Une initative de
Marie de Nazareth

La nuit du Vendredi Saint

vendredi 5 avril 30
Jérusalem

Vision de Maria Valtorta

     612.1 Marie, secourue par les femmes en pleurs, revient à elle. Elle n’a plus que la force de sangloter. Il semble vraiment que sa vie doive s’écouler et se consumer tout entière dans ces larmes.

     Les femmes veulent qu’elle se restaure. Marthe lui offre un peu de vin, la gardienne voudrait qu’elle prenne au moins un peu de miel. Marie, femme d’Alphée, à genoux devant elle, lui présente une tasse de lait tiède en disant :

     « Je l’ai trait moi-même à la chèvre de la petite Rachel. »

     (Peut-être s’agit-il d’une fille de la famille qui habite dans cette maison de Lazare, comme locataires ou comme gardiens, je ne sais). Mais Marie ne veut rien. Pleurer, seulement pleurer. Et aussi demander et s’entendre promettre que l’on battra le rappel des apôtres et des disciples, que l’on recherchera la lance et les vêtements et que, quand il fera jour, puisque maintenant ils ne veulent pas la laisser aller, elles lui permettront d’entrer dans la pièce du Cénacle.

     « Oui. Si tu es un peu tranquille, si tu reposes un peu, je t’y conduirai » dit sa belle-sœur. « Nous entrerons toutes les deux et, à genoux, j’irai pour toi à la découverte de toute trace de Jésus… » Marie, femme d’Alphée, sanglote. « Mais tu vois ? Ici tu as la coupe et le pain entamé par lui, employé par lui pour l’Eucharistie. Y a-t-il plus saint souvenir ? Tu vois ? Jean te les a apportés dès ce matin pour que tu les voies ce soir… 612.2 Pauvre Jean qui est là, qui pleure et qui a peur…

     – Peur ? Pourquoi ? Viens, Jean. »

     Jean sort de l’ombre — car dans la pièce il n’y a qu’une petite lampe posée sur la table près des objets de la Passion —, et vient s’agenouiller aux pieds de Marie, qui lui fait une caresse et lui demande :

     « Pourquoi as-tu peur ? »

     Alors Jean, en embrassant ses mains et en pleurant :

     « Parce que tu es malade. Tu es fiévreuse et angoissée… Et tu n’es pas tranquille. Si tu continues ainsi, tu vas mourir comme lui est mort…

     – Ah ! Si cela pouvait être vrai !

     – Non ! Mère ! Maman ! Oh ! il est plus doux de dire : “ Maman ”, comme à la mienne ! Laisse-moi t’appeler ainsi… Je ne trouve pas de différence entre ma mère et toi, et même je t’aime encore plus qu’elle, parce que tu es la Mère que Jésus m’a donnée et que tu es sa Mère, par conséquent ne fais pas une trop grande différence entre le Fils né de toi et le fils qui t’a été donné… Et aime-moi un peu comme tu l’aimes, lui… Si c’était lui qui te disait : “ J’ai peur que tu meures ”, lui répondrais-tu : “ Ah ! Si cela pouvait être vrai ! ” ? Non, n’est-ce pas ? Tu regretterais au contraire de t’en aller et le laisser dans un monde de loups, lui, ton Agneau… Et pour moi tu n’es pas en peine ?… Je suis tellement plus agneau que lui, non par bonté et pureté, mais par stupidité et par peur. Si tu n’es plus là pour moi, le pauvre Jean sera dévoré par les loups sans avoir su élever un bêlement qui parle de son Maître… Veux-tu que je meure ainsi, sans le servir ? Stupide dans la mort comme dans la vie ? Non, n’est ce pas ? Alors, Maman, cherche à t’apaiser… Pour lui… D’ailleurs ne dis-tu pas qu’il va ressusciter ? Si, tu le dis, et c’est vrai. Veux-tu donc qu’à sa résurrection, il trouve la maison vide de toi ? Car il viendra sûrement ici… Oh ! pauvre, pauvre Jésus si, au lieu de ton cri d’amour, il entendait nos lamentations de deuil et si, au lieu de trouver ton sein pour poser sa tête martyrisée et glorieuse, il trouvait close la porte de ton tombeau. Tu dois vivre. Pour le saluer quand il reviendra… je ne dis pas “ à notre amour ”. Nous méritons tous des reproches pour la façon dont nous nous sommes conduits. Mais à ton amour. 612.3 Oh ! Que sera cette rencontre ? Et lui, comment sera-t-il ? Mère de la Sagesse, Maman du très ignorant Jean, toi qui sais tout, dis-nous comment il sera, quand il apparaîtra ressuscité.

     – Lazare avait les blessures des jambes cicatrisées, mais on en voyait la trace. Et il est apparu enveloppé dans des bandes pleines de pourriture, dit Marthe.

     – Il nous a fallu le laver à plusieurs reprises… ajoute Marie.

     – Il était faible, et nous avons dû le restaurer sur l’ordre du Maître, achève Marthe.

     – Le fils de la veuve de Naïm était comme étourdi et semblait être un bébé incapable de marcher et de parler couramment, si bien que Jésus le rendit à sa mère pour qu’elle lui apprenne de nouveau à user des biens de la vie. Quant à la fillette de Jaïre, c’est lui-même qui guida ses premiers pas, dit Jean.

     – Je pense que mon Seigneur nous enverra un ange pour nous dire : “ Venez avec un vêtement propre. ” Et mon amour l’a déjà préparé. Il est dans le palais. Je n’ai pas pu le filer, mais je l’ai fait filer par ma nourrice, qui maintenant est tranquille sur mon avenir, et ne pleure plus. J’ai pris le lin le plus précieux, j’ai eu la pourpre par Plautina, Noémie en a tissé le volant, et moi j’ai fait la ceinture, la bourse et le talit. Je les ai brodés de nuit pour n’être pas vue. Mère, c’est toi qui me l’as appris. Ce n’est pas parfait. Mais plus que les perles qui dessinent son nom sur la ceinture et sur la bourse, ce sont les diamants de mes larmes d’amour et mes baisers qui le rendent beau. Chaque point me fait brûler de dévouement pour lui. Et je la lui porterai. Tu m’y autorises, n’est-ce pas ?

     – Je ne pensais pas qu’on le priverait de son vêtement… Je ne suis pas habituée aux usages du monde et à sa férocité… Je croyais déjà la connaître… (et des larmes roulent de nouveau le long de ses joues cireuses), mais je m’aperçois que je ne savais encore rien… Je m’imaginais : “ Après, il aura encore le vêtement de sa Maman. ” Il lui plaisait tant ! Il l’avait voulu ainsi et il me l’avait dit depuis longtemps : “ Tu feras un vêtement de telle et telle façon, et tu me l’apporteras pour la Pâque… Car Jérusalem doit me voir dans un vêtement pourpre de roi… ” Ah ! Cette laine, plus blanche que la neige, devenait rouge aux yeux de Dieu et aux miens pendant que je la filais, parce que mon cœur avait reçu une nouvelle blessure à cette parole… Quant aux autres, si elles ne s’étaient pas complètement fermées au long des années, du moins leur suintement de sang avait-il séché. Mais celle-là ! Chaque jour, chaque heure retournait l’épée dans mon cœur : “ Un jour de moins ! Une heure de moins ! Et ensuite, il sera mort ! ” Oh ! Oh !… Sur le fuseau ou sur le métier, le fil devenait rouge à mes yeux… On l’a teint ensuite pour le monde… Mais il était déjà rouge… »

     Marie pleure de nouveau.

     Les femmes cherchent à la soulager en lui parlant de la Résurrection. Suzanne demande :

     « Que dis-tu ? Comment sera-t-il, une fois ressuscité ? Et comment ressuscitera-t-il ? »

     Alors Marie, égarée, aveuglée à cette heure de martyre rédempteur, répond :

     « Je ne sais pas… Je ne sais plus rien… sauf qu’il est mort… »

     612.4 Elle éclate de nouveau en de violents sanglots et elle baise le linge qui ceignait les reins de son Fils, elle le serre sur son cœur et le berce comme si c’était un enfant…

     Elle touche les clous, les épines, l’éponge, et s’exclame :

     « C’est donc cela qu’a su te donner ta patrie : du fer, des épines, du vinaigre et du fiel ! Et des insultes, des insultes, encore des insultes ! Et parmi tous les fils d’Israël, on a dû choisir un homme de Cyrène pour porter la croix. Cet homme est pour moi sacré comme un époux. Si j’en connaissais un autre qui ait secouru mon Enfant, je lui baiserais les pieds. Mais personne n’a donc eu pitié ? Sortez ! Partez ! Votre simple vue me fait souffrir ! De vous tous, aucun n’a su obtenir une torture moins cruelle. Serviteurs inutiles et inertes de votre Roi, sortez ! »

     Elle s’emporte tant qu’elle en paraît terrible. Debout, bien droite, elle paraît même plus grande, avec ses yeux impérieux, son bras tendu qui indique la porte. Elle ordonne comme une reine sur son trône.

     Tous sortent sans réagir pour ne pas l’énerver davantage et vont s’asseoir de l’autre côté de la porte fermée, pour écouter ses gémissements et tout bruit qu’elle peut faire. Mais après le grincement du siège qu’elle a repoussé et le battement de ses genoux qui frappent le sol — car elle s’est agenouillée, la tête contre la table sur laquelle se trouvent les objets de la Passion —, on n’entend que ses pleurs sans arrêt et sans réconfort.

     Elle murmure, mais si doucement que ceux qui sont dehors ne peuvent l’entendre :

     « Père, Père, pardon ! Je deviens orgueilleuse et méchante. Mais tu le vois : ce que je dis est vrai. Il y avait toute une foule autour de lui, et en ces jours de fête toute la Palestine se regroupe dans les murs saints… Saints ? Non, ils ne le sont plus… Ils le seraient restés si mon Fils avait expiré à l’intérieur d’eux. Mais Jérusalem l’a expulsé comme un vomissement qui donne la nausée. Il n’y a donc dans Jérusalem que le Crime… Eh bien, de tout ce peuple qui le suivait, il n’a pu se rassembler une poignée qui s’impose, je ne dis pas pour le sauver — il devait mourir pour racheter —, mais pour lui permettre de mourir sans autant de tortures. Ils sont restés dans l’ombre, ou bien ils ont fui… Mon cœur se révolte devant tant de lâcheté. Je suis la Mère. A cause de cela, pardonne mon péché d’orgueilleuse dureté… »

     Elle pleure…

     Dehors, les autres sont sur les chardons ardents, et pour plusieurs raisons.

     612.5 Le gardien de la maison rentre. Il était sorti par curiosité et il apporte des nouvelles redoutables. On dit que beaucoup de gens sont morts dans le tremblement de terre, que beaucoup ont été blessés dans les corps à corps entre les fidèles du Nazaréen et les juifs, que plusieurs ont été arrêtés et qu’il y aura de nouvelles exécutions pour révoltes et menaces contre Rome, que Pilate a ordonné d’arrêter tous les partisans du Nazaréen et tous les chefs du Sanhédrin présents dans la ville, ou même déjà enfuis à travers la Palestine, que Jeanne est mourante dans son palais, que Manahen a été arrêté par Hérode pour l’avoir insulté devant la Cour comme complice du Déicide. En somme, un tas de nouvelles catastrophiques…

     Les femmes gémissent, moins par peur pour elles-mêmes que pour leurs fils et leurs maris. Suzanne pense à son époux, connu parmi les fidèles de Jésus en Galilée. Marie, femme de Zébédée, pense à son mari, logé chez un ami, et à son fils Jacques dont elle n’a pas de nouvelles depuis la veille au soir. Et Marthe sanglote :

     « Ils seront déjà allés à Béthanie ! Qui pouvait ignorer ce qu’était Lazare pour le Maître ?

     – Mais il est protégé par Rome, lui, réplique Marie Salomé.

     – Protégé… Qui sait, avec la haine qu’ont pour nous les chefs d’Israël, quelles accusations ils portent contre lui à Pilate… Oh ! Mon Dieu ! »

     Marthe se passe les mains dans les cheveux et crie :

     « Les armes ! Les armes ! La maison en est pleine… et aussi le palais ! Je le sais ! Ce matin, à l’aurore, Lévi, le gardien, est venu m’en parler… Mais tu le sais déjà, toi aussi ! Et tu l’as dit aux juifs sur le Calvaire… Sotte ! Tu as mis dans la main des malfaiteurs l’arme pour tuer Lazare !…

     – Je l’ai dit, oui, j’ai dit la vérité sans le savoir. Mais tais-toi, espèce de poule mouillée ! Ce que j’ai dit est la plus sûre garantie pour Lazare. Ils se garderont bien de s’aventurer dans des recherches là où ils savent qu’il y a des gens armés ! Ce sont des lâches !

     – Les juifs, oui. Mais pas les Romains.

     – Je ne crains pas Rome. Elle est juste et prend ses dispositions paisiblement.

     – Marie a raison » intervient Jean. « Longinus m’a confié : “ J’espère qu’ils vous laisseront tranquilles. Mais si ce n’est pas le cas, viens ou envoie quelqu’un au Prétoire. Pilate est bienveillant pour les fidèles du Nazaréen. Il l’était aussi pour lui. Nous vous défendrons.

     – Mais si les juifs font tout par eux-mêmes ? Hier soir, c’étaient eux qui ont capturé Jésus ! Et, s’ils prétendent que nous sommes des profanateurs, ils ont le droit de nous prendre. Oh ! mes fils ! J’en ai quatre ! Où sont Joseph et Simon ? Ils étaient sur le Calvaire, puis ils sont descendus quand Jeanne n’a pas résisté. Pour aider et défendre les femmes… Eux, les bergers, Alphée… tous, ils les auront certainement déjà tués. Tu as entendu que Jeanne est mourante ? Elle l’est certainement parce qu’elle est blessée. Et eux, avant que la plèbe ne puisse frapper une femme, ils l’auront défendue et ils seront morts !… Et Jude et Jacques ? Mon petit Jude ! Mon trésor ! Et Jacques, qui est doux comme une fillette ! Ah ! Je n’ai plus de fils ! Je suis comme la mère des fils Maccabées !… »

     612.6 Toutes pleurent désespérément. Toutes, sauf la gardienne de la maison qui est allée chercher une cachette pour son mari, et Marie-Madeleine. Mais ses yeux jettent du feu : elle redevient la femme autoritaire d’autrefois. Sans mot dire, elle darde son regard sur ses compagnes abattues, et elle bout de leur adresser une épithète très claire : “ Pusillanimes ! ”

     Un certain temps passe ainsi… De temps à autre l’une d’elles se lève, ouvre doucement la porte, jette un coup d’œil, la referme.

     « Que fait-elle ? » demandent les autres.

     Celle qui a regardé répond :

     « Elle est toujours à genoux. Elle prie » ou bien : « Elle semble parler avec quelqu’un. » Et encore : « Elle s’est levée et fait de grands gestes en marchant çà et là dans la pièce. »

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