la croix ! A la croix ! »

     604.35 Ponce Pilate retourne sur son trône, il appelle le centurion Longinus et un esclave. Il se fait apporter par l’esclave une table sur laquelle il pose une pancarte et y fait écrire : “ Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. ” Puis il la montre au peuple. Beaucoup s’exclament :

     « Non, pas cela : pas roi des Juifs, mais : il s’est dit le roi des Juifs.

     – Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » déclare durement Pilate.

     Puis, debout, il étend les mains les paumes en avant et en bas et ordonne :

     « Qu’il aille à la croix. Soldat, va préparer la croix. » (Ibis ad crucem ! I, miles, expedi crucem).

     Puis il descend, sans même plus se retourner vers la foule agitée, ni vers le pâle Condamné. Il sort…

     Jésus reste au milieu de l’atrium sous la garde des soldats, attendant la croix.

Enseignement de Jésus à Maria Valtorta

     604.36 Jésus dit :

     « Je veux te faire méditer le passage qui se rapporte à mes rencontres avec Pilate.

     Jean a été presque toujours présent ou du moins très proche, ce qui fait de lui le témoin et le narrateur le plus exact. Il raconte comment, au sortir de la maison de Caïphe, je fus amené au Prétoire. Et il précise “ de bon matin ”. En fait, tu l’as vu, le jour commençait à peine. Il précise aussi : “ Eux (les juifs) n’entrèrent pas pour ne pas se contaminer et pour pouvoir manger la Pâque. ” Hypocrites, comme toujours, ils pensaient se contaminer en piétinant la poussière de la maison d’un païen, mais ils ne trouvaient pas que tuer un innocent était un péché. Et, l’âme satisfaite par le crime accompli, ils purent, mieux encore, goûter la Pâque.

     Ils ont, eux aussi, de nombreux imitateurs. Tous ceux qui intérieurement agissent mal et extérieurement professent le respect pour la religion et l’amour pour Dieu, leur ressemblent. Des formules, des formules, et pas de religion vraie ! Ils m’inspirent répugnance et indignation.

     Les juifs n’entrant pas chez Pilate, celui-ci sortit pour entendre ce qu’avait cette foule vociférante. Expert comme il l’était en matière de gouvernement et de jugement, il comprit dès le premier regard que le coupable n’était pas moi, mais ce peuple ivre de haine. La rencontre de nos regards fut une lecture réciproque de nos cœurs. Je jugeai l’homme pour ce qu’il était, et lui me jugea pour ce que j’étais. J’éprouvai pour lui de la pitié parce que c’était un faible. Il éprouva pour moi de la pitié parce que j’étais un innocent. Il chercha à me sauver dès le premier instant. Et comme c’était uniquement à Rome qu’était déféré et réservé le droit d’exercer la justice envers les malfaiteurs, il tenta de me sauver en disant : “ Jugez-le selon votre Loi. ”

     604.37 Hypocrites une seconde fois, les juifs ne voulaient pas prononcer de condamnation. Il est vrai que Rome avait le droit de juger, mais quand, par exemple, Etienne fut lapidé, Rome dominait toujours à Jérusalem et, malgré cela, ils prononcèrent le jugement et exécutèrent le supplice sans se soucier de Rome. Mais pour moi, ils avaient non pas de l’amour, mais de la haine et de la peur ; ils ne voulaient pas croire que j’étais le Messie, mais ne voulaient pas me tuer matériellement au cas où je l’aurais été. C’est pourquoi ils agirent d’une manière différente et m’accusèrent d’être un fauteur de troubles contre la puissance de Rome — vous diriez : “ rebelle ” —, pour obtenir que Rome me juge.

     Dans leur salle infâme, et plusieurs fois pendant les trois ans de mon ministère, ils m’avaient accusé d’être blasphémateur et faux prophète ; comme tel, j’aurais dû être lapidé, ou tué d’une manière ou d’une autre. Mais cette fois, pour ne pas accomplir matériellement le crime dont ils sentaient instinctivement qu’ils seraient punis, ils le firent accomplir par Rome en m’accusant d’être malfaiteur et rebelle.

     Rien de plus facile, quand les foules sont perverties et les chefs soumis à Satan, que d’accuser un innocent pour défouler leur passion de férocité et d’usurpation, et de supprimer celui qui représente un obstacle et un jugement.

     Nous sommes revenus aux temps de cette époque. De temps en temps, et toujours après une incubation d’idées corrompues, le monde explose en de telles manifestations de perversité. Comme si elle était toute en état de gestation, la foule, après avoir nourri dans son sein son monstre avec des doctrines de fauves, le met au jour pour qu’il se révèle, qu’il dévore d’abord les meilleurs, puis se dévore elle-même.

     604.38 Pilate rentre au Prétoire, m’appelle auprès de lui et m’interroge. Il avait déjà entendu parler de moi. Certains de ses centurions répétaient mon nom avec un amour reconnaissant, les larmes aux yeux et le sourire au cœur, et parlaient de moi comme d’un bienfaiteur. Dans leurs rapports au Préteur, lorsqu’on les interrogeait sur ce prophète qui attirait à lui les foules et prêchait une doctrine nouvelle qui traitait d’un royaume étrange, inconcevable à une mentalité païenne, ils avaient toujours répondu que j’étais un homme doux, bon, qui ne cherchait pas les honneurs de cette terre, et qui inculquait et pratiquait le respect et l’obéissance aux autorités. Plus sincères que les juifs, ils voyaient la vérité et déposaient en sa faveur.

     Le dimanche précédent, attiré par les cris de la foule, il s’était avancé sur la route et avait vu passer sur une jeune ânesse un homme désarmé qui bénissait, entouré d’enfants et de femmes. Il avait compris que cet homme n’aurait pu constituer un danger pour Rome.

     Il veut donc savoir si je suis roi. Avec son ironique scepticisme païen, il voulait rire un peu de ce roi qui chevauche un âne, qui a pour courtisans des enfants nu-pieds, des femmes souriantes, des hommes du peuple, ce roi qui, depuis trois ans, prêche qu’il ne faut pas avoir d’attirance pour les richesses et le pouvoir, et qui ne parle d’autres conquêtes que de celles de l’esprit et de l’âme. Qu’est l’âme pour un païen ? Même ses dieux n’ont pas d’âme. Et l’homme pourrait-il en avoir une ? Maintenant aussi ce roi sans couronne, sans palais, sans cour, sans soldats, lui répète que son royaume n’est pas de ce monde. C’est si vrai qu’aucun ministre et aucune troupe ne se lèvent pour défendre leur roi et l’arracher à ses ennemis.

     Pilate, assis sur son siège, me scrute : je suis une énigme pour lui. S’il débarrassait son âme des soucis humains, de l’orgueil de sa charge, de l’erreur du paganisme, il comprendrait tout de suite qui je suis. Mais comment la lumière pourrait-elle pénétrer là où trop de préjugés bouchent les ouvertures pour empêcher la lumière d’entrer ?

     604.39 Il en est toujours ainsi, mes enfants, maintenant encore. Comment Dieu et sa lumière pourraient-ils entrer là où il n’y a plus de place pour eux, là où les portes et les fenêtres sont barricadées et défendues par l’orgueil, l’humanité, par le vice, par l’usure, par tant de gardiens au service de Satan contre Dieu ?

     Pilate ne peut comprendre ce qu’est mon royaume. Et ce qui est plus douloureux, il ne demande pas que je le lui explique. A mon invitation à lui faire connaître la vérité, lui, l’indomptable païen, répond : “ Qu’est-ce que la vérité ? ”, et il laisse tomber la question en haussant les épaules.

     Oh ! mes enfants ! mes enfants ! mes Pilate de maintenant ! Vous aussi, comme Ponce Pilate, vous laissez tomber, en haussant les épaules, les questions les plus vitales. Elles vous semblent inutiles, dépassées. Qu’est-ce que la vérité ? De l’argent ? Non. Des femmes ? Non. Le pouvoir ? Non. La santé physique ? Non. La gloire humaine ? Non. Dans ce cas, laissons-la tomber. Cette chimère ne mérite pas que l’on coure après elle. Argent, femmes, puissance, santé, confort, honneurs, voilà des choses concrètes, utiles, à aimer et à atteindre de toutes façons. C’est ainsi que vous raisonnez. Et, pires en cela qu’Esaü, vous troquez les biens éternels pour un aliment grossier qui nuit à votre santé physique et qui vous nuit pour votre salut éternel. Pourquoi ne persistez-vous pas à demander : “ Qu’est-ce que la vérité ” ? Elle, la Vérité, ne demande qu’à se faire connaître pour vous instruire à son sujet. Elle est devant vous comme pour Pilate, et elle vous observe avec les yeux d’un amour suppliant en vous implorant : “ Interroge-moi, je t’éclairerai ”.

     Tu vois comment je regarde Pilate ? Je vous regarde tous ainsi. Et si j’ai un regard d’amour pour celui qui m’aime et demande à entendre mes paroles, je considère avec un amour affligé celui qui ne m’aime pas, ne me cherche pas, ne m’écoute pas. Mais c’est toujours de l’amour, car l’Amour est ma nature.

     604.40 Pilate me laisse là où je suis sans m’interroger davantage, et il va trouver les mauvais qui parlent plus fort et s’imposent par leur violence. Et il les écoute, ce malheureux qui ne m’a pas écouté et qui a repoussé d’un haussement d’épaule mon invitation à connaître la vérité. Il écoute le mensonge. L’idolâtrie, quelle qu’en soit la forme, est toujours portée à respecter et à accepter le mensonge, quel qu’il soit. Et le mensonge, accepté par un faible, l’amène au crime.

     Cependant Pilate, sur le seuil du crime, veut encore me sauver à plusieurs reprises. C’est alors qu’il m’envoie à Hérode. Il sait bien que le roi rusé, qui louvoie entre Rome et son peuple, agira de manière à ne pas blesser Rome et à ne pas heurter le peuple juif. Mais, comme tous les faibles, il recule de quelques heures la décision qu’il ne se sent pas en mesure de prendre, dans l’espoir que l’émeute se calmera.

     Je vous l’ai dit : “ Que votre parole soit : oui, oui ; non, non. ” Mais lui ne m’a pas entendu ou si quelqu’un le lui a répété, il a haussé les épaules comme d’habitude. Pour triompher dans le monde, pour obtenir honneurs et profits, il faut savoir faire un non d’un oui, ou un oui d’un non, selon que le bon sens (lis : le bon sens humain) le conseille.

     Combien de Pilate compte le vingtième siècle ! Où sont les héros du christianisme qui disaient oui, constamment oui, à la vérité et pour la vérité, et non, constamment non, au mensonge ? Où sont les héros qui savent affronter le danger et les événements avec la force de l’acier et avec une sereine promptitude et sans atermoiement, car le bien, il faut l’accomplir tout de suite et fuir tout de suite le mal sans “ mais ” et sans “ si ” ?

     604.41 A mon retour de chez Hérode, Pilate a tenté une nouvelle transaction : la flagellation. Qu’espérait-il ? Ne savait-il pas que la foule est un fauve qui devient plus féroce à la vue du sang ? Mais je devais être brisé pour expier vos péchés de la chair. Et je fus brisé. Il n’y a pas une partie de mon corps qui n’ait été frappée. Je suis l’Homme dont parle Isaïe. Et au supplice ordonné par Pilate s’ajouta celui qui ne l’était pas, mais qui fut suscité par la cruauté humaine : les épines.

     Vous le voyez, hommes, votre Sauveur, votre Roi, couronné de douleur pour vous libérer la tête de tant de fautes qui y fermentent ? Réfléchissez-vous à la torture qu’a subie ma tête innocente pour expier pour vous, pour vos péchés toujours plus atroces de pensée qui se transforment en actes ? Vous qui vous offensez même quand il n’y a pas de motif de le faire, regardez le Roi offensé : et il est Dieu, avec son dérisoire manteau de pourpre déchiré, son sceptre de roseau et sa couronne d’épines. Il a beau être déjà mourant, ils le fouettent encore de leurs mains et de leurs moqueries. Et vous n’en éprouvez pas de pitié. Comme les juifs, vous continuez à me montrer le poing et à crier : “ Dehors, dehors ! Nous n’avons pas d’autre Dieu que César ”, ô idolâtres qui n’adorez pas Dieu, mais vous-mêmes, et parmi vous celui qui est le plus autoritaire. Vous ne voulez pas du Fils de Dieu. Pour vos crimes, il ne vous aide pas. Satan est plus serviable. Aussi vous préférez Satan. Du Fils de l’homme, vous avez peur, comme Pilate. Et quand vous le sentez vous dominer par sa puissance, et s’agiter par la voix de la conscience qui vous fait des reproches en son nom, vous demandez comme Pilate : “ Qui es-tu ? ”

     Qui je suis, vous le savez. Même ceux qui me nient savent ce que je suis et qui je suis. Ne mentez pas. Vingt siècles m’entourent, mettent en lumière qui je suis et vous font connaître mes prodiges. Pilate est plus pardonnable. Pas vous, qui avez un héritage de vingt siècles de christianisme pour soutenir votre foi ou pour vous l’inculquer, et ne voulez rien savoir. Pourtant je me suis montré plus sévère avec Pilate qu’avec vous. Je ne lui ai pas répondu. Avec vous je parle et, malgré cela, je ne réussis pas à vous persuader que je suis le Christ, et que vous me devez adoration et obéissance.

     Vous m’accusez même d’être votre ruine, parce que je ne vous écoute pas. Vous dites que vous perdez la foi à cause de cela. Oh ! menteurs ! Où est-elle, votre foi ? Où est-il, votre amour ? Quand donc priez-vous et vivez-vous avec amour et foi ? Etes-vous des grands ? Rappelez-vous que vous êtes tels parce que je le permets. Etes-vous des anonymes dans la foule ? Rappelez-vous qu’il n’y a pas d’autre Dieu que moi. Personne n’est plus grand que moi et personne n’existait avant moi. Rendez-moi donc ce culte d’amour qui me revient et je vous écouterai, car vous ne serez plus des bâtards, mais des enfants de Dieu.

     604.42 J’en viens à la dernière tentative de Pilate pour me sauver la vie, en admettant qu’il ait pu la sauver après l’impitoyable et illimitée flagellation que j’ai subie. Il me présente à la foule : “ Voilà l’Homme ! ” Je lui fais humainement pitié. Il espère dans la pitié de la foule. Mais devant la dureté qui résiste et la menace qui avance, il ne sait pas accomplir un acte surnaturellement — juste et bon par conséquent —, et dire : “ Je le libère parce qu’il est innocent. C’est vous qui êtes coupables, et si vous ne vous dispersez pas, vous allez connaître la rigueur de Rome. ” C’est cela qu’il devait dire s’il avait été juste sans calculer le mal qui pouvait lui en venir par la suite.

     Pilate n’est pas vraiment bon. Longinus l’est, lui qui, bien que moins puissant que le Préteur et moins défendu — il est au milieu du chemin, entouré de peu de soldats et d’une multitude ennemie —, ose me défendre, m’aider, m’accorder du repos, me réconforter par la présence des saintes femmes, demander l’intervention de Simon de Cyrène pour m’aider, et enfin permettre à ma Mère de venir au pied de la croix. Celui-là fut un héros de la justice et devint ainsi un héros du Christ.

     Sachez-le, ô hommes qui vous préoccupez uniquement de votre confort matériel, Dieu intervient même pour ses besoins quand il vous voit fidèles à la justice, qui est une émanation de Dieu. Je récompense toujours celui qui agit avec rectitude. Je défends celui qui me défend. Je l’aime et le secours. Je suis toujours celui qui a dit : “ Qui donnera un verre d’eau en mon nom aura sa récompense. ” A qui me donne de l’amour – cette eau qui désaltère mes lèvres de Martyr divin –, je me donne moi-même, avec ma protection et ma bénédiction. »

Observation

Le vêtement blanc des fous

Jésus comparait devant Hérode. Celui-ci, d’abord flatté que Pilate s’adresse à lui pour juger Jésus, se montre à la fois curieux, cauteleux, railleur, faux et tentateur... Toutefois le silence de Jésus le lasse vite, mais ses angoisses superstitieuses endiguent en lui toute velléité de requérir une peine capitale. Sa fourberie lui permet d’esquiver le traquenard conçu par Pilate. Il s’en sort habilement : « Tu es fou. Un vêtement blanc . Revêtez-le de celui-ci pour que Ponce Pilate sache que le Tétrarque a jugé fou son sujet ». (EMV 604.26).

Cet épisode est rapporté par saint Luc 23, 11, et le latin de la Vulgate (1) se traduit littéralement : « Hérode avec sa garde le méprisa et le revêtit d'une robe blanche et le renvoya à Pilate ». Ce fut l’interprétation qui prévalu au cours des siècles, comme en témoignent par exemple les Mystères du Moyen Age où l’on représentait Hérode donnant l’ordre au bourreaux de vêtir Jésus de la robe blanche des fous : « Prens l’abillement d’un de mes foulz » (Mystère de la Résurrection 1499 BNF H 4353 Incunables) ; sainte Mechtilde de Helfa (1241-1298) : « O le plus savant des maîtres, comment réparer les moqueries qui vous ont fait revêtir d’une robe blanche comme un insensé ? » (Le livre de la Grâce spéciale Ed. Mame 1930 p62) ; sainte Marie Madeleine de Pazzi (1566-1607) qui vit en extase Jésus devant Hérode : « Ils t’ont considéré comme fou, ils t’ont mis un vêtement blanc pour t’humilier et te déshonorer » (Les quarante jours, 20) ; ou encore Paolo Segneri : « On vous a vêtu d’un habit blanc comme un fou et un insensé » (L’instruction du pénitent 1695 Chap. X page 167). De même saint Alphonse de Liguori : « Hérode (…) le fit recouvrir d'une robe blanche, telle qu'on en faisait porter aux fous et aux insensés » (L’amour des âmes Chap. VII §VI). Est-ce un hasard si la camisole blanche reste, dans l’inconscient collectif, indissociable de la folie ?

Curieusement, depuis la fin du 19e siècle, la plupart des traductions modernes indiquent « habit éclatant » (Segond, Crampon, TOB) ou « habit splendide » (Osty, Jérusalem). En 1864, Augustin Crampon donna cette explication : « On n’est pas d’accord sur la signification symbolique qu’Hérode et ses courtisans attachèrent à la robe blanche dont ils revêtirent par mépris le Sauveur. Elle signifiait, selon les uns : c’est un fou ; selon les autres : c’est un innocent, un simple d’esprit, un homme sans valeur et sans portée ; selon Kuinœl : c’est un candidat, un aspirant aux honneurs de la royauté et de la divinité : on sait qu’à Rome les candidats se présentaient aux suffrages du peuple revêtus d’une robe blanche. D’autres enfin, avec Meyer, attachant moins d’importance à l’idée précise de blancheur, traduisent, une robe éclatante, et voient dans cette scène un jeu à peu près semblable à celui des soldats qui couronnèrent Jésus d’épines, et couvrirent ses épaules d’une casaque rouge » (Mt 27,28 et Mc 15,17).

La vision de Maria Valtorta semble restituer l’évènement dans toute sa signification et sa véracité.

(1) Luca 23,11 : Sprevit autem illum Herodes cum exercitu suo et inlusit indutum veste alba et remisit ad Pilatum.

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